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Le blog d'André Boyer

Churchill

30 Octobre 2010 Publié dans #INTERLUDE

Churchill

Vers 7 heures 30, la lumière sinon le soleil, je ne sais, se lève sur une étendue d’eau et de tourbe, couverte d’une végétation privée d’arbre à peine discernable.

Tout est encore gris, sombre, vide. Si nous étions arrivés à l’heure, nous aurions raté ces paysages faute de lumière. En approchant de Churchill, les arbres reviennent mais rachitiques, écrêtés par le vent et étranglés par le froid. Je me rends une dernière fois dans le wagon-restaurant pour le breakfast usuel avant que le train, après avoir littéralement montré son hésitation à entrer en gare en effectuant une curieuse marche arrière, ne se décide hardiment à nous livrer à la ville de  Churchill.

Tout d’un coup saisis par le froid et le vent, nous sortons du train sous un ciel gris. Jusqu’ici nous avions bénéficié de températures douces, mais c’est bien fini. Tout le monde se rue à la gare pour s’habiller. J’ajoute au pull et à la veste standards, l’imperméable, le foulard, le bonnet et le gant. Le gant parce que je m’aperçois que j’ai pris deux fois la même main, la droite ! je finis par mettre l’un à l’endroit et l’autre à l’envers. Ainsi harnaché, j’avance avec ma sacoche « Université de Nice » à pied dans Kelsey Bd, la rue principale de Churchill, et je sens bien que je ne vais pas marcher bien longtemps dans cette bise, d’ailleurs il n’y a personne à pied dans le boulevard.

Churchill est une ville d’un millier d’habitants, dont l’activité tourne autour de la faune et du port de céréales, en dehors des administrations, de l’hôpital ou de l’école ; sa première activité est certainement le tourisme auquel s’ajoute une forte activité scientifique de surveillance de la faune, qui va jusqu’à mettre en prison les ours réputés dangereux. Je trouve porte close chez la loueuse de voiture ; heureusement, elle a la bonne idée de venir prendre un café au même endroit que moi ! Il faut dire qu’il n’y a pas vraiment le choix pour aller boire un café au chaud.  Les deux sas successifs pour entrer au café témoignent de la violence de l’hiver. J’hérite d’un 4x4 rural, qui porte fièrement à l’arrière une affiche en faveur d’une femme candidate à la mairie de Churchill. Bien au chaud dans le véhicule, c’était le but caché de cette location, je me dirige le long d’Hudson Bay, environné de flou. Le plan indique toute sorte de « curiosités », mais encore faut-il les apercevoir. Moi, je ne vois que du gris sur les 30 Kms de route utile, déjà plutôt des pistes que des routes. Comme j’ai décidé de laisser tranquille les ours blancs, ces pauvres bêtes, car ce qui m’intéresse c’est la façon dont les gens vivent dans cette situation limite, je décide aussi de ne pas m’aventurer tout seul et sans information sur les petites pistes et je reviens vers la civilisation, je veux dire Churchill et son millier d’âmes. L’aventure a ses limites.

Je me rends ensuite dans une sorte de magasin militant en faveur des Inuits où je rencontre la patronne, dans le coin depuis trente ans. Son mari et elle ont dû s’enticher d’une tribu d’Inuit. Si j’ai bien compris, ils se sont mis en tête de ramener la tribu du Grand Nord vers Churchill, et, m’a t’elle dit tristement, une fois à Churchill leurs Inuits ont sombré dans le welfare et l’alcool. À mon avis, son mari et elle auraient mieux fait de les laisser tranquille, les Inuits. C’est fou ce que les gens ont tendance à se mêler de ce qui ne les regarde pas, toujours pour le bien des autres. Quant à elle, elle semblait contente de sa vie personnelle, quatre mois à rencontrer les touristes comme moi et huit mois à rester au calme, bien au frais. 

