Qui est ce sage qui prétend décider pour moi?
Écrasé par le matraquage médiatique, j’ai failli faire, je l’avoue honteusement, un blog sur l’élimination de l’équipe de France de football ; heureusement mon emploi du temps m’en a empêché. Aujourd’hui, il est déjà clair que ce fut un événement sans intérêt. Donc pas de commentaire.
Revenons plutôt à Pascal.
J’écrivais, lors du dernier blog :que faire sans capitaine ? vous voyez bien que la question se pose partout, même en football. Nous pensons que l’espèce humaine n’a plus de capitaine, en clair que le concept de Dieu est en voie de disparition. Il est intéressant de se prendre conscience de la raison pour laquelle nous pensons que Dieu s’est définitivement éclipsé. C’est, je l’écrivais aussi à la fin du dernier article, l’orgueil.
L’orgueil de croire que nous sommes des Dieux. Si nous osions, nous serions prêts à prétendre que nous sommes les créateurs de l’Univers. Il se trouve que nous ne le sommes pas et que de plus nous sommes mortels. Ces deux vérités aussi incontestables doivent nous inviter à pratiquer une vertu bien insolite pour les hommes, l’humilité.
Acceptons donc l’idée que le mystère de l’Univers ne sera jamais totalement éclairci. Acceptons de reconnaître que la science a ses limites. C’est ainsi que nous servirons dignement de ce qui nous appartient en propre, la pensée :
« Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale » (264).
En effet, pour chacun d’entre nous, notre tâche essentielle est assurément de bien penser. À cet égard, le chemin est étroit entre la confiance aveugle dans la science et le fatalisme sourd. Nous avons entendu ce que les scientifiques peuvent nous expliquer de l’Univers qui nous entoure et de la vie qui nous anime. Nous connaissons les limites de notre savoir et de notre pouvoir. Nous savons que l’Univers gardera son mystère fondamental et que nous serons toujours mortels.
Si nous en acceptons les conséquences, alors nous serons en mesure de comprendre la comédie humaine dans son ensemble, les efforts désespérés des hommes pour oublier leur condition, les mensonges de ceux qui voudraient nous persuader qu’ils connaissent la vérité de l’homme, qu’ils connaissent les solutions à tous ses maux et les recettes de son bonheur. Nous pourrons alors saisir à quel point l’être humain est prêt à croire à tout et à faire n’importe quoi. Nous pourrons aussi appréhender en quoi est absurde l’idée que la nature humaine puisse changer, progresser, s’améliorer, grâce aux efforts accumulés des hommes eux-mêmes.
Si l’on place au centre de notre réflexion, le refus collectif de l’espèce humaine d’accepter sa condition subalterne dans l’ordre universel d’être mortel, il nous reste à décider, chacun de nous, du sens de notre vie.
Ce serait logique de clore ainsi cette réflexion, puisque la raison nous affirme, qu’à l’avenir, aucun Dieu ne nous conduira plus jamais par la main. Mais, inversement, rien ne nous empêche non plus d’en conclure qu’il vaut mieux renoncer à donner le moindre sens à notre vie. Tout nous pousse à rester dans le flou, puisqu’il peut paraître plus confortable d’ignorer la mort jusqu’à ce qu’elle nous saisisse. Que nous suggère t-on, en effet ? Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures, il faut se faire plaisir au quotidien car on ne sait pas de quoi demain sera fait, même si on sait très bien, malheureusement, ce que sera demain. D’ailleurs la société s’occupe de nous. La science et la technologie se chargent de trouver des solutions raisonnables aux problèmes que nous percevons.
Qui est donc ce sage qui me conseille de me contenter de jouir tranquillement, de ne pas chercher à connaître le sens de la condition humaine ? Qui est ce sage à qui je suis supposé déléguer la charge d’être raisonnable à ma place ? Qui est-il ? Au nom de qui et de quoi décide t-il à ma place ? J’ai beau chercher, j’ai beaucoup de mal à le distinguer dans la foule des insensés, des ignorants et des escrocs qui dirigent les sociétés humaines.
