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Le blog d'André Boyer

Coup de force à Madagascar

29 Novembre 2010 Publié dans #INTERLUDE

Pour autant que je le sache, c’est une histoire vraie. Elle m’a été racontée par le fils de Cyprien.

madagas-carte.gifCela se passe au sud de Mananjary, située le long de l’interminable côte est de Madagascar. Il est vingt trois heures trente. Les craquements, les hululements, les aboiements bercent comme d’habitude le sommeil des quelques dizaines de paysans qui entourent Cyprien, le jeune patron chinois de la plantation.

À force d’économies, de solidarité familiale et surtout « d’affaires » plus ou moins juteuses, il a acheté, voilà bientôt six ans, une plantation de trois cent cinquante hectares en bonne partie plantée en cafiers, que lui a cédé un vieux colon français parti vivre sa retraite sur la Côte d’Azur. Depuis, il a travaillé dur, trop dur, ne rêvant que de gains toujours plus importants, traçant un jour une piste au bulldozer, constamment à l’affut de nouvelles méthodes de lutte contre les parasites, toujours prêt à améliorer ses techniques, sans relâche sur le dos des paysans.

Il est vrai qu’il a commencé tout petit. Dés sa plus tendre enfance, il a appris de ses parents fraichement immigrés de Canton comment grappiller un quart de centime en donnant un petit coup de pied discret sous la balance pour la rééquilibrer furtivement. Parti de si bas, avec une telle obsession du moindre gain, le paiement de soixante-cinq tonnes de café l’année dernière, en 1975, fut pour lui une jouissance infinie, une recette payée en francs CFA, en espèces  sonnantes et trébuchantes.

Cette nuit-là, ses rêves sont peuplés d’images de prospérité, avec à ses côtés son fidèle réveil crème qui sonnera comme tous les matins  à quatre heures trente précises. Il est propriétaire, il gagne de l’argent, plus que ses parents n’ont jamais imaginé en gagner, il est normal qu’il travaille. Tout est simple, tout est bien.

Dans le lointain, un bruit inhabituel se fraie petit à petit une voie dans la conscience du dormeur, un bruit de moteur lent, haché. Le bruit s’amplifie et quand Cyprien comprend que c’est un bruit de pales, il se lève en sursaut, ouvre les fenêtres dans la nuit avant même de comprendre. C’est que les événements, à cet instant, vont plus vite que sa conscience. Il n’a pas encore compris la nature de ces deux ombres noires qui surgissent brusquement au-dessus de la forêt pour se précipiter vers la grande clairière qui entoure la maison de maitre et ses dépendances, que les deux hélicoptères se sont déjà posés.

Cyprien ne comprend pas. Le Président vient lui faire une visite surprise ? ou bien il a une avarie et il doit se poser en catastrophe ? Cyprien a des amis un peu partout, y compris dans le nouveau gouvernement. Mais la situation politique est devenue instable. Au Président Tsiranana a succédé depuis octobre 1972 une transition militaire dirigé par le Géneral Gabriel Ramanantsoa. Ce dernier  a été récemment remplacé par le capitaine de frégate Didier Ratsiraka, qui a proclamé l’avènement de la République Démocratique Malgache, le 21 décembre dernier. Plus curieux qu’inquiet, Cyprien s’habille rapidement, descend les escaliers et se précipite dehors au moment même où les portes du premier hélicoptère MI 8 s’ouvrent.

Il en surgit une dizaine de parachutistes casqués et mitraillettes au poing qui prennent position autour des bâtiments de la plantation sans prendre garde aux aires de séchage, imités par un deuxième groupe qui dégorge de l’autre hélicoptère. De leur côté, réveillés en sursaut par le vacarme, les employés de la plantation sortent de leurs lits, éberlués par cette brutale intrusion. Face à Cyprien, un lieutenant parachutiste du 1er RIAM[1] se présente. Ce n’est pas un Mérinas, ni un Betsimisarakas ni un Betsileo[2], mais un côtier.  

On ne pourra donc pas discuter avec lui, pense Cyprien, qui craint tout d’un coup le pire, et c’est bien ce qui lui tombe dessus tandis que le vent se met à secouer les caféiers, car le lieutenant, au garde à vous et dans une tenue exagérément impeccable, lui transmet des ordres sur un ton glacé :

« Restez où vous êtes. Lisez ce document. C’est un ordre de saisie. Votre propriété est nationalisée, dans sa totalité. À partir de cet instant, vous ne devez toucher à rien. Vous pouvez cependant dormir encore ici ce soir, sous notre protection. Nous attendons l’arrivée de l’administrateur chargé de gérer ce domaine au nom de l’Office National du Café. Vous quitterez ensuite la plantation en n‘emportant que vos affaires personnelles. Les ouvriers restent, ils sont réquisitionnés par la République Démocratique. » Cyprien, atterré, ne trouve pas d’autre question à lui poser que de lui demander quand il sera là, cet administrateur. « Dans quelques jours. » Et il connaît lui, le lieutenant, la raison de son expropriation ? « Ordre de la République Démocratique de Madagascar ».

