Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog d'André Boyer

Le métier de chercheur

29 Juin 2011 Publié dans #PHILOSOPHIE

On ne fait pas le métier de chercheur sans passion. Si elle ne suffit pas à obtenir des résultats, elle est la condition préalable à « l'inspiration » qui est seule décisive. On croit que la science n’est faite que de raisonnements et de calculs que l’on effectue dans des laboratoires et des bureaux et que l’on produit à la chaîne. Mais Il faut qu’il s’y ajoute l’inspiration pour qu’un chercheur soit capable de proposer quelque chose de valable.

 

Chercheur.jpegCette inspiration, on ne peut pas la forcer. Elle n'a rien à voir avec un froid calcul. Elle est une condition indispensable au même titre que la passion. S'il ne vient pas au chercheur une «idée » précise orientant ses hypothèses et si, pendant qu’il fait des calculs, il ne lui vient pas une « idée » concernant la portée des résultats obtenus, il n’ira nulle part.

Cette inspiration ne vient normalement qu'après un travail acharné, mais il n’en est pas toujours ainsi. N’importe qui peut avoir des intuitions, encore faut-il être capable de vérifier, d'apprécier et d'exploiter la portée de son intuition. C’est pourquoi l'inspiration ne remplace pas le travail, mais ce dernier, pas plus que la passion, ne peut remplacer ni forcer l'intuition. Il reste que le travail et la passion sont de nature à provoquer l’intuition, surtout ensemble.

Le problème est que l’intuition ne jaillit pas quand nous le voulons, mais seulement quand elle le veut. Il est exact que nos meilleures idées nous viennent lorsque nous sommes tranquillement assis dans un fauteuil ou lorsque nous nous promenons. En tout cas elles viennent au moment où nous ne nous y attendons pas et pas du tout  pendant le temps où, assis à notre table de travail, nous nous creusons la cervelle et faisons des recherches. Il est vrai aussi qu’elles ne nous seraient jamais venues si auparavant nous n'y avions pas pensé sans arrêt devant notre table de travail et si nous n'avions pas cherché avec passion une réponse…

Quoi qu'il en soit, le chercheur est obligé de compter avec le hasard sous-jacent à tout travail scientifique: l'inspiration viendra-t-elle ou non? On peut être un travailleur remar­qua­ble et n'avoir jamais eu une inspiration originale. Et il en est de même dans les activités économiques : un commerçant ou un industriel sans inspiration ou sans intuition se révéleront incapables de créer de nouvelles formes d'organisation, de nouveaux produits ou services. D’un côté l'intuition ne joue pas dans les sciences un rôle plus considérable que dans les problèmes pratiques, mais d’un autre côté elle est aussi importante dans le domaine scientifique que dans les activités artistiques. 

En effet, c'est une idée naïve de croire qu'un chercheur assis à sa table de travail peut parvenir à un résultat utile à la science en rassemblant des données ou en faisant des calculs. Lorsqu’on l’observe, l'imagination scientifique est différente de celle d’un artiste, mais le processus psychologique est le même dans les deux cas, fondé sur l'exaltation et l’inspiration.

Il reste que le travail scientifique diffère profondément de celui de l'artiste en ce sens qu’il est solidaire d'un progrès. Une oeuvre d'art vraiment achevée ne sera jamais surpassée et ne vieillira jamais. Alors que, dans le domaine scientifique, tout chercheur sait que son travail aura vieilli d'ici cinq ou dix ans. Car tout travail scientifique n'a d'autre sens que celui de faire naître de nouvelles questions, en d’autres termes il contient en lui-même les germes de son vieillissement et dépassement.

 

On ne peut accomplir un travail scientifique  sans espérer en même temps que d'autres iront plus loin, et, en principe, ce progrès se prolonge à l'infini.

 

(Adapté de Max Weber, « le métier et la vocation de savant »)

Lire la suite

Mobil man

26 Juin 2011 Publié dans #INTERLUDE

Le 5 juin dernier, j’ai publié un blog intitulé «  Professeur à titre provisoire » où j’ai compté mes premières expériences d’enseignant à la Faculté de Sciences Économiques de Nice et au Lycée Lyautey à Casablanca. À l’issue de cette période, en juillet 1971, j’obtiens facilement une lettre d’embauche à la Mobil Oil Française et je quitte avec ma famille le Maroc. 

