UN CONCORDAT DIFFICILE À SIGNER
UN CONCORDAT DIFFICILE A SIGNER
Le Consulat est officiellement installé le 1er janvier 1800.
Bonaparte nomme deux nouveaux consuls qui se situent aux deux extrémités d’un balancier politique qui oscille autour du Premier Consul. Ils sont en effet à l’opposé sur le plan politique : Cambacérès, régicide, a été député de la Convention et un spécialiste du droit. Lebrun est un partisan de la monarchie modérée et un spécialiste des finances.
Le Sénat, présidé par Sieyès, coopte les sénateurs et choisit les députés qui n’ont pas pu encore été élus, fautes de listes de notabilité établies. Il faut noter que le choix du Sénat se porte sur des députés de sensibilité révolutionnaire qui sont plutôt opposés au Premier Consul.
Dès février 1800, Bonaparte s’est installé aux Tuileries. Il affiche immédiatement sa volonté de réconciliation nationale. Avant même d’être officiellement installé, il prend en quelques semaines de nombreuses mesures d’apaisement:
- Le 13 novembre 1799 : Abrogation de la loi des otages.
- Le 23 novembre : suspension d’armes dans l’Ouest.
- Le 29 novembre : suspension des peines de déportation des prêtres réfractaires.
- Le 23 décembre : suppression de la célébration de l’exécution de Louis XVI.
- Le 25 décembre : abrogation des lois privant les parents d’émigrés des droits civiques.
- Le 26 décembre : les royalistes déportés après le 18 fructidor an V sont autorisés à rentrer en France.
- Le 28 décembre : l’amnistie est accordée aux insurgés de l’Ouest qui acceptent de déposer les armes.
- Le 30 décembre : les honneurs sont rendus à la dépouille de Pie VI, qui avait été emprisonné à Valence.
Mais Bonaparte a des difficultés à signer un Concordat avec le Pape Pie VII, les objectifs de ce dernier étant radicalement différents de la démarche purement politique de Bonaparte qui veut obtenir un accord avec les autorités catholiques malgré la résistance des assemblées qui s’opposent au retour de la religion sur la scène publique.
Ce Concordat reconnaît le gouvernement consulaire. En contrepartie, le Pape obtient l’acceptation par l’État français de l’autorité spirituelle du pontife romain et de son droit à nommer les évêques, en accord toutefois avec l’État français.
Vaguement déiste, Bonaparte convient que le catholicisme lui paraît efficace pour rendre la société plus cohérente, puisque ce dernier prêche le respect de l’autorité. L’avantage du Concordat est aussi que le parti royaliste ne pourra plus mobiliser au service de sa cause les prêtres réfractaires et leurs fidèles.
Autour de ce Concordat, la bataille diplomatique entre Pie VII et Bonaparte porte surtout sur deux articles qui concernent la condition de la religion catholique en France et la liberté du culte à l’extérieur des églises. Comme, pour les théologiens de l’Église, la religion catholique devait être reconnue religion d’État, on trouva une formule qui permettait une reconnaissance de facto de la religion catholique, et non de jure, en utilisant l’expression : « religion de la majorité des Français ».
En outre, à l’opposé du Directoire qui avait confiné les cérémonies religieuses à l’intérieur des églises, les mêmes théologiens insistaient pour que la religion catholique s’exerçât au grand jour. On convint que le culte serait public, tout en se conformant aux règlements de police exigés par la tranquillité publique.
L’accord fut plus facile sur les nouvelles circonscriptions des diocèses, sur la nomination par le Premier consul des évêques, nomination confirmée par le Pape, sur le serment de fidélité des évêques et des curés au gouvernement et non à la Constitution, sur l’autorisation de recevoir des fondations et sur les prières officielles pour les Consuls.
Pie VII renonça de fait à la restitution des biens d’Église vendus comme biens nationaux, sans reconnaître de jure au pouvoir civil le droit d’en disposer : il s’engagea simplement à ne pas inquiéter les acquéreurs.
Les pourparlers entre Pie VII et Bonaparte s’éternisèrent, en raison de la volonté de ce dernier d’instrumentaliser l’Église en usant de rouerie et de menaces. Il ne faudra pas moins de neuf versions différentes (sic) pour que le Concordat soit symboliquement signé le 14 juillet 1801, et difficilement ratifié par les deux parties.
Après la paix d’Amiens, Bonaparte usa d’une dernière fourberie lorsqu’il promulgua le Concordat le 8 avril 1802, en y rajoutant de son propre chef les Articles Organiques qui rendaient l’Église de France étroitement dépendante de l’État, malgré les protestations de Pie VII contre cette adjonction unilatérale.
En politique internationale, dans le cadre de ses efforts pour stabiliser la position de la France, Bonaparte essaya, au-delà de la pacification religieuse, d’obtenir une paix qui permette à la France de digérer ses conquêtes en Europe.
Malgré sa volonté inébranlable, malgré son génie de négociateur et malgré la force coercitive de son armée, il n’y parviendra pas.
À SUIVRE
2025
2025 ? Ce matin frais de fin décembre 2024, je m'étais assis au bord de la mer. Il faisait beau, comme souvent ici.
Les cris stridents des goélands étaient largement couverts par le grondement presque incessant des véhicules qui s'élançaient vers l'est, de feu vert en feu vert.
J'étais assis sur des galets que la mer roulait avec un chuchotis apaisant et un rythme immuable. Pour une fois, je n'allais pas me lancer dans des vœux lénifiants ou des prédictions utopiques, mais je voulais traiter d'un sujet explosif. Cette perspective me faisait courber la tête vers les galets dont me parvenait l'odeur iodée.