Trois semaines plus tard, Cyprien a quitté la plantation. Pendant un mois, il a erré, abattu, à Mananjary. Puis il a pris un avion pour Paris. Avec l’argent de la dernière récolte de café qu’il a réussi à soustraire en partie au blocage des fonds opéré dans les banques malgaches, il a ouvert un restaurant chinois dans la capitale et il a pris la nationalité française.

La nostalgie de la Grande Ile ne l’a pas quitté. Il pense souvent à ses vieux amis de là-bas, dont certains font partie du gouvernement malgache. Il ne leur en veut pas d’avoir nationalisé ses biens. Il est un peu triste d’avoir perdu cette harmonie qu’il avait brièvement réussi à réaliser entre sa prospérité, la vie familiale et la liberté dans l’espace malgache. Il parle avec pudeur de la misère de ses ouvriers abandonnés à leur sort. Il le sait, ces derniers se débattent pour survivre, qui sur place, qui à Antananarivo, vivant à quatre dans une chambre du maigre salaire de l’un, de la bourse de l’autre, des broderies sur nappe du troisième et des revenus de mendicité du dernier.

La vie est dure pour eux d’autant plus qu’ils savent que l’ancienne plantation est quasiment abandonnée. De cyclones en inondations, la route qui mène à la plantation s’est effondrée. Il faut sortir le café de la plantation en pirogue, à la force des pagaies, non sans que les esquifs parfois ne se renversent, noyant les drupes. Une bonne partie de la récolte pourrit sur place, faute de sécher les drupes à temps. L’administrateur habite à Mananjary. Il ne sait que dire aux paysans qui ne savent que faire et l’Office National du Café ne parvient à tirer de la plantation que deux misérables tonnes de café par an, au lieu des soixante-cinq qu’obtenait Cyprien sur des terres dont il espérait qu’elles lui donneraient un jour deux cents tonnes.

      Mais tout cela, c’est fini, à quoi bon rêver ? Les regards tristes croisent d’autres regards tristes et personne n’en veut à personne. Le long terme n’est pas fait pour eux.

 

 

 

 



[1] Le 1er RIAM (Régiment Inter Armes Malgache), constitué en 1960, comprend notamment une compagnie parachutiste basée à Antananarivo.

[2] Les Merinas constituent la population qui occupe la partie nord du centre de Madagascar, les Betsimisarakas occupent la majeure partie du littoral oriental de l'île, depuis la région de Mananjary au sud jusqu’à celle d’Antalaha au nord et les Betsileo forment les populations occupant la partie sud des terres centrales de Madagascar. Ces groupes ethniques sont brouillés depuis deux siècles avec les populations de la côte ouest, les côtiers, en majorité d’origine africaine. 

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Que fait le marketing?

26 Novembre 2010 Publié dans #PHILOSOPHIE

pub-nike-write-the-futurCertains lecteurs de ce blog m’ont parfois reproché de ne jamais y traiter du marketing ou du management. C’est que je l’enseigne quotidiennement et je souhaite que ce blog soit l’expression de l’ensemble de mes préoccupations et qu’il soit un lieu de partage d’idées sur le monde et sur la vie en général. Mais après tout, le marketing et le management n’ont pas lieu d’en être totalement exclu et je m’essaie aujourd’hui à un premier blog sur le sujet.

S’il ne peut pas être exclu de nos préoccupations d’ordre  général, c’est que les techniques du marketing contribuent fortement à modifier le monde dans lequel nous vivons. Par exemple, l’utilisation du téléphone portable, qui nous est tout à fait indispensable aujrd’hui, nous était inconnue il y a quinze ans. Or, si on nous privait maintenant de ce jouet qui est devenu un élément indispensable de notre vie courante, nous manifesterions dans la rue en masse. La technologie et ses évolutions a un effet majeur sur les changements de notre façon de vivre, mais chaque innovation technique est adossée à  un immense effort de persuasion qui fait appel aux techniques du marketing.

Même en dehors des changements technologiques, le marketing ne crée pas de besoin, mais il influence fortement nos choix par exemple dans le domaine vestimentaire ou pour nous mobiliser pour des causes humanitaires, pour prendre deux exemples parmi mille. Il fait tout ce qu’il peut pour peser sur notre comportement, en ce qui concerne la consommation mais aussi en politique, ou en matière de santé. Ce qu’il cherche à faire, c’est nous faire acheter un produit et tout aussi bien nous faire voter pour quelqu’un ou nous pousser à ne plus fumer ou à trier nos déchets. Dans le domaine public, il vient au secours de la loi afin d’obtenir de nous une adhésion plus volontaire que contrainte.

Bien sûr, il ne peut pas aller tout à fait contre nos attentes ou nos désirs. Il doit en tenir compte, mais il peut les orienter et il ne s’en prive pas ! Tout est dans le symbole, c’est-à-dire la signification que chacun d’entre nous donne à son achat ou à tout autre acte. 