DSC16098_DSuper5.jpgAussitôt après avoir débarqué dans le midi de la France en juillet 1971, mon premier soin fut d’acheter une nouvelle voiture. Ce choix allait se révéler tout à fait malencontreux. 

C’était l’été, nous revenions en France à l’aube d’une vie à construire. Je n’avais pas encore 27 ans, mon épouse était encore plus jeune, notre fils avait un an et demi. Il était assurément urgent d’affirmer mon nouveau statut de cadre par l’acquisition d’une belle auto, avant d’aller sillonner la France à son volant. À l’époque, comme acheter un véhicule se réduisait dans mon esprit à se procurer une Citroën, je remplaçais ma modeste Dyane 6 bleue mésange, bien adaptée au statut de jeune enseignant, par une rutilante DSuper[1] bleu ciel d’occasion récente pour le prix respectable de 10000 francs.

Au 1er septembre 1971, nous avons installé nos rares meubles dans un grand appartement de quatre pièces que nous avait généreusement alloué la Mobil dans l’immédiate périphérie de Saint Germain en Laye, le temps de ma période de formation et de stage. En outre, la Mobil  m’octroyait un bon salaire de 3200 francs par mois[2].

La DSuper allait pouvoir servir quotidiennement puisque j’étais affecté, durant la période du stage, à Gennevilliers où se situait le port pétrolier de la capitale, à 22 kilomètres de notre résidence. J’allais tout de suite découvrir qu’il me fallait une bonne heure, matin et soir, pour joindre les deux, sans pouvoir éviter le passage laborieux du pont d’Argenteuil. J’ai immédiatement ressenti  ce parcours de la banlieue en automobile comme  une pénible corvée. C’est que je débarquais de Casablanca, son soleil et ses déplacements rapides (cela a bien changé !)  et je me trouvais brusquement immergé dans l’ambiance grisâtre des embouteillages parisiens. Le matin, je montais dans ma DSuper, le cœur plein de courage et le soir, je rejoignais l’appartement à moitié vide[3] de meubles, l’oreille un peu basse, retrouver femme et enfant qui avaient passé la journée comme ils le pouvaient. De mon point de vue, il y avait une sorte d’incompatibilité entre la vision flamboyante de la vie que proclamait la belle DSuper et le piteux trajet qu’elle devait accomplir à petite vitesse sur le parcours maussade allant de Gennevilliers à Saint-Germain, car c’est surtout au retour que j’en percevais toute la médiocrité, qui rejaillissait sur la vision de ma vie. Aussi, prenant acte des mauvaises manières que je faisais subir à cette voiture, conçue pour glisser silencieusement le long de routes désertes encadrées de majestueux platanes et non pour ahaner au milieu de médiocres véhicules couverts de suies et de poussières que malmenaient d’atrabilaires conducteurs gris, je décidais de m’en séparer le cœur serré pour revenir humblement à mes anciennes inclinaisons. Je l’échangeais littéralement[4] contre une Dyane 6 rouge qui devait avoir par la suite une très longue carrière.

Ce changement de véhicule, même si je n’en eu pas tout à fait conscient sur le moment, avait une connotation chargée de symboles. C’était assurément un signe de révolte contre la vie dans la banlieue parisienne  mais, en reprenant un véhicule d’étudiant, c’était plus profondément une négation de mon « statut » de cadre. Mes collègues de la Mobil ne manquèrent pas de me le faire savoir. 

C’est que ma déception ne s’adressait pas qu’aux déplacements, elle concernait aussi la Mobil.



[1] Une des dernières versions de la DS (1955-1975), dotée de phares qui pivotaient avec la direction.

[2] Ce qui correspondrait aujourd’hui, compte tenu de l’indice des prix à  environ 3200€. C’était  un bon salaire, pour un débutant !

[3] Nous avons essayé de  meubler l’appartement notamment avec des chaises pliantes achetées au BHV et de bons gros fauteuils blancs bien pneumatiques, dont je possède encore quelques exemplaires.

[4] Je payais 9700 francs la Dyane 6 neuve, contraignant, situation rarissime, Citroën Saint Germain en Laye à me livrer la Dyane et à me verser en outre la somme de 300 francs en échange de la DSuper. 