2025 ? Comment me fier à mes impressions ? Quand j'avais appris que l'État français, mon État, empruntait, chaque jour, un milliard d'Euros pour rembourser les emprunts qu'il avait contracté précédemment et pour payer les intérêts des dettes en cours, j'ai cru, personnellement, ployer sous le poids de la dette. Ainsi, ils empruntaient chaque jour 15 euros sur mon dos, qu'il faudrait rembourser un jour ou l'autre. Ou jamais. Mais jamais, je n'y croyais pas : l'argent gratuit, cela n'existe pas.
Livré à moi-même sur cette plage, j'imaginais que la charge de plus en plus écrasante de la dette pèserait sur mes épaules, tandis que mes concitoyens, inconscients de cette machinerie impitoyable, continueraient à vaquer à leurs occupations sans se rendre compte qu'ils avaient emprunté chaque jour 15 euros, à cause des emprunts que nous avions accumulé tous ensemble, à force de subventions, d'allocations, de dépenses bureaucratiques, de gaspillages, d'erreurs, bref de tout ce qu'une société génère d'actions incontrôlées, de droits, d'incompétences, de mouvements browniens et de frottements.
Et je voulais livrer cette sinistre nouvelle à mes lecteurs, pour le jour de l'an 2025 ?
Ça ne plairait pas.
Ce que j'espérais en m'obstinant à le proclamer, c'était de contribuer à ce qu'un jour, que j'escomptais pas trop lointain, nous serions si nombreux à en prendre conscience que nous pourrions trouver, tous ensemble, la force de chercher une solution, une fois que nous nous serions bien défoulés sur les boucs émissaires que nous jugerions responsables de cette catastrophe.
La solution ? J'étais certain qu'au nom des injustices que les niais prétendaient faire disparaitre de la surface de la Terre, certains esprits pervers recommanderaient d'augmenter les impôts. Après tout, il suffirait d'augmenter la charge fiscale de tout un chacun, en modulant sévèrement les taux en fonction du revenu, pour faire disparaitre le déficit.
Mais ces niais omettaient l'effet déflationniste de l'augmentation des taux d'imposition, qui engendrerait une baisse du rendement des impôts et obligerait à augmenter à nouveau la charge fiscale, jusqu'à ce qu'elle atteigne 100% de revenus qui se seraient entretemps effondrés. Finalement, 100% de rien.
Car, depuis les analyses fondées sur la courbe de Laffer, on savait que l'augmentation indéfiniment poursuivie de la fiscalité n'était qu'une voie sans issue.
Si je voulais sauver ce billet de l'opprobre, il fallait absolument proposer une solution. L'évidence inverse de l'augmentation des impôts serait de les baisser et pour cela de baisser les dépenses, ce qui impliquerait des coupes claires dans la redistribution pratiquée sous l'égide de l'État. C'était un processus long et délicat, qui pouvait conduire, selon les circonstances, à la dislocation de l'État.
Bon, mais enfin c'était la voie. Encore que pour conduire une telle action, douloureuse et pénible, qui ne pouvait que susciter une forte contestation de tous les groupes lésés, il faudrait que se dégage un large consensus sur la nécessité de réduire le déficit public et que s'impose une équipe, reconnue et portée par la grande vague de l'opinion publique. Ce n'est qu'ensuite que cette équipe pourrait mettre en œuvre les mesures appropriées, qui mettront du temps à produire leurs effets.
Nous n'en étions pas là, puisque j'étais le seul à m'inquiéter. Je rangeais dans les dossiers à expulser de mon esprit les fuites en avant, du genre plus de croissance ou plus de travail. La première ne se décrétait pas, la seconde était suicidaire pour l'équipe chargée de réparer le budget.
Oui, nous n'en étions pas encore là, mais le spectacle donné par les politiciens impuissants de 2024 pourrait bien avoir la vertu, en 2025, de provoquer un réflexe susceptible de déclencher le processus de lutte contre le surendettement.
Je quittais les galets des yeux pour regarder la mer impavide. En tout cas, quelles que soient les aventures du budget, la mer resterait et le soleil aussi. Et puis, la dette ne durerait que le temps de nous apprendre à vivre avec ce que nous produisons. Une affaire de quelques années.
C'est ainsi que je me rassurais.
J'espérais avoir aussi rassuré mes lecteurs.
Si j'y parvenais, comme ce ne serait sûrement pas plus difficile de redresser le budget de l'État que de les rassurer, mes lecteurs, nous serions sur la bonne voie...
LE POUVOIR DE NAPOLÉON BONAPARTE
Bonaparte fera perdre une ou deux décennies à l’évolution politique du pays. Il fera tuer un million de Français et plus encore d’étrangers, il affaiblira la France, réduira sa superficie et renforcera une méfiance universelle contre l’État français qui bénéficiera à ses concurrents, dont au premier chef les Anglais.
Au plan politique, il bafoue l’idée de démocratie et installe le concept d’homme providentiel susceptible de sauver le pays par la seule force de sa volonté, après que la Terreur eut fait croire qu’une Nation devait être gouvernée selon des principes moraux et non selon la volonté de ses citoyens. Ces deux idéologies, bonapartistes et révolutionnaires, impriment encore l'esprit public aujourd'hui.
Mais, du point de vue organisationnel, il a eu le génie de concevoir et d’appliquer les outils institutionnels adaptés à la rationalité d’un État centralisé.