Par exemple, si j’achète des chaussures Nike, je sais bien que je ne vais pas courir plus vite que si j’achète des chaussures Reebok ou Adidas. Mais avec ces chaussures Nike, « j’écris le futur », comme le raconte le clip de trois minutes réalisé pour la Coupe du monde de football. Trevor Edwards, le directeur marketing de la marque estime d’ailleurs que ce fut une des meilleures publicités jamais réalisée pour Nike. Pour ce clip, il a mobilisé un grand réalisateur, Alejandro Gonzalez Inarritu, et un grand nombre de stars du football comme d’autres sports, comme Ronaldinho, Homer Simpson, Gael Garcia Bernal, Kobe Bryant, Wayne Rooney ou Roger Federer, autour du thème  « et si ? » Et si le poteau avait été rentrant, et si Wayne Rooney n'avait pas taclé comme cela ou le contraire ? chaque star écrit son avenir en prenant une décision au temps présent. Bien sûr, la marque espère attirer l’attention sur son nom et ses produits, de manière à ce que, par analogie, l’acheteur de chaussures Nike estime également qu’il « écrit le futur » grâce à cette acquisition.

Le but du marketing, dans ce genre d’opération publicitaire, c’est de donner à la consommation du produit qu’il met en vedette une signification qui dépasse les fonctions simples du produit. Ce qu’ambitionne Nike pour nous, ce n’est pas de nous vendre des chaussures, mais d’écrire le futur avec nous et les chaussures qu’il nous a vendues.

En somme, on peut écrire que le marketing cherche à nous faire acheter un produit non pour ce qu’il fait, mais pour ce qu’il signifie.

 

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Les étranges défaites de la Guerre de Cent Ans

21 Novembre 2010 Publié dans #HISTOIRE

Dans le Blog du 11 novembre dernier, je présentai le règne de Philippe le Bel, créateur du pouvoir centralisé de l'Etat Français. Après son règne, les XIVe et XVe siècles sont des temps de crise, notamment en raison de la Peste. La guerre de Cent Ans qui se déroule en France à partir de 1328 n'est pas une guerre populaire mais une guerre entre deux factions du pouvoir central. Elle est encore aujourd'hui révélatrice de la manière dont la France est gérée. 

bataille-crecy-france_-1157402.jpgLa guerre de Cent Ans présente un double intérêt pour notre époque moderne, par ses motifs et le résultat des batailles. Par ses motifs, car cette guerre a eu lieu parce que les cercles du pouvoir en France ne voulaient pas céder leurs prérogatives, quoi qu’il en coûte au pays. Elle est le résultat du conflit entre deux prétendants au pouvoir de la superpuissance qu’était alors la France. En 1328, Philippe de Valois a été  choisi comme Roi de France parce que l’entourage du roi défunt, son cousin Charles IV Le Bel, ne voulait pas être évincé par l’équipe du roi d’Angleterre, Edouard III, pourtant petit fils de Philippe le Bel alors que Philippe de Valois n’est que son neveu.

C’est un décision que l’on présente comme l’expression d'une conscience nationale naissante : les pairs de France refusent de donner la couronne à un roi étranger, en pratique à un roi qui leur est étranger. Mais est-ce l’intérêt de la France que de déclencher une guerre dynastique ? Ils ne se posent pas la question, donnant la priorité au maintien du pouvoir sur toute autre considération, ce qui est une figure qui se retrouve tout au long de l’histoire de France.

La guerre de Cent Ans est aussi intéressante, pour notre époque, par le résultat des batailles. Elle met en relief l’inefficacité de l’armée française, qui s’appuie sur un pays exploité, démoralisé, appauvri par Philippe Le Bel et ses successeurs. Philippe VI, le nouveau roi a laissé  pour sa part la réputation d’un grand fêtard, selon le chroniqueur  Jean Froissart. Il  envoie à la bataille de Crécy ses chevaliers accompagnés d’une mauvaise piétaille, composée à cinquante pour cent de mercenaires génois. Ils trouvent en face d’eux une petite armée d’un modeste royaume. D’un côté quinze millions d’habitants, de l’autre trois millions, et ce sont les seconds qui gagnent !

En effet, à la bataille de Crécy (1346), trente mille hommes d'armes français et génois qui font face à moins de sept mille anglais, et ces derniers les bâtent à plat de couture. La victoire des Anglais à Crécy a été la victoire de l'obéissance sur l'indiscipline, de l'organisation sur l'imprévoyance, de l'arc anglais sur l'arbalète génoise, du commandement anglais sur le commandement français. Elle fut la première d’une longue série de batailles perdues par un pouvoir français arrogant, désorganisé et prodigue du sang de ses soldats. De Crécy à Mai 1940, les étranges défaites de la France se sont succédées, qui n’ont qu’une explication commune : un pouvoir central incapable de rassembler le pays autour de lui pour livrer bataille. Preuve en est à l’époque que les paysans français, loin de se mobiliser pour le roi de France comme le laisse entendre la belle histoire de Jeanne d’Arc, ont fui autant qu’ils l’on pu la mobilisation pendant toute la guerre de Cent Ans.

À partir de 1347, ce ne fut que successions de défaites, de révoltes, de complots, de trahisons, de capitulations. Le royaume de France en profita pour inventer l’impôt permanent, sous la forme d'une gabelle sur le sel, de taxes indirectes et d'impôts directs levés sur chaque feu : les fouages. Petit à petit, des trêves interrompirent la guerre qui reprit sporadiquement jusqu’au mois d’août 1415, date à laquelle le Roi Henry V d'Angleterre débarqua dans l'estuaire de la Seine.
azincourtarchersPour l’arrêter, Charles VI envoya à sa rencontre une armée forte d'environ vingt cinq mille hommes.

