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Le blog d'André Boyer

UNE PORTE DOIT ÊTRE OUVERTE OU FERMÉE

23 Janvier 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

UNE PORTE DOIT ÊTRE OUVERTE OU FERMÉE

Dans mon billet du 8 décembre 2019, j’ai relaté l’opposition philosophique qui s’est fait jour entre mes étudiants et moi au sujet de la précision, vue comme une valeur fondamentale par les premiers et comme un outil par moi-même. D’autres étonnements ont marqué cet enseignement aux étudiants chinois. 

Durant les périodes où ils n’avaient pas cours, les étudiants étaient en stage dans des entreprises, presque toutes publiques à l’époque. Six entreprises publiques accueillaient chacune six stagiaires. Deux d’entre elles restent dans mon souvenir, l’une pharmaceutique où la qualité de fabrication, d’après les étudiants-stagiaires laissait vraiment à désirer et l’autre qui a eu des conséquences qui ont été médiatisées dans la presse chinoise. 

Il s’agit d’une entreprise automobile, Beijing Truck N2, qui montait des camions légers fournis par la Pologne. Nous avions visité l’usine qui nous avait semblé mal tenue, comme en témoignait des Dazibao qui demandaient de ne pas emporter chez soi des outils et des pièces détachées. Aussi, lorsque les étudiants nous ont rapporté que la porte côté conducteur des camions qui étaient fabriqués dans cette usine ne fermait pas, obligeant leurs conducteurs à attacher la porte au montant avec une ficelle, nous n’avons qu’à moitié été étonnés. 

Nous avons alors demandé aux étudiants de se renseigner sur les raisons de ce dysfonctionnement persistant. Or la direction de l’entreprise a nié le problème, en indiquant qu’elle réunissait nombre de clients chaque année pour un banquet sans que ces derniers n’expriment aucune réclamation à ce sujet…

Les étudiants, influencés par la formation qu’ils recevaient, ne se sont pas contentés d’une non-réponse bureaucratique. Ils ont cherché et ils ont trouvé, grâce à la tradition chinoise de collecte et de conservation des données écrites. Dans une salle à l’écart, ils ont trouvé des milliers de courriers de réclamations, portant notamment sur le dysfonctionnement de la serrure du camion. 

Tout fiers de leur découverte et sans nous en parler, ils sont allés la confier à des journalistes d’un quotidien pékinois, qui l’ont publié après avoir essayé, en vain, de contacter la direction de l’usine. Scandale. Il a fallu sévir, au moins officiellement, en licenciant les responsables. En représailles sans doute, nos étudiants ont perdu leur stage. Et je ne sais pas si le fonctionnement de la serrure a finalement été corrigé, alors qu’elle ne demandait à ma connaissance qu’une petite correction de son emplacement latéral sur la porte. 

Vous l’avez peut-être ressenti, nos étudiants chinois n’avaient pas grand-chose à voir avec nos étudiants habituels, par leur comportement à l’extérieur de l’école et par l’attitude à notre égard, en tant que professeurs et en tant qu’étrangers.

Je l’ai déjà écrit, ils n’étaient pas bien agréables, revendicatifs en groupe et hostiles par principe parce que nous n’étions pas chinois. Le thème de mon cours poussait à s’interroger sur les informations statistiques que l’on pouvait obtenir en Chine. On ne savait pas quel était le pouvoir d’achat des Chinois, mais on voyait bien que le niveau de vie était bien supérieur à ce que les salaires affichés permettaient. 

Mes étudiants se refusaient à me fournir la moindre clé de ce décalage et je décidais donc de les y contraindre, en me servant de leurs travers, tels que la compétition acharnée entre eux et leurs tendances à interpréter mes questions au second degré.  

J’organisais donc un exercice final qui leur demandait d’enquêter sur l’évolution des biens durables sur cinq ans que possédaient les personnes interrogées. Je ne parlais pas de revenus, sur lesquels les étudiants auraient refusé d’enquêter, quand bien même ils auraient pu obtenir des réponses. 

Je décidais de demander à chaque étudiant de faire une enquête individuelle, en demandant que chacun n’interroge que dix personnes, sachant que leur esprit de compétition les pousserait à en interroger plus, pour faire la différence. `

Enfin, j’insistais sur mon intérêt pour les graphiques qu’ils produiraient, sachant qu’ils chercheraient par réaction à faire la différence sur la qualité des données, alors que j’avais ostensiblement marqué mon désintérêt pour les résultats proprement dits de l’enquête. 

Par ce procédé, j’imposais donc 36 enquêtes individuelles, en m’attendant à ce que leur esprit de compétition les pousse à faire plus que ce que je leur demandais, qui était volontairement modeste, et donc qu’ils interrogent chacun plus de dix personnes et qu’ils s’intéressent plus à la qualité des données qu’aux graphiques. Enfin, au travers de l’enquête indirecte que j’avais programmée, je cherchais à obtenir des informations sur le niveau de vie des Chinois. 

 

Les résultats de mon stratagème ont dépassé mes espérances…

 

À SUIVRE

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