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Le blog d'André Boyer

LA VÉRITÉ OU LA VIE*

9 Mai 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

CALENDRIER TAO

CALENDRIER TAO

Le courant de la vies’impose comme le vrai dessin de la pensée chinoise et il nous faut en tirer les leçons

 

François Julien identifie en effet, en sus des oppositions précédentes, les trois oppositions suivantes entre les pensées chinoises et occidentales, « Entre » versus « Au-delà »̀, « Essor » versus « Étale » et « Non report » versus « Savoir différer ». 

« Entre », « Essor » et « Non report » correspondent respectivement aux trois questions suivantes, du point de vue chinois :

- Où est le vivre ? 

- Comment se manifeste-t-il ? 

- Comment le capter ?

Pour la pensée chinoise, ces questions impliquent que le « vivre » ne se passe pas dans un monde idéal,au-delà du monde concret.  Le « vivre » circule dans les choses, il en est la respiration ; le « vivre » doit d’abord se sentir, s’éprouver et on doit le laisser se dérouler. Comment se manifeste-t-il ? En prenant son essor, en se développant jusqu’à ce qu’il décline. C’est pourquoi il faut capter l’essor du « vivre » en épousant le moment, en saisissant l’occasion grâce au  non report, tout en acceptant de laisser murir les situations. La pensée chinoise observe la nature du « vivre » et propose une stratégie pour s’y adapter. 

La dernière des oppositions présentées par François Julien, met l’accent sur la différence entre « Ressource » et  « Vérité » et elle résume  l’ensemble de toutes les oppositions entre les pensées chinoises et occidentales que nous avons examinées. À l’idéal de « vérité » occidental s’oppose la modeste notion chinoise de « ressource », qui désigne l’ensemble des moyens mobilisables pour sortir d’une difficulté,  pour résoudre un problème. 

Or la quête de la vérité n’est nullement une démarche modeste. Elle est le moteur de la pensée européenne, qui se voit elle-même comme une histoire jamais achevée ni satisfaite, mais toujours recommencée et relancée. Mais la tradition intellectuelle et morale de la Chine ne se focalise ni sur l’Etre ni sur la vérité. Si la notion de vérité n’y est pas inconnue, elle n’occupe pas la position primordiale que l’Occident lui a conférée. Pour la pensée chinoise, la vérité s’observe empiriquement, sans plus, sans en faire toute une histoire. 

S’il y a dans la pensée chinoise une obsession comparable à celle de la Vérité, c’est la recherche du point d’équilibre parfait, dans le vécu de chaque situation, ici-bas, et non pas dans l’idéal. Le réalisme et la sagesse sont mis en avant, modestement pour viser à l’harmonie, non à la vérité. 

 

On le constate, la rencontre de la pensée chinoise et de la pensée européenne permettent de mettre en évidence deux modes de pensée, deux formes de raison différentes, qui proposent des logiques rivales et toutes deux parfaitement cohérentes. Nous voyons bien en effet apparaître la cohérence de la pensée chinoise, nous comprenons sa fécondité historique et nous apercevons aussi ses limites. Inversement, si l’on regarde du point vue de la pensée chinoise la philosophie européenne, nous sentons ses partis-pris, sa partialité, en même temps que sa fécondité. La notion centrale de vérité, si importante et vénérée comme une déesse intouchable et inaccessible est un trésor dont l’importance paraît surestimée du point de vue des Chinois, car ces derniers ont vécu et développé un autre mode de pensée sans avoir le sentiment qu’ils disposaient d’un système de pensée inférieur au système occidental. Au contraire, ils se pensent, profondément, supérieurs. 

En considérant les écarts entre les deux pensées, François Julien, avec une audace certaine, nous invite à mettre en question notre façon de penser, non pas pour adopter l’approche chinoise, mais pour s’en servir en considérant avec un œil critique le centre, l’obsession de notre propre pensée. Il nous propose de quitter un instant des yeux la question de l’Être et de l’ontologie, qui a permis d’immenses conquêtes, au tout premier rang scientifiques. Mais, peut-être, bride t-elle maintenant notre compréhension du présent ? Peut-être la vérité n’est-elle pas une, n’est-elle pas uniquement scientifique ? Peut-être, tout simplement n’est-elle pas, ou n’est-elle plus, la question centrale de l’humanité, hic et nunc. 

Pourquoi ne pas considérer un instant, avant de retourner à nos tourments ontologiques, que le « vivre » peut aussi être regardé comme un centre éventuel de notre pensée, à l’heure où le monde des humains est bouleversé par le choc qu’il a lui-même provoqué ? Les penseurs taôistes ont tout à fait reconnu que la vie, comme courant ou comme élan, se dérobe à toute fixation conceptuelle, mais ils soutiennent aussi qu’elle ne se refuse  pas à toute intelligence ni à tout usage. 

Comparer les deux pensées, a pour effet, du point de vue occidental, de nous inviter à recentrer notre réflexion sur le « vivre »,ce qui a pour effet de poser autrement les questions de notre monde, en reformulant nos problématiques épistémologiques, morales, politiques ou esthétiques.

Mais la leçon principale de cette comparaison est, de notre point de vue, la chance de l’humanité de disposer de deux pensées pour comprendre le monde. Il y en a d’autres, mais la plus grande faiblesse de la pensée occidentale n’est-elle pas de l’avoir nié, en raison du terrible postulat sur lequel elle s’appuie pour développer son système de pensée, qui est qu’elle détient la vérité ou plus exactement qu’elle connaît le chemin pour s’en approcher ? 

 

Aujourd’hui, nous savons que la pensée occidentale s’est appropriée le concept de vérité, mais que la pensée chinoise a noyé le concept  au sein des flots tumultueux de la vie. Tirons en les leçons.

 

François Jullien, De l’Être au Vivre : Lexique euro-chinois de la pensée, 320 p, Gallimard, Paris, 2015. 

André Boyer, Orphans, Éditions mco, 2005.

 

CI JOINT EN PDF L'ENSEMBLE DE MES BILLETS SUR LA PENSÉE CHINOISE

 

FIN

 

 

PROCHAIN BILLET : AUX CONFINS DE LA PEUR 

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