Henry V, quant à lui, ne disposait que de six mille hommes. Le 25 octobre, les deux armées se rencontrèrent près d’Azincourt. À nouveau la tactique française conduisit à une débandade, pire encore que la bataille de Crécy, puisqu’il y eut dix mille morts du côté Français contre six cent du côté Anglais.

Puis le conflit des Armagnacs et des Bourguignons domina le conflit qui s’acheva vers 1453 par la reconquête des territoires perdus par le roi de France, Charles VII. Incidemment, ce dernier fut aussi en novembre 1439 l’inventeur dupremier impôt permanent institué en France, la taille. La nouvelle menace venait désormais des ducs de Bourgogne, une menace que Louis XI  parvint à écarter.

 

Il faut souligner que Louis XI se préoccupa, qualité rare au sein des cercles du pouvoir français, d’encourager la prospérité économique, qu’il sut se montrer souple à l’égard des franchises des villes et du pouvoir de l’Église et qu’il parvint même, vertu rarissime, à réduire la pression fiscale. Un roi libéral.

 

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Images de Rome

17 Novembre 2010 Publié dans #INTERLUDE

Rome qui commence juste par un expresso, un capuccino, un miracolo italiano, une joie simple…

Rome qui continue par la majesté baroque de la Basilique Saint-Pierre qui se déroule le long de ses  136 mètres, baroque au sens où elle contient tous les styles.

pieta.jpgPuis, à l’intérieur de Saint-Pierre, la Piéta qui s’impose par l’amour et la force tranquille qui se dégagent d’elle, une Piéta qui tient dans ses bras ce grand garnement de Jésus.

On se demande comment, malgré l’immobilité de la pierre, Michel-Ange a réussi à faire passer, par le volume des plis, par la grâce d’un doigt qui dépasse de l’étoffe, par le sourire, par la pose d’abandon de Jésus, la vibration de l’amour? Où est-il allé cherché ces liens entre ces formes et notre subconscient ?

Et puis voilà les couleurs du plafond de la Chapelle Sixtine, encore qu’elles soient difficiles à apprécier dans la foule. Mais, malgré la tête renversée, on n’oubliera plus jamais  les mouvements et les couleurs de la scène qu’a représenté tout la haut Michel-Ange, sa vision de la création du monde. On ne peut pas non plus négliger la crypte de la Basilique, toujours baroque, et ces innombrables petites lumières dédiées à Saint Pierre et à sa relique.imageoeuvre.gif

Avec le jour qui s’achève, le froid, le froid glacé de cette fin d’automne tombe sur moi et sur la forteresse Saint Ange, ce château qui date d’Hadrien, au 1er siècle après Jésus-Christ.

Je me représente cette année 1527, pendant laquelle le Pape Clément VII du s’enfuir par les égouts pour rejoindre la forteresse, la seule qui lui restait. Il y  résista des mois aux mercenaires allemands du connétable de Bourbon au service de Charles-Quint. Derrière ces murs, enfermés avec quelques rares troupes, j’imagine l’horreur du siège alors qu’au-dehors les soudards tuent leurs familles, pillent la ville, que les flammes embrasent Rome et le Vatican, que les objets les plus précieux sont détruits ou volés. Et sans doute entendaient-ils les menaces, les injures, les rires qui pleuvaient sur eux, les assiégés.

mausolee_hadrien_chateau_saint_ange.gifIls ont laissés passer l’orage, Rome a continué, et voilà la ville devant moi, éternelle.

Éternelle ? 

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Jean Jaurès lutte contre l'horrible cauchemar

14 Novembre 2010 Publié dans #ACTUALITÉ

 

Aujourd’hui, je vous propose de lire le dernier discours de Jean Jaurès, prononcé  à Lyon-Vaise le 25 juillet 1914.

J’ai pour but de vous rappeler quelle horreur fut la Guerre de 1914-1918, une horreur pourtant prévisible comme ce discours le démontre. Si je veux rappeler cette boucherie, c’est pour que vous vous souveniez que des hommes politiques français démocratiquement élus l’ont décidé et que vous n’oubliez pas que les hommes politiques d’aujourd’hui ont exactement les mêmes motivations et les mêmes réflexes que ceux de 1914. Seules les circonstances sont différentes, mais à certains égards pas meilleures pour le peuple français,     qu’il ne s’agit plus de tuer mais de faire disparaître.

Voici le contenu du discours de Jean Jaurès, dont il faut saluer a contrario la lucidité, le courage et la probité. C’est pour toutes ces raisons que son discours fut prophétique et qu’il fut assassiné six jours plus tard et trois jours avant la déclaration de guerre :

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Citoyens,

Je veux vous dire ce soir que jamais nous n'avons été, que jamais depuis quarante ans l'Europe n'a été dans une situation plus menaçante et plus tragique que celle où nous sommes à l'heure où j'ai la responsabilité de vous adresser la parole. Ah! citoyens, je ne veux pas forcer les couleurs sombres du tableau, je ne veux pas dire que la rupture diplomatique dont nous avons eu la nouvelle il y a une demie heure, entre l'Autriche et la Serbie, signifie nécessairement qu'une guerre entre l'Autriche et la Serbie va éclater et je ne dis pas que si la guerre éclate entre la Serbie et l'Autriche le conflit s'étendra nécessairement au reste de l'Europe, mais je dis que nous avons contre nous, contre la paix, contre la vie des hommes à l'heure actuelle, des chances terribles et contre lesquelles il faudra que les prolétaires de l'Europe tentent les efforts de solidarité suprême qu'ils pourront tenter.

