L'homme, animal social?
Dans un article publié dans ce blog le 17 août dernier, appelé « Le péril, l’inquietude et le ressentiment », je concluais en m’interrogeant sur les moyens de mettre le bouillonnement technologique au service de la société et je proposais d’en faire moins une question technique qu’un problème de transcendance.
On peut en effet se demander si le débat sur le rôle de la technologie est vraiment une question fondamentale pour le devenir de l’humanité. Il s’agirait en effet de protéger la Terre d’une destruction progressive par la pollution engendrée par nos productions, d’empêcher que des dirigeants politiques n’utilisent les armes que l’humanité a inventé pour tuer massivement les populations ou de contrôler les techniques du clonage pour éviter la duplication des individus.
Graves questions.
Mais s’il ne s’agit que de trouver des solutions dans le cadre de la raison, elles ne sont guère hors de portée. Pourtant l’évolution de l’humanité suit un chemin que la raison de l’homme ne maîtrise pas. Même les savants les plus au fait des mécanismes de recherche n’ont pu éviter que la bombe atomique ne soit créée et constamment perfectionnée. Toute l’histoire de l’humanité montre que nous ne pouvons pas en dévier son cours qui consiste à tenter de se procurer le plus possible de moyens pour agir sur son environnement. Ce constat ne nous laisse aucun autre choix que de nous adapter individuellement aux conséquences de cette mécanique implacable qui ne manquera pas de nous affecter, en bien et en mal, plutôt que de faire semblant de nous interroger sur les moyens de changer le cours des événements. Est-ce que nous avons les moyens d'empêcher les Chinois de croître et de polluer? Est-ce que nous avons les moyens d'empêcher la population d'augmenter?
Ce qui appartient à l’homme, c'est de tâcher de vivre en société. Cette tâche l’occupe sans trêve et elle a le mérite de le distraire de sa condition d’être mortel. Les rôles sociaux ne manquent pas, mère ou père, chasseur, pêcheur, producteur, prêtre, guerrier, conseiller, chef. La collectivité entoure, encercle même chaque individu qui attend en retour sa sollicitude. Car chaque société est à la recherche de l’efficacité tout en étant soumise à la dure nécessité des compromis. Il lui faut canaliser les passions individuelles par le biais des organisations collectives. À cet effet, elle élabore des conventions pour que les individus puissent vivre en couple, en famille, afin que les enfants, les vieux, les handicapés, les malades soient pris en charge. Toute société humaine cherche les moyens de lutter contre les maladies comme le montre l’hystérie des pouvoirs autour du virus H1N1. Toute société cherche à assurer la sécurité de chacun, à répartir les richesses selon les critères contradictoires d’efficacité et de justice. Toute société cherche enfin à s’organiser pour répartir les pouvoirs de manière à fonctionner de manière efficiente.
Tout cet effort individuel d'adaptation est encore accru par le fait que nos sociétés se transforment sans trêve. Les familles ont abandonné les cavernes, les villages agricoles se sont formés puis se sont vidés, les villes sont devenues des centres de production qui ont débordé dans les banlieues. Car l’accumulation des connaissances a changé le système de socialisation, processus de conditionnement destiné à orienter les motivations privées vers des comportements acceptables pour la société, un système qui a pu désormais être appliqué à des groupes de plus en plus étendus avec la crainte toujours présente d’une perte de contrôle.
Cette potentielle perte de contrôle obsède les sociétés humaines. Que tout le monde paye des impôts, que les banlieues soient sillonnées par les véhicules de police, que les terroristes soient traqués! Car tous les systèmes sociaux sont sans cesse menacés de disparition, comme l'a montré récemment le système soviétique et comme les fissures du système américain le révèlent. Ce qui conduit ces systèmes à générer une mécanique de propagande destinée à entraîner la population dans le combat contre l’ennemi, l’adversité et finalement la décadence. Aussi, seuls d'irréductibles naïfs peuvent s'étonner de la place de la propagande politique à l’école et dans les médias: elle leur est consubstantielle.
Nonobstant, l’homme ne se résigne pas à n’être que l’acteur ou le jouet des sociétés imparfaites auxquelles il est rattaché, j'allais écrire auxquelles il appartient.
Les rêves de liberté, de justice, de progrès ne cessent jamais de le hanter,en d'autres termes il lui faut en appeler à la transcendance.
L'élegance du herisson
Je ne sais pas si vous avez lu ce livre de Muriel Barbery, qui est fort à la mode et pas forcément pour de bonnes raisons.
Quoi qu’il en soit, je vais vous donner le mien.
C’est un bon livre, mais ce n’est pas un roman. C’est une critique, ou même une satire de la « bonne » société parisienne, cela c’est la mauvaise raison du succès du livre. La mère qui s’offre des analyses et arrose ses plantes, la concierge méprisée, le critique gastronomique suffisant et ainsi de suite, tout le monde en a pour son argent dans cette société arrogante qui essaie de se rassurer en méprisant ou au mieux en ignorant son prochain. Vous sourirez peut-être à quelques tableaux, j’espère que vous vous contenterez de rire jaune, par exemple lorsque le psy est démasqué.
Passons aussi sur l’amour du Japon et des Japonais que je partage largement mais qui prend dans ce livre une forme idolâtre que je trouve exagérée. La culture japonaise est une merveille, mais elle ne saurait se séparer de la société japonaise sans devenir une icône. Et une icône, ce n’est guère vivant.
Mais « L’Elégance du Hérisson » est surtout un livre philosophique qui se cache sous une forme romancée. Si bien que la véritable héroïne, de mon point de vue ce n’est pas la concierge mais la petite fille. Quels messages au travers de Paloma et plus rarement de Mme Michel (et pas Madame, nuance), Muriel Barbery nous fait-elle passer ?
