Voyage dans des pays qui existent encore
Je reviens de deux voyages successifs, à Prague début septembre puis à Kiev ces jours derniers. Le premier était consacré à fêter le 20e anniversaire de l’IFTG (Institut Franco Tchèque de Gestion) que j’ai créé et qu’Hana Machkova a développé. Cet Institut, considéré par le Ministère des Affaires Étrangères comme l’un des meilleurs d’Europe Centrale a pour partenaire en France l’IAE de Lyon et non l’IAE de Nice, parce que ce dernier ne s’y est pas intéressé. La raison de ce désintérêt fera l’objet d’un autre blog. Puis après Prague, je me suis rendu à Kiev à l’invitation de l’Université Nationale Economique de Kiev (UNEVK). J’y ai été fort bien reçu et un projet de création d’un Institut Franco Ukrainien de Gestion est en gestation. On verra si cette fois l’IAE de Nice s’y intéresse.
De ces deux voyages, tournés l’un vers le passé et l’autre vers l’avenir, je voudrais tirer une idée commune, celle d’avoir visité des pays qui existent toujours, contrairement au nôtre qui a muté vers une autre forme de société.
Lorsque je me suis rendu à la VSE (Vysoká škola ekonomická) de Prague, j’ai rencontré surtout des étudiants tchèques. De même lorsque j’ai visité la UNEVK à Kiev, j’y ai vu des étudiants ukrainiens. Inversement, lorsque je reviens dans mon Université de Nice Sophia-Antipolis, je trouve une population très mélangée, français classiques, je ne sais comment les qualifier autrement, maghrébins, africains, chinois, russes…Et bien sûr cette impression est confirmée dans les rues et les transports en commun. À Kiev comme à Prague, en dehors des touristes, c’est une population autochtone qui s’active, se déplace, se mêle, riches et pauvres, ouvriers, employés, cadres, parents et enfants.
Ici à Nice, c’est une population mêlée, traversée de traditions, d’histoire et de façons de vivre différentes qui se croise, avec une indifférence teintée d’un brin d’hostilité. Je sais comment cela s’appelle et je sais pourquoi. La diversité et ses justifications économiques et politiques.
De l’Irlande à l’Allemagne et de l’Italie à la Suède, l’Europe occidentale attire depuis le sud et l’est une population de toutes origines, attirée par le rêve de la prospérité. C’est ce que l’on appelle la diversité, un atout pour les sociétés qui parviennent à s’enrichir de leurs différences. Mais parviennent-elles à les mêler ? Voyant la Tchéquie et l’Ukraine où les enfants apprennent à poursuivre la façon de vivre de leurs parents, on se demande comment une société multiculturelle peut parvenir à se reproduire en n’enseignant que ce qui est commun à tous. Voyant les enfants ukrainiens visitant respectueusement les églises ou jouant aux cosaques, je me demande ce qui peut rassembler des enfants de toute origine à qui l’on ne peut parler ni des églises ni des Gaulois. Est ce que l’abstraction de la République a une force suffisante pour rassembler chacun autour de valeurs communes si elle ne s’enracine sur aucun passé commun, sur aucune bataille livrée ensemble ? Quel combat devront livrer aujourd’hui ou demain les gens d’ici pour se sentir solidaires ?
En somme, je me demande si nos sociétés multiculturelles sont viables et si elles ne sont pas grosses de conflits interculturels multiples qui risquent de les épuiser et de les détourner du but de toute société, mieux vivre en commun ?
Voyant la Tchéquie et l’Ukraine, comme je vois le Maroc, je trouve pour ma part que les sociétés ou il existe une façon de vivre commune ont bien du charme, un charmé désormais suranné dans le monde occidental…
La construction de "La France"
Je vous ai promis une série sur l’histoire…
Pourquoi l’histoire, puisque je ne suis pas historien ? L’histoire m’intéresse en vertu de son pouvoir d’explication sur les événements du présent et sur ceux du futur. Comprendre la France et son fonctionnement sans connaître son histoire est évidemment impossible. À ce titre, les efforts de tous ceux qui exercent le pouvoir pour manipuler l’histoire sont particulièrement révélateurs.