Citoyens, la note que l'Autriche a adressée à la Serbie est pleine de menaces et si l'Autriche envahit le territoire slave, si les Germains, si la race germanique d'Autriche fait violence à ces Serbes qui sont une partie du monde slave et pour lesquels les slaves de Russie éprouvent une sympathie profonde, il y a à craindre et à prévoir que la Russie entrera dans le conflit, et si la Russie intervient pour défendre la Serbie, l'Autriche ayant devant elle deux adversaires, la Serbie et la Russie, invoquera le traité d'alliance qui l'unit à l'Allemagne et l'Allemagne fait savoir qu'elle se solidarisera avec l'Autriche. Et si le conflit ne restait pas entre l'Autriche et la Serbie, si la Russie s'en mêlait, l'Autriche verrait l'Allemagne prendre place sur les champs de bataille à ses côtés. Mais alors, ce n'est plus seulement le traité d'alliance entre l'Autriche et l'Allemagne qui entre en jeu, c'est le traité secret mais dont on connaît les clauses essentielles, qui lie la Russie et la France et la Russie dira à la France :

"J'ai contre moi deux adversaires, l'Allemagne et l'Autriche, j'ai le droit d'invoquer le traité qui nous lie, il faut que la France vienne prendre place à mes côtés." A l'heure actuelle, nous sommes peut-être à la veille du jour où l'Autriche va se jeter sur les Serbes et alors l'Autriche et l'Allemagne se jetant sur les Serbes et les Russes, c'est l'Europe en feu, c'est le monde en feu.

Dans une heure aussi grave, aussi pleine de périls pour nous tous, pour toutes les patries, je ne veux pas m'attarder à chercher longuement les responsabilités. Nous avons les nôtres, Moutet l'a dit et j'atteste devant l'Histoire que nous les avions prévues, que nous les avions annoncées; lorsque nous avons dit que pénétrer par la force, par les armes au Maroc, c'était ouvrir l'ère des ambitions, des convoitises et des conflits, on nous a dénoncés comme de mauvais Français et c'est nous qui avions le souci de la France.

Voilà, hélas! notre part de responsabilités, et elle se précise, si vous voulez bien songer que c'est la question de la Bosnie-Herzégovine qui est l'occasion de la lutte entre l'Autriche et la Serbie et que nous, Français, quand l'Autriche annexait la Bosnie-Herzégovine, nous n'avions pas le droit ni le moyen de lui opposer la moindre remontrance, parce que nous étions engagés au Maroc et que nous avions besoin de nous faire pardonner notre propre péché en pardonnant les péchés des autres.

Et alors notre ministre des Affaires étrangères disait à l'Autriche:

"Nous vous passons la Bosnie-Herzégovine, à condition que vous nous passiez le Maroc" et nous promenions nos offres de pénitence de puissance en puissance, de nation en nation, et nous disions à l'Italie. "Tu peux aller en Tripolitaine, puisque je suis au Maroc, tu peux voler à l'autre bout de la rue, puisque moi j'ai volé à l'extrémité."

Chaque peuple paraît à travers les rues de l'Europe avec sa petite torche à la main et maintenant voilà l'incendie. Eh bien! citoyens, nous avons notre part de responsabilité, mais elle ne cache pas la responsabilité des autres et nous avons le droit et le devoir de dénoncer, d'une part, la sournoiserie et la brutalité de la diplomatie allemande, et, d'autre part, la duplicité de la diplomatie russe. Les Russes qui vont peut-être prendre parti pour les Serbes contre l'Autriche et qui vont dire "Mon cœur de grand peuple slave ne supporte pas qu'on fasse violence au petit peuple slave de Serbie. "Oui, mais qui est-ce qui a frappé la Serbie au cœur? Quand la Russie est intervenue dans les Balkans, en 1877, et quand elle a créé une Bulgarie, soi-disant indépendante, avec la pensée de mettre la main sur elle, elle a dit à l'Autriche "Laisse-moi faire et je te confierai l'administration de la Bosnie-Herzégovine. "L'administration, vous comprenez ce que cela veut dire, entre diplomates, et du jour où l'Autriche-Hongrie a reçu l'ordre d'administrer la Bosnie-Herzégovine, elle n'a eu qu'une pensée, c'est de l'administrer au mieux de ses intérêts."