S’ils étaient sages, s’adresseraient-ils à moi avec autant de mépris ?
Ce n'est point ici le pays de la vérité
Dans mon article du 4 juin dernier je déclarais aimer, ou plutôt admirer, la lucidité et le courage de Pascal. C’est qu’il nous posait, à chacun d’entre nous, LA question susceptible de nous toucher au plus profond de nous même « Qui suis je ? », une question impitoyable…
Oui, qui suis-je ? Question dramatique pour l’homme, car comment découvrir en soi les réponses ? Et comment prétendre ignorer la question, une fois qu’elle est posée ? Ah, comme l’on envie alors les petits « montaignes » affairés à leurs bricolages, loisirs et petits tracas en tout genre. Vive les soucis quotidiens, la météo pourrie, le patron désagréable, les peines de coeur et même les maladies qui se soignent !
Il est vrai que le doute qui assaille l’homme pascalien ne peut qu’engendrer l’effroi, puisqu’il lui annonce que la science sera, à jamais, incapable de parvenir aux vérités pour lesquelles il est prêt à vivre et à mourir. Du coup, toutes, absolument toutes les entreprises humaines en deviennent définitivement inintelligibles, pour ne pas dire absurdes, y compris pour moi celle d’écrire ces lignes et pour vous de les lire.
Pascal est l’un des rares, suivi entre autres par Kierkegaard, qui ait eu l’audace de dire que la vérité ne se trouvait pas là où les hommes prétendaient l’avoir trouvé, c’est-à-dire qu’elle ne se trouvait pas, et ne se trouverait jamais, dans la science. Il pousse l’outrage à la science jusqu’à demander des comptes à la raison : « Ce n’est point ici le pays de la vérité, elle erre inconnue parmi les hommes » (843). Et Pascal d’observer malicieusement que l’homme ne pratique guère cette raison dont il se glorifie : « l’homme n’agit point par la raison, qui fait son être » (439), car « l’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête » (358).
Il enfonce encore le clou en nous rappelant cette évidence :
« Il n’est pas en notre pouvoir de régler le cœur » (467).
Dès lors, s’il n’est de vérité que précaire, instable, c’est la raison de l’homme elle-même qui doit l’inciter à relativiser la valeur de la raison, puis à porter son regard au-delà de l’horizon. De son côté Pascal enrage, lorsqu’il constate que certains « passent leur vie sans penser à cette dernière fin de la vie, et qui, par cette seule raison qu’ils ne trouvent pas en eux-mêmes les lumières qui les en persuadent, négligent de les chercher ailleurs » (194).
Ainsi : « ce même homme qui passe tant de jours et de nuits dans la rage et dans le désespoir pour la perte d’une charge ou pour quelque offense imaginaire à son honneur, c’est celui là même qui sait qu’il va tout perdre par la mort, sans inquiétude et sans émotion. C’est une chose monstrueuse de voir dans un même cœur et en même temps cette sensibilité pour les moindres choses et cette étrange insensibilité pour les plus grandes. » (194)
De toutes façons : « Il faut parier. Cela n’est pas volontaire, vous êtes embarqué. » (233), car nous sommes embarqués sur un navire dont les passagers sont désormais convaincus qu’il n’a pas de capitaine.
Que faire ?
Au minimum, nous pouvons choisir de faire la fête en nous joignant à la troupe des « montaignes », tout en sachant bien que le dernier acte sera sanglant. Nous avons également la possibilité de jouer avec notre raison, en faisant semblant de croire que toutes les raisons humaines accumulées finiront par nous permettre de nous évader du navire. Parce que, si ce maudit bateau n’a pas de capitaine, tout est fichu, il ne nous reste plus qu’à choisir entre la résignation et le subterfuge…
Que faire sans capitaine ?
D’ailleurs, qui nous fait croire qu’il n’y a pas de capitaine ?
