Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog d'André Boyer

SUR LA ROUTE DE L'ESPÉRANCE

19 Mars 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

RAISHA MUNDHIR

RAISHA MUNDHIR

Ce roman de Fatima Boyer sert de shiromani à un livre de souvenirs, de témoignage et d'engagement pour un statut de la femme comorienne.

 

Encore que pour moi, c'est en premier lieu un livre rare sur l'expérience vécue d'une jeune Anjouanaise à l'aube de l'indépendance des Comores.

Pour ceux qui sont ignorants de la géographie comme de l'histoire des Comores, le préambule et les autres documents qui précédent le roman seront d'une grande utilité, mais je concentrerai mon compte rendu sur le roman proprement dit, qui, je le redis, n'a de roman que le nom, encore que les aventures vécues par l'héroïne ne soient pas banales.

Raisha était la première des filles de sa famille de douze enfants a être officiellement inscrite au collège, puisque sa grande sœur avait dû se cacher pour fréquenter les bancs de l'école. On pense immanquablement à ce qui se passe aujourd'hui en Afghanistan, qui mériterait d'être plus approfondi avant d'extérioriser son indignation.

À l’adolescence, l'éducation de Raisha, à la fois comorienne et musulmane, ne l’empêche pas de ressentir l’injustice de voir les femmes de son pays écartées de la vie politique, sociale, culturelle et économique. Aussi adhère-t-elle, même partiellement aux buts de la révolution d’Ali Soilihi qui a permis aux femmes de faire entendre leur voix durant son bref règne, entre 1975 à 1978.

Durant cette période, elle se souvient de la panique qui l'avait saisi auparavant, lors de sa première rentrée de classe, alors que habillée de pied en cap et perturbée d'avoir, à la place de sa grand-tante à l'école coranique, une inconnue comme maitresse à l'école française, de devoir écrire de gauche à droite et non l'inverse, elle découvrit, tétanisée,  qu'elle n'avait pas été appelée par la maitresse!

La responsabilité n'en revenait pas à son père tout puissant, mais à une confusion patronymique dont elle n'avait pas conscience mais qui fut corrigée une fois identifiée ; elle découvrit dans ces circonstances qu'elle avait d'une part un nom coutumier, Sitti Falaska, et un nom officiel, Raisha Mundhir.   

Raisha revient alors aux évènements historiques auxquels elle sera mêlée : après l'indépendance le 6 juillet 1975, il fallut moins d'un mois pour que le gouvernement d'Ahmed Abdallah soit renversé, alors qu'il célébrait à Mutsamudu, lui et son gouvernement, le mariage de la fille d'un ami.

Ali Soilihi, le chef du Conseil National de la Révolution se fit rapidement nommer chef du gouvernement. Mais l'ile de Ndzuani (Anjouan), où s'était trouvé l'ancien chef du gouvernement lors du coup d'état et où il se cachait toujours, était entrée presque naturellement en résistance, ce qui entrainait un blocus qui privait notamment sa population de sel.

Ce blocus se prolongea jusqu'au 29 septembre 1975, date à laquelle un commando de troupes d'Ali Soilihi débarqua dans l'Ile de Ndzuani, suscitant une résistance d'abord armée puis passive.

Les trois années suivantes, ses habitants vécurent dans l'attente d'un coup d'État qui rétablirait le pouvoir d'Ahmed Abdallah. Ce n'était pas le point de vue de Raisha qui travaillait au sein du comité du Utamaduni* et frayait ainsi avec le nouveau pouvoir pour, disait-elle, protéger sa famille. Je pense que ce n'était pas tout à fait vrai, car elle croyait à certains idéaux de la révolution, surtout à celui de la libération des femmes.

En plus, elle le faisait savoir, comme lorsqu'elle lut une déclaration en l'honneur d'Ali Soilihi, suscitant la colère de sa mère qui se disait inquiète des conséquences des prises de position publiques de sa fille, et surtout, qui ne les partageaient pas. Aussi, lorsque Raisha se mit à distribuer des documents de propagande à travers l'ile, sa mère en vint à ne presque plus lui adresser la parole.