Dans l'entrevue que le ministre des Affaires étrangères russe a eu avec le ministre des Affaires étrangères de l'Autriche, la Russie a dit à l'Autriche: "Je t'autoriserai à annexer la Bosnie-Herzégovine à condition que tu me permettes d'établir un débouché sur la mer Noire, à proximité de Constantinople." M. d'Ærenthal a fait un signe que la Russie a interprété comme un oui, et elle a autorisé l'Autriche à prendre la Bosnie-Herzégovine, puis quand la Bosnie-Herzégovine est entrée dans les poches de l'Autriche, elle a dit à l'Autriche : "C'est mon tour pour la mer Noire." - "Quoi? Qu'est-ce que je vous ai dit? Rien du tout !", et depuis c'est la brouille avec la Russie et l'Autriche, entre M. Iswolsky, ministre des Affaires étrangères de la Russie, et M. d'Ærenthal, ministre des Affaires étrangères de l'Autriche ; mais la Russie avait été la complice de l'Autriche pour livrer les Slaves de Bosnie-Herzégovine à l'Autriche-Hongrie et pour blesser au cœur les Slaves de Serbie.

C'est ce qui l'engage dans les voies où elle est maintenant.

Si depuis trente ans, si depuis que l'Autriche a l'administration de la Bosnie-Herzégovine, elle avait fait du bien à ces peuples, il n'y aurait pas aujourd'hui de difficultés en Europe; mais la cléricale Autriche tyrannisait la Bosnie-Herzégovine; elle a voulu la convertir par force au catholicisme; en la persécutant dans ses croyances, elle a soulevé le mécontentement de ces peuples.

La politique coloniale de la France, la politique sournoise de la Russie et la volonté brutale de l'Autriche ont contribué à créer l'état de choses horrible où nous sommes. L'Europe se débat comme dans un cauchemar.

Eh bien! citoyens, dans l'obscurité qui nous environne, dans l'incertitude profonde où nous sommes de ce que sera demain, je ne veux prononcer aucune parole téméraire, j'espère encore malgré tout qu'en raison même de l'énormité du désastre dont nous sommes menacés, à la dernière minute, les gouvernements se ressaisiront et que nous n'aurons pas à frémir d'horreur à la pensée du cataclysme qu'entraînerait aujourd'hui pour les hommes une guerre européenne.

Vous avez vu la guerre des Balkans; une armée presque entière a succombé soit sur le champ de bataille, soit dans les lits d'hôpitaux, une armée est partie à un chiffre de trois cent mille hommes, elle laisse dans la terre des champs de bataille, dans les fossés des chemins ou dans les lits d'hôpitaux infectés par le typhus cent mille hommes sur trois cent mille.

Songez à ce que serait le désastre pour l'Europe: ce ne serait plus, comme dans les Balkans, une armée de trois cent mille hommes, mais quatre, cinq et six armées de deux millions d'hommes. Quel massacre, quelles ruines, quelle barbarie! Et voilà pourquoi, quand la nuée de l'orage est déjà sur nous, voilà pourquoi je veux espérer encore que le crime ne sera pas consommé. Citoyens, si la tempête éclatait, tous, nous socialistes, nous aurons le souci de nous sauver le plus tôt possible du crime que les dirigeants auront commis et en attendant, s'il nous reste quelque chose, s'il nous reste quelques heures, nous redoublerons d'efforts pour prévenir la catastrophe. Déjà, dans le Vorwaerts, nos camarades socialistes d'Allemagne s'élèvent avec indignation contre la note de l'Autriche et je crois que notre bureau socialiste international est convoqué.

Quoi qu'il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n'y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre et, de sauvagerie, qu'une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c'est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et que nous demandions à ces milliers d'hommes de s'unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l'horrible cauchemar…

 

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Philippe le Bel se saisit du pouvoir

11 Novembre 2010 Publié dans #HISTOIRE

Dans le blog du 3 novembre dernier, je concluais ma description de la tendance permanente de la France au renforcement toujours plus accentué du pouvoir de l’État sur la société, en indiquant que Philippe IV le Bel allait s’affirmer comme le maitre d’œuvre d’une monarchie française impérieuse.

SC_PhilippeIV_WEB.jpgPhilippe IV le Bel, Roi de France de 1285 à 1314, est en effet l’organisateur d’une monarchie française dotée d’une très nombreuse administration centrale. C’est lui qui procède massivement à la confiscation des biens des particuliers et à l’expulsion collective des groupes qu’il considère comme des corps étrangers, des obstacles à son pouvoir. Il innove aussi en lançant de grandes  campagnes d’opinion, en recourant au nom de la raison d’État, à la calomnie, à l’intimidation et à la désignation de boucs émissaires individuels ou collectifs. L’affaire des Templiers est ainsi montée de façon à attiser les fantasmes d’une population appauvrie par l’Etat et la conjoncture. On voit les conseillers du roi accuser sans vergogne les Templiers d’être tout à la fois secrètement affiliés à l’islam, de cracher sur la croix et de pratiquer des rites obscènes, avec pour objectif central d’obtenir l’adhésion de l’opinion publique à la confiscation de leurs biens. Au total, il n’a de cesse d’accroître sa puissance par la guerre et par de nouveaux carcans administratifs. Comme il lui faut toujours plus d’argent pour sa magnificence, mais aussi pour payer l’administration, financer la guerre et son action diplomatique, il épuise le pays, rançonne les juifs et les lombards et s’empare des richesses des Templiers. Il est aussi le premier à oser dévaluer la monnaie.

