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Le blog d'André Boyer

MENTIR À TIANJIN, TRICHER À BEIJING

1 Novembre 2021 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

LA CONCESSION FRANÇAISE DE TIEN-TSIN (TIANJIN) EN 1914

LA CONCESSION FRANÇAISE DE TIEN-TSIN (TIANJIN) EN 1914

Après cette journée aussi extraordinaire que dangereuse du mois de juin 1989 à Beijing (Pékin), nous sommes partis à l’aventure, Michel Poncet, vers Tianjin où nos futurs étudiants étaient supposés nous attendre.

 

Tianjin est à 120 kilomètres de Beijing, relié par le train, peu rapide à l’époque et par la route. Le train nous était interdit, car l’armée empêchait les étrangers de monter dans les trains au départ de Beijing. Nous étions donc contraints de prendre une voiture de l’ambassade, aucun taxi ne se risquant à transporter des étrangers.

Poncet, qui ne semblait pas affecté par l’incident dramatique de la veille, pris le volant, mais il ne connaissait pas bien la route et il n’y avait pas vraiment de panneaux d’orientation. Malgré ces écueils, il ne s’est pas trop mal débrouillé, car au bout de trois heures, nous sommes arrivés à Tianjin. Un baroudeur, ce Poncet, qui m’effrayait un peu par l’audace étourdie qu’il manifestait en toutes circonstances ! 

Tianjin, autrefois Tientsin en français, est aujourd’hui une énorme agglomération de  14 millions d'habitants, la quatrième ville de Chine en nombre d'habitants, après ShanghaiBeijing et Canton, est un des pôles chinois de développement dans l’aéronautique et l’électronique.  Elle est située au bord de la Mer Jaune et cette situation en a fait une concession française au début du XXe siècle, dont il restait quelques traces comme le commissariat de police et la prison. On trouve à Tianjin deux universités, dont la prestigieuse université de Nankai, qui nous attendait pour que nous effectuions la sélection des étudiants pour notre programme de formation, qui comprenait successivement un an d’apprentissage du français et un an d’enseignement de la gestion.

En arrivant à Tianjin, nous avons été tout de suite surpris par l’atmosphère fort différente qui y régnait par rapport à Beijing. Pas de soldats, des badauds très détendus dans la ville, tous les magasins ouverts, presque une ambiance de fête. Cela montrait encore une fois la profonde diversité chinoise avec des provinces fort différentes dans leur style de vie et leur rapport avec le pouvoir. À Beijing l’état de siège, à Tianjin, la belle vie.

Les quatre-vingt-dix candidats étaient presque tous là, avec à la main leur convocation signée par l’Ambassade de France qui leur avait permis de quitter leurs unités respectives, au moins le temps de la sélection, et de faire le voyage jusqu’à Tianjin. Compte-tenu du mauvais état des chemins de fer chinois de l’époque et des énormes distances que certains avaient dû parcourir, ces voyages avaient duré entre une journée, si le candidat venait de Beijing ou trois semaines s’il venait d’Urumqi dans le Xinjiang.

Si je ne m’étais pas rendu à Tianjin pour les sélectionner, ces candidats n’auraient pas eu d’attestation de l’Ambassade sur place à Tianjin et les attestations de l’Université de Nankai auraient été suspectes aux yeux des autorités. En définitive, ils auraient fort probablement été internés en attendant de clarifier leur situation et, après une telle mésaventure, la réputation du seul programme français de gestion en aurait été anéantie pour longtemps.

Les candidats étaient donc fort contents de me voir, tout en étant un peu surpris de ma présence. Ils n’ignoraient pas en effet que notre Premier Ministre, Michel Rocard, avait annoncé que son gouvernement avait interrompu toute coopération avec la Chine. Alors, interrogeaient-ils, vous venez vraiment de la part du gouvernement français ?

Je répondais affirmativement avec aplomb que nous étions à Tianjin, Poncet et moi, pour sélectionner les étudiants du programme de gestion organisé par le gouvernement français en plein accord avec lui. Comment aurait-il pu en être autrement ?

Il en était pourtant bien autrement. Nous avons fait une sélection pirate, ou virtuelle si l’on veut être indulgent, qui a retenu une quarantaine de candidats à qui nous avons donné rendez-vous en octobre. Quand j’écris « nous », c’était plutôt « je », Poncet se contentant d’apposer le tampon de l’Ambassade et de traduire les propos des candidats dont l’anglais m’était inaccessible. Quant aux autorités de l’université, elles nous regardaient agir, impassibles.

Toute la sélection a été effectuée en trois jours, puis nous sommes rentrés à Beijing sans difficultés particulières. Il s’agissait désormais de persuader le Ministère des Affaires Étrangères de la validité de notre sélection et du lancement du programme. Pour ce faire, puisque nous étions à la frontière de la légalité depuis mon arrivée en Chine, nous avons choisi, Poncet et moi, de continuer crânement dans la même voie.

Nous avons donc rédigé un rapport pour le Ministère des Affaires Étrangères que nous avons signé tous deux au nom de l’Ambassade. C’était facile à faire, puisque Poncet était le seul diplomate français encore présent à Beijing.

Dans ce rapport, nous avons prétendu avoir interrogé toutes les ambassades occidentales dans la capitale chinoise, les ambassades américaine, anglaise, australienne, canadienne, allemande, italienne, suisse, hollandaise et suédoise qui nous auraient fait savoir, toutes, sauf l’ambassade américaine, avons-nous écrit pour la vraisemblance, qu’elles n’envisageaient pas d’interrompre leurs programmes en cours ou en projet. Pour donner du corps à notre rapport, nous avons même ironisé sur la duplicité anglaise qui prétendait officiellement rompre sa coopération mais qui le maintenait en douce ! Naturellement, nous n’avions interrogé personne ou presque, même si nous citions avec effronterie nos interlocuteurs supposés, conseillers ou attachés culturels des différentes ambassades.

Le rapport a été adressé au Ministère des Affaires Étrangères fin juin 1989. C’était bientôt les vacances. Personne ne l’a lu ou en tout cas personne n’a pris de décision sur la base de ses conclusions, qui, naturellement, recommandaient de lancer notre programme de gestion. Puis, en septembre 1989, au retour des sacro-saintes vacances, le printemps de Beijing étant devenu une affaire passée et classée, l’inertie bureaucratique a eu un rôle apaisant. Les crédits avaient été affecté, les personnels recrutés et personne n’avait envie d’arrêter le programme : notre rapport a servi de base, fausse d’accord, mais enfin il avait le mérite d’exister, pour décider de continuer le programme.

D’ailleurs, cela faisait six mois que nous avions sélectionné le professeur de français que nous avons donc envoyé tranquillement en septembre à Tianjin, avec sa fille, son chat et son piano. J’y reviendrai.

 

Pour ma part, d’une certaine manière la conscience tranquille, je suis revenu à Nice prendre des vacances que je jugeais bien méritées . Enfin presque.

 

À SUIVRE

 

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