En tout premier lieu que la vie est absurde : «Parmi les personnes que ma famille fréquente, toutes ont suivi la même voie : une jeunesse à essayer de rentabiliser son intelligence, à presser comme un citron le filon des études et à s’assurer une position d’élite et puis toute une vie à se demander avec ahurissement pourquoi de tels espoirs ont débouché sur une existence aussi vaine. Les gens croient poursuivre les étoiles et ils finissent comme des poissons rouges dans un bocal. Je me demande s’il ne serait pas plus simple d’enseigner dès le départ aux enfants que la vie est absurde. ». Pauvre petite fille riche…
Mais c’est un sacré bon départ que de poser que la vie est absurde. Alors on fait quoi ? Pamela finira par trouver et donc renoncera à se suicider, malgré la force de ses prolégomènes. Il reste que c’est vrai, la vie est absurde et c’est tout le problème de l’être humain. Quelles raisons s’inventer pour vivre ? comment fuir le problème ? comment ignorer le scandale de la mort ? Et c’est ce supplice auquel est soumis l’esprit humain qui permet aux beaux parleurs de dominer le monde.
En contrepoint de Paloma, Mme Michel n’a pas d’autre réponse à l’absurdité de la vie que de se cacher sous l’accoutrement de concierge. Elle convient que la phénoménologie est une escroquerie et que Kant lui-même est obligé de reconnaître qu’il ne connaît pas grand-chose du monde. C’est là le problème. On se fracasse toujours le crâne contre un mur quand on cherche à comprendre le monde. Bête. Et ce n’est pas en arrosant les plantes vertes que l’on trouve la solution. Pamela le sent bien : « C’est comme ça que maman voit la vie : une succession d’actes conjuratoires, aussi inefficaces qu’un coup de pschitt (sur une plante verte), qui donnent l’illusion de la sécurité ». La sœur de Paloma, Colombe, est du même bois. « Colombe est tellement chaotique au-dedans, vide et encombrée à la fois, qu’elle essaye de mettre de l’ordre en elle-même en rangeant et en nettoyant son intérieur ». Et vlan pour les obsédés de l’ordre, les ayatollahs des patins…
Mme Michel, elle, a mis au point une parade contre le chaos avec « le rituel du thé, cette reconduction précise des mêmes gestes et de la même dégustation, cette accession à des sensations simples, authentiques et raffinées (…) a cette vertu extraordinaire d’introduire dans l’absurdité de nos vies (revoilà l’absurde) une brèche d’harmonie sereine. » Et elle y ajoute un souffle de poésie dont je ne saurais vous priver : « Oui, l’univers conspire à la vacuité, les âmes perdues pleurent la beauté, l’insignifiance nous encercle. Alors buvons une tasse de thé. Le silence se fait, on entend le vent qui souffle au-dehors, les feuilles d’automne bruissent et s’envolent, le chat dort dans une chaude lumière. Et dans chaque gorgée se sublime le temps. »
S’attaquant au personnage de Pierre Arthens, le « pape » de la gastronomie, Paloma règle à juste titre son compte à la gastronomie française. « Si vous voulez mon avis, la cuisine française c’est une pitié (là encore, je suis tout à fait d’accord). Autant de génie, de moyens, de ressources pour un résultat aussi lourd…Et des sauces et des farces et des pâtisseries à s’en faire pêter la panse ! C’est d’un mauvais goût…Et quand ce n’est pas lourd, c’est chichiteux au possible : on meurt de faim avec trois radis stylisés et deux coquilles Saint-Jacques en gelée d’algues dans des assiettes faussement zen avec des serveurs qui ont l’air aussi joyeux que des croque-morts ». Et vlan pour la cuisine française laissée sur place à force d’arrogance par la cuisine italienne, sans même mentionner la cuisine japonaise !
Puis Paloma, qui n’aime pas plus sa grand-mère, « une sale vieille », que la cuisine française, se dit pourtant qu’il ne faut pas oublier les vieux. « Il ne faut pas oublier que le corps dépérit, que les amis meurent, que tous vous oublient, que la fin est solitude. Pas oublier non plus que ces vieux ont été jeunes, que le temps d’une vie est dérisoire, qu’on a vingt ans aujourd’hui et quatre-vingts le lendemain. » Donc, conclut Paloma, il faut « se dire que c’est maintenant qui importe : construire, maintenant, quelque chose, à tout prix, de toutes ses forces. » Mais cela veut dire quoi, construire ? Pour Paloma, il s’agit de « trouver la tâche pour laquelle nous sommes nés et l’accomplir du mieux que nous pouvons, de toutes nos forces, sans chercher midi à quatorze heures et sans croire qu’il y a du divin dans notre nature animale. (…) La liberté, la décision, la volonté, tout ça : ce sont des chimères. Nous croyons que nous pouvons faire du miel sans partager le destin des abeilles ; mais nous aussi, nous ne sommes que de pauvres abeilles vouées à accomplir leur tâche puis à mourir. » Et Mme Michel d’ajouter, à propos de l’élite à laquelle se targuent d’appartenir d’abominables abrutis : « Appartenir à l’élite, c’est devoir servir à la mesure de la gloire et de la fluidité dans l’existence matérielle qu’on récolte pour prix de cette appartenance. (Dans ce cas) je dois me préoccuper du progrès de l’Humanité, de la résolution de problèmes cruciaux pour la survie, le bien-être ou l’élévation du genre humain, de l’advenir de la Beauté dans le monde ou de la juste croisade pour l’authenticité philosophique (…) Car en pareille matière, seule importe l’intention : élever la pensée, contribuer à l’intérêt commun ou bien rallier une scholastique qui n’a d’autre objet que sa propre perpétuation et d’autre fonction que l’autoreproduction de stériles élites -par où l’Université devient secte. » Eh oui…
Quant à Paloma, elle se tourne vers ceux qui sont l’antithèse de la supposée « élite », les brûleurs de voitures. Pourquoi est-ce qu’on brûle une voiture, se demande t-elle ? Sa réponse, elle la trouve en s’interrogeant sur l’avenir d’un petit garçon thaïlandais, adopté et déraciné. « Comment exister si on ne sait pas où on est ? (…) alors on brûle des voitures parce que quand on n’a pas de culture, on n’est plus un animal civilisé : on est une bête sauvage. Et une bête sauvage, ça brûle, ça tue, ça pille. ». Paloma, elle-même, se sent une bête sauvage en ce sens qu’elle est trop sensible aux dissonances, aux mensonges, aux contradictions, à l’hypocrisie. À ce titre, moi aussi je me sens une bête sauvage !