L’orgueil.
Pour en finir avec notre oligarchie
Dans un article publié le 26 mai dernier et intitulé « Des masochistes qui s’ignorent», je rappelais que quels que soient les défauts du système qui nous gouverne, on pouvait conclure avec réalisme qu’il est indestructible, même si je suggérais aussi qu’il n’existe pas au monde de système immuable, comme l’effondrement du système soviétique nous l’indique.
Même si je n’en connais pas l’échéance, je ne le crois pas, car jamais les hommes n’ont consenti indéfiniment à être abusés. Comment supporter encore longtemps les tombereaux de mensonges que l’on nous déverse à longueur de journée dans les medias, de l’imposture de ces dirigeants, de ces artistes, de ces journalistes qui prétendent nous faire la leçon pour mieux nous exploiter, de cet asservissement matériel que l’on nous impose en confisquant la moitié du produit de notre travail pour se l’approprier au nom d’une pseudo solidarité obligatoire? Si nous voulons garder notre dignité d’être humain doté d’une raison et d’une capacité à agir librement, nous ne pouvons tout simplement pas l’accepter.
Ceci écrit, je n’ai pas de consignes d’action à donner, car elles s’inscriraient par définition dans le cadre de ce que je dénonce, la manipulation d’autrui, qui ne conduit qu’à la servitude. Les anarchistes s’y sont essayé, les communistes surtout, avec le succès que l’on connaît.
Je sais simplement qu’il faut garder sa lucidité.
Il suffit de ne jamais souffrir que l’on vous fasse la leçon. Ne croyez en aucun cas à ce que vous racontent les medias, ils ne sont là que pour vous assouplir l’échine et pour vous endormir. N’acceptez pas qu’un artiste, qu’un écrivain, qu’un « intellectuel » ou qu’un sportif vienne vous expliquer ce qu’il faut penser. Il est là sur ordre, et il attend sa récompense. N’écoutez évidemment jamais les candidats à la tyrannie qui vous débitent leurs sornettes. Ce premier pas sur le chemin de la liberté devrait déjà ébranler le système, car il repose en premier lieu sur la crédulité du peuple. Souvenez vous qu’il suffise que le petit enfant d’Andersen s’écrie que « le roi est nu !» pour que tout le peuple consente à voir la vérité.
Une fois l’esprit libre des mensonges de ceux qui veulent vous asservir, il vous restera à vous interroger sur le bien fondé des structures mise en place par vos chefs pour comprendre à quel point elles ne sont pas adaptées à vos besoins comme à ceux de la majorité de la population qu’ils prétendent administrer. La liste en est infinie. Pour la dévider, prenons le fil de la vie :
Un enfant va à l’école. Il est supposé, en cinq ans d’études, apprendre à lire, à écrire et à compter. Bel exploit. Mais au bout du compte, il ne sait pas grand-chose de tout cela et on l’installe tout de même dans une classe de collège. Pourquoi faire ? Pendant ces cinq années, qu’on fait ses maîtres pour qu’il apprenne ? Qui est responsable ? Quelles sont les conséquences à en tirer pour l’enfant et pour l’école ? Sept années plus tard, il arrive jusqu’au Baccalauréat. On le lui donne, pratiquement sans tenir compte de son niveau d’ignorance. Quelle logique ? Quel usage le nouveau diplômé fera t-il du document ? Pourquoi la collectivité rassemble t-elle autant de moyens pour aboutir à un faux-semblant ? Il continue à l’université. Personne ne l’y accueille, ne le renseigne, ne l’encadre, ne lui parle même. Les salles sont fermées, les heures d’ouverture des bibliothèques chichement comptées. Les examens, que la fraude institutionnalisée ridiculise, sont une formalité une fois passé le barrage de l’élimination de masse de la première année. Cinq ans s’écoulent encore, pour qu’il se voit proposer des stages gratuits, antichambres de salaires proches du SMIC et de CDD. Pourquoi un tel gâchis individuel et collectif ? Le système de formation tout entier, de la maternelle à la maîtrise n’est-il qu’un sas d’entrée de vingt et une années pour placer les citoyens dans une situation de dépendance ? Que personne ne prétende en tout cas que ce système utilise correctement les moyens que la collectivité lui fournit pour éduquer et former les jeunes Français.