Sorti du magasin et de la classiquement triste histoire des Inuits, je me décide à faire un tour dans une zone un peu déshéritée entre Churchill et la baie d’Hudson. C’est si déshérité que je vois un panneau qui dit qu’il ne faut pas se promener dans la zone à cause des ours ! J’étais sorti de la voiture, j’y retourne dare-dare, avant de continuer à rouler le long de la baie d’Hudson, grise, venteuse, désertique. Il faut dire que la présence toute proche des ours polaires, ces petites bêtes d’une demi tonne de chair et de muscles, a de quoi inquiéter. Une brochure est remise à tous les visiteurs de Churchill. Elle signale à ceux qui se déplacent seuls, comme moi, à l’extérieur de «  l’agglomération » toute relative de Churchill, de demeurer à proximité de son véhicule et de ne pas oublier que l’on peut croiser un ours à tout moment. Dans ce cas, il s’agit de s’éloigner lentement, en amont du vent si possible. Mais si le vent souffle vers l’ours ? et si finalement l’ours décide de vous attaquer? eh bien, dit la brochure « Tenez bon et soyez prêt à vous défendre ! » contre la bestiole de 500 kilos !

Aussi, chaque fois que je m’arrêtais pour faire une photo, par exemple de la carcasse d’un avion qui s’écrasa non loin de la ville, je regardais, inquiet, si je n’avais pas d’ours derrière moi ! on devient facilement paranoïaque dans une ambiance aussi sombre… 

Puis, selon les indications de la loueuse, j’ai fait le plein à l’unique station-service, j’ai amené la voiture (à moins que ce ne soit l’inverse) jusqu’au modeste parking du modeste aéroport d'où j'allais retourner vers Wiinipeg et laissé la clef au contact : qui volerait une voiture à Churchill, pour aller où ? À l’aéroport, pas de contrôle des bagages ni d’identité, pas de place attribuée, un dernier petit parfum d’exotisme avant de retrouver les masses à Winnipeg !

C’est ainsi que, pendant quelques heures, j’ai côtoyé un autre type de vie, très marginal, selon lequel la priorité est de lutter contre la nature plutôt que contre ses semblables…

 

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De Winnipeg à Churchill: une journée en train

26 Octobre 2010 Publié dans #INTERLUDE

Le lendemain, je m’éveille dans le noir avant 6 heures. Le soleil tarde à se lever. J’ai longtemps cru que nous avancions dans la grisaille, la multitude des arbres gris sombre coulissant le long de ma fenêtre dans une noirceur d’ensemble qui permettait à peine de les distinguer

photo-1-copie-1.JPGEn regardant de prés la cabine, on s’aperçoit que tout a été conçu pour le confort et la sécurité des passagers, comme la place au centimètre prés pour se lever entre le lit et la porte, l’eau potable et non potable, les encoches dans la cabine pour mettre ses diverses affaires, la disposition des prises, les trois points d’éclairage et jusqu’aux deux miroirs, dont l’un surplombe le lavabo, amovible, et l’autre emplit toute la porte. Un petit loquet astucieux en deux parties, l’une coinçant l’autre, permet de bloquer la porte coulissante. Derrière la porte, un curieux rideau qui permet de s’isoler, car la porte ne ferme pas de l’extérieur.

J’avais fini par croire que le soleil ne consentirait à se lever qu’à condition de la faire pudiquement derrière un gros matelas de nuage. Mais non. Une lueur rose apparaît désormais quelque part sur la droite, tandis qu’à gauche les flaques d’eau le disputent aux rideaux d’arbres de plus en plus malingres. Ils ne font pas plus de 6 à 8 mètres. Des bouleaux et des érables sans doute. On ne peut pas dire que l’ambiance soit riante, si bien que je ne peux m’empêcher de ruminer le même genre de mornes pensées qui doivent hanter ceux qui habitent ces contrées désolées, jusqu’à ce que la nécessité d’agir pour survivre ne les contraignent à chasser les idées noires pour se consacrer à l’action.