Finalement, ou presque, Paloma comprend ce qui la fait souffrir et en même temps pourquoi elle ne va pas se suicider : « j’ai compris que je souffrais parce que je ne pouvais faire de bien à personne autour de moi. J’ai compris que j’en voulais à papa, à maman et surtout à Colombe parce que je suis incapable de leur être utile, parce que je ne peux rien pour eux. Ils sont trop loin dans la maladie, je suis trop faible. » Et puis, ayant rencontré Mme Michel et Kakuro, elle se dit qu’elle a envie de laisser les autres lui faire du bien. « Une petite fille malheureuse qui, au pire moment, a la chance de faire des rencontres heureuses. Est ce que j’ai moralement le droit de laisser passer cette chance ? »
Nous sommes tous des « petites filles malheureuses » qui font parfois des rencontres heureuses et qui les acceptent ou les refusent, et selon le cas, la vie change de couleur passant du gris au rose ou au noir…
Même en laissant de côté la fin du livre, vous voyez qu’il y a beaucoup de réflexion à glaner dans ce livre et de sujets de discussion. C’est en tout cas ainsi que je l’ai perçu en m’identifiant à Paloma plus qu’à Mme Michel….
Une oligarchie barricadée
Dans un article précèdent, publié le 11 août dernier et intitulé « l’oligarchie face au peuple », je rappelais les moyens extraordinaires, comparés aux autres pays européens, dont dispose l’oligarchie pour contraindre le peuple français. Je ne sais pas si vous en avez vraiment conscience, tant il s’agit d’un sujet bien rarement abordé par les medias, comme l’on peut s’en douter. Mais les faits, que j’ai rappelés dans l’article précèdent, sont indiscutables.
Les conséquences sont que lorsque l’opinion est contrainte, lorsque les medias en sont réduits à une pensée étroitement encadrée par le politiquement correct, on ne peut pas prétendre que les citoyens disposent de leur libre-arbitre. La finalité de l’action collective échappe au citoyen qui ne se sent plus acteur de la société à laquelle il appartient puisqu’il n’est plus en mesure d’agir sur elle. Il ne lui reste plus qu’à se résigner ou à se révolter.
Bien sûr, l’oligarchie barricadée qui nous dirige n’a aucune intention de respecter les principes essentiels de la démocratie. Que feriez-vous à sa place ? partageriez-vous le pouvoir qui vous est échu ? Non, elle cherche à contourner ces principes pour conserver l’exclusivité du pouvoir, avec une morgue qui laisse l’observateur pantois. Elle utilise à cet effet la merveilleuse puissance des institutions de la Constitution de la Ve République, qui accorde un pouvoir considérable au Président de la République. Lorsque ce dernier contrôle le parti majoritaire à l’Assemblée Nationale, aucune nomination, de haut fonctionnaire, de député, de maire de grande ville, de directeur de chaîne de télévision ou de dirigeant de grande entreprise ne lui échappe. Et, pour peu qu’il s’y intéresse, la désignation du moindre candidat aux fonctions de conseiller général du plus obscur des cantons lui appartient. On comprend que les luttes d’influence autour de ces multiples nominations soient l’objet principal des préoccupations des membres de notre oligarchie.
Aussi faut-il admettre, aussi désagréable que cela puisse nous paraître, que l’un des problèmes majeurs de la société française est sa difficulté à se faire entendre des politiciens. Nous l’illustrerons par deux exemples, celui des élections de 1997 et 2002, toutes deux organisées par un Jacques Chirac au sommet de son « art » politique. Ainsi, si vous avez cru que le déclenchement anticipé des élections législatives de 1997 était une erreur de calcul de ce fin amateur de combines électorales qu’était Jacques Chirac, et que ce sont les électeurs qui ont décidé de porter la gauche au pouvoir, vous n’y êtes pas du tout : c’est Chirac qui a décidé de passer la main, pour pouvoir être réélu en 2002. Les dirigeants politiques ont joué une farce pseudo démocratique dont les électeurs ont été les dindons alors qu’ils s’en croyaient les acteurs.
Quant à l’élection présidentielle de 2002, si vous n’en avez pas honte, c’est que vous méritez le système politique qui tire sur vos ficelles de marionnette.
NB: ce tableau de Nicolas de Staël qui accompagne cette chronique morose sur la malgouvernance française est destiné à l'équilibrer par une petite dose de pureté artistique
Le péril, l'inquiétude et le ressentiment
Dans un article précèdent, publié le 1er août dernier et intitulé « L’homo faber », je mettais en avant le caractère avant tout pratique de l’Homme, qui consiste à chercher à survivre au milieu des périls qu’il doit affronter, comme tout être vivant. Il lui fallut entre autres résoudre la question majeure de la transmission des informations recueillies par les générations précédentes aux générations suivantes.
Le péril qui a toujours menacé les découvertes de ces milliards d’observateurs, expérimentateurs, théoriciens que sont naturellement les êtres humains, reste en effet la transmission de l’information aux générations successives. La mise au point du langage parlé a été la première technique pour faire cheminer le message de père en fils, de maître à apprenti. Puis l’écrit a changé l’échelle de la circulation de l’information en la rendant plus précise, universelle et pérenne. Les ouvrages sont devenus des boîtes à outils, des prêts à penser, à calculer et à réaliser, sur lesquels il est possible de s’appuyer pour développer de nouvelles théories, plus claires, plus approfondies et plus complètes, qui entraînent d’autres innovations. L’invention du livre a heureusement dispensé les chercheurs de redécouvrir les lois de la thermodynamique, de la gravitation universelle ou même de réinventer la pensée d’Aristote tous les vingt-cinq ans, en étant exceptionnellement optimiste. Il a aussi évité aux philosophes de redécouvrir les fondements universels de la pensée mis à jour par leurs ancêtres, Grecs, Chinois ou Arabes.
Les progrès techniques ont changé graduellement la vie matérielle des hommes, que ce soit dans le domaine de la chasse, de l’élevage, de l’agriculture, de l’irrigation, des mines, de la construction, du transport, du chauffage, de l’éclairage, des communications, de l’armement et de la médecine. Ces changements sont à l’origine du développement des civilisations : lorsque l’agriculture dépassa le niveau de subsistance, les paysans purent nourrir les villes, leurs artisans, leurs prêtres, leurs étudiants, leurs marchands et leurs soldats.
