Biélorussie, l'anti-modèle?
Si je vous dis « Biélorussie », une seule pensée vous vient à l’esprit : « c’est une dictature de type soviétique » et vous vous rappelez peut-être d’un nom, celui de son dictateur honni, Alexandre Loukachenko.
En clair, vous ne savez rien de la Biélorussie, officiellement appelée République de Bélarus, parce que vous n’avez aucune raison de vous intéresser à ce « petit » pays de deux cent mille kilomètres carrés de plaines, de forêts et de lacs peuplé de dix millions d’habitants et entouré par la Russie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et l’Ukraine.
Vous vous rappelez vaguement que la capitale est Minsk et que Tchernobyl est situé à dix kilomètres à peine de la frontière sud de la Biélorussie, mais vous avez oublié que la Bérézina[1], devenue synonyme de catastrophe finale, se trouve aussi en Biélorussie. Par contre, vous vous attendez à vous réjouir de la chute prochaine du dictateur, qui ne manquera pas d’être chassé par une opposition démocratique qui a le soutien du peuple biélorusse opprimé. D’ailleurs, les élections qui viennent de se dérouler en Biélorussie sont contestées par l’UE et les États-Unis qui ont, en représailles, interdit de visa chez eux le président Loukachenko et ses proches collaborateurs depuis février 2011. C’est bien fait pour eux, ils devront se résigner à prendre leurs vacances sur la mer Noire…
Il reste qu’au total, aucun media ne vous a décrit la situation économique et sociale biélorusse. Elle ne doit pas être très bonne avec un pareil régime, qui a des airs d’un Cuba ou d’une Corée du Nord implanté dans la steppe.
En plus, le pays est peu touristique, il ne possède ni gaz ni pétrole, il n’a pas d’accès à la mer, son climat est froid, ses terres se prêtent assez peu à l’agriculture. Il s’y ajoute que la Biélorussie a été fortement touchée par la catastrophe de Tchernobyl puisqu’elle a reçu 70 % des retombées radioactives de la centrale ukrainienne voisine, alors que le pays ne possède pour sa part aucune centrale nucléaire,
Or, surprise, lorsqu’on regarde les chiffres, c’est tout le contraire, le pays semble disposer d’une économie en plein développement et d’un système social que l’on pourrait envier sous d’autres cieux.
Avec un revenu par habitant qui représente le tiers de celui des Français, mais supérieur d’un tiers à celui des voisins ukrainiens, la Biélorussie rattrape rapidement son retard avec l’un des taux de croissance les plus élevés d’Europe, entre 6% et 10% selon les années. On apprend ainsi qu’en 2010, son taux de croissance a encore été de 7,6%.
En Biélorussie, il n’y a presque pas de chômage et les retraites sont beaucoup plus élevées que dans l’Ukraine voisine. La criminalité y est faible, la corruption aussi. Pour un peu, on dirait que je décris la Biélorussie comme les communistes croyants décrivaient autrefois l’URSS.
En effet, le parallèle a du sens. Car ce qui explique ces données positives, c’est que la Biélorussie n'a pas connu la brutale et violente réforme économique d'inspiration libérale qu'ont pratiqué ses voisins. Son industrie et son agriculture ont été en grande partie préservé et les inégalités n'ont pas explosé comme en Russie. On trouve toujours des kolkhozes en Biélorussie et l’État biélorusse contrôle encore les deux tiers de l’économie, y compris les banques, si bien que son éloignement du système économique mondial a permis à la Biélorussie de ne pas subir les effets de la crise de 2008-2010. Plutôt que l’URSS, est-ce que le conservatisme biélorusse n’aurait pas un certain cousinage avec celui de la Chine ?
Si l’on consulte l’avis maussade de l'ambassade de France à Moscou, ses conseillers trouvent que ces bons résultats doivent être relativisés. Ils font tout d’abord remarquer qu’il règne une forte inflation en Biélorussie en raison d’une trop forte hausse des salaires octroyée par les autorités. C’est vrai, ce n’est pas bien d’accorder de trop fortes augmentations de salaires, cela augmente le coût du travail et baisse le rendement du capital…
En plus, observe sans plaisir les conseillers de notre ambassade, l'économie biélorusse reste administrée de façon centralisée et c’est la lenteur des réformes qui a permis de conserver des structures de production quasi inchangées depuis la période soviétique.
Mais n’est-ce pas justement cette lenteur des réformes qui est à louer dans le système biélorusse ? tout détruire d’un coup n’est-il pas un choix malencontreux que nous avons recommandé imprudemment à ces pays dans notre hâte de les voir nous ressembler et dans notre refus d’envisager d’autres solutions que les nôtres ? Il se trouve que les Chinois, qui ne nous ont pas écouté aux alentours du printemps de Tian’anmen, ne semblent pas s’en porter trop mal.
