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Le blog d'André Boyer

L'EUROPE, BÉQUILLE AMÉRICAINE

20 Décembre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

EVACUATION DU 30 AVRIL 1975, SAIGON

EVACUATION DU 30 AVRIL 1975, SAIGON

Les États-Unis ont l'ambition clairement affirmée de conserver leur leadership mondial. Dans ce cadre, ils ont également un projet précis pour l'Europe.  

 

Sans conteste, au plan militaire, financier, économique, sur Internet comme en matière de soft power, les États-Unis dominent le monde et ils ne veulent naturellement pas perdre les avantages que ce pouvoir leur donne. Mais l'évolution de ce même monde modifie les rapports de force. Ils ont successivement pris le dessus sur les Anglais, les Indiens, les Mexicains, les Allemands et les Japonais. Désormais, après s'être confrontés à l'URSS pendant 44 ans et l'avoir éliminée sans combattre, ils considèrent que la Chine est le nouvel ennemi à abattre.

Nous avons vu dans les deux billets précédents, qu'ils commençaient à abandonner le Moyen Orient sur lequel ils ont longtemps guerroyé pour concentrer leur énergie contre la Chine. 

En même temps, il leur faut mettre les affaires en ordre, en rassemblant leurs alliés. Un premier cercle est constitué, solidarité culturelle oblige, des pays anglo-saxons, Grande Bretagne, Australie, Canada. Avec les deux premiers, les États-Unis ont constitué AUKUS, un accord de coopération militaire qui vise à contrer l’expansionnisme chinois dans l’Indopacifique.

Un deuxième cercle est formé par les alliés des États-Unis, composé des pays de l’Union Européenne rassemblés dans l’OTAN, du Japon et de la Corée du Sud. En tant qu’alliés stratégiques, certains de ces pays, dont la France et l’Allemagne, sont un peu moins sûrs que les pays du premier cercle. C’est ainsi que la France a failli vendre des porte-hélicoptères à la Russie* et que l’Allemagne a failli dépendre du gaz russe pour son approvisionnement énergétique.

La crainte des États-Unis est en effet de voir se constituer un ensemble économique reliant l’Union Européenne et la Russie qui deviendrait suffisamment puissant pour être autonome, sinon pour s’affranchir de sa dépendance et apparaitre comme un troisième « grand ».

L’extension de l’Otan a permis une première séparation. Les États-Unis ont obtenu des candidats issus de l’Europe de l’Est qu’ils adhérent à l’Otan avant de rejoindre la Terre Promise de l’UE. Bien sûr, ils ont balayé d’un revers de main la demande de la Russie d’entrer dans l’Otan en juin 2000, si bien qu’après l’adhésion des trois pays baltes et de la Pologne, la région russe de Kaliningrad s’est trouvée enserrée entre deux membres de l’Otan. Puis il a été question de faire adhérer la Géorgie et l’Ukraine à l’Otan.

L’Ukraine, pays slave tiraillé entre une attraction russe à l’est et au sud et une répulsion anti-russe en sa partie ouest, offrait aux États-Unis la possibilité de créer un foyer de discorde qui affaiblirait la Russie pour peu que soit exalté le penchant occidental de l’Ukraine.

Après huit ans d’escarmouches sur le Donbass conduites avec l’aide et les encouragements des anglo-saxons, la violente intervention militaire russe qui lui a succédé a permis de justifier la séparation totale et immédiate entre l’Europe de l’Ouest et la Russie.

Le 24 février 2022, date de l’invasion russe de l’Ukraine, les États-Unis ont donc réalisé leur objectif pour l’Europe, qui consistait à la vassaliser pour l’empêcher de constituer un ensemble autonome se rapprochant quasi-automatiquement de la Russie.

À partir de cette date, une dynamique de rupture mais aussi de modification des rapports de force s’est mise en marche, qui ne peut conduire qu’à un affaissement de la position américaine de départ.

Un pôle s’est constitué entre la Chine, l’Iran et la Russie, redoutable à terme pour les États-Unis. De nombreux pays, du Moyen-Orient comme la Turquie pourtant membre de l’Otan, de l’Asie comme l’Inde, d’Amérique du Sud comme le Brésil, d’Afrique comme les pays du Sahel et l’Afrique du Sud, refusent d’appliquer les sanctions américaines que pratique en revanche l’UE avec application, mais où des tensions croissantes se manifestent entre les partisans de la guerre perpétuelle et ceux de la négociation avec la Russie.

C’est que la puissance de la Russie ne s’est pas trouvée clairement entamée par la guerre, même si les États-Unis n’ont jamais vraiment crû que l’Ukraine allait l’emporter militairement sur la Russie, ni que les sanctions allaient affecter profondément son activité économique. Aujourd’hui hostile, ce pays est toujours présent à l’est de l’Europe, si bien que demain la tentation de l’entente entre les deux ensembles ne demandera qu’une baisse de la pression américaine pour resurgir.

C’est ainsi que loin d’avoir uni ensemble stable, amical et puissant à ses côtés, l’affaire ukrainienne a créé un foyer conflictuel dans une Europe inquiète et affaiblie. C’est aussi de la sorte que les États-Unis revitalisent le mythe de Sisyphe, reculant ici et s’affirmant là, contraints de devoir sans cesse faire face aux mutations imprévisibles du monde, comme le mouvement palestinien un temps mis sous le boisseau ou conduisant à des confrontations comme en Ukraine dont ils ne parviennent pas à maitriser les conséquences.

 

Primus inter pares plutôt que mâle dominant, voilà une mutation que les États-Unis ont donc des difficultés à accomplir, d’où un chapelet de guerres perdues, du Viêt-Nam à l’Ukraine en passant par l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan et la Libye, en attendant la suivante, Taiwan.

Si toutefois, ils parviennent encore à faire cette guerre là… 

 

*L’accord a été passé par Nicolas Sarkozy en 2010 et annulé par son successeur François Hollande en 2014.

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M
La presse "mainstream" est sous influence de cette stratégie politique et économique menée par les Etats Unis : elle en a adopté toutes les déformations et s'est convaincue du bien fondé de son approche. C'est déconcertant et très inquiétant ! Cela nous conduit à une forme de pathologie des fondements mêmes du bons sens, de la raison, de la perception de l'intérêt général....de la république et de la démocratie. Aussi, contenir les contre-pouvoirs c'est comme étouffer les bienfaits de la critique ou du doute tels que Descartes nous les a parfaitement enseignés.
Répondre
A
<br /> Bonjour Michel. <br /> Si les Américains défendent leurs intérêts, ce que l'on ne peut leur reprocher sauf sur le point de se demander s'ils sont vraiment lucides, il est difficile d'accepter que les dirigeants européens conduisent, sciemment sans aucun doute, une politique contraire aux intérêts de l'Europe, par la crainte de déplaire aux États-Unis. La presse main stream leur emboîte naturellement le pas. <br /> En te souhaitant une bonne fin d'année, <br /> avec mes amitiés, <br /> André