Il reste que les changements technologiques ont toujours inquiété les sociétés humaines qui les subissent. Les nouvelles technologies créent des capacités de production excédentaires, qui génèrent dans un premier temps du chômage, mais aussi du temps disponible qui a son tour libère de nouvelles énergies. Aussi peut-on regarder à la fois la technologie comme la solution susceptible de résoudre tous les problèmes matériels de l’humanité, mais aussi comme un défi global à l’équilibre entre l’humanité et son cadre de vie.
Depuis un siècle, la découverte et l’utilisation de l’électricité de l’énergie atomique, de l’informatique, de l’exploration spatiale, de la biogénétique ont fortement transformé les perspectives de l’humanité. Chaque découverte a accru l’interférence de la technologie avec l’environnement, puisqu’elle est le choix original de l’homo sapiens.
La question rémanente consiste à trouver les moyens de mettre le bouillonnement technologique au service de la société. Il s’agit peut-être là moins d’une question technique que de transcendance.
Penelope II, la miraculée
Aujourd'hui 15 août, il ne me parait guère approprié de philosopher gravement ou de dénoncer la mécanique inique de la société française. Je vous propose donc un retour en arrière, au temps des 2CV et des découvertes, qu'elles soient douloureuses, tendres ou comiques...
je vous ai déjà conté le 26 juillet dernier l'histoire de Pénélope III. Il est donc temps de revenir à celles de Pénélope I et II, qui n’avaient été nommées ainsi qu’à titre rétroactif. Pénélope I n’avait été mienne que l’espace d’un printemps, celui de 1963. J’avais passé mon permis le 3 janvier de la même année face à un inspecteur qui n’avait pas, m’a t-il semblé, encore tout à fait éliminé les séquelles du réveillon lorsqu’il examina mon niveau de conduite. Deux ou trois mois plus tard, intimidée par des passants qui la dévisageaient, mon héroïque grand-mère avait fini par percuter avec sa 2CV le platane qui séparait la double voie ouvrant sur la grand-place de Puget-Théniers. Depuis, elle ne voulait plus conduire et j’avais hérité aux vacances de Pâques de sa 2CV bleue avant que mon père ne la récupère pour la confier à son représentant de commerce.
C’était une 2CV que je connaissais bien puisque les week-ends de l’année précédente, alors que je n’avais pas encore de permis, j’apprenais à ma grand-mère à conduire à l’âge de 73 ans. Elle ne se débrouillait pas trop mal, mais elle manquait de sang froid comme l’histoire du platane le prouva par la suite. Récupérant sa 2CV au printemps 1963, je fis quelques aller-retour entre Nice et Lyon où je suivais la classe de Math Sup. Puis je la remis à mon père qui me confia en échange une 2CV grise qui avait déjà parcouru 115000 kilomètres dans les vallées de l’arrière-pays. Elle était loin d’avoir terminé son parcours qui s’achèverait en œuvre d’art.
Je ne suis pas près d’oublier la froide journée de novembre 1963 au cours de laquelle mon père me confia Pénélope II. Asphyxié par les heures de cours interminables, les devoirs à rallonge et les colles innombrables de Maths Spé, je venais de m’accorder une semaine de trêve pour les vacances de la Toussaint à Puget-Théniers. En me remettant les clefs de la voiture, mon père insista bien : « Surtout pas d’accident, sinon plus de voiture, je ne la réparerais pas ». Pères, ne prononcez jamais de paroles définitives au sujet de vos enfants si vous ne voulez pas être obligés de renier aussitôt vos engagements les plus fermes ! En effet, il allait s’écouler moins d’une demi-journée avant qu’il ne se voit contraint, volens nolens, d’assumer les conséquences de mes bévues.
Je m’élançais sur la route des Alpes. La 2CV franchissait allègrement à 60 kilomètres/heure de moyenne et 90 kilomètres/heure de vitesse pointe (les policiers de 2009 en seraient réduits à manger des pissenlits). Saint André les Alpes était atteint au bout d’une heure, Digne après deux heures ; trois heures étaient nécessaire pour rejoindre Sisteron où un petit arrêt s’imposait pour souffler. Le Col de Luz la Croix-Haute était franchie sous la pluie au bout de quatre heures. Il ne restait plus que deux heures avant d’atteindre victorieusement Lyon.
C’était un sinistre dimanche après midi de retour de vacances. Le ciel était bas et la circulation dense. J’amorçais la descente du col dans une file de voitures qui se traînait à 40 kilomètres/heure. Sur le avant droit de la 2CV trônait un transistor relié à l’antenne de toit. Je me penchais pour trouver Europe 1 afin d’écouter Salut Les Copains. Pendant ce temps, la 4L devant moi freinait brusquement. Malgré mes excellents réflexes, le temps de relever la tête et d’appuyer désespérément sur le frein, la 2CV plongeait vers l’avant et percutait avec son nez le pare choc de la 4L, directement dans l’axe du moteur qui rendait l’âme derechef. De légères contusions de mon côté aux genoux, pas de gros dégâts matériels sur la 4L et mon tout premier constat d’accident effectué, je me retrouvais seul au bord de la route. Le conducteur de la 4L avait tout de même pris soin de s’arrêter à Monestier de Clermont pour m’envoyer une dépanneuse qui remorqua une Pénélope II agonisante dans un sombre garage dont le propriétaire me délesta, rien que pour le remorquage, de la totalité de mon budget du mois.
Jamais je n’oublierai le moment où, depuis la hideuse gare de Monestier de Clermont, encombré de mes bagages, je réussis à contacter mon père pour lui annoncer l’impensable nouvelle. Je ne me souviens pas s’il était plus furieux que stupéfait ou l’inverse. Ce fut l’horrible retour dans la maléfique nuit des trains de mauvaise augure puis, ployant tristement sous les bagages, ma marche accablée depuis la gare Perrache jusqu’au 13 Place Jean Macé où je résidais. Au lieu de me garer triomphalement aux abords de la porte d’entrée de l’immeuble, j’arrivais piteusement à pied, dans cette ville grise, sous un ciel noir, d’humeur sombre. Et le lendemain, huit heures de maths, physique, chimie, and co !!! j’étais le type le plus malheureux que je connaissais, le plus malchanceux, le plus nul.