On sent que cette hostilité de la France en particulier et de l’Union Européenne comme des États-Unis en général vis-à-vis de la Biélorussie a des raisons politiques, encore que l’apparente réussite de cette économie restée centralisée les agace assez violemment…
[1] La bataille de la Bérézina eut lieu du 26 au 29 novembre 1812 près de la rivière Bérézina, aux alentours de la ville de Borissov dans l'actuelle Bielorussie entre l'armée française et les armées russes de Koutosov, après l'échec de la campagne de Russie (voir un prochain blog)
Un roi trop faible pour un pouvoir trop lourd
Le 27 mars dernier, avant qu’une série d’événements guerriers n’interrompe cette série historique, j’écrivais qu’il ne restait plus à Louis XIV qu’à mourir, après avoir passé sa vie à épuiser son peuple de guerres et d’impôts et à ravager l’Europe. Il laissait un régime affaibli face à un pays rétif.
Après le règne de Louis XIV, chacun en France, que ce soit le roi, son administration, son armée et le peuple ne pouvaient que chercher à retrouver des forces. La Régence fit face à une situation financière catastrophique, qui la poussa à expérimenter le système de Law, lequel système s’effondra rapidement tout en suscitant une sorte de boom économique. Louis XVcommença par gouverner avec le cardinal de Fleury qui parvint à stabiliser la monnaie et à équilibrer le budget du royaume. L'expansion économique était au cœur des préoccupations du gouvernement.
Il reste que le pouvoir centralisé était toujours le modèle dominant du pouvoir. En témoigne la construction systématique d'un réseau routier partant de Paris selon un schéma en étoile qui forme encore l'ossature actuelle des routes nationales, la répression des oppositions jansénistes et gallicanes ou l’interdiction faite au Parlement de Paris de s'occuper des affaires religieuses.
Cependant, le souci majeur du pouvoir central restait le déséquilibre budgétaire, qui finira par emporter la royauté. Apparemment le pouvoir n’était plus assez fort pour s’emparer des revenus de ses sujets afin de combler le déficit du budget de l’État, qui s’élevait à 100 millions de livres en 1745. Lorsque le contrôleur des finances, Machault d'Arnouville, créa un impôt prélevant un vingtième des revenus qui concernait aussi bien les privilégiés que les roturiers, la nouvelle taxe fut accueillie avec hostilité par le clergé et le Parlement. Finalement, le « vingtième » finit par se fondre dans une augmentation de la taille, qui ne touchait que les agriculteurs.
À la suite de cette tentative de réforme, le Parlement de Paris, s’érigeant en « défenseur naturel des lois fondamentales du royaume » contre l'arbitraire de la monarchie, adressa des remontrances au roi. Le système royal craquait. À l'intérieur du royaume, le mécontentement s'amplifiait et se manifestait. Le train de vie de la cour était critiqué. Louis XV en vint même à subir une tentative d’assassinat. L'ambassadeur d'Autriche écrivait à Vienne : « Le mécontentement public est général. Toutes les conversations tournent autour du poison et de la mort. Le long de la galerie des glaces apparaissent des affiches menaçant la vie du roi ». Affecté par cette impopularité, Louis XV décida d’abandonner toutes les tentatives de réformes et de renvoyer ses ministres les plus décriés. Il se tourna alors vers une mesure plus populaire, du moins dans les cercles parisiens, qui consistait à dissoudre l’ordre des Jésuites, attaqués par les Jansénistes et les Encyclopédistes.
Mais il ne pût en rester à des mesures destinées à satisfaire l’opinion publique éclairée, celle que l’on appellerait aujourd’hui le microcosme de la pensée unique. Il lui fallut se résoudre à rétablir l’autorité royale. Les membres du Parlement se mirent en grève à la suite de l’Affaire de Bretagne. En 1764, sur requête des états de la province, le parlement de Rennes refusa la levée de centimes additionnels ; le Conseil du roi cassa alors l’arrêt rendu par le parlement de Rennes qui répondit en se mettant en grève avant de démissionner. Le Roi accepta de céder en rétablissant le parlement de Rennes dans ces droits. C’est alors que ce dernier décida de se venger sur la personne du lieutenant de Bretagne en l’inculpant d’abus de pouvoir. Le roi ne pouvait pas accepter qu’un Parlement régional fasse le procès de son représentant, c’est-à-dire indirectement du pouvoir royal lui-même. Il intervint pour arrêter la procédure entamée par le parlement de Rennes par lettres patentes. En réponse, tous les Parlements de France se solidarisèrent avec le Parlement de Rennes pour déclarer nulles les lettres patentes royales.