Avant l’Empire, le Consulat débute par un triumvirat provisoire composé de Bonaparte, Sieyès et Ducos, et de deux commissions désignées pour les affaires judiciaires courantes et la préparation d’une nouvelle constitution. Cette dernière est élaborée en novembre 1799, sous l’impulsion de Sieyès et Bonaparte, mais sous la direction de Pierre Daunou
Pierre Daunou (1761-1840) a auparavant rédigé la constitution de l’An III et il est encore le véritable père de la Constitution de l’An VIII, comme Debré celle de la constitution de la VeRépublique. Cette Constitution, une de plus donc, s’inscrit dans la conception du pouvoir de Sieyès qui consiste, comme sous le Directoire, à s’opposer aux volontés des assemblées et à renforcer l’exécutif face aux représentants du peuple.
Cette nouvelle Constitution s’appuie sur une approbation en apparence massive des électeurs. Apparemment seulement: en janvier 1800, sur sept millions d’électeurs, on compte trois millions de « oui », auxquels le pouvoir a rajouté un million et demi de voix. Seules mille cinq cents personnes ont osé voter non, d’après les résultats officiels. C’est finalement une approbation pour le moins mitigée, car,depuis le début de la Révolution, nous pouvons constater que le pouvoir ne tient jamais compte de la volonté du peuple, contrairement à ce qu'il s'obstine à proclamer.
La proclamation des résultats est précédée par celle des Consuls qui indique fièrement leur volonté de stabiliser la république grâce à un pouvoir fort et stable. Elle contient la célèbre affirmation suivante : « Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie. »
Cette Constitution durera quatorze ans, jusqu’à la Restauration. Une de ses originalités est d’instituer trois chambres de représentants, le Sénat, formé de quatre-vingts membres inamovibles et à vie, qui juge de la constitutionalité des lois ; le Tribunat, composé de cent membres, qui discute les projets de loi et le Corps législatif, composé de trois cents membres, qui fait la loi sans en débattre.
Pour plus de sûreté, les électeurs perdent le droit d’élire directement leurs gouvernants, puisqu’ils ne peuvent qu’établir des listes de notabilités parmi lesquelles le gouvernement choisit les représentants qui lui conviennent.
Le gouvernement est nominalement confié à trois consuls nommés pour dix années, indéfiniment rééligibles, alors que seul le Premier consul, nommément désigné comme étant Bonaparte dans la Constitution, dispose du pouvoir exécutif. De plus, dès le début du Consulat, les textes constitutionnels permettent d’obtenir un pouvoir exécutif personnel et à vie, si bien que les évolutions constitutionnelles vers les titres de Consul à vie et d’Empereur ont plus d’importance sur la forme que sur le fond.
Au pouvoir des Consuls, s'adjoint un Conseil d'État qui est chargé de rédiger les projets de lois et de résoudre les difficultés qui s'élèvent en matière administrative.
En outre, la Constitution prévoit une organisation rationnellement centralisée de l’administration et des finances, qui avait été d'ailleurs conçue dès le début de la Révolution. Cette organisation tient toujours aujourd’hui, contre vents et marées, tant elle est liée au caractère constitutif de l’État français : à compter du 17 février 1800, l’administration du territoire est organisée autour du département et de son préfet, de l’arrondissement et de son sous-préfet, de la commune et de son maire, assistés respectivement par un conseil général d’arrondissement ou municipal.
Les juges et les administrateurs deviennent des fonctionnaires. La hiérarchie des juridictions civiles et criminelles est assurée par l’installation d’une Cour de cassation et le contrôle du pouvoir judiciaire par un commissaire du gouvernement installé auprès de chaque tribunal.
L’unification du droit français est confiée au Conseil d’État. Le prélèvement de l’impôt est construit autour de deux corps indépendants, toujours maintenus, celui des contrôleurs pour la répartition de l’impôt et celui des percepteurs pour son recouvrement.
Il s'y ajoute la Banque de France (BdF), créée en février 1800, est un établissement privé contrôlé par l’État qui est autorisée à émettre un papier-monnaie, le franc germinal à partir de 1803, accepté pour sa valeur intégrale par les caisses publiques. La BdF assure les avances de trésorerie à l’État.
Le 17 germinal an XI (), le franc germinal gagé sur l'or et l'argent, remplace en effet le franc à référence purement argent de la Révolution. Le nouveau système fixe le franc à 0,29 g d'or ou à 4,5 grammes d'argent pur, avec une parité d’une unité d’or pour 15,5 unités d’argent. La réserve d'or de la Banque de France garantit la valeur de la monnaie en circulation. Sans modification ni altération, le franc-or a circulé de 1803 à 1928 en même temps que le franc en argent, toujours dans un rapport de 1 g d'or pour 15,5 g d'argent*. Ce franc fut dévalué en 1928, puis plusieurs fois par la suite.
L’organisation administrative, juridique et monétaire centralisée française a été mise en place en 1800 pour les deux siècles suivants, jusqu'à ce que l'Union Européenne bouleverse les hiérarchies de pouvoir.
* En 2024, un gramme d'or coûte le prix de 78 grammes d'argent.
À SUIVRE
TOTAL COLLAPSE
Dans sa brutalité, il me semble que ce terme anglais traduit bien l’effondrement de la politique étrangère de la France conduite par le Président de la République, qui invoque comme ses prédécesseurs un « domaine réservé ». Il doit donc lui être imputée.
L’actualité immédiate est en effet proprement catastrophique à la vue des résultats de la politique étrangère de la France :
- Le 29 novembre 2024, le Tchad, le dernier pays sahélien à abriter des forces françaises, a annoncé « mettre fin à l'accord de coopération en matière de défense signé avec Paris ». Une annonce surprise, survenue quelques heures après la visite dans le pays du chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot.
- Le 28 novembre 2024, dans une lettre adressée au président du Sénégal, Emmanuel Macron affirme que « la France se doit de reconnaître » qu'il y a eu un « massacre » dans le camp militaire de Thiaroye, en périphérie de Dakar, le 1ᵉʳ décembre 1944. En réponse, le président sénégalais Bassirou Diomaye a demandé le départ des troupes françaises de la base de Dakar.