Or le lundi était un autre jour. Tout de suite, le ciel daigna s’éclaircir. Je racontais mes malheurs à mon ami Bernard Wittlin, un homme au cœur pur et qui l’est resté. Il offrit d’aller chercher les bagages restés dans le coffre de Pénélope II avec sa 2CV, et comme il n’avait pas encore le permis, il me passa le volant et il eut surtout l’extrême générosité de me la prêter pendant un mois, le temps qu’il réussisse son permis. Pendant ce temps, mon père, résigné, avait demandé un devis au garagiste. Ce dernier, flairant l’affaire du siècle puisque la 2CV pouvait difficilement quitter le garage, demanda une fortune. Aussi fut-il fort marri lorsque mon père tout puissant envoya depuis Puget-Théniers le fidèle Louis Rosie au volant d’un camion ramener Pénélope II à la maison. Elle fut mécaniquement retapée par ses amis de toujours, les frères Casalengo et son enveloppe métallique redressée par la carrosserie que possédait alors mon oncle Louis Passeron. Tout cela coûta fort cher à mon père que je harcelais sans vergogne au téléphone ayant depuis longtemps oublié ma faute pour ne penser qu’au plaisir de récupérer la miraculée.
En janvier 1964, je ramenais, sans anicroche cette fois, Pénélope II jusqu’à Lyon. J’eu encore en ville un accident de la circulation qui vida le fond de mes chétives économies mais mon père n’en sut rien. C’était le temps où je ne pouvais guère mettre plus de 10 francs de carburant par semaine pour 9 litres d’essence ordinaire. Au moins de juin 1964, il devint assez évident pour moi et mes parents, que j’avais fausse route en acceptant de suivre Maths Sup. et Spé. Mes résultats aux concours des grandes écoles d’ingénieur étaient loin d’être suffisants pour que je puisse envisager de faire 5/2 (ce qui veut dire redoubler Maths Spé.) en étant assuré d’intégrer une bonne école. Et puis j’étais las de ce travail de bachotage permanent, loin de chez moi, même si je m’étais fait des amis fidèles à Lyon.
Avec Pénélope II, je revins au bercail. Pour la rentrée, mon père avait une nouvelle idée que je suivis passivement, préparer Saint-Cyr. Il était probable qu’avec deux ans de Prépa, j’allais dominer mon sujet face à des « Corniches » qui, à l’époque, venaient juste de passer le Bac. Me voilà donc, dans l’automne mélancolique, intégrant en blouse grise la Corniche d’Aix-en-Provence en tant que pensionnaire. Las ! ce ne fut que pour trois jours, un examen médical révélant que mon insuffisance de vision ne me permettrait pas d’être admis à Saint-Cyr. Je revins donc tête basse me réinstaller chez ma grand-mère à Nice, avec un violent sentiment d’échec, d’autant plus que j’avais entendu les médecins militaires dire dans mon dos que je finirais bureaucrate ! j’ai mis un point d’honneur à les faire mentir…
Ce fut finalement MPC que je préparais à la Faculté de Sciences. Ce n’était pas très glorieux, étant au-dessous du niveau de Maths Sup. Totalement démobilisé, je ne le réussis en outre que extrême justesse. Pénélope II joua encore un rôle important cette année-là, car je passais une bonne partie de mes nuits dans son habitacle relativement douillet. J’avais en effet rencontré une âme sœur, qui présentait la particularité d’être née exactement le même jour que moi et dans la même clinique. Elle avait de plus la particularité d’être artiste et elle m’entraînait dans des soirées de « happening » à l’Artistique. C’est ainsi qu’une nuit, je fus percuté avenue des Fleurs par une auto venant de gauche. Enfin je n’étais pas fautif !
Plus généralement, elle m’avait convaincu qu’il était beaucoup plus intéressant de découvrir le monde de nuit que de jour, aussi nous traînions souvent jusqu’à 4 heures du matin (au-delà le soleil menaçait de tout gâcher en se levant) assis dans la 2CV stationnée dans quelque coin de Nice ou de ses environs à refaire le monde. Nous avions décidé de prendre des vacances pendant un mois en ne voyageant que la nuit tombée et dormant le jour. Las, cette expérience nocturne ne dura guère. Pis, elle mit fin à notre relation.
Peu de temps après, Pénélope II était remplacée par Pénélope III dont j’ai conté l’histoire dans un blog précèdent. Ma mère avait fait l’acquisition d’une magnifique et fragile Mini Austin d’un vert très anglais et elle me léguait sa voiture. Mais Pénélope II ne disparut pas de la famille pour autant, car elle échu à mon frère cadet, Bernard. Elle connut alors un destin extraordinaire. L’un des proches amis de mon frère (et de moi-même), Vivien Isnard, peintre aujourd’hui très renommé de l’École de Nice, la revêtit intégralement d’une peinture multicolore et psychédélique qui en fit une œuvre d’art ambulante. Je mettrais sa photo dans ce blog dès que je récupérerai un cliché d’elle sous sa robe somptueuse. J’ignore finalement quand, sombrant sous les incidents mécaniques, Pénélope II fut finalement immolée…
L'oligarchie face au peuple
Dans un article intitulé « La presse la plus subventionnée du monde » publié le 24 juillet dernier, je montrais à quel point les medias et la presse en particulier avaient parti lié avec l’oligarchie. Si bien que l’on peut se demander si nos élus ne devraient pas expurger le Robert. En effet, la définition que ce dernier donne de la démocratie doit leur paraître séditieuse, voire factieuse, puisque ce dictionnaire la qualifie de doctrine politique qui « place l’origine du pouvoir politique dans la volonté collective des citoyens ». Quelle horreur !
Il est frappant en effet d’observer la distance croissante entre les élites politiques, médiatiques et économiques et le peuple de France. Ainsi, en matière d’Europe, il y a belle lurette que la majeure partie des « élites », éprises de culture et de communication entre les peuples[1], aspire à dépasser le cadre de l’État nation pour bâtir un nouvel ordre international dont l’Europe semble le cadre naturel. Les deux guerres mondiales et la montée en puissance des Etats-Unis les ont convaincus qu’il fallait bâtir une fédération européenne d’États pour répondre aux défis du XXIe siècle. Logiquement, elles ont initié un mouvement de renoncement à la nation qui rencontre l’inquiétude des populations ; ces dernières l’expriment par de fréquents votes négatifs aux rares referendums sur les traités européens que les « élites » préfèrent entériner dans le cadre feutré des Parlements nationaux.