Le « jeune » trouve un emploi. Il en connaît d’autres qui se contentent du RMI et de ses avantages connexes et qui vivent mieux que lui, d’autant plus qu’ils travaillent bien souvent au noir. Lui paye tout, loyer, charges, impôts, frais de déplacements et il ne s’en sort pas. Quelle logique y a t-il à encourager les citoyens de ce pays à ne pas travailler, plutôt qu’à prendre un emploi, précaire de surcroît ? Le « jeune » regarde autour de lui. Il ne voit qu’injustices.
En matière de justice justement, pourquoi tant de lenteur? Pourquoi des prisons aussi inhumaines ? S’ils ne sont pas fichus de juger les gens et d’emprisonner les condamnés dans des conditions de vie décentes, comment les hommes politiques osent-ils leur parler de « droits de l’homme » ? Et en matière d’administration, pourquoi autant de structures empilées, des communes, des communautés de communes, des départements, des régions ? Simplement pour « créer » des emplois, des salaires, des indemnités ? Quelle logique ?
Si notre jeune « citoyen » s’intéresse aux structures du pays, pourquoi une telle centralisation des pouvoirs à l’opposé de l’organisation de tous les autres pays européens ? Pourquoi le président de la république a t-il autant de pouvoir ? Pourquoi les politiciens ont-ils le droit de changer les systèmes électoraux ? Pourquoi ont-ils le droit d’avoir plusieurs mandats ? Pourquoi la France est-elle une et indivisible ? Pourquoi subventionne t-on les îles lointaines à raison de dix mille euros par habitant et par an ? Quelle est la logique de tout cela ?
S’il intéresse aux syndicats, pourquoi l’État impose t-il aux salariés cinq syndicats à qui il octroie le monopole de la présentation des candidats au premier tour des élections des représentants du personnel ? Faut-il s’étonner ensuite que les syndicats aient si peu d’adhérents ? Quelle est la logique de ce monopole ?
S’il intéresse aux medias et à la culture, pourquoi les intermittents du spectacle ont-ils droit à des indemnités de faveur par rapport aux salariés ordinaires ? Pourquoi l’Etat accordent-ils des subventions aux journaux et au cinéma ? Pourquoi existe t-il un ministère de la culture qui choisit l’art qu’il soutient ? Quelle logique de contrôle se cache derrière cet intérêt étatique pour la culture ? Je laisse à chacun le soin de compléter la liste en rapport avec ses préoccupations, mais la logique que révèle ces errements est claire :
Pourquoi autant d’inefficacités, de contradictions, d’absurdités dans le système d’organisation national, pourquoi autant de subventions, d’aides au point de devoir emprunter deux milliards d’euros par semaine au nom des Français, si l’État n’était pas plus préoccupé par le contrôle de la société française que par son bon fonctionnement ?
Le nœud du divorce entre les habitants de ce pays et leurs gouvernants se situe exactement en ce point nodal. Il est ancien. Celui qui parcourt l’histoire de France peut être à juste titre effrayé par l’emprise des dirigeants de ce pays sur une population qui a été entraînée dans des marécages impraticables dont elle n’est sortie que pour se ruer dans des impasses sanglantes.
Aussi le combat que chacun d’entre nous doit remporter, en tant que citoyen français, s’impose pour notre propre bien-être, pour fortifier la destinée des générations futures et pour réparer les terribles blessures infligées aux générations passées. Il consiste à contraindre les responsables politiques français à donner la priorité à la bonne organisation de ce pays sur son contrôle.
Je sais que l’idéologie dite « républicaine » dont on m’abreuve est une technique pour m’asservir.