- Le 27 novembre 2024, il s’est écoulé onze jours depuis l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, avant que la diplomatie française ne condamne officiellement une détention "inacceptable" et "sans fondement", selon les mots du ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, qui constate qu’il ne dispose d’aucun moyen d’action pour y faire échec.
- Le 20 novembre 2024, le président français a déclaré que les responsables haïtiens ayant limogé Garry Conille, choisi au mois de mai par le Conseil de transition pour diriger le gouvernement d’Haïti, étaient "complètement cons". L'ambassadeur de France a été convoqué pour explications à Port au Prince.
- Le 18 novembre 2024, à Jérusalem, la visite du ministre Jean-Noël Barrot vire à l’incident diplomatique, lorsque la police israélienne arrête deux gendarmes français sur un site géré par la France à Jérusalem. Seule réaction française, la convocation de l’ambassadeur d’Israël en France.
Au-delà de l’actualité immédiate, les résultats catastrophiques se sont succédés dans le domaine des affaires étrangères de la France, depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République, le 14 mai 2017 :
- En Afrique, c’est une déroute quasi générale, du Mali au Tchad en passant par le Burkina Faso et le Niger, de l’Algérie au Sénégal, partout sauf au Maroc, mais au prix d’un alignement total sur sa politique étrangère au Sahara et d’une vive tension avec l’Algérie. Ce recul de la France en Afrique dépasse le cadre régional africain. Il pose la question de la capacité de Paris à rester un acteur global de premier plan dans le monde.
- En Océanie, la perte du contrat de 12 sous-marins signés avec l’Australie révèle, non seulement la duplicité des dirigeants australiens, mais la faiblesse de la réponse française qui a été intégrée dans les calculs de nos partenaires, amis ou ennemis. Plus récemment, la maladresse du Président avec l’annonce non préparée de la révision des listes électorales en Nouvelle Calédonie, y a fait exploser une crise qui, non seulement désespère ses habitants, mais affaiblit encore un peu plus notre position dans la région.
- Au Moyen Orient, au lendemain de l’explosion survenue à Beyrouth le 6 août 2020, le président français avait beaucoup promis au peuple libanais mais sa rhétorique enflammée s’est échouée sur la faiblesse des moyens mis en œuvre. Sa visite en Israël, le 24 octobre 2023, au cours de laquelle il a proposé d’associer la coalition internationale contre l’organisation « État islamique » à la lutte contre le Hamas n’a suscité qu’une incompréhension générale.
- Vis-à-vis du conflit entre la Russie et l’Ukraine, le Président est passé d’une grande compréhension à une extrême fermeté vis-à-vis de la Russie, allant jusqu’à envisager, encore aujourd’hui, d’envoyer des troupes françaises en Ukraine.
- En Europe, on peine à trouver la moindre mesure qui ait favorisé la France, à commencer par le marché de l’énergie jusqu’au camouflet de l’éjection de Thierry Breton du poste de commissaire au marché intérieur à la demande de la Présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen en passant par la signature surprise du traité du Mercosur à Montevideo le 6 décembre 2024.
Volontairement, j’omet d’autres échecs cuisants, mais la liste précédente me semble suffisante pour faire observer que, partout, sur le champ dévasté de la politique étrangère, on n’aperçoit qu’échecs, rodomontades provoquant autant de rebuffades, tensions suivies de piteuses reculades et fuite d’alliés.
Aussi, force est-il de constater qu’il est plus que temps que cette politique retrouve une direction claire et une main ferme, le contraire de ce qu’elle est devenue depuis sept années.
UKRAINE: SE POSITIONNER AVANT LA NÉGOCIATION
Les événements récents relatifs à l'Ukraine, interventions des troupes de la Corée du Nord, utilisation de missiles à longue portée pour frapper la Russie, forte poussée des troupes russes dans le Donbass, montrent que les deux parties, l'Otan et la Russie, cherchent à obtenir les meilleures positions possibles dans la future négociation du début 2025.
Il est clair désormais, loin du phantasme d'une "victoire" ukrainienne, que l'avancée des troupes russes est fortement freinée par l'usage des drones qui rendent impossible toute concentration de troupes. Le front devient une confrontation de deux guérillas harcelées par les drones.
Il va donc falloir mettre un terme à cette interminable bataille qui dévore les troupes et ce sera probablement par un cessez le feu sur le front qui précèdera une longue négociation pour un futur traité de paix.
Les bases du nouvel équilibre à atteindre ne seront pas celles d'une protection de l'Ukraine dont les États-Unis ne se sont jamais préoccupés, compte tenu de leur double sabotage des accords de Minsk et de l'accord de paix de 2022, mais celui du nouvel équilibre stratégique entre les États-Unis d'une part et la Russie et ses alliés d'autre part, nouvel équilibre dont l'Ukraine et l'Europe seront les perdants.
Pour éclairer la position de Trump et de son équipe dans cette négociation à venir, voici le discours que Robert F Kennedy a prononcé le 24 aout 2024, lorsqu'il s'est rallié à Trump, un discours qui illustre la vision de la coalition républicaine qui sera au pouvoir le 20 janvier 2025:
"Je veux dire un mot sur la guerre en Ukraine.
Le complexe militaro-industriel nous a fourni une justification familière, comme ils le font pour chaque guerre, à savoir que celle-ci est un effort noble pour arrêter un super vilain, Vladimir Poutine, d'envahir l'Ukraine puis d'empêcher sa marche à la Hitler à travers l'Europe.
En réalité, la petite Ukraine est un pion dans une lutte géopolitique, initiée par les ambitions des néo-conservateurs américains pour l'hégémonie américaine.