Mon besoin immédiat est simple, pour ma part : le breakfast. À l’Est, le soleil se lève sur des arbres gris qui défilent devant moi à petite vitesse.  On annonce un court arrêt, cinq minutes, à Wabowden, où l’on arrive avec presque trois heures de retard qui s’expliquent par le passage prioritaire des trains de céréales qui montent décharger leur chargement dans les cargos ancrés à Churchill. Notre train, qui ne transporte que des êtres humains, est sommé de se faufiler entre les chargements de blé.

À Wabowden, on y dépèce le poisson pêché. Des types et des femmes sans trop de dents, rient lorsqu’ils ne savent pas trop quoi répondre, mais le train s’impatiente et siffle trois fois.

À nouveau dans le train face à de faméliques bouleaux qui défilent, plus ou moins bien rangés dans une forêt clairsemée. Quelques heures après, nous arrivons à Thompson. Sous un soleil un peu voilé mais par une bonne température, je suis parti d’un bon pas vers ce que je croyais être la ville de Thompson mais qui s’est révélé n’être qu’une vague zone industrielle. Après de savantes manœuvres, notre train repart avec désormais trois heures de retard sur l’horaire officiel. Qu’importe !

Le soleil tombe, le gris revient tout doucement, le paysage change encore. La mer ou les lacs, je ne sais, succèdent aux forêts inondées. Des bateaux apparaissent, hissés sur les rivages. Hélas, le décor se noie dans mon inconscient alors que je m’endors sur mon siège au point d’avoir bien du mal à basculer le lit et à m’y hisser avant de me rendormir.

Dans ce séjour de deux jours et deux nuits en train, j’ai apprécié son rythme, son confort, son luxe offert à peu de frais, son calme, le côté rétro du voyage, l’espace privatif de la cabine dont j’ai fait mon domaine, une sorte de cellule de moine ambulante, et bien sûr ces paysages infinis, passant des champs aux forêts clairsemées.

Le luxe du Canada réside dans ses espaces illimités qui vous délivrent de ces foules qui viennent vous voler la possibilité de vivre à votre guise.

 

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De Winnipeg à Churchill...En train!

21 Octobre 2010 Publié dans #INTERLUDE

Cela faisant longtemps que cela me démangeait. Saisissant l’opportunité d’un voyage professionnel, j’ai décidé de consacrer trois jours, du 12 au 14 octobre dernier, pour faire un voyage en train vers le Nord du Canada, entre Winnipeg et Churchill, au cœur de la province  du Manitoba au Canada. Ce qui suit est le récit de ce voyage. Pour ne pas vous lasser, cela fera trois blogs…

train-cn 

Au sein du « Friendly Manitoba »

Le voyage commence dans un hôtel par un bon petit-déjeuner très canadien: je prends des forces. L’aventure commence : sans doute plus de liaisons par téléphone. Comment sera le train ? le temps ? l’avion de Churchill repartira t-il dans les temps ?

Quoi qu’il en soit, je quitte l’hôtel pour rejoindre la gare. Winnipeg me fait une drôle d’impression. Je marche vers la gare dans une atmosphère faite de silence et de vide au milieu d’immeubles imposants. La gare est un monument d’une autre époque, le hall monumental est insulté par la présence d’un petit café assez minable. On sent bien qu’il a vu passer autrefois des générations de riches fermiers et de négociants alors qu’aujourd’hui il ne voit plus que des pauvres, des touristes et des nostalgiques.

Au guichet qui délivre les billets officie un employé à moustache, très canadien des années cinquante. Je ressors à la recherche d’un magasin pour acheter des douceurs pour le voyage. J’en déniche un, bien caché dans un immeuble anonyme, au bord de la semi autoroute où se ruent les manitobains entre deux feux rouges. Petit magasin biscornu, très fréquenté comme si c’était le seul lieu de vie à des centaines de mètres à la ronde. Je reviens à la gare pour entrer dans une salle d’attente d’autrefois, toute sombre, peuplée de vieilles ombres. Ce train n’attirerait-il que des vieillards nostalgiques des voyages d’antan ? vais-je être le benjamin ridicule de ces voyageurs dépassés par la marche inexorable du progrès ?