Pour ma part, en m’appuyant sur les faits et en les interprétant selon mon prisme personnel, je vais vous présenter une vision de l’histoire qui devrait vous apprendre quelque chose du présent et du futur…
Commençons par l'organisation du pouvoir en France. Une des questions les plus pertinentes pour le bon fonctionnement de nos sociétés est celui de la légitimité du pouvoir politique et de ses effets, positifs ou négatifs, sur la vie des populations. À cet égard, l’histoire du pouvoir politique français est pleine d’enseignement pour le présent et le futur de la France. Sous les masques alternatifs de la Monarchie, de l’Empire et de la République, l’histoire de la France est avant tout celle de l’installation d’un système politique qui veille sans cesse à renforcer son pouvoir central, y compris au détriment des libertés et du bien-être de la population qu’il administre. Le mot « France » lui-même, si vous y réfléchissez, est un outil symbolique de manipulation des individus. Est ce que vous avez déjà rencontré « La France » ? Elle est pourtant, cette personne invisible mise en avant en permanence : les principes de « La France », « La France » humiliée, envahie, restaurée…Voyez Charles De Gaulle pour une utilisation extensive du symbole à son usage, toujours au bénéfice du pouvoir politique et plus rarement à l’avantage des Français.
« L’Histoire de France » est l’histoire d’un symbole dont le pouvoir politique s’est servi de tout temps pour se renforcer ou se maintenir, car il existe un rapport intime entre le pouvoir politique et le symbole appelé « La France » : si la seconde disparaît, le premier est complètement remis en question. Il faut donc sauver « La France » non pas tellement pour sauver les Français que pour préserver son système politique. S’il arrive souvent que le pouvoir politique cherche à renforcer la France pour se fortifier lui-même, il n’hésite jamais par contre à sacrifier ses habitants, leur bien être et s’il le faut leurs vies pour rester en place coûte que coûte.
La France, qu’est ce que c’est ? Sur la carte du monde, dans cette partie occidentale du premier continent du monde, l’espace géographique que constitue la France bénéficie de conditions climatiques très favorables. Il s’y trouve rassemblé presque tous les avantages d’un climat tempéré, idéal pour les activités humaines les plus variées. Des plaines, des montagnes, des forêts, des champs, des fleuves, des mers, des océans dont on a célébré en son temps, l’équilibre, l’harmonie, la beauté. Aujourd’hui encore, la France est un des pays les plus visité du monde pour ses paysages, sa qualité de vie et sa culture.
Dans cette zone géographique que l’on appelle donc la France, les conditions de sécurité qui permettaient un développement économique continu ont été atteintes vers le XIIe siècle, dans le cadre fragmenté de royaumes ou de principautés relativement indépendants. Gouvernées par des marchands, des villes semi autonomes émergèrent, qui devinrent des havres de liberté par rapport aux sociétés agraires asservies. On raconte par exemple qu’un jour, le Comte de Flandres croisa sur le marché de Bruges un de ses serfs fugitifs, essaya de le reprendre et fut chassé par les bourgeois de la ville.
C’est justement à ce morcellement que se sont toujours opposés les rois de France, qui ont constitué dès le XIIIe siècle l’ensemble unitaire le plus puissant d’Europe. C’est dans ce dessein qu’ils s’opposèrent tout au cours des siècles à la prétention de l’Eglise de leur dicter leurs conduites. Ils édictèrent à cet effet une doctrine, le gallicanisme, dont l’objectif consistait à s’opposer à l’ingérence du Saint-Siège dans la vie religieuse de la France. La laïcité dont se prévaut aujourd’hui la France est le résultat de la loi de 1905 qui visait, sous couvert de neutralité vis-à-vis des religions, à placer l’Église hors du champ politique et éducatif. Les Rois de France firent de même barrage au protestantisme qui introduisait dans leur royaume de dangereux ferments de liberté.
Est ce que la centralisation du pouvoir en France, qui fait qu’aujourd’hui encore, malgré la décentralisation, de la France le pays le plus centralisé du monde a assuré la prospérité du pays ? Nous verrons dans un prochain blog qu’au plan économique, la centralisation française du pouvoir a tout de suite été un échec.
Pour Jolanta Vaicaitis
Aujourd’hui, les cendres de Jolanta Vaicaitis ont été remises à sa famille qui ira les disperser au-dessus de la Lituanie, sa terre ancestrale, sur la colline des croix. Jolanta mérite que l’on parle d’elle le jour de ses funérailles et que l’on se souvienne d’elle. Son souvenir s’estompera, c’est certain, comme le nôtre plus tard, mais il n’y a aucune raison qu’on l’oublie.
Heureusement, Jolanta a eu deux enfants, une fille et un garçon qui ne l’oublieront pas. Et puis, elle a des amis qui ont partagé ses combats, ses joies, ses souffrances. Ils étaient avec elle, ils le resteront à travers leurs actes et leurs pensées. Si vous croyez que vous pouvez oublier Jolanta, écoutez sa voix, magnifique.