Je n'excuse pas Poutine pour avoir envahi l’Ukraine ; il avait d'autres options. Mais la guerre est la réponse prévisible de la Russie au projet néo-con imprudent d'étendre l'OTAN pour encercler la Russie, un acte hostile. Les médias crédules expliquent rarement aux Américains que nous nous sommes unilatéralement retirés des deux traités d'armes nucléaires intermédiaires avec la Russie. Les néo-cons ont ensuite installés des systèmes de missiles prêts à l'emploi nucléaire en Roumanie et en Pologne : c'est hostile.
La Maison Blanche de Biden a refusé à deux reprises l'offre de la Russie de mettre fin à la guerre pacifiquement : la guerre en Ukraine a commencé en 2014, lorsque des agences américaines ont renversé le gouvernement démocratiquement élu en Ukraine et installé un gouvernement pro occidental qui a lancé une guerre civile meurtrière ethnique contre les Russes en Ukraine.
En 2019, l'Amérique s'est retirée d'un accord de paix, l'accord de Minsk, qui avait été négocié entre la Russie et l'Ukraine par des nations européennes. Puis en avril 2022, nous voulions la guerre : en avril 2022, le président Biden a envoyé Boris Johnson en Ukraine pour forcer le président Zelensky à déchirer un accord de paix qu'il avait signé avec les Russes, qui retiraient leurs troupes de Kiev et du Donbass, un accord qui aurait apporté la paix à la région et qui aurait permis au Donbass de rester en Ukraine.
Le président Biden a déclaré ce mois-là que son objectif dans la guerre était de changer le régime en Russie. Son secrétaire d'État à la Défense Lloyd Austin a simultanément expliqué que le but de l'Amérique dans la guerre était d'épuiser l'armée russe, de dégrader sa capacité à combattre ailleurs dans le monde.
Ces objectifs, bien sûr, n'ont rien à voir avec ce qu'ils disent aux Américains sur la protection de la souveraineté de l'Ukraine. L’Ukraine est une victime de cette guerre et c'est une victime de l'Occident et de la Russie.
Depuis la déchirure de cet accord, nous avons gaspillé la fleur de la jeunesse ukrainienne jusqu'à 600 000 jeunes ukrainiens et plus de 100 000 jeunes russes et l'infrastructure de l'Ukraine est détruite.
La guerre a été un désastre pour notre pays aussi, nous avons gaspillé près de 200 milliards de dollars déjà. Et ce sont des dollars dont nos communautés souffrantes ont cruellement besoin dans notre pays. Le pipe-line Nord Stream a été saboté. Les sanctions ont détruit la base industrielle de l'Europe qui formait le bastion de la sécurité nationale américaine : une Allemagne forte avec une industrie forte est un bien. C'est bien plus dissuasif pour la Russie qu'une Allemagne industrielle transformée en simple extension d'une base militaire américaine.
Nous avons poussé la Russie dans une alliance désastreuse avec la Chine et l'Iran, nous sommes plus près d'une guerre nucléaire que jamais depuis 1962 et les néo-cons à la Maison-Blanche ne semblent pas s'en soucier du tout. Notre autorité morale et notre économie sont en ruine et la guerre a donné naissance à l'émergence des BRICS qui menacent maintenant de remplacer le dollar comme monnaie de réserve mondiale : c'est une catastrophe de première classe pour notre pays.
À en juger par le discours belliqueux d'hier soir à Chicago, nous pouvons supposer que la présidente Harris sera une défenseuse enthousiasme de cela, et de bien d'autres aventures militaires néo-conservatrices.
Mais le président Trump dit qu'il rouvrira la négociation avec le président Poutine et qu'il mettra fin à la guerre du jour au lendemain, dès qu'il deviendra président.
Cela seul justifierait mon soutien à sa campagne."
J'espère que le contenu de ce discours vous permettra d'avoir une vue réaliste du contenu de la négociation à venir, dans laquelle les disciples européens des neo-cons n'auront guère la parole.
BONAPARTE HÉRITE DE LA RÉVOLUTION
La suite du coup d’État du 19 brumaire ne fut que routine.
Les Cinq-Cents expulsés, le président des Anciens fit voter un décret constatant « la retraite » du conseil des Cinq-Cents et nommant une commission exécutive provisoire de trois membres remplaçant les Directeurs.
Bonaparte et Sieyès complétaient cette première mesure par une réunion hâtive d’une cinquantaine de députés qui votaient, sous la présidence de Lucien Bonaparte, leur reconnaissance à Bonaparte et aux autres généraux présents. De plus, ils nommaient Bonaparte, Sieyès et Ducos membres de la commission exécutive, qui porteraient désormais le titre de consuls.
Vers 4 heures du matin, le 20 brumaire (11 novembre 1799), deux commissions étaient constituées pour discuter de la nouvelle constitution avec les consuls.
Un mois plus tard le 15 décembre 1799, les trois nouveaux consuls, Bonaparte, Cambacérès et Lebrun, présentaient leur constitution aux Français et ils proclamaient « Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie ! »: c'était beaucoup s'avancer !
La population fit le gros dos : elle avait désormais l’habitude des coups d’État. Mais cette fois-ci, l’armée prenait directement le pouvoir en la personne de Bonaparte, qui se représentait comme un miraculé, « sauvé de l'assassinat par les grenadiers du corps législatif Bonaparte parvient à déjouer un complot Jacobin liberticide et menaçant les propriétés ». Comme par miracle, les journaux reparaissaient le lendemain, la rente montait, les propriétaires se ralliaient à Bonaparte qui situait son action au-dessus des partis, ne se voyant « ni bonnet rouge, ni talon rouge ».