Les quelques dizaines de voyageurs entrent en file indienne dans la train, bine filtrés par deux portes, l’une pour les pauvres, l’autre pour les riches en wagons-lits. Dans cette dernière zone où je me trouve, il n’y a que des vieux assez décatis. Comme, en plus, les employés du train sont effectivement courtois, on peut définitivement en conclure que c’est bien un voyage dans le passé. Je commence par m’enfermer dans la cabine, que je perçois tout d’abord comme se situant à mi-chemin entre la cellule haute sécurité et les wagons-lits des fifties, avant de me l’approprier. C’est un espace restreint doté d’un wc, d’un siège pas trop confortable, d’un lit encastré dans la cloison, d’un lavabo et, hourra, de deux prises !!!! l’ordinateur et l’iphone sont sauvés !

Je prends possession de ce royaume pour 46 heures, espace privé face à l’immensité de la prairie. Il est midi. Le train sort de la ville, passe un pont, longe un immense espace où courent des enfants en récréation, puis s’avance lentement au milieu des champs, longe des fermes, croise des routes où foncent d’immenses camions…

Sonne rapidement l’heure du repas au wagon-restaurant aux prix modestes. Peu de monde pour le premier repas. À ma gauche un vieux et une jeune, cette dernière un peu hystérique dans le genre anglo-saxonne anguleuse. En les saluant, je découvre qu’ils sont australiens avant de comprendre plus tard qu’ils ne sont pas vraiment passionnants à fréquenter.

Dans ma cabine située à l’ouest, le soleil tape étonnamment fort. Je vois défiler des champs, des pâturages, des terrains vagues mais pas de forêt. Je somnole, assommé par le décalage horaire de sept heures, entendant vaguement la corne du train beugler à chaque approche de route, de piste, de maison, c’est-à-dire tout le temps. Nous finissons par nous arrêter  à Dauphin, une petite ville déjà très calme où les gens semblent avoir du mal à s’y bousculer. J’aime cela, cette impression de pays du bout du monde.

Le train repart, le dîner arrive, le soleil tombe, le paysage change, des collines surgissent, des arbres un peu rachitiques défilent, des bœufs, des vaches se montrent. Nous partons vers l’ouest, traversant un bout de Saskatchewan. Le tracé de la voie a dû en effet éviter les énormes étendues d’eau qui barrent le passage, d’où ce crochet vers l’Ouest avant de reprendre la direction du Nord, vers Churchill. En tout, le trajet Winnipeg Churchill s’étend sur 1700 Kms.

Face au soleil qui tombe, le paysage défile, somptueux dans ses couleurs roses de plus en plus passées. Tout d’un coup, on traverse de sombres forêts grises au fond d’une vallée perdue qui serpente vers nulle part. Puis la nuit tombe, le ronronnement du train me berce jusqu’à ce qu’un silence insolite ne me réveille brusquement. Nous venons en effet de nous arrêter à Canora. Il fait frais dehors. Face à la gare, une rue centrale qui ne déparerait pas dans un western : de petits immeubles à un étage,   des cafés violemment éclairés et quasiment vides. Dehors, personne. Une boutique, fermée à cette heure, vend de « l’huile arctique » censée soigner tous les maux. Un café Wong, tout à fait chinois.

Au coin de la rue à gauche, un hôtel café. J’y entre. Des machines à sous, un bar, une grande salle, quatre personnes au bar qui me regardent, intriguées par l’arrivée insolite d’un client, de plus inconnu. Sur le mur, des photos d’enfants recherchés, des amendes surréalistes censées punir les gens qui auraient l’audace d’y apporter leur boisson. Le local présente toutes les caractéristiques  d’un vrai saloon de western, sauf les armes à feu. Canora est peuplée d’éleveurs de porcs et de bétail.

Après Canora et les manœuvres subtiles et mystérieuses du train qui stoppe puis fait marche arrière peu après avoir abandonné à leur solitude les éleveurs de porcs, il est temps d’aller dormir après tant d’émotions !

 

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Comment faire des enfants, en Russie et ailleurs?