Si vous cherchez Jolanta Vaicaitis sur Google, vous trouverez toute une page qui lui est consacrée. En tête de cette page, le disque vinyl qu’elle a intitulé « Lietuva à Paris », enregistré en France et produit en Australie. Il date de 1984 et contient 28 morceaux de musique, plus émouvants les uns que les autres. Lietuva à Paris, ou la Lituanie à Paris, tout l’amour pour son pays s’exprime par ce titre…
C’était si important la Lituanie pour elle ! il faut dire qu’on l’a tant privée de Lituanie ! Jolanta est née à Melbourne, le 3 janvier 1954, il y a si peu de temps et déjà elle n’est plus. Ses parents avaient réussi à fuir la Lituanie que contrôlait Staline. Ils s'en étaient éloignés le plus possible puisqu'ils ne pouvaient plus y vivre, son père parce qu’il était un artiste, un peintre connu, trop connu peut-être et sa mère parce que sa foi religieuse rendait insupportable ce matérialisme monstrueux dans lequel se vautraient l’URSS et ses satellites, dont faisait partie la Lituanie. Puis les vicissitudes de la vie ont conduit Jolanta et sa mère loin de l’Australie, mais également loin de la Lituanie, à Toronto, au Canada. La musique, la littérature, la poésie étaient ses domaines, et elle y a consacré ses études, plus particulièrement au sujet de la musicologie. Encore une étape, qui la rapprochait de la Lituanie et la voilà en France où elle s’établit et où naissent ses deux enfants. Elle en oublie d’autant moins la Lituanie, puisque la voilà Présidente de la Maison des Pays Baltes qui accueillaient les Lituaniens, les Estoniens et les Lettons qui fuyaient leurs régimes politiques soviétisés.
C’est alors qu’elle devient la chanteuse d'un groupe lituanien. Elle chante en jouant elle-même de la guitare, accompagnée d'un violoniste, d’un flûtiste, d’une percussion…
C’est alors aussi qu’elle se dépense sans compter, Elle chante, elle est musicothérapeute, y compris à l’hopital, elle donne des cours d’anglais. Il s'y ajoute encore la traduction entre le lituanien et le français pour les tribunaux et la police. Car jamais elle n’oublie la Lituanie. La nuit ne la laissait pas toujours en paix, tant elle était devenue celle que l’on appelait lorsqu’un compatriote lituanien se trouvait en difficulté dans quelque poste de police de la région parisienne. Et puis, loin de toute cette humanité tourmentée, elle écrivait des poèmes, elle traduisait des ouvrages du lituanien en français. L’Ambassade de Lituanie, qui lui a rendu hommage aujourd’hui, sait son amour pour son pays et le rôle qu’elle a joué pour rapprocher la France et la Lituanie. Car la France l’intéressait aussi, elle y était chez elle, et elle n’hésitait pas à s’engager, politiquement parlant, en se présentant sur les listes municipales de sa ville, Champigny sur Marne.
De sa vie, de ses engagements, de ses passions, la Toile garde trace. Regardez la page que lui consacre Google. La chanson en premier lieu, puis les manifestations pour défendre les pays baltes opprimés, le centre culturel bulgare qui accueille ses poésies, la musicothérapie dont elle témoigne ; sa protestation, il y a neuf mois à peine, contre la vente projetée du navire Mistral à la Russie (il s’agit toujours de défendre la Lituanie)…
Et dans tout cela, la résistance physique va de soi. Elle veut que son corps suive. Elle ne veut pas l’écouter, il doit lui obéir naturellement et les médecins n’ont pas à s’en mêler. Elle s’oublie dans ses combats, sa musique, sa poésie. C’est cela qui compte. Elle se consume, elle s’affaisse, elle sombre dans l’inconscient, elle disparaît.
Mais on ne peut pas l’oublier. Moi, alors que je la connaissais à peine, je ne peux pas l’oublier, au point de lui consacrer ce blog. Sa voix ne s’oublie pas, ses mélodies, ses poésies restent. Sa vie, sa vie aujourd’hui brisée, me touche profondément. Cette bataille qu’elle a menée pour la Lituanie jusqu’au bout de ses forces est poignante. Quelque chose me dit qu’elle cachait au fond de son cœur une force et une blessure qui l’a fait avancer mais qui l'a aussi anéantie.
C’est pourquoi nous n'oublieront pas Jolanta Vaicaitis, qui nous a quittée déraisonnablement tôt, le dimanche 29 août 2010.