L'HUMANISME OU LA MAÎTRISE DE LA NATURE
27 Octobre 2021 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE
Le paysan qui travaillait la terre en 1506, quelque part en Europe, aurait pu affirmer que les travaux que menaient le chanoine polonais Copernic cette même année avait peu de chances d’influencer son sort. C’était vrai pour lui, mais faux pour ses descendants.
Car, depuis trois siècles, le progrès s’est bien accompli, à partir d’une convergence entre la science, l’économie et la philosophie autour de la maitrise de la nature qui est l’œuvre de l’humanisme, défini au XVIIe siècle par l’invite de Descartes à ce que l’homme se rende "comme maitre et possesseur de la nature".
L’homme du Moyen Age savait que l’homme n’était pas maitre de la nature, dont il devait subir les effets, climatiques ou épidémiques. Jusqu’à ce que, au XVIIe siècle, le projet humaniste, d’une ambition folle, consiste à faire sortir l’homme de sa condition subalterne face à la nature pour qu'il en devienne le maitre.
Les outils de cette révolution se mirent alors en place. Newton proposa un outil scientifique qui visait à maitriser l’avenir. S’il n’était valable que dans le domaine mécanique, il orientait néanmoins la vision du monde qui s’exprima dans la philosophie des Lumières. Le modèle mécanique devint un guide général. On ne luttait plus contre la Peste en priant, mais en recherchant les causes de la contagion.
Tandis que la philosophie affirmait sa foi dans le progrès, encore fallait-il un système philosophique qui permette à l’homme de justifier la raison pour laquelle il se séparait de la nature pour la dominer. C’est ainsi que Kant affirma que l’homme était libre par rapport à la nature, parce qu’il était un être moral. Il prenait ainsi le contrepied de la philosophie de Platon et des philosophies religieuses. Pour Platon, le bien et le vrai se confondaient. Ce qui était bien était vrai, ce qui était vrai était bien et il suffisait donc de connaitre le vrai pour connaitre le bien : la morale était assujettie à la connaissance. Quant aux religions, elles affirmaient que la morale était soumise à la métaphysique.
Kant posa pour sa part que la morale était indépendante de la philosophie et de la religion. Un homme moral s’imposait à l’homme libre dans la mesure où l’immoralisme menaçait : si Dieu n’existe pas, tout est permis, déclarait Dostoïevski. Kant affirma donc que l’homme ne pouvait être libre que par sa propre volonté, grâce à la faculté qu’il avait de s’imposer à lui-même la loi du devoir. Contrairement à l'idée répandue aujourd'hui, le devoir n’était donc pas une contrainte qui s’oppose à nos passions dans lesquelles s’exprimerait notre vraie liberté, car ces dernières relèvent de la nature où règne la loi d’airain des causalités.
Cette démonstration morale est le fondement de la morale laïque, un fondement fragile actuellement remis en cause par le triomphe de l’assouvissement « libre » des passions.
L’idée de maitrise s’est emparée ensuite du système économique, selon lequel l’homme renoncera au XIXe siècle à sa liberté temporelle pour jouir des bénéfices de la production de masse. Jusque dans les années soixante, le monde économique reflétera une double maitrise, celle de l’entreprise qui maitrise le consommateur tout autant que le salarié et celle du système économique dans son ensemble qui maitrise l’entreprise.
L’économie de l’offre permet de maitriser la consommation, car, que le consommateur soit content ou non, il consomme les mêmes produits. S’il veut consommer plus, l’offre s’organise autour des économies d’échelle et la baisse des prix compense la perte de liberté du client. La production massifiée suppose de standardiser le processus de production et donc de rendre le salarié objet plutôt que sujet. Il travaille à la chaine, il manque d’autonomie dans son travail mais c’est le prix à payer pour qu’il gagne un peu plus chaque année.
Dans cet univers contraint, l’entrepreneur semble le gagnant, mais c’est faire fi de la compétition entre les entreprises. L’effet d’expérience entraine en effet un avantage compétitif pour les grandes entreprises. Il en résulte que la stratégie du chef d’entreprise est déterminée par la situation économique qui lui dicte le moment où il faut vendre son entreprise à son concurrent. L’entreprise s’inscrit dans une maitrise dictée par la situation économique, elle-même sous-tendue par le postulat que les besoins des consommateurs sont finis, récurrents et mesurables.
Tout changera lorsque l’on se mit à consommer pour se faire plaisir ; les tendances de fond, qui avaient convergés pour produire une société humaniste autour de la maitrise de la nature par l’homme, se mirent à diverger.
À SUIVRE