Je sais que les dirigeants de ce pays ne s’intéressent à son bon fonctionnement que s’il ne met pas en danger le contrôle qu’ils exercent sur les citoyens.
Je sais qu’ils se sont donné les moyens de dominer le pays en le dotant de structures politiques incroyablement centralisées.
Je sais que je suis leur complice dès lors que je les écoute, que je leur prête le moindre crédit, à eux et à leurs auxiliaires médiatiques.
Je sais que si je suis contraint de leur obéir, du moins puis je leur faire savoir que je ne suis pas dupe, que leur système est inefficace, injuste, absurde, donc inacceptable.
Je sais que, forcément, le système s’effondrera et que notre propre survie implique que nous contraignions nos dirigeants à lâcher prise, avant qu’ils ne nous conduisent comme d’habitude à l’abattoir.
Cinq bouffées d'humiliation...
La semaine dernière n’a pas été avare en humiliations pour celui qui veut croire que nos élites respectent les pauvres hères que nous sommes.
Il y a eu tout d’abord le sommet Afrique-France. Les tireurs d’élites de la gendarmerie sur les toits de l’aéroport. Le RAID et le GIPN partout dans la ville de Nice. Le Président de la République escorté par son Groupe de Sécurité. En plus du SPHP (Service de Protection des Hautes Personnalités) qui encadrait les délégations africaines, trente unités de gendarmes mobiles renforçant l’ensemble des forces de police locales, soit 4000 hommes au total. L’armée a aussi été mise à contribution, avec des vols de reconnaissance en hélicoptère au-dessus de Nice, une batterie de missiles sol-air installé à l’aéroport, des Mirages 2000 en alerte dans les bases voisines, un sous-marin et des vedettes armées dans la Baie des Anges et des commandos marine dans le Port de Nice. La ville bloquée, la voie rapide fermée, la promenade des anglais interdite, le trafic aérien interrompu pendant la réception donnée aux délégations, 400 limousines noires sillonnant la ville. J’ai pensé à Strasbourg en État de siège lors du sommet du G20 l’année dernière. Qu’est ce qu’ils veulent nous montrer ? Que ce sont eux les chefs et nous les serfs ?
Puis il y a eu ensuite l’affaire de l’abordage des navires humanitaires. À entendre le gouvernement israélien, on aurait presque cru que les cargos étaient montés dans le ciel à l’assaut des hélicoptères. En dehors de l’erreur de communication commise par Israël et de la provocation montée par des associations pro palestiniennes, que de violence et d’arrogance ! Tirer dans le tas sur des gens qui se défendent avec des barres de fer ! Attaquer des bateaux dans les eaux internationales ! Imposer le blocus à plus d’un million de personnes, transformant leur lieu de vie en camp de concentration ! Pourquoi nous obliger à accepter un tel état de fait ? Pour nous montrer que la force, toujours, prime le droit ?
Il y a aussi eu l’affaire vite étouffée de l'attentat de Karachi. Selon un rapport policier luxembourgeois, Heine, une société off-shore basée au Luxembourg a été créée en 1994 avec l'aval du ministre du Budget de l'époque, Nicolas Sarkozy. Elle était utilisée dans le cadre du versement de commissions et pourrait avoir redistribué des « rétro commissions » servant en théorie au financement de campagnes politiques françaises. Tout le monde connaissait l’existence de cette société depuis des lustres, puisque dès l'enquête préliminaire, des policiers français avaient trouvé une note mentionnant l'aval donné par le directeur de cabinet d'Edouard Balladur à Matignon, Nicolas Bazire, et le ministre du Budget, Nicolas Sarkozy, à la création de la société Heine. Mais ce fait n’a curieusement jamais intéressé personne, sauf la police luxembourgeoise qui a mis stupidement les pieds dans le plat. Circulez, il n’y a rien à voir. Je me demande s’il faut applaudir le magnifique niveau de cynisme que parviennent à atteindre nos dirigeants ou s’il faut aller vomir dans son coin.