En France, dés 1992, les ouvriers, les employés et les personnes les moins diplômées ont voté contre son approbation le traité de Maastricht. Ce vote clamait la crainte devant un avenir que l’on ne maîtrisait pas et le sentiment d’être tenu à l’écart d’une construction économique et juridique dont il était difficile de prévoir les conséquences. Alors que lors du referendum sur le traité de Maastricht le « oui » n’avait recueilli que 51% des suffrages exprimés après une campagne effrénée des élites politiques appuyées par l’ensemble des médias, les politiciens ont agi ensuite comme s’ils avaient obtenu un blanc-seing. Sur la lancée de ce traité, les « élites » ont organisé l’adhésion à l’Euro et l’élargissement de l’Union Européenne à vingt-cinq pays pour aboutir au fiasco de la Constitution Européenne qui a été désapprouvée par 56% des votants. Ce retour de bâton du vote populaire pose la question de savoir jusqu’où iront les « élites » dans leur viol de la conscience collective de la population française ? Le traité de Lisbonne a été approuvé par le Parlement, sans que les électeurs n’aient été consulté.
C’est ainsi que la « démocratie » française devient un « machin » aveugle et sourd aux attentes de la population.
Dans l’état actuel des rapports de force entre l’oligarchie et le peuple, les règles qui définissent les pouvoirs respectifs des citoyens et de leurs « représentants » sont telles que les « élites » peuvent se constituer en oligarchie fermée sans crainte d’être déboulonnée du pouvoir.
En France, il est possible en effet de changer le texte de la Constitution sans que les citoyens soient consultés : il suffit de la majorité qualifiée des deux Assemblées. De 1992 à 2007, la Constitution a été modifiée pas moins de quinze fois, soit une fois par an en moyenne. Sur ces quinze modifications, le président de la République a estimé à trois reprises seulement que l’approbation directe de la population s’imposait.
En France, les citoyens n’ont le droit de répondre aux seules questions que décide de leur poser le président de la République. Il n’existe ni referendum d’initiative populaire, ni referendum d’origine parlementaire.
En France, le droit d’expression y est l’un des plus limité d’Europe, encadré par la loi Gayssot qui réprime « tout propos raciste, antisémite ou xénophobe » ou plus récemment par des lois qui décident que le génocide arménien est une vérité officielle ou qui détermine l’orientation des programmes scolaires sur l’esclavage. La surveillance de la pensée est assurée par des associations subventionnées par l’État qui se chargent de porter plainte contre les propos qui les dérange.
En France, les syndicats dits représentatifs sont les plus faibles d’Europe, mais ils ont le monopole du mandat des salariés, le monopole expliquant la faiblesse du nombre des adhésions.
En France, les élus ont la faculté de modifier le système électoral qui les régit à la simple majorité des voix de l’Assemblée. Ils ne sont pas privés de ce pouvoir, Mitterrand instituant la proportionnelle en 1986 pour gêner le retour de la droite au pouvoir et Chirac rétablissant l’élection des députés au scrutin uninominal majoritaire à deux tours dans le cadre de cinq cent soixante-dix-sept circonscriptions pour empêcher les petits partis d’obtenir des sièges de députés. Depuis 1981, les députés ont également modifié à trois reprises la loi électorale des régions, passant du vote par département au vote par région, puis au vote par région avec des sections départementales. Ces réformes visent toutes à limiter le choix des citoyens aux deux équipes politiques qui s’arrangent pour se réserver le pouvoir.
En France, les élus ont le droit de renouveler indéfiniment leurs mandats tout en les cumulant, dans certaines limites.
En France, le président de la République possède les pouvoirs les plus étendus accordés à un chef d’État dans une démocratie occidentale sur sa population et la concentration du pouvoir au niveau de l’État y est la plus élevée d’Europe, aux dépens des régions.
Au total, des règles constitutionnelles et électorales à la discrétion du président de la République qui a tous les moyens de se faire obéir par sa majorité ; des élus qui font intégralement carrière dans la vie politique, des citoyens dont le droit d’expression et de coalition est étroitement contrôlé et qui n’ont le droit de prendre aucune initiative.
En outre, avec un pouvoir politique totalement concentré à la tête de l’État, l’organisation politique de la France exprime la volonté de museler les opinions, de contrôler les revendications et d’empêcher leur expression en dehors des voies balisées par la classe politique.
[1] Madame de Staël, Saint-Simon, Victor Hugo, Renan, Jaurès, comptent parmi les hérauts anciens de ce supranationalisme historique.
Le Xe anniversaire du règne
Le 30 juillet 2009, le Roi du Maroc, Sa Majesté Mohammed VI, a célébré à Tanger le dixième anniversaire de son règne. À la demande de mon ami Driss Alaoui Mdaghri et en tant que co-auteur d’un ouvrage qu’il a dirigé, j’ai été invité aux cérémonies qui marquaient ce dixième anniversaire. Cet ouvrage, intitulé « Une Ambition Marocaine » fait le bilan de la nouvelle société marocaine qui a émergé au cours de ces dix dernières années.
« Invité » ne signifiait pas simplement un carton d’invitation pour une réception au Palais. L’invitation commençait par un billet d’avion de Nice à Casablanca et elle a continué par la prise en charge complète de mon séjour.
Le mercredi 29, l’accueil a commencé dès le guichet d’enregistrement à Nice où le personnel se souvenait que j’avais pris l’avion quelques jours auparavant pour participer à une conférence de presse et donner une interview dans le cadre du journal télévisé de la 2M, toujours en relation avec l’ouvrage précèdent. Dans le salon de l’aéroport de Nice auquel j’étais invité, j’ai même eu la surprise d’être salué par la fille d’un de mes collègues. Dés la sortie de l’avion à Casablanca, deux personnes m’attendaient dont un policier, ce qui m’a permis de passer les contrôles sans coup férir. Mais ils n’avaient pas le pouvoir de faire venir les bagages sur un tapis volant…
Ce fut ensuite le temps de rejoindre Tanger par l’autoroute, ce qui me laissa le loisir de redécouvrir les paysages du Nord du Maroc et d’apprendre que mon mentor était un ancien étudiant en marketing, ce qui nous donna un sujet de conversation. L’arrivée à Tanger se fit au coucher du soleil. Je découvris une ville-champignon composée de buildings ultramodernes qui ne me sembla pas tout à fait marocaine, je ne sais pas trop pourquoi. L'hôtel qui nous accueillait était lui-même ultra-récent puisqu’il ne date que d’un mois.