Déjà une telle solution institutionnelle était en filigrane depuis que l’armée s’était imposée comme le principal soutien du régime lors du coup d’État du 18 fructidor (4 septembre 1797). L’intermède du Directoire s’achevait, qui avait réussi à générer trois coups d’État entre mai 1797 et novembre 1799, en raison du refus du Directoire d’accepter le verdict des urnes.
Plus précisément, le constat que les électeurs restaient plus que jamais royalistes était inacceptable pour des dirigeants politiques régicides qui craignaient pour leur vie, pour des généraux ivres des succès obtenus grâce à la levée en masse et pour des jacobins viscéralement opposés à la royauté, au nom de l’égalité et de l’anticatholicisme.
De ce fait, l’avis des électeurs, et plus encore du peuple, ne comptait pas, pire que cela, il devait être combattu. Pendant la période du Directoire, la réaction des électeurs bafoués s'exprime par une abstention massive de quatre-vingts dix pour cent d’entre eux.
En outre, le Directoire est résolument anti-catholique, au point d’encourager une pseudo religion, la théophilantropie, parce que le catholicisme est source de normes, de morale qui dérange l'idéologie du Directoire et parce qu'il est du côté des royalistes. La volonté d’affaiblir le catholicisme explique aussi les décisions d’encourager le protestantisme et le judaïsme prises par les divers gouvernants depuis le début de la Révolution. Si finalement le Directoire n’est pas comparable à la Terreur en termes de tentative de contrôle des esprits, ce n’est qu’affaire de circonstances et non pas volonté ou philosophie politique.
La culture du Directoire est celle du coup d’État, qui s'achève, lorsque son pouvoir vacille, par la remise du pouvoir à un militaire. Car la force du Directoire réside dans les énormes effectifs militaires dont il dispose. À la tête de ces troupes, des généraux qui savent ce qu’ils doivent à la République mais aussi ce qu’elle leur doit. Aussi est-il naturel que le plus ambitieux d’entre eux, qui se révèle être aussi le meilleur stratège, se hisse à la tête de l’État, car il faut retenir qu’il ne prend pas le pouvoir contre le Directoire, mais à sa demande.
L’arrivée de Bonaparte n'est donc pas une rupture avec la Révolution. La République demeurera jusqu’en 1814, car les hommes au pouvoir restent, les principes subsistent, mieux encore, ils sont appliqués avec plus de rationalité, sans que la Terreur ne s’avère toujours nécessaire pour faire obéir le citoyen à l’État. Bonaparte fit ce que les politiciens de la Révolution n’avaient pas su faire, une organisation centralisée et rationnellement organisée, à son service, et de ce point de vue un très bon système de gouvernement se mit en place à partir de 1800, dont tous les historiens louent la logique, la cohérence et la pérennité.
Mais Il est curieux qu’ils en fassent crédit à Bonaparte premier Consul, pour reprocher à Napoléon d’avoir dilapidé l’héritage, comme si le système que le premier avait mis en place n’avait rien à voir avec la série de catastrophes qui se sont abattues sur la France par la faute du second.
L’aventure de Napoléon Bonaparte est celle d'un fils de la Révolution. Du fait de son extraordinaire destin personnel, de son génie stratégique, de ses qualités d’organisateur, Napoléon rencontre le rêve collectif d’une nation qui impose sa volonté à l’Europe avant de succomber, victime du nombre, des erreurs stratégiques et de la fatalité.
Ceci posé, Bonaparte n’a servi qu’à prolonger de quinze années un système politique issu de la Révolution qui n’avait pas d’avenir, car il ne s ‘appuyait sur aucune base démocratique et qui ne s’enracinait dans aucune tradition. Son maintien pendant cette période a tenu à la peur des classes dirigeantes de perdre les biens acquis pendant la révolution, aux rêves égalitaires entretenus par le prolétariat urbain, à la puissance des armes et au génie industrieux de Bonaparte.
Les soldats l’ont suivi jusqu’à ce qu’ils n’aient plus la force de le porter, les ouvriers l’ont soutenu en vain et les classes dirigeantes, comme d’usage, l’ont abandonné dès que ses défaites militaires ont démonétisé son maintien au pouvoir.
À SUIVRE
QU'ATTENDRE DE TRUMP?
Ces grands changements sociologiques que nous avons présentés précédemment se sont retrouvés dans les comportements électoraux du mardi 4 novembre.
La victoire républicaine s'est construite autour des électeurs blancs de la classe ouvrière à laquelle se sont ajoutés beaucoup plus d'électeurs hispaniques et noirs de la classe ouvrière qu'au cours de l'élection de 2020, en particulier les électeurs masculins de ces groupes. Pour ces derniers, la classe sociale comptait plus que la race ou l'ethnicité, car il n'y avait aucune raison particulière pour qu'un latino de la classe ouvrière soit particulièrement attiré par un libéralisme woke qui favorisait les immigrants sans papier et se concentrait sur la promotion des intérêts des femmes.
En outre ces acteurs ne se souciaient pas beaucoup de la menace que représente Trump pour l'ordre libéral, alors que Trump est un protectionniste autoproclamé qui se propose d'établir des tarifs de 10% à 20 % sur tous les biens produits à l'étranger, une mesure qu'il pourra prendre sans avoir à solliciter l'autorisation du Congrès.
