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Le blog d'André Boyer

LES DOUZE (Двенадцать) D'ALEXANDRE BLOK

30 Mars 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

LES DOUZE (Двенадцать) D'ALEXANDRE BLOK

À contre-pied de la russophobie, je commence ici une série de billets sur les œuvres des écrivains russes et ukrainiens.

 

Dans un décor de soir noir et de neige blanche, dans la tourmente et le blizzard douze soldats de l’Armée rouge avancent, pillent, assassinent et se soûlent. Ivres d’une liberté « sans croix ni loi », ces gardes rouges abjurent le vieux monde et s’exhortent à tirer sur la Sainte-Russie. Défilant sous l’étendard, sans rien voir dans le blizzard, ils suivent une ombre et…

Voilà la neige, siffle le vent

Douze hommes s’en vont en rangs.

À leurs fusils-bretelles noires.

 

Autour des feux, les feux du soir…

Mégot au bec, casquette de chic,

Ils sont foutus comme l’as de pique.

 

Liberté, liberté !

Eh, sans croix, ni loi,

Taratata !

………………………………

Ils vont au loin, démarche altière…

-Qui va là ? Allons, qui bouge ?

C’est le vent près des gouttières

Qui joue avec le drapeau rouge…

 

Devant eux, un tas de neige.

Qui se cache là, viens ici !

Seul un chien galeux y piège

Il se lève et il le suit…

…………………………

Ils s’en vont, démarche altière,

En arrière, un chien galeux,

En avant, un drapeau rouge,

À la main, une ombre bouge,

Invisible à tous les yeux,

Imprenable pour les balles,

Sur la neige perlée d’opales,

Par-delà les avalanches,

Dans les brumes, dans le vent,

Couronné de roses blanches,

Jésus-Christ, marche en avant*.

Les sonorités du poème créent en elles-mêmes l’atmosphère. Le traducteur et poète Angelo Maria Ripellino a décrit ainsi le style génial et déroutant de ce poème : « L'écriture, violemment secouée de syncopes et de ruptures, de sautes métriques, d'âpres dissonances (sifflements, aboiements du vent, piétinement, balles qui crépitent), mêle dans une pâte lexicale insolite des slogans d'affiche politique et des formules de prière, des constructions d'odes solennelles et des injures des rues, les termes grossiers de l’argot prolétarien et des accents de romance »

C’est dans une période hallucinatoire que Blok écrit Les Douze, du 8 au 28 janvier 1918. L’œuvre est le témoignage de la Révolution en cours en Russie, écroulement du vieux monde mais aussi appel au salut messianique du monde.

Le poème, publié le 3 mars 1918 eut un immense retentissement en Russie, déclamé dans la rue et au théâtre, certains de ses vers se retrouvant sur des affiches, des banderoles et sur des étendards des soldats.

Le 1er avril 1920, Blok, publiant une note qui décrit les conditions dans lesquelles il écrivit ce poème, déclare : « Les mers de la nature, de la vie et de l’art étaient déchainées. Les embruns s’élevaient en arc-en-ciel au dessus d’elles. Lorsque j’écrivis Les Douze, je regardais cet arc-en-ciel »

Alexandre Blok est né en 1880 à Saint-Pétersbourg, d’une famille aisée. Ce poeme témoigne de la vie tourmentée qu’il mène au sein d’une période toute aussi tourmentée. Il meurt en 1921.

Voilà la neige, siffle le vent

Douze hommes s’en vont en rangs.

À leurs fusils-bretelles noires.
…………………………………………….

*Traduction de G. Arout, Seghers, 1958

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