Lire la suite

Leviathan dévore le Roi

20 Juin 2011 Publié dans #HISTOIRE

Je reprends aujourd’hui le fil de mon récit de l’histoire du pouvoir royal, qui aide beaucoup à comprendre pourquoi nos dirigeants se croient toujours au-dessus du peuple.

 

ace481d92a1862808d59d1f3fbb87bf3.jpgBeaucoup d’encre a coulé de mes blogs depuis le 25 avril dernier, date à laquelle j’ai traité du comportement  au pouvoir de Louis XV. Souvenez-vous, j’écrivais alors que, lorsque Louis XV mourut, ce fut dans l’indifférence ou l’hostilité, tant ses actes à la tête du pouvoir avaient paru illégitimes, même si cette illégitimité tenait plus à la structure de l’Etat qu’à ses actes personnels.

Le dernier acte avant la révolution restait encore à jouer, car Louis XV annonçait Louis XVI, que je qualifiais de roi trop faible pour un pouvoir trop lourd. C’est ainsi qu’après avoir dévoré ses sujets, le Léviathan découvrit, à califourchon sur son cou monstrueux, un petit roi timide. Aussitôt, il le dévora.

Devant le tribunal de l’histoire, comment condamner Louis XVI ? Certes, il n’a pas su résoudre les contradictions entre la nécessité de procéder à des réformes et le besoin de conserver les traditions. Mais qui l’aurait pu ? Un roi autoritaire aurait-il pu garder le pouvoir après les excès de Louis XIV ? comment l’absoudre par ailleurs, lui qui était assez inconscient pour prétendre maîtriser un système dont il avait perdu toutes les clefs ?

Louis XVI, dernier roi de l’Ancien Régime fut exécuté pour des raisons politiques, seulement accusé d’avoir été roi. Petit-fils de Louis XV, devenu dauphin en 1765, roi en 1774, il commença par faire machine arrière en rétablissant les Parlements dans les pouvoirs que Louis XV avait rognés, leur abandonnant un lambeau du pouvoir royal. Il se consacra ensuite à reformer l’économie en pratiquant une saine gestion des finances royales, des réductions d’impôts et en laissant la liberté de circulation aux produits.

Lorsqu’il supprima la corvée et les corporations. Les parlementaires y virent l’annonce de la fin de la société d’Ordres ; leur opposition contraignit Louis XVI à faire machine arrière, mettant fin à sa tentative de révolution par le haut. De même, les propositions de Necker de mettre en place un système de régie pour la perception des impôts et de créer des assemblées provinciales se heurtèrent à la résistance des parlementaires mobilisés contre cette atteinte à leurs pouvoirs.

En soutenant la guerre d’indépendance des colonies d’Amérique, Louis XVI s’engagea dans une opération idéologique où il s’agissait de délier des sujets de leur obéissance envers un souverain européen au nom de principes universels. L’introduction dans le vocabulaire de mots comme « patriote » ou « convention » témoigne des bouleversements de l’opinion publique, dont l’influence sur les affaires de l’État alla croissant.

Devant la persistance des difficultés financières fortement aggravées par la guerre d’Amérique, Louis XVI appela Calonne qui élabora un plan « d’amélioration des finances ». Ce plan consistait essentiellement à  introduire des impôts sur les biens fonciers, selon une répartition effectuée par des propriétaires élus au sein d’assemblées consultatives et sans distinction d’ordre. Elle engendra un mouvement de protestation des élites traditionnelles contre ce qui apparaissait comme une contestation de l’ordre établi, un mouvement qui se révéla suffisamment fort pour faire chuter Calonne en 1787, ce qui rendait à terme indispensable la convocation des États Généraux.

Face à ces derniers, Louis XVI était à la fois privé du soutien des « privilégiés » et déconsidéré aux yeux des « patriotes ». La prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, ruina tous ses efforts pour contrôler le jeu politique. Dés octobre 1789, Il fut pris en otage par la foule parisienne qui l’obligea à accepter les décrets d’août 1789 et à s’installer à Paris avec sa famille.

La situation lui échappa ensuite progressivement jusqu’au 21 juin 1791, ou la famille royale quitta Paris dans l’espoir de passer sous la protection de l’empereur d’Autriche. Ramené à Paris, il soutint, dans un dernier effort de résistance, un affrontement armé entre l’aile radicale de la Révolution et les défenseurs du roi, qui tourna à son désavantage et marqua la fin de la monarchie.