En mettant en œuvre pendant ses trente-neuf années de règne la plupart des outils de pouvoir qui fondent encore aujourd’hui la spécificité de la France, Philippe Le Bel se retrouve à la tête d’un Etat puissant qui compte plus de sujets que tout autre Etat en Europe.

Il reste que ses difficultés financières le contraignent à convoquer des assemblées appelées à le soutenir par des subsides, les premiers « États Généraux », dont on retrouve l’écho à l’aube de la Révolution Française. Il échoue aussi dans sa tentative d’inventer l’impôt permanent en raison de l’incapacité de son administration, encore trop faible, à fixer l’assiette de l’impôt. C’est un problème dont ses successeurs sauront d’ailleurs tirer  la leçon, y compris de nos jours avec l’ISF qui permet de connaître à l’Euro prés la valeur des biens des « riches », c’est-à-dire de ceux qui sont propriétaires d’un bien immobilier de moyenne valeur.

L’État fort aux dépens des Français : on ne saurait faire plus moderne.

Après le règne de Philippe le Bel, les XIVe et XVe siècles furent des temps de crise. La guerre de Cent Ans entraîna la révolte des campagnes et des villes, ce qui provoqua en retour un nouveau durcissement du corset étatique et fiscal de la France.

 

 

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Fair Game

7 Novembre 2010 Publié dans #ACTUALITÉ

Ce blog part de ma réaction à la projection du film Fair Games qui conte l’histoire, fondée sur des faits historiques, d’une espionne jetée en pâture à l’opinion parce que son mari, professeur d’université et ex-ambassadeur, dénonce l’un des mensonges qui servent à justifier la décision de l’administration Bush d’envahir l’Irak.

fair-game-movie-posterBien sûr, on peut s’intéresser au sort de cette famille américaine composée d’une  espionne recrutée par la CIA au débouché de ses études, fière de sa résistance, de son père militaire et de son pays, d’un professeur qui a une vision de la politique américaine  et de leurs enfants ballottés dans le conflit qui oppose la Maison-Blanche à leurs parents. Finalement, sauf les Irakiens qui ont cru aux engagements de la CIA, tout ce petit monde s’en sort sans trop de casse, parce que c’est un film américain donc optimiste et qu’il existe aux USA des contre-pouvoirs à la toute puissance de la Maison-Blanche, notamment celui du Sénat et de ses commissions d’enquête.

Si vous lisez régulièrement mes blogs, vous savez déjà que ce n’est pas le sujet de cette famille américaine qui me paraît le plus intéressant dans ce film, mais la question du rapport entre le pouvoir politique et les sujets auxquels il s’applique, c’est-à-dire nous-même. De ce point de vue, je suis fasciné de la capacité de la société occidentale à accorder foi aux allégations sur ces  « armes de destruction massive » qui auraient menacé la « sécurité » des USA. Quiconque connaît un peu le fonctionnement d’un État comme l’Irak savait bien pourtant que, si Saddam Hussein menaçait bien sa propre population, il n’avait aucun moyen de menacer les USA…

De même, il est troublant d’observer le manque total de scrupule de ces politiciens qui écrasent sans se gêner ces fonctionnaires de la CIA parce qu’ils osent contredire par leurs enquêtes et leurs analyses, leur credo qui est censé justifier l’opération « Iraqui Freedom ». Rappelons nous que cette dernière  a entraîné environ 100000 morts du côté irakien et 5000 du côté de la coalition, sans compter le coût financier énorme de l’opération militaire et le traumatisme infligé à la société irakienne. Certes, la fin justifiait les moyens selon l’équipe de la Maison-Blanche de l’époque Bush, mais de quelle fin s’agissait t-il ? La disparition du régime irakien justifiait-elle de tels dégâts ? Qui donnait la légitimité à la Maison-Blanche pour décider de la mort de tous ces gens ? Ces premières questions en entraînent d’autres, encore plus troublantes :

-L’équipe Obama est t-elle capable d’en faire autant ? Si vous répondez non, c’est que vous croyez qu’Obama est plus gentil que Bush, c’est que vous n’avez rien compris au film, au sens propre comme figuré.

-Comment des dirigeants peuvent-ils faire des choix aussi catastrophiques ? Parce que le pouvoir rend fous les êtres humains : ils se prennent pour des êtres à part, parce qu’ils ont le pouvoir de tuer d’autres êtres humains, exactement comme l’assassin qui jouit du pouvoir d’ôter la vie à sa victime, avec en plus la  bonne conscience de la raison d’État et l’approbation de la société : la jouissance absolue, à l’égal des Dieux !

-Pourquoi ne sommes-nous pas capables de les en empêcher ? parce que nous sommes obligés de leur faire confiance, incapables que nous sommes de leur opposer la moindre force crédible, individuellement et collectivement : nous les avons élus. Que nous reste t-il pour ne pas devenir désespérés ou fous de rage, sinon essayer de nous convaincre qu’ils ont certainement des raisons valables d’agir comme ils le font parce qu’ils sont nécessairement plus raisonnables et plus intelligents que nous, puisqu’ils sont au pouvoir alors que c’est l’inverse, justement puisqu’ils sont au pouvoir, ils ne sont plus ni raisonnables ni intelligents, s’ils l’ont jamais été.