C’est alors que j’ai commencé à faire connaissance avec mes co-invités qui ont écrit ensemble un livre édité par le CNRS sur les dix dernières années du Maroc, « Le Maroc en Marche », un ouvrage en accord presque parfait avec celui que nous avons écrit, sans nous concerter. Nous montrons au travers de ces travaux parallèles et indépendants que le Maroc, quoiqu’en disent quelques journalistes en mal de sensationnel négatif (personne ne s’intéresse aux trains qui arrivent à l’heure, disent-ils) est justement à l’heure du monde moderne et qu’il avance à bonne vitesse. Il suffit de s’y rendre pour le voir par soi-même, ce qui est toujours le meilleur remède à la désinformation qui règne sur nos medias (voir dans mon blog le chapitre sur l’oligarchie qui gouverne notre pays).
Le jeudi 30, avant la réception au Palais et le déjeuner à l’invitation du Premier Ministre, j’ai fait mieux connaissance de celui qui a organisé notre voyage avec beaucoup de méthode, de dévouement et d’amitié, de son équipe, de mes co-invités, des juristes de droit public, un économiste (ce dernier a écrit deux ouvrages sur le développement du Maroc), d’une journaliste ainsi que de leurs époux et épouses, et d’une chef d’entreprise, députée marocaine, qui anime le groupe des femmes dirigeantes. Nous avons ensuite pris le chemin du Palais du Roi à Tanger, pour attendre à l’abri du soleil le moment où les portes du Palais s’ouvriraient. Il y avait mille à mille cinq cent personnes représentant les corps constitués du Maroc, députés, fonctionnaires, militaires, hommes d’affaires auxquels s’ajoutait une centaine d’invités étrangers. Au bout d’une heure d’attente, nous avons pu franchir les arceaux de sécurité non sans nous être débarrassés au préalable de nos téléphones portables, appareils photos ou autres matériels électroniques.
Ce fut pour passer à côté des troupes en grand apparat, blanc et rouge ou en uniforme orange, ces dernières me donnant l'impression de porter une tenue d’un autre temps, avant de nous ranger le long de deux tentes d’une centaine de mètres de long dressées parallèlement. Face à ces deux tentes était installé le trône royal. Sous les tentes, des pâtisseries marocaines, des boissons heureusement, et du chocolat qui eut hélas le temps de fondre dans mes mains lorsque je finis par céder à la tentation de le goûter. Je trouvais aussi le temps de donner une petite interview à deux journalistes du New York Times et de constater que cette nouvelle attente d’une heure et demie n’était pas sans provoquer quelques évanouissements, en raison de la température qui dépassait sans nul doute 35 degrés.
Puis la garde s’est mis à jouer une marche au son des fifres, rythmée par de très graves tambours. Le roi a alors descendu les marches du palais pour s’asseoir sur le trône. Il était à une trentaine de mètres de l’endroit où je me trouvais. Il y a reçu des invités de marque qui montaient face à lui. Puis il a décoré quelques personnes dont une sociologue qui a écrit un livre que je vous recommande, « Au-delà de toute pudeur ». Cela a bien duré encore une demi-heure. Le roi s'est alors avancé vers les tentes. Il est passé à trois mètres de moi, le temps de voir que lui aussi avait très chaud. Il a pris le temps de saluer l’ensemble des invités avant de partir au son des fifres et des tambours.
J'ai enfin retrouvé mon ami Driss Alaoui dans la foule qui s'écoulait, puis j’ai rejoint l’un de nos mini bus perdu au milieu d’une forêt de Mercedes rejetant la chaleur vibrante de leurs climatiseurs à plein régime. Il nous restait à nous rendre au repas que donnait le Premier Ministre au Golf de Tanger. Ce fut un excellent déjeuner, avec des fruits de mer, de la pastilla, du mouton, du couscous, du fromage et des desserts, servi très rapidement par le grand traiteur Rahal, connu internationalement puisqu’il traite entre autre le sommet de Davos en Suisse. Heureusement que ce fut rapide car la température dépassait 40 degrés sous l’immense tente qui abritait 1500 personnes.
Après un repos à notre avis bien mérité, nous revinrent en fin d’après-midi prendre un thé à la menthe dans un magnifique café qui fait face à Gibraltar. On y voit des jeunes gens, assis en rang face à l’Espagne, tout un symbole. La villa contiguë au café, célèbre (mais j’ai oublié son nom), appartient à un autre symbole, bobo cette fois, BHL. Nous avons utilisé la soirée pour faire mieux connaissance et pour partager notre attachement au Maroc.
Le vendredi 31 fut une magnifique journée. En début d’après-midi, nous nous sommes rendu à Tétouan pour assister à la cérémonie des corps constitués, fonctionnaires, députés, tribus, au cours de laquelle ils font annuellement allégeance au Roi. Tétouan est une ville fortifiée située un peu à l’intérieur des terres. Imaginez une place blanche de 200 mètres de côté (voir photo en vignette), sur laquelle sont disposés, outre un millier de personnes, des troupes à cheval et une estrade où sont installés à l’abri du soleil cent à deux invités, dont nous. Noble spectacle que la sortie du Roi sur un grand cheval noir devant les rangées de notables se prosternant au fur et à mesure qu’il avance parmi eux, suivi par un splendide carrosse rouge. La musique militaire résonne sur la place, la cavalerie suit le Roi dont la monture bronche, affolée par la foule. Puis chacun se disperse alors que le Roi repart au volant d’un cabriolet, Mercedes bien sûr.
Nous nous dirigeons alors à travers le Rif vers la côte méditerranéenne à bord d’un convoi de mini vans dans lequel ne manque même pas le véhicule de secours, si d’aventure l’un des nôtres venait à tomber en panne : organisation militaire. Le bord de mer est aménagé en plages superbes bordées de marinas entourées de végétation luxuriante: la côte méditerranéenne du Maroc a un grand avenir. Aux abords de Tanger, nous sommes impressionnés par la triple frontière métallique de 7 mètres de haut qui ceinture l’enclave de Ceuta, n’empêchant pas nous dit-on les plus déterminés ou les plus désespérés des candidats à l’émigration de tenter le franchissement. Dans les forêts du Rif, des milliers de clandestins préparent leur passage vers l’eldorado de Schengen et cent mille autres sont dispersés à travers le Maroc. Terrible réalité Europeo-Africaine de la misère et du désespoir, auquel le Maroc est mêlé en tant que lieu de transit et de plus en plus souvent en tant que terre d’accueil.
