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Le blog d'André Boyer

S'ÉVADER DE DAKAR

12 Mai 2018 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

S'ÉVADER DE DAKAR

Si certains s’aventuraient  jusqu’au plus profond du Sénégal, à Tambacounda ou dans le Parc National du Niokolo-Kobo, la plupart d’entre nous se contentaient, en dehors de la toute proche Petite Côte, d’aller soit vers le nord soit vers le sud.

 

Vers le nord, la destination privilégiée était naturellement Saint-Louis dont la colonisation remontait à 1659, capitale politique de l’Afrique Occidentale Française jusqu’en 1902, puis capitale politique du Sénégal et de la Mauritanie avant d’être détrônée par Dakar pour le premier et par Nouakchott pour la seconde.

Ville déclassée, nostalgique, arborant quelques beaux restes à côté de ruines pathétiques mais toujours hantée par le passage de Mermoz à l’hôtel de la Poste et par le grand vent du large.

Vers le sud, la Casamance nous tendait les bras, non sans nous contraindre à un voyage plein d’obstacles. Il fallait en effet traverser la Gambie* à deux titres, tout d’abord le fleuve Gambie, ce qui supposait de prendre un bac, donc d’acheter un billet et de s’agréger à une longue file d’attente surtout si le bac était en panne, ce qui lui arrivait quasiment chaque jour. On pouvait aussi choisir de doubler toute la file d'attente en versant un bakchich à un énorme sergent qui mettait votre obole dans un portefeuille débordant de billets sous les protestations justement indignées des automobilistes pauvres, qui venaient d’attendre dans la file trois ou quatre heures pour voir les riches leur passer devant.  

Puis il fallait se présenter à la douane gambienne et attendre que sortent nonchalamment du poste des  agents équipés d'uniformes approximativement britanniques, qui venaient encaisser les droits engendrés par de supposées heures supplémentaires. Naturellement, quelle que soit l’heure, c’était toujours le temps des heures supplémentaires.

Un jour, revenant de Ziguinchor vers Dakar, je n’attendis que quelques minutes avant de laisser derrière moi les pauvres douaniers et leurs heures supplémentaires.

Je les sous estimais.

Arrivé au bord de la Gambie, je fus rattrapé par des Sénégalais, curieux défenseurs des intérêts des douaniers gambiens, qui m’incitèrent énergiquement à faire demi tour pour aller payer les « heures supplémentaires », faute de quoi il m’en cuirait.

Je me dégonflais et retournais au poste de douane gambien. M’y attendait un lieutenant menaçant, cambré d’indignation feinte et sanglé dans un uniforme étincelant.

Il m’apostropha par une phrase terrible : « You have insulted the people of Gambia » qui ne laissait que fort peu de place à l’indulgence. Il poursuivit, en anglais naturellement, en prétendant me conduire jusqu’à la capitale de la Gambie, Banjul, qui se trouvait à 145 kilomètres de là, soit trois heures de route, afin que je m’explique sur mon inconduite. C’était une perspective effrayante que nous parvinrent, lui et moi, à éviter par l’entremise d’un versement « d’heures supplémentaires » doublé, 20 euros environ au lieu de 10. L’insulte était lavée et je repartis penaud vers Dakar.

Toutes ces étapes palpitantes décourageaient quelque peu d'effectuer le trajet Dakar Ziguinchor, 440 kilomètres sur la N4, agrémenté par la traversée de la fournaise de Kaolack, le bac et les douaniers. Il y fallait une grosse journée et arriver de nuit à Ziguinchor était une idée moyenne, compte tenu du trafic intense aux abords de la ville d’hommes et d’animaux faiblement dotés de catadioptres ou de fanaux.

Ziguinchor était une jolie ville de cent mille habitants environ à l'époque, moins nordiste que Dakar, vivant de l’arachide et des crevettes. La région étant principalement peuplée par les Diolas, l’ambiance de la Casamance était toute différente de celle de Dakar. Je me souviens du radiateur de la voiture réparé avec dextérité et amabilité, des ombrages des fromagers sous lesquels chacun trouvait le repos, surtout les Diolas de sexe masculin qui laissaient leurs femmes faire tout le reste, des travaux ménagers à la culture traditionnelle du riz (voir mon billet Témoignage en Casamance, http://andreboyer.over-blog.com/article-29503593.html).

En se dirigeant vers l'Atlantique, à une cinquantaine de kilomètres de Ziguinchor, la forêt débouchait sur la magnifique côte de Cap Skirring, où, au détour d’une crique, des voiliers  se blottissaient avant de s'élancer au travers de l’Atlantique. Cap Skirring fut pour nous le but d’une escapade en groupe, organisée avec les proches de Landing Savané, un chef de parti casamançais (voir mon billet Quelques complexités sénégalaises, http://andreboyer.over-blog.com/2018/03/quelques-complexites-senegalaises.html), au cours de laquelle nous dormirent sur la plage, à la belle étoile.

 

C’est alors que nous nous évadions loin de Dakar, qu’un autre monde se recomposait au bord de l’océan, le temps de la magie d’une nuit où le ciel, l’eau et la forêt complotaient pour que nous ne sachions plus démêler rêves et réalité. 

 

* Il y aurait beaucoup à écrire sur la Gambie, mais ce sera pour une autre fois.

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