-Que faire alors ? dans le film, au cours d’une conférence à des étudiants, le mari de l’agent de la CIA prononce ce qui est à mon avis la phrase la plus importante du film : vous ne pouvez pas confier l’État à une élite, c’est à vous de gérer l’État, de défendre la démocratie. C’est bien beau, mais en pratique comment organiser autrement nos sociétés pour empêcher les élites de s’emparer totalement du pouvoir ?

-Et, pour revenir à nous, qui défend l’intérêt général des Français ? La Cour des Comptes le fait, dans un domaine bien limité, celui de la bonne gestion des fonds publics, mais je n’en vois guère d’autre, pas même le Conseil Constitutionnel, trop politique et trop empêtré dans une Constitution sans cesse remodelée par les politiques.  Mais il est assez visible que ce n’est ni le Président de la République, ni les Assemblées qui lui sont totalement inféodées, ni les féodalités avec lesquelles il négocie, syndicats, corps constitués, groupes de pression, qui se sentent en charge de la défense de l’intérêt général. Le Président s’en targue, constitutionnellement, mais l’ivresse du pouvoir centralisé français l’empêche d’y parvenir. 

Alors qui défend les intérêts des français face aux élites, aux féodalités et à ses propres démons ? Personne. Une autre structure de pouvoir est donc à construire, sauf à nous résoudre à être livré sans défenses à un pouvoir détenu par des détraqués.

 

 

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En attendant Philippe le Bel

3 Novembre 2010 Publié dans #HISTOIRE

Lors du dernier blog que j’ai consacré à l’histoire, le 3 octobre 2010, j’ai rappelé que les Rois, avant la République, ont très rapidement cherché à accroître leur contrôle sur la société française. C’est ce que je vais m’efforcer de montrer dans ce blog et ceux qui vont lui succéder sur ce thème, afin de permettre de mieux comprendre la logique et la permanence du système français dans lequel  nous vivons aujourd’hui.

La tendance permanente de la France au renforcement du pouvoir de l’Etat pointe déjà sous Philippe Auguste (1180-1223), qui assure la diffusion de l’autorité du monarque par la mise en place des baillis. Ces derniers sont des Commissaires Royaux investis de pouvoirs d’administration, de justice et de finances. Philippe Auguste a créé cette fonction pour affermir son pouvoir sur son domaine royal, un domaine qui ne comprend pas encore les possessions de ses vassaux, comme la Bretagne par exemple. D’abord itinérants, les baillis deviennent sédentaires au XIIIe siècle, ce qui renforce leur pouvoir aux dépens des seigneuries locales, par le biais de levées de taxes extraordinaires, d’interventions dans les affaires municipales ou même d’annexions pures et simples dans les cas litigieux.

Saint Louis (1226-1270) succède à Philippe Auguste. Il acquiert pour sa part une réputation d’arbitre international qui est sanctionnée par sa canonisation équivalente aujourd’hui à un prix Nobel de la Paix. Grâce à lui, le Roi de France, déjà le premier de la chrétienté sur le plan matériel, devient également primus inter pares sur le plan spirituel. Mais c’est après lui que commence à s’affirmer la toute puissance de la monarchie française, qui fait aujourd’hui de la France le seul État centralisé du continent européen, sinon du monde.

À cette époque, les Anglais viennent d’arracher la Grande Charte qui constitue le premier grand texte reconnaissant des libertés et des droits intangibles aux sujets du royaume anglais. Alors que Philippe Auguste règne en France, la Grande Charte, appelée Magna Carta, est concédée en juin 1215 par Jean sans Terre sous la pression des barons et de l’Église. Elle garantit à tous les hommes libres le droit de propriété, la liberté d’aller et de venir en temps de paix. Elle donne aussi des garanties en cas de procès criminel, comme l’impartialité des juges ou la nécessité et la proportionnalité des peines. Elle pose le principe essentiel, pour un régime parlementaire, qu’aucun impôt ne sera levé sans le consentement du Conseil du royaume, un Conseil où siégent les barons, les comtes et les hauts dignitaires ecclésiastiques.

Pendant ce temps, les souverains hispaniques ne parviennent pas encore à atteindre l’unité politique de la péninsule, les principautés italiennes se livrent à des luttes intestines, l’Allemagne est éclatée entre de multiples souverainetés hétérogènes coiffées par un Saint Empire Romain Germanique. Ce dernier forme un tissu monarchique et corporatif doté de très peu d'institutions impériales communes. Il sert de cadre juridique à la cohabitation de princes et de ducs quasi autonomes qui reconnaissent l'Empereur comme le dirigeant de l'Empire, mais c’est un Empereur qu’ils élisent eux-mêmes. Il reste que les habitants de l’Empire ne sont pas les sujets directs de l'empereur, contrairement aux sujets du Roi de France, car ils ont soit leur propre seigneur, soit appartiennent à une ville d’Empire dirigée par un Maire élu.

 

Philippe IV le Bel (1285-1314), Roi de France, n’a pas ces soucis de pouvoir concurrentiel. Il devient le  maître d’œuvre d’une monarchie française  qui ne cesse de s’affermir en droit et en fait. C’est pourquoi le régime de Philippe le Bel apparaît étrangement moderne, à l’aulne de la situation actuelle de la France. 

À SUIVRE

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