17 Octobre 2010 Publié dans #ACTUALITÉ

Un remarquable article de la Nezavissimaïa Gazeta évoquait récemment l’inquiétude que suscite la démographie russe, puisque l’on prévoit la disparition totale de cette population dans un siècle et demi à peine si elle reste sur la pente descendante d’aujourd’hui. L’écart entre les naissances et les décès y est actuellement négatif, d’un million de personnes chaque année. Ce déséquilibre ne provient ni d’une famine, ni d’une épidémie, ni d’une guerre, mais de trois phénomènes concomitants, le principal d’entre eux concernant  non seulement la Russie mais toute l’Europe, France comprise, et à terme l’espèce humaine dans son ensemble.

images-copie-15.jpegOn peut écrire en effet que la Russie se vide de trois manières convergentes, par l’immigration qui résulte de l’attractivité de pays plus riches ou plus agréables à vivre, par la surmortalité, en particulier masculine et par la faiblesse du nombre des naissances. Laissons ici de côté l’immigration et la surmortalité qui appellent des analyses spécifiques à la Russie, pour nous consacrer à la faiblesse des naissances qui est une question qui est posée à l’Europe tout entière, sinon au  monde entier.

En Russie, deux tiers des femmes ne mènent pas leur grossesse à terme parce qu’elles n’utilisent pas assez la contraception. Mais si l’avortement était interdit, il n’y aurait pas plus de naissances pour autant, comme le prouvent les chiffres de la natalité polonaise, tout aussi bas que ceux de la Russie. Ce ne sont donc pas les mesures contraignantes qui sont la solution. Cette solution, c’est, dit-on, l’amélioration des conditions matérielles. Les sondages le confirment puisque les femmes russes évoquent en majorité leur trop bas revenus et l’absence d’un logement convenable pour expliquer leur refus d’avoir des enfants. En 2006, Poutine a doublé l’allocation parentale ce qui a eu pour effet d’accroître, un peu, la natalité. Mais lorsqu’on questionne les femmes russes un peu plus en profondeur, elles avouent tout simplement ne pas vouloir d’enfant : elles veulent bien en avoir un à la rigueur, « s’il le faut », deux à l’extrême limite, mais trois jamais ! Or il en faudrait justement trois pour redresser la démographie russe…

La première leçon que nous pouvons tirer de ce que l’on sait de la démographie, c’est que l’État n’a pas la possibilité d’acheter des enfants. Les gens font des enfants pour eux-mêmes, pas pour le pays. La principale explication de la faible natalité est que les parents potentiels ne ressentent pas le besoin d’avoir des enfants. Et c’est une conclusion universelle. Le système de vie a radicalement changé. De nos jours, il est indispensable d’acquérir un bon niveau de connaissance pour entrer dans la vie active, ce qui retarde l’entrée dans la vie de couple. Quant à la naissance d’un enfant, elle bouleverse le quotidien des parents, les éloigne de leur travail et gêne leur carrière, à commencer par celle des femmes. Mettre plusieurs enfants au monde signifie tout simplement pour une femme sortir pour longtemps du marché du travail.

De plus, les fonctions de la famille se transforment et les relations entre ses membres aussi. Dans le modèle de la famille patriarcale qui est en train de disparaître partout dans le monde, les enfants étaient une assurance-vieillesse pour les parents et le respect des anciens était sanctifié par la société. Il s’agissait d’investir dans les enfants pour assurer son propre avenir. Aujourd’hui, tout est changé. Les enfants mènent dés leur plus tendre enfance une vie séparée de celle de leurs parents, passant de la crèche à la maternelle puis à l’école, au collège, au lycée avant d’entrer à l’université pendant que les parents ont leur temps d’activité totalement empli par leurs activités professionnelles. Une fois formés, les jeunes diplômés ne profitent pas à leurs parents mais à la société dans son ensemble. Le lien entre les générations se délite, les enfants deviennent un luxe dont on peut se passer. Quant aux enfants, ils considèrent  les vieux comme une charge encombrante, sauf  lorsque ces derniers continuent à les aider, en gardant leurs propres enfants ou en apportant une aide financière. En tout cas, puisque les enfants ne voient pas comment ils pourraient garder leurs vieux parents chez eux,   les vieux finissent presque toujours à la maison de retraite et c’est une pénible corvée que d’aller les visiter.