Ce faisant, il reste que Trump risque de provoquer des représailles massives en matière de droits de douane de la part des autres pays, ce qui pourrait le faire reculer. Mais il ne veut pas seulement lutter contre le néolibéralisme et le libéralisme woke, il menace aussi le libéralisme classique et si certains ne prennent pas sa rhétorique au sérieux, ils commettent probablement une erreur :
En matière d'immigration, Trump ne veut plus simplement fermer la frontière, il veut aussi expulser la plus grande proportion possible des onze millions d'immigrés sans-papiers déjà présents dans le pays, ce qui représente une tâche énorme du point de vue administratif. En outre, cette action aura des effets dévastateurs sur les industries qui dépendent de la main-d'œuvre immigrée, comme la construction et l'agriculture, et elle suscitera un énorme scandale moral, comme la gauche les aime, lorsque les parents expulsés seront séparés de leurs enfants citoyens américains.
En ce qui concerne l'État de Droit, Trump cherchera sans doute à se venger des injustices qui estime avoir subi de la part de ses détracteurs. À cet égard, il a juré d'utiliser le système judiciaire pour poursuivre tout le monde de Liz Cheney aux policiers et de Joe Biden à l'ancien chef d'état-major interarmées, Mac Milley et à Barack Obama. Il veut aussi faire taire les critiques des médias en leur retirant leur licence ou en leur imposant des sanctions et, pour pouvoir agir, il a chargé les républicains de recruter des juges compréhensifs.
Cependant, les changements les plus importants interviendront probablement dans la politique étrangère. L'Ukraine risque d'être de loin la plus grande perdante. Son combat contre la Russie s'est essoufflé avant même les élections et Trump peut la forcer d'accepter les conditions de la Russie, en retenant ses livraisons d'armes, comme l’a déjà fait la chambre républicaine pendant six mois l'hiver dernier.
Trump peut aussi gravement affaiblir l'alliance en ne respectant pas l'article 5 de la garantie de défense mutuelle. Les alliés et amis des États-Unis en Asie du Sud-Est ne sont guère en meilleure position que l'Ukraine. Trump a tenu des propos durs à l’égard de la Chine mais il admire aussi Xi Jinping pour ses qualités d'homme fort : il pourrait être disposé à conclure un accord avec lui sur Taïwan et ceci d'autant plus que Trump se déclare opposé par principe à l'usage de la force militaire, sauf peut-être au Moyen-Orient, où il est susceptible de soutenir sans réserve les guerres de Netanyahou contre Le Hamas, le Hezbollah et l’Iran.
Il y a de bonnes raisons de penser que Trump sera plus efficace dans la réalisation de ce programme qu'il ne l'a été lors de son premier mandat. Lui et les républicains se sont rendus compte qu'ils avaient été trahis par la haute administration, car lorsqu'il a été élu pour la première fois en 2016, il l'a dû s'appuyer sur les républicains de l'establishment qui ont souvent bloqué, détourné ou ralentis ses ordres.
Sa réaction à la fin de son mandat consista à émettre un décret créant un « Schedule F » destiné à priver de leur emploi les fonctionnaires fédéraux qu’il jugeait déloyaux à son endroit ou inefficaces. La résurgence du Schedule F est au cœur des plans de Trump pour son second mandat et il a fait établir des listes de potentiels fonctionnaires qui lui seraient personnellement loyaux, ce qui laisse penser qu’il semble capable cette fois de mettre ses plans à exécution.
Au cours de la campagne électorale, Kamala Harris a accusé à tort Trump d'être un fasciste, car il n'a pas l'intention d'instaurer un régime totalitaire aux États-Unis, mais plutôt d'organiser un déclin progressif des institutions libérales, sur le modèle du retour au pouvoir de Victor Orban en 2010.
Ce déclin a déjà commencé car Trump a contribué à accroître l'importante polarisation de la société américaine : il a fait passer les États-Unis d'une société de confiance à une société de défiance, il a diabolisé le gouvernement et affaiblit la croyance que ce dernier représente les intérêts collectifs des Américains, il a pratiqué une rhétorique politique grossière, il a enfin convaincu une majorité de républicains que son prédécesseur était un président illégitime qui lui a volé l'élection en 2020.
L'ampleur de la victoire républicaine qui s'étend de la Présidence des États-Unis, au Sénat et à la Chambre des Représentants est interprétée comme un mandat politique fort, confirmant les idées de Trump et l'autorisant à agir comme il l’entend.
Il reste aux Européens, comme aux autres parties du monde, à accepter ce prochain état de fait, à s’y s'adapter et à tenter d'en tirer avantage.
*D’après Francis Fukuyama (What Trump unleashed means for America Financial Times, 10 novembre 2024) selon une traduction adaptée par mes soins.
MAIS POURQUOI TRUMP?*
La victoire écrasante de Donald Trump et du parti républicain mardi 5 novembre va entraîner des changements majeurs, car elle signifie un rejet décisif par les électeurs américains du libéralisme et de la manière particulière dont la conception d’une « société libérale » a évolué depuis les années 1980.
Lorsque Trump a été élu pour la première fois en 2016, il était facile de croire que cet événement était une aberration. Trump se présentait face à un adversaire faible qui ne le prenait pas au sérieux et, de toute façon, Trump n'avait pas remporté le vote populaire. Lorsque Biden a remporté la Maison Blanche quatre ans plus tard, tout semblait être revenu à la normale après un funeste mais unique mandat présidentiel.
Après le vote de mardi, il semble désormais que ce soit la présidence Biden qui constitue l’anomalie, tandis que Trump inaugure une nouvelle ère dans la politique américaine, une nouvelle ère qui concerne le monde entier.
Car les Américains ont voté en sachant parfaitement qui était Trump et ce qu'il représentait.
Le sachant, ils lui ont permis non seulement de remporter une majorité de voix, mais il a en outre remporté tous les États clés, la majorité du Sénat et il a conservé la Chambre des représentants. Étant donné leur domination actuelle sur la Cour suprême, les Républicains détiennent désormais les principaux moyens du gouvernement.