Puis nous passons le long d’un port de conteneurs ultramoderne qui préfigure le Maroc de demain. Cent mille navires transitent par le détroit de Tanger chaque année et Tanger-Med dépasse déjà Marseille en tant que centre logistique des conteneurs. Il ambitionne de tripler sa capacité en quelques années, avec comme arguments une organisation ultramoderne et des coûts huit fois plus bas que ses concurrents européens.
Le soir, j’ai la chance de déjeuner avec un couple remarquable, les deux époux ayant été autrefois mes étudiants. Lui est en charge des investissements de Tanger, autant dire du centre d’investissement le plus actif du royaume, elle est professeur auprès de l’ENCG de Tanger que j’ai autrefois contribué à configurer. Je me promets de travailler plus étroitement avec eux à l’avenir.
Le samedi 1er, nous partons pour Skhirat jusqu’à rejoindre en début d’après-midi un très bel hôtel le long de l’océan. Le temps de quelque repos et nos hôtes nous rejoignent avec des cadeaux qui, si c’était nécessaire, nous empêcheront à jamais d’oublier leur extraordinaire hospitalité. C’est le temps pour moi de me séparer de mes excellents compagnons et accompagnateurs et de rejoindre à Casablanca mes amis Driss Alaoui et Mustapha El Baze qui trouvent que le séjour n’est pas encore assez rempli. Il doit se terminer à leur avis par la participation à un beau mariage dans les environs de Casablanca, où j’ai encore l’opportunité de faire quelques dernières rencontres avant d’aller enfin dormir.
Le dimanche 2, il ne me restait plus qu’à prendre l’avion pour Nice. Pendant le voyage, j’eu encore le loisir d’écouter mon voisin de siège me raconter sa vie d’entrepreneur français au…Gabon et de rassembler mes souvenirs de ce voyage, qui m’a permis de faire des rencontres mémorables et de garder en moi l’image d’une société marocaine vigoureuse. Alors que notre République doit se contenter d’invoquer les droits de l’homme qu’elle est supposée avoir inventé je ne sais quand mais sûrement pas pendant la Terreur, le Maroc, à l’opposé de ce mythe mensonger, montre au travers de ses cérémonies traditionnelles sa foi dans une manière de vivre et de transmettre des valeurs forgées non pas par le raisonnement mais par l'accumulation des œuvres de ses ancêtres. Il n’a visiblement pas l’intention d’y renoncer et c’est tant mieux pour nous tous, que nous soyons Marocains ou simples étrangers, adeptes de l’équilibre entre la tradition et la modernité pour faire face aux défis du monde moderne[1].
[1] Voir mon article « Le pays des solutions ».
L'homo faber
Dans un article intitulé « La fin d’un cycle » publié le 19 juillet dernier, je rappelais que la transcendance n’est jamais très loin lorsque l’homme abandonne ses tâches quotidiennes pour s’interroger sur le sens de sa présence sur Terre et dans l’Univers. Mais l’homme ne peut pas oublier qu’il lui faut avant tout survivre, individuellement ou collectivement.
Pour lui, tout est effort, effort nécessaire pour subsister et effort bienvenu pour oublier sa condition. Il lui faut faire face. Sans fourrure ni plumes, sans carapace ni écailles, sans crocs ni défenses, sans camouflage ni vitesse de pointe, nos ancêtres ne disposaient pas de défenses naturelles contre leurs prédateurs. Ils ont progressivement remplacé ces protections par des armes qu’ils ont conçues, grâce à leur imagination, à leur habileté manuelle et à leur capacité d’organisation. Contrairement au singe qui ne sait s’en saisir que dans l’urgence, l’homo sapiens a su s’emparer d’une branche cassée, la préparer, la garder en main, évaluer et améliorer son efficacité.
C’est pourquoi Benjamin Franklin, qui s’y connaissait en inventions, affirmait que la caractéristique la plus importante de l’homme était sa capacité à concevoir et à fabriquer des outils, plus essentielle peut-être que celle de vivre en société. Grâce aux premiers outils qui ont assuré hier la survie de l’espèce humaine, nous pouvons aujourd’hui nous offrir le luxe de pester contre l’excès de ces derniers qui polluent notre environnement. L’homme s’est vêtu de peaux. Il a suffisamment contrôlé le feu pour se chauffer, cuisiner, et migrer dans les régions les plus froides. Il a appris à récolter, à cultiver et à planter des graines pour se nourrir. Il a inventé des outils spécialisés comme la houe ou la hache pour accroître son efficacité. Il a domestiqué les animaux.
Toutes ces découvertes résultent de sa triple capacité de perception, de mémorisation et de conception. L’homme sait construire un projet purement intellectuel alors même que les moyens de le réaliser ne sont pas disponibles. Rappelons nous que Bacon ou Jules Verne sont justement célèbres pour avoir imaginés des avions, des bateaux à moteur ou des sous-marins, bien avant que ces engins ne soient techniquement réalisables.
Le processus de l’innovation humaine commence par des observations qui permettent de formaliser des hypothèses que l’expérience confirme ou infirme. Puis une théorie émerge et se renforce par l’addition des preuves de sa véracité ; elle s’exprime par des lois, que chacun a la possibilité d’appliquer pour obtenir les résultats qu’elles ont prédits. Quoi qu’on veuille parfois les séparer, la science et la technologie utilisent les mêmes méthodes, et visent toutes deux à relier la création et l’application. C’est ainsi que Léonard de Vinci fut tout à la fois un artiste, un scientifique ou un technicien, ou qu’Edison breveta plus de mille inventions, quelques-unes majeures, mais la plupart purement techniques.
Mais le péril qui a toujours menacé les découvertes de ces milliards d’observateurs, expérimentateurs, théoriciens que sont naturellement les êtres humains, reste la transmission de l’information aux générations successives…