De ces observations, il résulte que la chute de la natalité est la conséquence de la modification des idéaux qui régissent nos sociétés. Nous avons un besoin inextinguible de consommation qui est contrarié par des enfants qui coûtent cher, de plus en plus cher. D’un autre côté, ce n’est pas notre descendance qui va assurer notre avenir, mais notre richesse accumulée et nos systèmes de retraite.

La leçon de ce constat est claire : pour que les couples fassent plus d’enfants, il faut renouer le lien entre d’une part le niveau de vie et le statut social des adultes comme des personnes âgées et la natalité d’autre part. Puisque la relation matérielle directe qui existait entre les générations a été rompue par l’évolution de la société, cette dernière doit la restaurer ou disparaître faute d’enfants. Pour cela, la situation matérielle des gens, leurs revenus, leur place dans la société, leur carrière et le montant de leurs retraites doivent dépendre de leur travail, de leur ancienneté, mais aussi du nombre d’enfants élevés et du soin avec lequel ils l’ont été.

En résumé, sauf à se résigner à voir disparaître des sociétés et des cultures faute d’enfants, il faut qu’élever des enfants  redevienne rentable et fashionable. Aux législateurs de jouer, en Russie, en Europe, en Chine, au Japon et bientôt partout dans le monde.

  

 

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Sua Emittenza ou la puissance et la limite du symbole

8 Octobre 2010 Publié dans #ACTUALITÉ

Les gestionnaires ne peuvent guère ignorer les phénomènes que l’on regroupe aujourd’hui sous le terme de mondialisation. En affaiblissant les solidarités collectives, ces derniers provoquent en retour une volonté politique de contrôler le processus de transformation économique et sociale. Or les entrepreneurs sont bien placés à la fois pour comprendre les difficultés du changement et les mécanismes de contrôle des opinions publiques, car ils connaissent depuis longtemps le rôle joué par les médias pour faire parvenir au public leurs messages publicitaires, valoriser leurs marques et mettre en valeur l’image de leurs entreprises.

silvio-berlusconi_6_465250a.jpgC’est dans ce contexte que la désignation de Silvio Berlusconi au poste de président du Conseil de la République Italienne en décembre 1994 puis en mai 2001 a soulevé les passions, dans la mesure où il a pris le pouvoir politique à partir de l’emprise qu’il possédait sur la télévision commerciale italienne. Mais on aurait tort d’oublier que son accession au pouvoir découle avant tout de la symbolique globale qu’il a su offrir aux Italiens.

Les médias ont justement insisté sur le rôle de la Télévision dans l’ascension de Silvio Berlusconi, le surnommant « Sua Emittenza », l’Éminence des ondes.  Il a en effet contribué à montrer que la communication politique était désormais un spectacle de masse, diffusant un message politique fondé sur des enquêtes d’opinion censées établir la volonté du peuple, comme l’entreprise s’appuie sur des études de marché pour modifier ses produits. Mais on sait depuis toujours dans les entreprises que le message et son contenu ne peuvent pas être séparés. Silvio Berlusconi a réussi pour sa part une extraordinaire synthèse entre son personnage, le message qu’il veut faire passer et les moyens qu’il a mis en œuvre.

Pour comprendre cette synthèse, il est nécessaire d’observer le chemin parcouru. Silvio Berlusconi a débuté sa carrière en construisant un quartier résidentiel, puis une ville satellite, tous deux dotés de services intégrés permettant de vivre en circuit fermé. Très rapidement, il y installe une télévision privée par câble, puis, lorsqu’il est mis fin au monopole public de la TV en Italie, il contrôle progressivement vingt chaînes de TV sur l’ensemble du territoire italien, tout en créant Fininvest qui regroupe pas moins de trois cents sociétés. Désormais première fortune italienne, il accède à la fonction de Président du Conseil de la République italienne.