Par l’entremise du chancelier Maupeou, le roi fit sommer les parlementaires de rentrer dans l’obéissance. En grande majorité, ceux-ci refusèrent. Ils furent alors déchus de leur charge, exilés, et la justice jusqu'alors administrée par des magistrats dont la charge était héréditaire devint une institution publique, avec des fonctionnaires payés par l'État. Elle l’est toujours. C’est ainsi qu’après une véritable fronde des magistrats qui toucha l’ensemble du royaume, le Roi finit par obtenir la fin de la rébellion des Parlements.
En ce qui concerne les affaires étrangères, le gouvernement de Louis XV commença par rechercher la paix à tout prix, en pratiquant une politique d'alliance avec l’Angleterre tout en se réconciliant avec l'Espagne. Louis XV intervint cependant, sans grand succès, dans la guerre de Succession de Pologne, qui permit à terme l’intégration de la Lorraine dans le royaume de France. Il joua ensuite le rôle peu risqué de médiateur, avant d’entrer en conflit avec l’Autriche, aux cotés de la Prusse, dans la guerre de Succession d’Autriche. Les troupes françaises remportèrent de grands succès militaires. Sans doute pour faire pardonner les atrocités du règne de Louis XIV, Louis XV se comporta chevaleresquement en rendant à l’Autriche les conquêtes de ses troupes, ce qui ne contribua guère à sa popularité en France. Cette impopularité ne fit que s’accroître lorsqu’un renversement d’alliance conduisit Louis XV à combattre sans succès les Anglais et les Prussiens au cours de la Guerre de Sept ans, qui se termina par la perte du Canada et de l'Inde au profit des britanniques.
Lorsque Louis XV mourut, ce fut dans l’indifférence ou l’hostilité, tant ses actes à la tête du pouvoir avaient paru illégitimes, même si cette illégitimité tenait plus à la structure de l’Etat qu’à ses actes personnels. Le dernier acte avant la révolution restait encore à jouer.
Louis XV annonçait Louis XVI : un roi trop faible pour un pouvoir trop lourd.
De la démocratie en Afrique
Une sorte de feu aux poudres se propage au travers du Moyen-Orient et de l’Afrique. Partout, les fondements du pouvoir sont contestés. Si des similitudes fondamentales existent entre la situation au Moyen Orient et en Afrique, régimes autoritaires, corruption d’État, fractures ethniques et religieuses, je voudrais revenir ici sur la situation particulière de l’Afrique, dont j’ai traité dans mes trois derniers blogs.
La crise qui vient provisoirement de s’achever par l’installation du Président Ouattara au pouvoir en Côte d’ivoire est révélatrice du profond malaise qui touche de nombreux pays africains. Durant les dernières décennies, les guerres ont ravagé la plupart des pays africains et plusieurs régions africaines continuent d’être traversé par des conflits de haute intensité. Il suffit de se souvenir qu’un réfugié sur deux dans le monde est africain.
Il semble aujourd’hui que, dans nombre de pays africains, il suffise que jaillisse un sentiment de mécontentement pour que se déclenche une déflagration globale. La Libye en est l’exemple actuel, à la fois arabe et africain, le Burkina Faso fait face à un mouvement de protestation dont nul ne sait comment il se terminera. Or le caractère explosif de la situation n’est pas tout à fait inattendu, même si personne ne pouvait en prévoir le moment.
Pour essayer d’en donner les clés, je vous suggère de vous demander comment l’on peut réussir, individuellement, dans une société africaine ? Par les études, par l’esprit d’entreprise ou par la politique ? Lorsque Ben Ali était au pouvoir, il suffisait de réussir dans les affaires pour que sa famille exige 50% du capital ou sinon…La femme de Alassane Ouattara (voir mon blog du 11 avril dernier) n’est devenue une puissante businesswoman qu’après être parvenue à se rapprocher du pouvoir, très prés du pouvoir, et pas l’inverse. Au total, rarissimes sont les entrepreneurs africains qui ont réussi sans avoir du au préalable s’insérer dans la mouvance du pouvoir. Même si l’on peut m’objecter, à juste titre, que la corruption existe aussi en Europe et ailleurs, que les hommes politiques sont presque partout vénaux, il reste que ces derniers sont toujours sous la menace de devoir subir les foudres de la loi.
En Afrique, rien de tel, le droit n'effarouche pas les corrompus. Pour quelles raisons ? Obtenue il y a de cela un demi-siècle, l’indépendance s’est faite dans un contexte de guerre froide. Il a paru à l’époque tout naturel, face aux démocraties occidentales colonisatrices, que s’installent des régimes de type opposé, fortement encouragés par les exemples apparemment aboutis de l’URSS et de la Chine. Il n’était point alors question d’États de droit et l’ex-colonisateur, tout heureux que quelqu’un veuille bien se charger du pouvoir qu’il laissait vacant, se contentait d’approuver en silence et de soutenir le Chef, ses parents et ses amis.