La monarchie succombait provisoirement, avant de réapparaître pour un petit tiers de siècle en 1814. Mais l’Etat centralisé, qui était l’apport fondamental de la monarchie française depuis Philippe le Bel ne disparaissait pas pour autant, au contraire.

Tombant des mains débiles de Louis XVI, le pouvoir échut à des maîtres autrement plus énergiques, qui le sanctifièrent au nom de principes supposés universels, à la manière de la monarchie qui s’était adossée à l’onction divine. Pour plus de sûreté, à l’aide de vigoureux massacres à l’intérieur et de la guerre révolutionnaire portée à l’extérieur du pays, les nouveaux détenteurs du merveilleux pouvoir centralisé français firent savoir urbis et orbis qu’ils ne s’en laisseraient pas déposséder facilement.

 

La « France » était de retour.  

 

Lire la suite

Il ne s'est rien passé au Portugal?

12 Juin 2011 Publié dans #ACTUALITÉ

Comme vous le savez, il ne s’est rien passé au Portugal le 5 juin dernier.

 

images-copie-1.jpegIl a fallu tendre l’oreille pour apprendre qu’il s’était déroulé là-bas une élection qui avait vu la victoire historique de la droite sur  la gauche. Mais les médias français nous ont expliqué que cela ne change rien car les partis portugais s’étaient entendu avant les élections, droite et gauche confondus, pour appliquer la potion du FMI et de l’UE. Regardons les faits de plus prés. 

 

L’abstention, vainqueur des élections portugaises :

L'abstention a dépassé 40%, ce qui  est un record absolu pour des législatives depuis l'avènement de la démocratie au Portugal en 1974. Cela montre surtout que les Portugais ne se font aucune illusion sur la capacité de leurs gouvernants à améliorer la situation.  Il reste qu’avec 39% des suffrages exprimés qui lui donne 105 sièges, le Parti social-démocrate de Passos Coelho bénéficie d'une majorité confortable, car il est allié au  CDS-PP qui comptabilise 24 élus, ce qui fait un total de 129 sièges sur les 230 qu'en compte la chambre portugaise uni camérale. Le Parti socialiste enregistre symétriquement une lourde défaite puisqu’il perd  24 députés avec 28% des voix (moins 8%) et ne dispose plus que de  73 sièges à l'Assemblée de la République. Le CDU (Coalition Démocratique Unitaires rassemblant les communistes et les écologistes) enregistre de son côté une légère progression passant de 15 à 16 députés avec un pourcentage constant de 7% des voix. Le Bloc de gauche (extrême gauche) perd la moitié de ses voix pour se retrouver avec 5% des voix et 8 sièges. Les résultats complets du scrutin seront annoncés le 15 juin après le dépouillement des votes de l'étranger qui sont représentés par 4 élus.

On peut donc craindre une crise profonde de la démocratie représentative au Portugal, induite par l’impression qu’il n’y a aucun véritable choix politique. Le quotidien Jornal de Notícias a commenté les élections en ces termes, le 6 juin : « Désormais, ce sont donc le PSD et le CDS qui remplaceront le PS pour devenir les gouverneurs du FMI, de l’UE et de la BCE et appliquer les plans du marché pour le protectorat portugais. »

 

Le leadership du futur chef de gouvernement portugais ?

Né en 1964, Pedro Passos Coelho est un homme d'appareil, sans expérience en termes de charges publiques puisqu’il n’a été que député et maire de Vila Real[1], mais jamais ministre. Pedro Passo Coelho a grandi en Angola, où son père travaillait comme médecin. C’est un homme politique auquel on n'attribue pas le moindre écart de conduite. Après un premier échec, il a été élu en mars 2010 président du PSD avant de remporter l’élection anticipée de juin 2011. Il dispose d’un entourage formé de politiques peu expérimentés si bien que personne ne peut prédire ce que seront ses capacités de leader dans un pays en crise.