La nature profonde de cette nouvelle étape de l’histoire américaine semble liée à l’évolution du libéralisme. Sa version classique se présente comme une doctrine fondée sur le respect de l’égale dignité des individus par un État qui protège leurs droits et par des contrôles constitutionnels visant l’État à ne pas empiéter sur ces droits.
Mais au cours des cinquante dernières années, cette impulsion fondamentale a subi deux grandes distorsions. La première a été la montée du néolibéralisme, une doctrine économique qui sanctifiait les marchés et réduisait la capacité des gouvernements à protéger les citoyens touchés par le changement économique. Cette dernière a entrainé un enrichissement mondial, mais la classe ouvrière en Occident a perdu des emplois et la possibilité d’un ascenseur social, tandis que le pouvoir se déplaçait de ces pays occidentaux vers le Sud global.
La seconde distorsion a été la montée des politiques identitaires ou de ce que l’on pourrait appeler le « libéralisme woke », dans lequel l’intérêt progressiste pour la classe ouvrière a été remplacé par des protections ciblées pour un ensemble de groupes marginalisés : minorités raciales, immigrants, minorités sexuelles. Le pouvoir de l’État a été de plus en plus utilisé non pas au service d’une justice impartiale, mais pour promouvoir des résultats sociaux spécifiques pour ces groupes.
Entre-temps, les marchés du travail se transformaient en une économie de l'information. Dans un monde où la plupart des travailleurs étaient assis devant un écran d'ordinateur plutôt que de soulever des objets lourds sur les sols des usines, les femmes se trouvaient sur un pied d'égalité. Cela a transformé le pouvoir au sein des ménages et a conduit à la perception d'une célébration de la réussite féminine.
L’émergence de ces nouvelles conceptions du libéralisme a entraîné un changement majeur dans la base sociale du pouvoir politique. La classe ouvrière a compris que les partis politiques de gauche ne défendaient plus ses intérêts et s’est mis à voter pour les partis de droite.
C’est ainsi qu’aux États-Unis les démocrates ont perdu le contact avec leur base ouvrière et sont devenus un parti dominé par des cols blancs urbains et instruits, tandis que les ouvriers votaient républicain et qu’en Europe les électeurs communistes français et italien faisaient défection au profit de Marine Le Pen et de Giorgia Meloni.
Tous ces groupes étaient mécontents d’un système de libre-échange qui éliminait leurs moyens de subsistance tout en créant une nouvelle classe de super-riches, et étaient également mécontents des partis progressistes qui semblaient se soucier davantage des minorités et de l’environnement que de leurs conditions de vie qui se détérioraient.
*D’après Francis Fukuyama (What Trump unleashed means for America Financial Times, 10 novembre 2024) selon une traduction adaptée par mes soins.
À SUIVRE
DONALD TRUMP WON
It is an extraordinary victory: the second US President to be re-elected after being defeated at the end of his first term, he also obtained a majority in Congress and perhaps, at the time of writing, a majority in the House of Representatives, while collecting a majority of votes across the entire American territory.
Good. But it is not in this post written on the day of his re-election that I will offer explanations on the reasons for his success. However, it should already be noted that it was more of a referendum for or against D. Trump than a vote that separated him from the candidate Kamala Harris, so much so that, despite a fierce campaign on the ground, she was non-existent in the media: in fact, they mainly mentioned the qualities and especially the faults of Donald Trump and very little those of Kamala Harris. In the latter's defense, it is true that she only campaigned very late and as a simple replacement for a failing Joe Biden.
Even without knowing the United States in depth, one could have predicted the re-election of Donald Trump from a few visible signs: the attack he miraculously escaped, the defection of the Washington Post, the support of Robert F. Kennedy and then Elon Musk. Musk who would not have risked it if they had not been convinced that he had a strong chance of winning.
For my part, I had predicted Trump's victory in 2016, but I did not persevere this time, not having strong enough arguments to go forward with it.
For our information, I would like to emphasize here the dangerous role of the mainstream media , in France, Europe and Canada. They have almost all led a fierce campaign against D. Trump and as a result they have made us believe that their opinions were those of a good part of American voters. It is to the point that 65% of French people surveyed declared that they supported K Harris against 14% who were in favor of D. Trump. This anti-Trump media campaign has led us into a wall, because we are now faced with a president that we are supposed to hate and a country, the first in the world, that we do not understand.
Today, these same media are insisting on the danger that threatens us because of its future policy, so that, after having "led us up the garden path", they are making sure to scare us.
What's the point? Since D. Trump has declared urbi et orbi that he will lead a policy favorable, according to his point of view, to the United States and that he will pay only distracted attention to our fears and moods, unless we can oppose him with a favorable balance of power.
But we know that this is not the case at all, and calls for a united EU are as unrealistic as the analyses offered by the media on the election that has just taken place.
Therefore, if there is a lesson to be learned from the election of D. Trump to the presidency of the United States, apart from a couplet about "nothing is ever lost", it should not concern the United States but ourselves.
We are in a bad situation in Europe and particularly in France. Our economy has not been able to balance our foreign trade for a long time. In addition, the State deficit is tending to become dizzying and our partners are less and less willing to lend us ever larger sums for free. Finally, a sign of our loss of control over the French "system", our weaknesses in education, public security and now health are deepening.
This is why, as D. Trump prepares to implement his policy, good or bad for the United States, the question we are asked is to determine what is ours to regain control?
Until we do so, we will only have to observe an accelerated decline in our standard of living and a collapse of our lifestyle, while the media will take care of amusing us by pointing out to us the supposed culprits of our misfortunes, who are American, Russian, Chinese and foreigners of all stripes, to allow us who listen to them to spare ourselves the discomfort of action…