Le Chef, de son côté, s’il voulait disposer de soutiens à long terme, n’avait pas d’autres choix que de s’appuyer sur sa tribu ou son ethnie. Ainsi a procédé Mouammar Kadhafi, après avoir liquidé un régime royal intermédiaire. Ces cercles autour du Chef attendaient en contrepartie que leur soient attribuées les richesses de l’Etat, les rentes de situation voire la confiscation des terres et des capitaux. Ces richesses à leur tour permettaient (je me demande pourquoi j’écris ce verbe au passé) de contrôler la société, de nouer des alliances, de « remercier » les fidèles via la distribution de postes « juteux », et d’acheter des armes pour réduire au silence les dissidents les plus récalcitrants. Longtemps on a ricané à Dakar du fait que les majors de l’Ena sénégalaise choisissaient en priorité la Douane, là où l’on peut obtenir le maximum de commissions.
Lorsque les membres d’une ethnie s’estimaient lésés, discriminés et privés d’accès aux ressources, les problèmes surgissaient pour le pouvoir politique omni distributeur. L’absence de possibilité de contestation pacifique les poussait à se révolter violemment. Quant aux dirigeants en place, ils combattaient sans concession des demandes de changement qui sapaient à leurs yeux les fondements de leur pouvoir. C’est pourquoi le départ pacifique de Ben Ali du pouvoir en Tunisie a constitué un tel changement de mœurs politiques qu’il a suffi à bouleverser la donne de tout le continent.
Dans ce contexte qui s’est mis en place depuis un demi-siècle, deux nouveautés apparaissent désormais qui expliquent la fragilité nouvelle de ces régimes.
La première nouveauté date de la chute du mur de Berlin. Lorsque l’URSS s’est effondrée, les pays africains ont été contraints, afin de continuer à profiter des aides et des rééchelonnements de la dette, d’instaurer le multipartisme. Rares sont les régimes qui ont pu résister, à l’exception de ceux qui, à l’instar du régime algérien, bénéficiaient d’une rente qui les protégeait des pressions externes. Or, cette démocratie imposée du dehors ne s’appuie ni sur une culture démocratique ni sur des institutions garantissant son bon fonctionnement. Dans ces conditions, l’importation de règles démocratiques ne risque pas d’apaiser les conflits, comme on l’a vu en Côte d’Ivoire. En effet, l’effet pervers du multipartisme et des élections démocratiques exigés par les bailleurs de fonds se situe dans la multiplication de partis politiques appuyés sur des bases ethniques, indispensables pour attirer des sympathisants, mais qui attisent par nature les clivages.
La seconde nouveauté est toute récente, elle fait que plus aucun événement, répression ou détournement de fonds ne peut être caché à la population indignée, en raison de l’émergence des réseaux issus d’Internet et du téléphone portable. Elle rend désormais toute situation d’abus de pouvoir immédiatement intolérable.
Il en résulte que, sans des règles de droit permettant de faire admettre des principes communs à l’ensemble des forces du pays et sans des institutions contraignant les acteurs politiques à les respecter, l’importation d’une démocratie appuyée sur les différences ethniques et l’émergence des réseaux sociaux génèrent une nouvelle instabilité dans les pays africains, entre autres.
C’est pourquoi en Afrique, il me semble que la priorité est paradoxalement plus politique et juridique qu’économique ou sociale : rechercher des compromis avant de mettre en place un État de droit, voilà l’urgence !
La Côte d'Ivoire et le Kenya, deux solutions opposées
Les médias français, les yeux rivés sur leur pré carré, oublient bien souvent qu’il existe des crises ailleurs que dans la zone d’influence de la France. Ces crises nous montrent qu’il existe d’autres solutions que celle de l’usage de la force au nom du droit, une méthode qu’utilise systématiquement le pouvoir français depuis que l’Assemblée Constituante a déclaré, le 20 avril 1792, la guerre au « roi de Bohême et de Hongrie », en raison de l’appui qu’apportait l’empereur Léopold II aux immigrés, ouvrant ce jour-là 23 ans de guerres ininterrompues en Europe, conclues par l’effondrement de la puissance française.
En Côte d’Ivoire, la France, sous couvert de l’ONU, a choisi la solution de la force en imposant un Ouattara « régulièrement élu » contre l’usurpateur Gbagbo.