Il y a eu ensuite l’inévitable foot. Nos supers joueurs sélectionnés pour représenter la France à la Coupe du Monde en Afrique du Sud se sont fait battre par l’équipe réserve de Chine, oh combien modeste sur le papier. Ce n’est pas un exploit des joueurs chinois, c’est simplement que nos joueurs se fichaient du match. Sauf du fric qui se déverse de façon obscène sur eux par tombereaux, ils se fichent de tout nos joueurs, à commencer par la France. Quant à nous, nous sommes priés de les admirer et de les soutenir, en plus de les payer. Mais pourquoi nous impose t-on ce triste spectacle, sinon pour nous rappeler que nous sommes des pauvres minables qui ne gagnent pas dans une vie ce que certains d’entre eux gagnent en un mois à faire les clowns avec un ballon?
Pour finir en beauté, il y a eu Jamel Debbouze. Il vient d’annuler une tournée à la Réunion et ce n’est pas par hasard. Vous avez tous eu pitié de lui avec son bras à moitié atrophié, sans doute de naissance avez-vous pensé. Pauvre gars, quelle force de caractère d’être devenu un grand artiste malgré son handicap ! Il s’est même engagé en faveur de l'emploi des personnes handicapées en réalisant un film où il montre sa main atrophiée. Quelle belle âme ! Mais jamais il n’a expliqué publiquement comment cela lui était arrivé. Les faits sont pourtant connus. À l’âge de quinze ans, le 17 janvier 1990, il est happé à la gare de Trappes par le train Paris Nantes. C’est alors qu’il perd l’usage de son bras droit. Comment se fait-on happer par un train dans une gare ? traversait-il imprudemment ? Il se trouve qu’au cours du même accident, un autre jeune homme, Jean-Paul Admette, d’origine réunionnaise, trouve la mort. Les parents de ce dernier portent plainte contre Jamel Debbouze l’accusant d’avoir poussé leur fils sous le train après avoir volé son blouson. Jamel bénéficie d’un non-lieu faute de témoignages à charge. Jamais un journaliste n’a demandé à Jamel Debbouze de raconter sa version des faits, et lui toujours se sert de son moignon pour se faire plaindre. Le même s’est fait mettre un jour une minerve pour faire croire qu’il avait été brutalisé par les flics. C’est temps-ci, il n’a pas osé se rendre à La Réunion par peur des manifestations et du déballage. Et on nous le montre en exemple, et on nous cache la vérité de peur que nous nous interrogions ! Voyons, c’est une idole, il ne faut pas la toucher.
Mais c’est grâce au gentil Jamel que j’ai fini par comprendre la leçon. Il ne faut pas croire que les gens qui nous dirigent soient dans l’obligation de nous prouver qu’ils sont des gens bien, c’est l’inverse que nous devons nous mettre dans nos petites têtes butées. Puisque ces gens sont au pouvoir, ils ont des droits sur nous, pas nous sur eux. Ils peuvent nous tirer dessus, ils peuvent nous voler, ils peuvent se moquer de nous. Ils s’en fichent que nous croyions ou non à leurs histoires, l’important c’est que nous comprenions bien que ce sont eux qui écrivent l’histoire, pas nous.
Bon sang, il faut que je me mette bien dans la tête que ce sont des gens bien parce qu’ils ont le pouvoir, pas des gens bien au pouvoir, c’est pourtant simple à comprendre, espèce d’âne !
J'admire la lucidité et le courage de Pascal!
Le 1er Mai dernier, il y a si longtemps mais c’est la faute à la crise financière, je vous invitais à vous joindre à Pascal contre Montaigne et Descartes. Je sais, maintenant c’est presque l’été, il fait chaud, ce n’est pas le moment de philosopher aussi gravement que Pascal, ce type impossible qui nous invite à ouvrir grand les yeux face à notre condition humaine !
Mais moi, je l’aime pour son incroyable courage.
