LE TAAROF, C'EST QUOI ÇA?
17 Octobre 2017 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE
Il me semble que le Président Donald Trump n’a pas encore été initié à l’art du taarof, à moins qu’il n’en utilise une forme si recherchée que même les dirigeants iraniens ne le comprennent pas.
Le taarof ? Qu’est ce que cela veut dire ? C’est un terme iranien qui décrit une forme très subtile de communication correspondant à une attitude d’extrême politesse, par laquelle votre interlocuteur essaie de vous montrer son humilité.
Humilité ? C’est sûr, Donald Trump a du travail à faire pour l’atteindre, alors que les Iraniens pratiquent cette forme d’échange verbal au quotidien, avec leur famille, leurs amis et avec les étrangers, qui est l'un des ornements les plus précieux de la culture iranienne.
Avec la famille, par exemple.
Imaginez que votre grand-mère vous a invité à déjeuner. Elle demande si vous voulez vous resservir. Elle sait que ce qu’elle vous sert est bon et elle sait aussi que c’est le rôle des grands-mères de vous proposer à manger encore, bien que vous vous soyez déjà resservi trois fois.
C’est là que doit intervenir votre taarof : vous devez toujours commencer par refuser poliment ce genre de proposition ! Si vous acceptez tout de suite, votre comportement pourrait être perçu comme impoli ! Et si ceci s’applique au sein de votre famille, cela s’applique encore plus lorsque vous êtes invité chez une personne en dehors de votre cercle familial.
Donc vous refusez la première fois, et selon les lois du taarof, votre grand-mère vous demandera une seconde fois de vous resservir, tout en veillant à insister un peu plus sur sa proposition. Vous pouvez maintenant soit accepter de vous resservir, soit continuer le taarof un ou plusieurs tours de plus, en refusant poliment sa proposition !
Avec les personnes que vous ne connaissez pas, le taarof s’applique aussi. Supposez que vous voyagiez en Iran, ce que je vous conseille vivement et que je conseille encore plus au Président Donald Trump s’il veut vraiment apprendre le taarof, ce dont je doute pour le moment.
Donc, vous prenez un taxi, vous arrivez à votre destination. Vous demandez à votre chauffeur combien vous lui devez. Eh bien le chauffeur, qui connaît parfaitement l’art du taarof, vous répondra certainement quelque chose comme « Oh vous ne me devez rien, je vous offre la course » ! C’est vrai, je l’ai entendu de mes propres oreilles après une heure de course dans les affreux embouteillages de Téhéran !
Surtout ne le prenez pas au mot, il pratique juste le taarof, il ne s’attend pas à ce que vous quittiez le taxi sans payer la course (Donald, ne sort pas de la voiture, stp). Donc vous devez rester sagement assis dans le taxi et lui poser la question une seconde fois, en disant par exemple « c’est très gentil à vous, merci, mais dites moi s’il vous plaît combien je vous dois? ». Le chauffeur pourra alors vous communiquer le montant, ou continuer de refuser le paiement de la course. Ce qui signifie que vous êtes partis pour un troisième tour de taarof en insistant pour le régler malgré ses dénégations, à l’issue duquel vous pourrez peut-être régler la note et quitter sereinement la voiture, à moins que vous ne soyez contraint à un quatrième tour de taarof.
Maintenant je me tourne vers vous. Vous en savez assez pour commencer à pratiquer le taarof. D'ailleurs, si vous avez été éduqué selon les canons de la politesse française, vous en connaissez les principes avec les "aprés vous", "je n'en ferai rien", "n'insistez pas, je vous prie"...
Donc, soit vous déclenchez vous-même le taarof (avec quelqu’un qui le pratique, sinon vous êtes cuit!) soit vous le recevez. Dans le deuxième cas, vous devez relancer la balle en répondant par un deuxième tour de taarof, du genre « Je vous remercie, mais il n'en est pas question! ».
Votre interlocuteur aura alors le choix entre relancer un nouveau tour de taarof, style « Il n’en est pas question » ou décider de vous céder. S’il rejoue un tour de taarof, ce sera à votre tour de juger si vous mettez les pouces où si vous continuez le taarof en répondant « jamais de la vie » et ainsi de suite.
À la limite, vous pouvez continuer indéfiniment, ou presque, si vous êtes deux à vouloir y jouer, car, il faut en convenir, c’est un formidable exercice d’humilité que vous vous administrez mutuellement grâce au taarof.