Au Kenya, face à une situation analogue, on a choisi la négociation. Voici ce qui s’est passé, il y a un peu plus de trois ans, à la fin du mois de décembre 2007, alors que les Kenyans étaient appelés aux urnes pour élire leur Président de la République.
Le Président sortant Mwai Kibaki et Raila Odinga leader du Mouvement Démocratique Orange (ODM) étaient les deux favoris. Quatre jours plus tard, le Président kenyan sortant, Mwai Kibaki, se faisait déclarer vainqueur de l’élection présidentielle, tandis que l’opposition dénonçait des fraudes massives et que des émeutes avaient lieu dans tout le pays. On comptera jusqu’à un millier de morts et deux cent cinquante mille personnes déplacées à la suite des troubles violents déclenchés par cette élection contestée.
Au lieu de proclamer les élections truquées et d’appeler, comme on vient de le faire en Côte d’Ivoire, à l’installation au pouvoir de Raila Odinga, le leader spolié par des résultats truqués, la secrétaire d’Etat des Etats-Unis et le ministre des Affaires Etrangères de la Grande-Bretagne ont signé un communiqué commun où ils appellent les leaders du Kenya à faire « preuve d’esprit de compromis ».
Le 11 janvier 2008, le président de l’Union africaine, John Kufuor amorce la négociation entre les deux dirigeants puis laisse la place à Kofi Annan, avec pour objectif de résoudre la crise. Les négociations sont appuyées par l’intervention de la secrétaire d’Etat américaine, Condolezza Rice en visite au Kenya, qui déclare que Washington ne traitera qu’avec un gouvernement légitimement constitué au Kenya. Washington a d’ailleurs, comme l’Union européenne, refusé de reconnaître le gouvernement du président Kibaki.
Le gouvernement kenyan essaie de résister en jouant sur la fibre nationaliste, mais il finit par céder à la pression internationale. Le 28 février 2008, un accord est signé en présence de Kofi Annan, qui prévoit la création d’un poste de Premier ministre. Puis, après six semaines de palabres, les deux leaders kenyans parviennent à un accord sur la répartition des sièges ministériels.
Depuis, ils gouvernent ensemble et le Kenya est redevenu un modèle de stabilité et de développement pour cette région africaine….
Récemment, le Conseil de sécurité de l'ONU a rejeté la demande du Kenya de suspendre le procès de six hauts responsables kenyans devant la Cour pénale internationale pour crimes contre l'humanité commis lors des violences post-électorales de 2007-2008. En Août 2012, auront lieu de nouvelles élections présidentielles. Il est prévu que le poste de Premier ministre sera alors supprimé. Nul doute qu’elles soient attentivement surveillées et qu’il n’y aura pas de trucages postélectoraux. La logique voudrait que le Premier Ministre actuel, Raila Odinga, accède avec cinq années de retard à la Présidence de la République.
Par contraste, en Cote d’Ivoire, le Président Ouattara vient d’être installé dans ses fonctions de Chef d'État par la Force Licorne avec le soutien de l’ONU. Les prochains mois seront tranquilles, l’opposition ayant été assommée. L’économie de la Côte d’Ivoire devrait redémarrer, dopée qu’elle sera par les aides internationales et les investissements des grands groupes attirés par les profits potentiels. Puis les tensions vont ressurgir. Et il faudra au Président installé beaucoup de force et d’habileté pour continuer à gouverner en rassemblant avec lui ceux qu’il a humiliés, en faisant oublier la main visible de la France et les influences maléfiques de Guillaume Soro et de son épouse, Dominique Ouattara. Malheureusement, le passé d’Alassane Ouattara ne plaide pas en ce sens.
Néanmoins, il nous reste la foi en l’avenir de la Cote d’Ivoire. Les hommes de bonne volonté peuvent toujours se réconcilier, les dirigeants sans caractère se révéler de véritables lions, les génies malfaisants être écartés et les acteurs du désastre reconnaître leurs erreurs. Rêvons donc, puisque nous n’avons pas d’autres choix.
L'apprenti sorcier
Les nouvelles ne sont pas bonnes. Ni en Libye, ni en Cote d'Ivoire, où les forces armées françaises sont engagées dans des combats militairement aventureux et politiquement incertains par notre Président de la République.
En Libye, les frappes aériennes durent depuis plus de trois semaines et Kadhafi est toujours là. Les mauvaises surprises s'accumulent. La capacité de résistance et d'adaptation des troupes loyalistes semble surprendre la coalition. Est-ce que l’on s’attendait vraiment à ce que les troupes du colonel Kadhafi se débandent au premier passage d'un avion de chasse dans le ciel ? De son côté, l’insurrection est inexistante sur le plan militaire : il aurait été utile de s'en rendre compte avant de s'engager dans une guerre qui reposait sur deux idées : dans le ciel, les Occidentaux, au sol, les insurgés. Il manque un élément de cette équation, les rapports sur l'évaluation des capacités de ces derniers. Et maintenant, sachant que l'insurrection n'a aucune chance de conquérir la Tripolitaine, on fait quoi ?