Dés l’origine, il a toujours imaginé de s’adresser globalement à ses clients, depuis des services complets pour l’habitat jusqu’à l’offre de Fininvest comprenant les médias, la grande distribution, en passant par la publicité, les assurances et les produits financiers. Il a poussé la logique de cette démarche jusqu’à  une offre politique globale. 

De quelle offre s’agit-il ? Silvio Berlusconi s’adresse à des Italiens en quête d’unité nationale, qui doutent de leur Etat et qui sont fervents de l’esprit d’entreprise. Lui-même symbolise l’ordre, le neuf et la propreté. C’est une offre qui est cohérente avec son image d’entrepreneur italien, de self made man et d’homme respectueux. Par son activité et son apparence, il personnifie le symbole du manager gagnant, bronzé, souriant, riche et élégant. Le symbole est aussi en concordance avec la culture médiatique diffusée par la télévision berlusconienne qui mêle l’éloge du travail acharné et l’idéalisation de l’entrepreneur.

Célébrant les vertus de la libre entreprise, il était logique aussi que Silvio Berlusconi appliquât à la direction de l’État italien les techniques de communication qu’il employait dans ses rapports avec les clients de ses entreprises. De même, il était naturel qu’il transformât ses équipes politiques en équipes de vente organisées en commandos commerciaux et qu’il donnât à l’Italie une image sportive, client d’œil en direction à la fois du sport et de la compétition internationale  : Forza Italia !

En procédant ainsi, il a mêlé les techniques de management de l’entreprise et celles du pays, comme si l’État n’était qu’une macro entreprise répondant à la demande de ses citoyens consommateurs !

Mais à se concentrer trop sur l’analogie des techniques, on risque d’oublier la valeur symbolique du leadership. Silvio Berlusconi personnifie avant tout la réussite italienne. Il est l’exemple à suivre, l’homme capable d’appliquer à l’État italien les recettes qui ont si bien réussi dans ses affaires et le « professore », susceptible d’apprendre à ses citoyens les règles du succès individuel et collectif. Il contribue de la sorte à nous révéler le rapprochement qui s’opère sous nos yeux entre le consommateur et le citoyen, le premier devenant demandeur d’une offre complète qui est presque celle du citoyen, le second devenant plus attentif aux signes qu’aux discours, programmes et autres engagements, engagements qu’il est disposé à oublier plus vite encore que ceux qui les ont formulés.

Inexorablement, que ce soit pour Sylvio Berlusconi ou pour n’importe quel autre dirigeant vendeur de symboles, d’images et de rêves, le jour finit par se lever sur les difficultés pratiques. Des résultats financiers médiocres éclipsent les brillantes prestations médiatiques et les admirables manœuvres stratégiques. Des indicateurs négatifs font lever les orages politiques. C’est l’instant où le charme de la symbolique n’opère plus.

C’est alors que l’on commence à apercevoir, derrière les ruines des mythes effondrés, un nouveau magicien qui s’apprête à user de ses sortilèges sur la foule en attente…

 

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Dés l'origine, un peuple accablé sous le poids du pouvoir royal

3 Octobre 2010 Publié dans #HISTOIRE

Dans le blog intitulé « La construction de la France » publié le 16 octobre dernier, je soulignai que les rois de France avaient constitué dès le XIIIe siècle l’ensemble unitaire le plus puissant d’Europe. La question que je posais était d’observer retrospectivement cette centralisation du pouvoir avait assuré la prospérité du pays ?