La tension entre la mère et la fille menaçait de s'accroitre encore, lorsque Raisha apprit qu'elle allait être appelée à Moroni pour exercer des fonctions politiques plus élevées. Mais le hasard, est-ce bien le hasard, la libéra de ce dilemme lorsqu'elle apprit un jour d'avril 1978 qu'un groupe d'Anjouanais s'apprêtait à fuir Anjouan pour Mayotte. Sans plus réfléchir, elle se joignit spontanément à eux.

Elle se retrouva, au milieu des fuyards, parmi lesquels elle découvrit son propre frère Mlipvwa, dans une 404 bâchée qui ne manqua pas d'être arrêtée par un gendarme soupçonneux. Mais l'excuse, classique, d'un mariage à célébrer auquel s'ajouta "un large sourire et quelques battements de cils" suffirent à le contenter.

Une panne providentielle leur permit de se reposer dans une propriété appartenant à l'un de ses oncles, mais à la fin la vedette prévue pour Mayotte ne vint pas. Il fallut que Raisha retourne chez sa mère, qui la consigna sans explication dans sa chambre.  Un nouveau départ fut fixé à midi le lendemain, et cette fois la vedette était au rendez-vous.

Voguant vers l'exil, Raisha se remémora les réformes entreprises par Ali Soilihi. La réforme agraire que les paysans avaient refusé d'appliquer par crainte d'être traités de mauvais musulmans. La langue nationale avec l'alphabet latin que les personnes âgées avaient refusé d'apprendre. Les festivités liées au mariage dont la durée avait été limitée pour limiter les dépenses, suscitant la colère des familles et des commerçants. L'interdiction du voile, auxquelles les femmes âgées qui commandaient à leurs filles, s'étaient opposées.

Cela n'empêchait pas Reisha de s'enfuir à Mayotte, taraudées par les questions contradictoires qu'engendrait cette fuite, son approbation au moins partielle du régime, son impossibilité de s'opposer aux volontés de sa mère et pourtant l'inquiétude des risques que faisait courir à cette dernière, comme à toute la famille, sa fuite soudaine. S'y ajoutait bien sûr son angoisse face à l’inconnu qui l’attendait.

Au bout de presque dix heures de traversée, la vedette arriva au large de Mayotte où elle fut abordée par un canot de la gendarmerie. Raisha se retrouva dans un camp de réfugiés à Dzaoudzi et ce fut le moment pour elle de comprendre le mouvement profond qui avait conduit les Mahorais, à partir du transfert de la capitale de Dzaoudzi vers Moroni en 1962, à la séparation de Mayotte et des trois autres iles des Comores jusqu'au statut actuel de département français.   

Ce fut aussi pour Raisha le moment de se souvenir de son amie, Mugu, qui n'accepta de se marier qu'avec un Comorien résidant à Paris. Mugu justifiait ce choix en expliquant qu'elle voulait décider de sa vie, ce qui l'obligeait à fuir sa famille aux Comores. La condition féminine...

Pour sa part, à Mayotte, Raisha jouait la vedette dans un reportage de FR3 sur les réfugiés comoriens, avant de revenir à Mutsamudu après la chute d'Ali Soilihi. C'est alors qu'elle constata avec tristesse le retour en arrière de la condition féminine à Anjouan célébrée par les femmes âgées !

Raisha réussira à s'en évader grâce à ses études, son travail et son mariage en Afrique et en France. Elle visitera le monde, mais elle regrette toujours que les leçons de la révolution d'Ali Soilihi n'aient pas encore porté leurs fruits, quarante-cinq ans après l'indépendance. Cependant, l'espoir n'est pas mort, car Raisha sait que "la jeunesse est porteuse d’audace, d'ambition, de curiosité, de sens de l'entraide et de l'échange". 

 

Un roman ? Un livre de souvenirs ? Plutôt un ouvrage engagé dans lequel l'auteur se sert de son combat personnel afin de porter une espérance pour le futur de son ile chérie...                                

*Utamaduni: la culture en swahili.

Voici le lien pour obtenir l'ouvrage: 

https://www.kalamudesiles.com/2022/12/20/fatima-boyer-du-patrimoine-a-lecriture/

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Bonjour André,<br /> S’agit-il d’une parente?<br /> Christine
Répondre
A
Oui Christine, <br /> Il s'agit de ma belle-soeur<br /> Amitiés, <br /> André