D’autant plus que la coalition est de plus en plus fragilisée. Depuis lundi dernier, l'aviation américaine ne participe plus aux frappes. La France avait contraint les Etats-Unis à s'engager dans une guerre dont ils ne voulaient pas, mais cela n’a duré qu’une quinzaine de jours. Maintenant, la France se retrouve en première ligne, avec à peine 32 sorties quotidiennes et onze cibles détruites en une semaine. À l’aviation française s’ajoute les Britanniques dont l'effort est moins important, les Italiens qui se contentent de montrer leurs muscles, les Espagnols qui ne font que du soutien et les Qataris qui ne restent que 15 minutes au-dessus de Benghazi pour y chasser d'improbables avions libyens. Quand on regarde l’aspect politique de la coalition, on trouve les Etats-Unis en retrait, une Europe divisée, des pays du Sahel hostiles, les Russes, les Chinois, les Brésiliens et les Indiens opposés. Bien joué, Sarkozy.
En Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo est toujours là, alors que le week-end dernier sa chute semblait imminente comme celle de Kadhafi il y a un mois. Le monde serait-il plus compliqué qu'on nous le raconte ? Que voyons-nous ?
À l'automne dernier, la France estimait que la Cote d'Ivoire était engagée dans un cycle vertueux qui allait permettre le départ des troupes françaises. Selon ce que l’on pouvait considérer comme une sage politique, Paris se tenait à l'écart de la scène ivoirienne. Tout a dérapé avec l'élection présidentielle. La France, conduisant derrière elle la communauté internationale, a pris fait et cause pour le président Alassane Ouattara, élu selon les résultats apparents des urnes. Face aux blocages politiques qui sont apparus, il n'y avait que deux solutions : la négociation ou la force. La force a prévalu. On voit donc la France se ré impliquer militairement comme jamais dans une crise interne africaine, avec le spectacle de ses hélicoptères de combat ouvrant le feu sur des sites présidentiels et les troupes de Ouattara bénéficiant de l'aide bienveillante des Français.
Il est vrai que le président Ouattara est un ami: ancien directeur adjoint du FMI, marié à une Française, Ouattara a été élu en s'assurant des scores soviétiques dans les zones tenues par ses troupes peu recommandables. Mais l’Élysée avait décidé à l’avance qu’il fallait se débarrasser de Gbagbo, donc Ouattara ne pouvait pas perdre. Ce dernier est appuyé par des Forces Républicaines qui, selon le rapport de Human Rights Watch, ont « pourchassé, exécuté et violé des partisans supposés de Laurent Gbagbo alors qu'ils étaient chez eux, qu'ils travaillaient dans les champs, qu'ils fuyaient ou tentaient de se cacher dans la brousse. Dans un cas particulièrement atroce, des centaines de civils de l'ethnie Guéré, perçus comme des partisans de Laurent Gbagbo, ont été massacrés dans la ville de Douékoué, dans l'ouest du pays, par un groupe constitué d’unités des Forces Républicaines sous le haut commandement du Premier ministre d'Alassane Ouattara, Guillaume Soro ». Et ceci s’est passé, il y a quinze jours dans l’Est de la Côte d’Ivoire.
Les Français savent-ils vraiment que ces troupes sont nos alliées contre les troupes de Gbagbo ? Fallait-il autant d’activisme, dans le cas de la Libye comme de la Côte d’Ivoire ? Dans le premier cas c’était fort imprudent, dans le deuxième cas, fort contestable.
Je crains que les Libyens, les Ivoiriens et les Français payent au prix fort le prurit incontrôlé de notre Président, jouant les chevaliers blancs en Libye et réglant ses comptes personnels en Côte d’Ivoire, et j’ai bien peur que cette "stratégie" ait accessoirement des effets fortement négatifs sur l'image de la France en Afrique.
NB : ce blog doit beaucoup à une excellente analyse de Jean-Dominique Merchet, qui tient la rubrique « Secret Défense ».
Se battre en Afghanistan
C’est avec émotion que j’ai regardé dimanche soir le reportage de M6, intitulé « Les commandos de l’impossible ». Avec émotion, parce que mon fils aîné se trouve en ce moment même engagé pour la deuxième fois dans les équipes dont les reporters racontent l’histoire.