Je vous défie d’écrire avec autant de clarté, de violence et de sentiment que Pascal. Lisez ce qui suit, par exemple :
« En regardant tout l’univers muet, et l’homme sans lumière, abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce coin de l’univers, sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il y est venu faire, ce qu’il deviendra en mourant, incapable de toute connaissance, j’entre en effroi, comme un homme qu’on aurait porté dans une île déserte et effroyable, et qui s’éveillerait sans connaître où il est et sans moyen d’en sortir. Et, sur cela, j’admire comment on n’entre pas en désespoir d’un si misérable état. Je vois d’autres personnes auprès de moi : je leur demande s’ils sont mieux instruits que moi ; ils me disent que non ; et, sur cela, ces misérables égarés, ayant regardé autour d’eux, et ayant vu quelques objets plaisants, s’y sont donnés et s’y sont attachés. » (693).
D’accord, Pascal ne nous fait pas rire. Et c’est pourquoi il n’est pas un philosophe très populaire. Mais il voit juste, comme Bernanos ou même Céline, là où les autres ne veulent jeter que des regards furtifs et effrayés. Il pointe à l’endroit précis de la blessure. Il voit loin et large. Au moment où il écrit, il est tout proche de la mort. Aussi ne prend-il pas le temps d’user de circonvolutions pour exprimer sa pensée.
Si, avec lui, on porte son regard vers les étoiles, on sent bien que l’homme, pas plus que la vie, n’ont aucun sens à priori. Alors vous, alors moi, tout seul, avec la conscience d’être perdu sur mon île, sans espoir de retour, condamné à mort, à quoi devez vous penser, à quoi dois-je penser ? À notre condition de mortel ou à nous distraire jusqu’à l’instant où nous entendrons le souffle du bourreau sur notre nuque ? Il sera bien temps alors de pousser un dernier cri, de frayeur et de protestation.
Pascal est parfaitement lucide : il sait bien que l’homme a besoin de s’abuser sur sa condition. La preuve, c’est qu’il envoie promener sans ménagement tous ceux qui gémissent d’avoir tant de travail à faire, tant de responsabilités à assumer, tant de demandes à satisfaire :
« De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n’est pas en effet qu’il y ait du bonheur, ni qu’on imagine que la vraie béatitude soit d’avoir l’argent qu’on peut gagner au jeu, ou dans le lièvre qu’on court : on n’en voudrait pas s’il était offert. Ce n’est pas cet usage mol et paisible, et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition, qu’on recherche, ni les dangers de la guerre, ni la peine des emplois, mais c’est le tracas qui nous détourne d’y penser et nous divertit. » (139).
Prenez le pour vous.
Car c’est le tracas que nous cherchons, parce qu’il nous divertit : voilà une grande et pénible vérité pour nous tous, sans aucune exception. Allons, reconnaissons-le sans détour, car il est bien compréhensible que l’homme s’essaie à fuir sa condition. Pascal, impitoyable, reconnaît que la condition humaine est assez sombre pour que l’on cherche à la fuir. Il nous faut bannir la solitude surtout, car chaque homme vit son existence comme s’il se trouvait sur une île dont il serait le seul occupant, une île dont il sait qu’elle sera son tombeau comme elle a été son berceau. Terrible image de l’âme humaine prisonnière du corps humain. C’est pourquoi Pascal comprend bien que l’homme essaie d’échapper à cette irréductible solitude en se berçant de l’illusion de partager sa vie avec les autres humains. L’amour.
Il le comprend, mais il nous rappelle durement que c’est en vain, car le vécu ne peut pas se partager. Il sait que ses propos ne peuvent guère être bien reçus, mais il s’en moque, lui qui se voit en soldat de la vérité, soldat d’élite, soldat sacrifié, soldat bientôt mort au combat. La popularité ? Il en ricane encore…
La question essentielle à laquelle il nous ramène comme un animal à l’abattoir, il nous la pose impitoyablement : « Qui suis-je ? ».