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Le blog d'André Boyer

APOLOGIE DU COMBAT

18 Avril 2021 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

APOLOGIE DU COMBAT

Il s’agit d’une histoire à prétention philosophique, qui signifie que le combat est inhérent à l’être humain et même à tout être vivant. Il suffit d’un rêve à vouloir réaliser, d’une idée à poursuivre, d’un principe à poursuivre, et peu importe que le succès soit au bout du combat ou non. Car, lorsqu’on s’arrête de combattre, l’on meurt.

L’histoire est la suivante : une centurie romaine traverse les Alpes pour atteindre ces villages riants ou les attendent le bonheur, l’abandon et le repos, mais elle est guettée par des barbares impitoyables.

Au moment du récit, les soldats romains dont il est question vont se retrouver au contact de l’ennemi. Sur les cent quatre vingt hommes qui marchent dans la neige, beaucoup vont mourir là. Ils seront plus nombreux encore à agoniser dans les tranchées gelées de la voie romaine qui n’est déjà plus par endroits qu’une piste. S’ils en sortent vivants, ils feront face plus loin à d’autres barbares. C’est un combat éternel, sans trêve et sans espoir de victoire : qu’ils parviennent à franchir les Alpes et les barbares l’y suivront. Sur le moment, la situation peut être décrite ainsi : 

 

Sous la pluie glacée, luisent les casques et les boucliers bosselés, les pointes des lances. La lune, à travers les nuages intermittents, révèle les masses des restes des 3 centuries, à peine cent quatre vingt hommes fatigués, blessés, déterminés.

Le souffle du vent se joint au martèlement lourd et lent des pas de la troupe. Il n'y a pas d'autres bruits sur le chemin glacés qu'ils suivent sans interrogations. La troupe est compacte, elle est prête à l'inévitable combat, qui l'attend là‑bas au détour des rochers, ou à la sortie de l'épaisse forêt verte de sapins, ou au débouché de la clairière, derrière la chaumière en apparence abandonnée. Ses estafettes lui ont rapporté les regroupements d'archers, la convergence des flots de cavaliers, les cris des barbares, la préparation des couteaux, des massues, des lances et des flèches, la joie sauvage du prochain massacre, du pillage et de la victoire.

Déterminés, les trois centuries avancent, prêtes à combattre sur trois fronts et à passer au travers du quatrième. Elles ne craignent que l'encerclement, c'est pourquoi elles avancent, dans l'espoir de dissocier les assauts des barbares. Elles connaissent toutes les figures de combat, elles savent tous les traquenards, elles les craignent et les préparent à la fois. Elles laisseront des morts, seront peut être ensevelies. Elles ne s'intéressent à rien d'autre qu'à marcher et combattre, avec ou sans espoir de passer.

Car ici est la croisée des chemins. Jusqu'à la prochaine, jusqu'à la dernière défaite ou victoire.  Mais, en attendant, dans la nuit froide, dans la montagne, au milieu des cris des barbares, sous la menace des feux qui rougeoient sur les sommets, dans les ternes odeurs de l'automne finissant, les soldats imaginent le calme magnifique des villes italiennes de l'autre côté des Alpes, les campaniles qui sonnent, les odeurs de soupe et la chaleur des bêtes. Ils n'osent penser à l'amour tiède des compagnes, aux sourires indulgents de celles qui leur pardonneront tout parce qu'elles les aiment vivants.

Mais ils chassent les rêves importuns qui les affaiblissent. Ils serrent les dents, le combat vaut mieux, la marche épuisante est la bienvenue. Des années ils les ont attendus, ces combats et ces marches, cantonnés dans un marasme imposé. Pendant des mois, dans leurs petits fortins, derrière les pieux et les fossés, ils ont vu les menaces et les grimaces des cavaliers aux peaux de loup. Ils ont attendu indéfiniment l'assaut qui n'est jamais venu, tandis qu'au loin brûlaient les forts et les corps de leurs camarades,

Ce sont des rescapés : ils sont partis avant la fin que les barbares leur promettaient, avec l'ordre de repli général de la légion de Germanie. C'est pourquoi ils ont trois raisons d'être heureux : rescapés, faisant face enfin, et avec au fond des yeux, le rêve insensé et pourtant non parfaitement impossible d'une image de bonheur.

 

Tapis dans les fossés, piques cachées, grelottant dans des peaux décousues, affamés, les muscles bandés, les autres les attendent.

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