Il faut tout d’abord rendre hommage aux reporters, journalistes et cameramen qui n’ont pas hésité à prendre de grands risques pour faire comprendre au mieux ce que vivaient les femmes et les hommes engagés dans ce combat. Ce long reportage de plus d’une heure se focalise sur la vie de Kylian et d’Ulysse, tous deux pilotes inséparables d’un Caracal, le plus gros hélicoptère de transport de l’armée française, d’Alexandrine l’infirmière, de David le commando, d’Amaury le pilote de Tigre et de quelques officiers comme le colonel Goisque commandant le 126e RI sur la base de Tora en Afghanistan ou le colonel Didier Quenelle commandant les gendarmes affectés à l’assistance de la police Afghane.
Ce que l’on découvre dans ce reportage, c’est le professionnalisme, l’humanité et la détermination de soldats décidés à faire leur métier. Rien n’est caché de leurs émotions ni de leurs efforts pour lutter contre le stress, les fêtes, la gymnastique, le shopping. La vie de la base à Warehouse à côté de Kaboul est décrite dans ses détails, mais on assiste surtout au déroulement de plusieurs missions : on suit ainsi la récupération en hélicoptère (un Caracal pour le transport et un Tigre pour la protection) d’un petit garçon afghan qui s’est brûlé lors d’un accident domestique, le lancement de centaines de milliers de tracs au-dessus d’une vallée hostile et surtout le déroulement d’une mission de combat qui se termine par la récupération dramatique de deux blessés au sommet d’un piton attaqué par les rebelles, en pleine nuit.
Cette dernière affaire mérite d’être conté avec plus de détail. Le colonel Goisque décide de quitter la base de Tora avec des troupes au sol pour atteindre un village reculé et y faire une démonstration à la fois de force et de propagande. Il fait déposer par hélicoptère deux petits groupes de protection, dont l’un sur un piton qui domine la piste du convoi. En pleine nuit et malgré les lunettes de détection des émissions infra rouge, le groupe d’une quinzaine d’hommes positionné sur le piton est attaqué à la roquette. Deux d’entre eux, les infirmiers, sont blessés, dont l’un très grièvement. Le groupe se défend, mais le colonel décide de les évacuer. L’opération de récupération se révèle difficile, un hélicoptère tombe en panne, mais en définitive l’évacuation des troupes se passe sans incident. Parmi les deux blessés, l’un d’entre eux, l’infirmier major Thibault Miloche (photo ci-dessus), père de deux enfants, décéde à l’hôpital. Il faut voir l’impressionnant cortége des troupes sortant en rang par deux de la base de Tora pour accompagner sa dépouille, que l’on a ramené exprès jusque-là, rejoindre l’hélicoptère.
Dans ce reportage, on voit également les éléments français qui accompagnent les troupes afghanes dans un défilé vertigineux par lequel passe tout le trafic routier entre Kaboul et le Pakistan et les gendarmes qui encadrent, non sans quelque crainte, les policiers afghans qui contrôlent les passagers des bus.
Les leçons que j’en tire se situent à mon avis à plusieurs niveaux. Tout d’abord, je l’ai écrit au début de ce blog, on ne peut être qu’admiratif devant la qualité humaine et le professionnalisme de ces soldats de tout rang. Des gens qui savent ce que veut dire la vie, qui savent ce qu’il faut faire et qui le font, des gens qui sont conscients de leur responsabilité. Ensuite, on peut se demander si toutes les missions qui leur sont demandées sont au niveau de la qualité de ces hommes. Que l’on lance une incursion en terrain hostile est dans la nature de la mission comme celle d’accepter le risque que les Afghans que l’on forme se retournent contre les troupes françaises. Mais que l’on envoie deux hélicoptères pour soigner un petit Afghan qui a été ébouillanté par accident ou pour déverser des tracs relève des missions qu’adorent ordonner des responsables pour lesquels l’image compte plus que tout, même si je n’ignore pas l’importance des symboles. Encore faut-il qu’ils soient en harmonie avec la mission et les moyens disponibles.
Pour conclure, lorsque je vois les troupes françaises engagées dans trois conflits simultanés, en Afghanistan, en Libye et en Côte d’Ivoire, je me demande si la cohésion et la détermination de ces hommes et de ces femmes qui se battent au nom de la France ne cachent pas l’incohérence et l'irrésolution d’un pays qui se cherche.
PS : vous pouvez voir ce reportage en utilisant le lien suivant :
http://www.m6replay.fr/#/info/enquete-exclusive/25324
Une vie de chien
Êtes vous déjà allé visiter une fourrière ? vous devriez. Le texte qui suit est inspiré par le témoignage d’une personne qui travaille à temps plein dans une fourrière.