1223184619067.jpegOr, au plan économique, la centralisation française du pouvoir a été tout de suite perçue à l’extérieur comme un échec, une erreur, une erreur qui persiste depuis plus de huit siècles. C’est ainsi que  John Fortescue, qui combattit le roi de France pendant la guerre de Cent Ans, mentionne dans son essai, De laudibus legum Angliae (1470),la mauvaise gestion de la France par comparaison avec celle de l’Angleterre. Il observe que le Roi de France a tellement appauvri son peuple que ce dernier peine à survivre. Il s’étonne par exemple que, contrairement à l’Angleterre, les gens en France boivent de l’eau et non de la bière ou du cidre, se nourrissent de pain noir au lieu de pain blanc, ne peuvent pas consommer de la viande mais seulement un peu de graisse et des tripes. Il note que les gens en France ne portent pas de laine mais des blouses de canevas ou des braies qui ne descendent pas en dessous du genou et que leurs épouses et leurs enfants vont nu-pieds. Et bien sûr, qu’ils n’ont ni armes, ni argent pour en acheter.

L’étonnement de Fortescue porte sur le fait que les Français puissent vivre dans la pauvreté la plus extrême alors qu’ils habitent le royaume le plus fertile du monde. L’image que donnait alors la France était celle d’un pays tellement mal gouverné et surexploité qu’il rendait pauvres ses habitants alors que toutes les conditions étaient réunies pour qu’il soit riche. Mais la préoccupation première du roi ne pouvait pas être celle de la prospérité de ses sujets, qui aurait supposé des bouleversements dans l’ordre politique qui auraient nui à son pouvoir.

Un siècle après Fortescue, Machiavel, qui n’a pas seulement écrit « Le Prince », trouve les rois de France « plus gaillards, plus riches et plus puissants qu’ils ne le furent jamais », dans son « Rapport sur les choses d'Allemagne » écrit en 1508, (Oeuvres complètes, La Pléiade, 1952, p 139). Cette force des Rois de France provient d’après lui de la taille toujours plus vaste du domaine qui appartient en propre au Roi de France et de la soumission de ses vassaux. Aucun ne peut lutter contre le roi, contre lequel les puissances voisines ont également du mal à faire face. Cette soumission a un revers, note Machiavel, car elle affaiblit le peuple : « Le reste de la population, roture et gens de métier, est tellement asservie à la noblesse et bridée en toute chose qu’elle en est avilie.[1] ». Or, ajoute t-il, « la France, grâce à son étendue et à l’avantage de ses grandes rivières, est grasse et opulente, les denrées et la main-d'oeuvre y sont à bon marché, sinon pour rien, à cause du peu d’argent qui circule parmi le peuple ; c’est à peine si les sujets peuvent amasser de quoi payer leurs redevances, si minces qu’elles soient (…) Tandis que nobles et prélats prélèvent, le Roi n’a pas besoin de dépenser trop en forteresses, grâce à la parfaite soumission de son peuple, humble et vénérant le Roi, vivant à peu de frais »[2].

Ces deux témoignages anciens montrent déjà une France accablée sous le poids du pouvoir royal. Car, depuis le règne de Philippe le Bel, le pouvoir du roi s’appesantit sur un espace de plus en plus étendu et une population toujours plus nombreuse. Ce pouvoir cherche à contrôler au plus prés un peuple qui s’efforce d’éviter des impôts toujours plus lourds, du fait des ambitions guerrières du royaume, de ses coûts d’administration jamais satisfaits et des goûts de luxe des privilégiés au pouvoir. Ce dernier ne se préoccupe guère de créer les conditions de la prospérité du pays, sinon pour dégager des capacités d’imposition plus fortes.

 Je crains que l’on en soit encore au même point aujourd’hui en France. L’histoire montre que jamais, lorsqu’il fut en position de force, le pouvoir central qui est passé du Roi à l’Empire ou à la République ne s’est départi de ses prérogatives, cherchant tout au contraire à en rajouter presque toujours de nouvelles, sans se préoccuper des effets négatifs qu’il pouvait engendrer sur la prospérité ou le bonheur de ses sujets ou de ses citoyens. Il a au contraire sans cesse cherché à légitimer son action coercitive plutôt que de la restreindre.

C’est cette recherche incessante d’un contrôle toujours accru de la société française que nous allons examiner à la lumière de l’histoire, un contrôle qui s’accroît sans désemparer depuis la fin du XIIIe siècle.

 



[1] Machiavel, opus cité, p 137.

 

[2] Machiavel, opus cité, p 139.

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