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Le blog d'André Boyer

CARLOS GHOSN, L'EMPEREUR

11 Février 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

CARLOS GHOSN, L'EMPEREUR

L’évasion de Ghosn a été une très mauvaise nouvelle pour ceux qui avaient voulu se débarrasser de Ghosn, les dirigeants japonais de Nissan et l’État français, puisqu’il s’est réincarné en Statue du Commandeur. 

 

Le lundi 19 novembre 2018, par un après-midi nuageux, Carlos Ghosn descend d’un avion d’affaires sur l’aéroport Haneda de Tokyo. À cet instant, il est encore l'un des plus grands dirigeants de l’industrie mondiale. Il a prévu de diner avec l’une de ses filles et de présider le lendemain le Conseil d’Administration de Nissan, puisqu’il a laissé le poste de PDG de Nissan depuis le 1er avril 2017 à son fidèle second Hiroto Saikawa. 

Mais avant qu’il ait pu quitter l’aéroport, il est arrêté et l’on voit, comme au théâtre, des enquêteurs se ruer pour perquisitionner l'avion d'affaires. Le spectacle est étonnant, mais il n’était pas inattendu pour quelques dirigeants de Nissan et de la République Française. Car qui peut croire sérieusement que les autorités japonaises auraient procédé à l’arrestation du premier des dirigeants industriels français si ce dernier avait bénéficié du ferme soutien du Président de la République et du gouvernement, provoquant alors une crise diplomatique de grande ampleur, alors que, comme vous avez pu le remarquer, il n’y en a eu aucune. 

Car, je l’ai rappelé dans le billet précédent, l’opposition entre Macron, le gouvernement français et son Ministère des Finances était à la fois sourde et profonde. L’État voulait reprendre le contrôle de Renault et il n’était ni favorable ni convaincu par une alliance définitive entre Renault et Nissan. Les énarques qui géraient le dossier avaient peur de l’audace stratégique d’un Ghosn qu’ils ne connaissaient pas, lui qui n’était ni mondain, ni énarque et ils rêvaient de s’en débarrasser.

Je ne fais pas ici l’hypothèse que les responsables politiques français connaissaient le projet d’arrestation de Ghosn, mais que les dirigeants japonais de Nissan n’ignoraient rien de l’opposition entre Ghosn et les autorités françaises et que cela a suffit pour leur donner carte blanche. Ils ont arrêté un homme qui se croyait à la tête d’un empire, mais qui était seul et ne le savait pas. 

Ils ont arrêté le second Ghosn, alors qu’ils avaient adoré le premier, le Ghosn de la fin des années 1990, avec sa veste d'usine, ses costumes mal ajustés et ses lunettes geek. Un Ghosn qui parlait au personnel, aux fournisseurs, aux concessionnaires, dont le style de direction était ouvert et transparent, que l’on surnommait « Seven-Eleven », parce qu’il travaillait de l’aube à la nuit. Un Ghosn visitant constamment le gemba*, qui parlait aux employés, les écoutaient et leur faisait croire qu’ils pouvaient réaliser l’impossible. 

Puis le second Ghosn est arrivé en 2005, lorsqu’il a été nommé PDG de Renault. Le nouveau défi de Ghosn consistait désormais, non plus à redresser Nissan, c’était fait, mais à maintenir l’équilibre entre une entreprise française largement contrôlée par l’État et une entreprise japonaise qui était redevenue, grâce à lui, plus forte que Renault. 

Forcément, il passait moins de temps au Japon qu’auparavant et il était moins en contact avec les échelons inférieurs des deux entreprises. À la fin, il jouait quatre rôles à la fois : président de Nissan et Mitsubishi, PDG de Renault et chef de l’Alliance. Une mission impossible ? 

Autour de l’Alliance, il lui fallait continuer à faire monter tout le monde vers le haut afin, croyait-il, de faire taire les divergences, d’où son obsession de constituer le plus grand constructeur automobile du monde. Le voici donc, en 2015, qui annonce au siège de Nissan à Yokohama, l’achat par Nissan d’une participation de 34% dans Mitsubishi Motor, à un très bon prix. Les trois constructeurs automobiles ensemble, Nissan, Renault et Mitsubishi, entraient dans le club restreint des constructeurs qui produisent dix millions de véhicules par an, comme Volkswagen et Toyota. Puis, en 2018, Ghosn a presque atteint son but lorsque l’Alliance a dépassé Toyota et talonné Volkswagen. 

Mais il voulait aller encore plus loin avec un accord avec Fiat Chrysler, ce qui aurait fait de cette super Alliance de loin le premier constructeur mondial. Il se serait ensuite retiré à 62 ans, se contentant de jouer le rôle de superviseur de l’ensemble.  

Au lieu de cette position rêvée, la prison l’attendait le 19 novembre 2018. Il savait ce que l’on pensait de lui, mais il n’en avait pas anticipé les conséquences, parce qu’il se croyait protégé par ses succès et une équipe solide qui l’entourait. Mais certains, très proches de lui parfois, le voyaient comme un tyran, d'autres comme un homme cupide, d’autres comme un dirigeant qui poussait les intérêts de la France au détriment du Japon. 

On ricanait de ses costumes Louis Vuitton de plus en plus impeccables avec le temps. Ses visites à l'étranger prenaient des allures de chef d’État, avec des équipes qui passaient des semaines à planifier son horaire et des assistants personnels sautant des véhicules devant lui pour alerter de l’arrivée du « président ».

 

Naturellement, personne n’osait le critiquer à l’intérieur de Nissan comme de Renault.

 

* Gemba ou Genba, là où se trouve la réalité, là où la valeur ajoutée est créée, là où apparaissent les problèmes, là où le client obtient sa satisfaction. 

 

À SUIVRE

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M
La suite !<br /> Ce qui surprend toujours chez les personnalités de cet acabit, c'est leur capacité à nier jusqu'au bout toute "indélicatesse" de leur part.
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C
Hello ! <br /> Quelle histoire haletante !<br /> Question quand même : il avait déjà été arrêté en 2018 ??<br /> Ou bien c’est une coquille et tu pensais à novembre 2019 ?<br /> Bises<br /> Christine
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