Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog d'André Boyer

S'ACCROCHER MORDICUS À SA VISION DU MONDE

17 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

KARL POPPER

KARL POPPER

Vu par la dinde, la privation de nourriture qui a lieu le mille et unième jour est un Cygne Noir. Pas pour le boucher, toutefois.

 

Car le Cygne Noir est une histoire de dupe. La dinde est victime de sa naïveté. Si elle l'était moins, on n'arriverait pas à engraisser les dindes, ce qui signifie que l'on peut éliminer un Cygne Noir grâce à sa capacité d'analyse des données.

Or nous nous trompons nous-même, en raison de notre volonté farouche de voir confirmée par les faits notre vision du monde. Cela se traduit par la recherche d'exemples qui apportent de l'eau à notre moulin. Les scientifiques, c'est leur péché, véniel ou mortel c'est selon, testent des hypothèses qui leur conviennent à l'aide d'exemples, qu'ils n'ont aucun mal à trouver. Je peux témoigner qu'au cours de ma carrière universitaire, j'ai rarement* rencontré des chercheurs qui testaient leurs hypothèses avec pour objectif de les invalider!

Mais une succession de faits confirmatifs ne constituent pas une preuve, tandis qu'un fait négatif, en d'autres termes un Cygne Noir, est lui bel est bien une preuve. Pour la dinde, mille journées d'observation ne prouvent rien, mais une seule journée à la diète prouve qu'elle avait tort d'être confiante.

Karl Popper** a élaboré une théorie à propos de cette asymétrie de l’information, qui est fondée sur la technique de la "falsification", ou en bon français sur la technique de la "réfutation", destinée à faire la différence entre les affirmations scientifiques et celles qui ne le sont pas.

Même s'il n'est pas toujours facile de "falsifier", c'est à dire de déclarer que quelque chose est faux avec une certitude absolue, il n'en reste pas moins que l'on est beaucoup plus sûr de ce qui est faux que de ce qui est vrai.

Le mécanisme de vérification fonctionne ainsi selon Popper : vous formulez une hypothèse et vous vous mettez en quête de faits qui la réfutent, au lieu de rechercher des exemples confirmatifs. Tant que vous n'avez pas trouvé des faits qui contredisent votre hypothèse, elle est réputée "vraie". Provisoirement.

Il faut reconnaitre que Georges Soros*** illustre bien cette démarche lorsqu'il fait un pari financier et qu'il passe son temps à chercher des exemples qui réfuteraient (et non qui illustreraient) sa théorie initiale. Mais, pour le commun des mortels, lorsque l'esprit est habité par une certaine vision du monde, il a tendance à considérer uniquement les exemples qui lui donnent raison. Le paradoxe vient de l'observation que, plus on a d'informations et plus on a l'impression que nos opinions sont justifiées.

La guerre entre la Russie et l'Ukraine l'illustre parfaitement qui fait que toutes les informations corroborent notre conviction que Poutine est le méchant et les médias, qui, ne pouvant aller à contre-courant de tous, font en sorte qu'aucune information n'aille en sens inverse. Si bien que plus vous êtes informé, moins vous comprenez ce qui se passe puisque le moindre Cygne Noir est abattu en vol, tandis que les Cygnes Blancs sont préservés de tout croisement intempestif. Cela présente l'avantage de vous permettre de rester confortable avec vos opinions, mais ne vous laisse aucune chance d'apercevoir le moindre Cygne Noir.

Certes, tous les faits corroborent votre opinion, mais le problème est que les preuves confirmatives, cela n'existe tout simplement pas, car un rien, un souffle suffit à les balayer. Imaginez par exemple qu'apparaisse soudainement une rumeur, seulement une rumeur, de négociation entre la Russie et les États-Unis ou de fuite de Poutine en Argentine et le jour même, le prix du gaz s’effondre et toutes vos certitudes avec.   

Pourtant, nous ne sommes pas si naïfs. Nous ne croyons pas n'importe quoi, nous possédons, issus de nos gènes, un instinct inductif dès la petite enfance, mais il semble que la complexité du monde s'accroisse plus vite que notre instinct, qui semble avoir appris à faire des déductions rapides en se focalisant sur un petit nombre de causes de Cygnes Noirs.

 

D'où une troisième règle pour ne pas voir arriver des Cygnes Noirs inattendus : quel que soit leur nombre rien ne peut vous garantir qu'il n'existe que des Cygnes Blancs, mais un rien peut l'infirmer.

 

* Tout de même quelques-uns parmi mes collègues et doctorants se reconnaitront.

** Karl Popper, la logique de la découverte scientifique, 1935, 2017, Payot.

*** Georges Soros, L'Alchimie de la Finance, 1998, Valor. 

 

À SUIVRE

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article