"J’aime les animaux et c’est pourquoi je travaille dans une fourrière. Pour moi, toute personne qui possède un chien devrait venir travailler un jour dans une fourrière. Elle verrait dans des cages tous ces chiens abandonnés, les yeux tristes, perdus. Ces chiens ne savent pas qu’ils n’ont que dix pour cent de chance de ressortir vivants de la fourrière, mais on dirait qu’ils le pressentent.
Il faut dire que ceux qui ont abandonné leurs chiens ont de fortes excuses : ils ont déménagé et ils ne peuvent pas emmener avec eux leur chien, ou bien ce dernier est devenu plus grand qu'ils ne pensaient à moins qu’ils n’aient plus le temps de s’en occuper…
En tout cas, ils l’ont abandonné, en général en évitant de lui jeter un dernier regard, et leur chien se retrouve en fourrière. Désormais, il ne dispose que de trois jours pour être adopté, à moins que la fourrière ne soit pas pleine, ce qui arrive rarement.
Le voilà confiné dans une petite cage, entouré des aboiements et des pleurs de tous les autres chiens. Il se peut qu’il sorte de temps en temps, s’il y a assez de bénévoles. Sinon, il ne recevra aucune attention, sauf une assiette de nourriture glissée sous la porte de sa cage et quelques giclées d'eau.
S’il se trouve que ce chien est grand, noir ou d'une race de type "bull", il est condamné à mort dés la porte de la fourrière franchie, car ce type de chien n’est pratiquement jamais adopté, même si l'ancien propriétaire a assuré, pour se donner bonne conscience, qu’il était doux ou bien dressé. Il faudra que le chien soit d’une race attractive pour que son exécution soit repoussée de quelques jours, dans l’espoir ténu qu’il trouve un maître.
En tout cas, dés qu’un chien montre la moindre agressivité, il est immédiatement sacrifié. Or, le chien le plus calme est capable de changer dans un environnement aussi angoissant qu’une fourrière. Et si le chien est contaminé par la toux du chenil ou par tout autre infection respiratoire, il sera aussi immédiatement sacrifié, tout simplement parce que les fourrières n'ont pas les moyens de payer des traitements à 150 euros pour chaque animal.
Au final, vous l’avez compris, c’est l'euthanasie des chiens qui est le quotidien des fourrières. Voici comment cela se passe :
On sort le chien en laisse. Ce dernier commence par croire qu’on va le promener, il est plein d’espoir, il remue la queue jusqu'à ce qu'il arrive à la "chambre"…Il freine alors des quatre pattes, terrorisé. Aussi bizarre que cela paraisse, tous les chiens sans exception ont le même réflexe lorsqu’ils s’approchent de la « chambre », ils sentent littéralement la mort…
Dans la pièce, le chien est maintenu en place par un technicien vétérinaire et parfois par deux, lorsqu’il est trop gros ou trop agité. Ensuite, le vétérinaire entamera le processus consistant à trouver une veine dans sa patte avant et à lui injecter une dose de “substance rose”. Chacun espère dans la fourrière que le chien ne s’affolera pas en se sentant immobilisé. Certains d'entre eux se griffent eux-mêmes au point d’être inondés de leur propre sang, et deviennent sourds à force d’aboiements. Après cette injection, les chiens sont censés dormir, encore que certains soient pris de spasmes et se répandent en excréments. C’est ensuite, lorsqu’ils dorment, qu’ils reçoivent la piqûre mortelle…
Une fois le chien exécuté, son cadavre est empilé sur les autres dans un grand congélateur, en attendant d’être soit incinéré, soit placé dans une décharge, soit d’être incorporé dans de la nourriture destinée aux animaux. Mais vous qui l’avez abandonné, vous ne préférez pas vous poser la question et puis après tout, il ne s’agit que d’un animal !
Même si je fais mon possible pour sauver toutes les vies possibles, les fourrières se remplissent sans cesse, ce qui me rend profondément malheureux. C’est ainsi qu’au bas mot trois cent animaux meurent chaque jour dans les fourrières françaises et moi je déteste ce travail et je déteste l’idée que ce travail restera indispensable tant que les gens continueront à abandonner les animaux qu’ils ont achetés ou adoptés…
Alors je vous fais deux recommandations :
- N’achetez pas de chien, tant qu’il y en aura qui meurent dans les fourrières.
- Si vous prenez un chien, je vous en prie, gardez le."
Pour ma part, j’ajouterai une pensée complémentaire à ce témoignage :
Ceux qui méprisent la vie et la souffrance des animaux ne peuvent pas prétendre qu’en revanche ils respectent la vie et la souffrance des hommes. Car il n’y a pas de différence de nature entre l’assassinat d’un être humain et celle d’un chien, à peine une différence de degré, et encore…