 

Le diagnostic portugais : rétablir les équilibres financiers 

Le Parlement a été dissous fin mars 2011, lorsque José Socrates a vu son quatrième plan d'austérité en moins d'un an rejeté par le Parlement. Ce dernier a été contraint, deux semaines plus tard, à faire appel à l'aide internationale en raison de la hausse insupportable des taux d'intérêt exigés par les marchés. Lourdement endetté avec 160 milliards d'euros fin 2010, le Portugal a fini l'année 2010 en récession avec un déficit public représentant 9,1% de son PIB et un chômage concernant plus de 11% de la population active.

Pedro Passos Coelho a promis d'aller « bien au-delà » des exigences posées par l’UE, le FMI et la BCE en échange d’un prêt de €78 milliards. Mais il devra commencer par réduire le déficit public de 9,1% du PIB l'an dernier à 5,9% cette année, et descendre à 3% d'ici 2013, quels que soient les moyens choisis.

 

L’ambiance portugaise: révolution libérale ou résignation ?

L’objectif de Pedro Passos Coelho est de surprendre les investisseurs de manière à ce que le Portugal revienne sur le marché des capitaux le plus vite possible. Il lui faut à la fois baisser les dépenses et relancer la croissance. Il a l’ambition d’établir un « contrat social » entre l’État, les employés et les syndicats, mais il se heurte à la résistance de syndicats opposés aux réformes du marché du travail. Il veut faire une réforme constitutionnelle pour faciliter les réformes, mais il a besoin pour ce faire de l’appui de l’opposition socialiste.

 Son manifeste électoral est une rupture par rapport à une pensée politique portugaise dominée par l’idéologie de l’État providence. Cette rupture est en opposition avec la tradition paternaliste de l’État portugais depuis des siècles.

 

Il s’est donc passé quelque chose au Portugal le 6 juin dernier, et l’on ne sait pas encore si cela conduira à l’émergence d’un Portugal libéral ou au repli du Portugal sur ses valeurs séculaires. 

 



[1] 60000 habitants, située dans la Région Nord du Portugal. 

Lire la suite

La leçon de Sisyphe

9 Juin 2011 Publié dans #PHILOSOPHIE

Le mythe dit que les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu'au sommet d'une montagne d'où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu'il n'est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir. Pourquoi l’avaient-ils condamné à cette terrible punition, nul ne sait, on se perd donc en conjectures…

Sisyphe-copie-1.jpegOn a compris que Sisyphe est le héros absurde. Pauvre Sisyphe !  on voit tout l'effort de son corps tendu pour soulever l'énorme pierre, la rouler et l'aider à gravir une pente cent fois recommencée ; on voit le visage crispé, la joue collée contre la pierre, le secours d'une épaule qui reçoit la masse couverte de glaise, d'un pied qui la cale, la reprise à bout de bras, la sûreté tout humaine de deux mains pleines de terre. Tout au bout de ce long effort mesuré par l'espace sans ciel et le temps sans profondeur, le but est atteint.

Sisyphe regarde alors la pierre dévaler en quelques instants vers ce monde inférieur d'où il faudra la remonter vers les sommets. Il redescend dans la plaine. Il redescend d'un pas lourd mais égal vers le tourment dont il ne connaîtra pas la fin. Cette heure est celle de la conscience et, si cette histoire  est tragique, c'est que son héros est conscient : Sisyphe, prolétaire des dieux, impuissant et révolté, connaît toute l'étendue de sa misérable condition.

Il sait par contre qu’il n'est pas de destin qui ne se surmonte par le mépris.

Si la descente se fait certains jours dans la douleur, elle peut se faire aussi dans la joie. Quand les images de la terre tiennent trop fort au souvenir, quand l'appel du bonheur se fait trop pressant, il arrive que la tristesse se lève au cœur de l'homme : c'est la victoire du rocher. L'immense détresse est trop lourde à porter. Mais les vérités écrasantes périssent d'être reconnues. Le bonheur et l'absurde sont deux fils de la même terre. Ils sont inséparables et il arrive que le sentiment de l'absurde naisse du bonheur. Il n'y a pas de soleil sans ombre et il faut connaître la nuit. L'homme absurde dit oui et son effort n'aura plus de cesse.

Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là. Son destin lui appartient. Son rocher est sa chose. À cet instant subtil où l'homme se retourne sur sa vie, Sisyphe, revenant vers son rocher, contemple cette suite d'actions sans lien qui devient son destin, créé par lui, uni sous le regard de sa mémoire, et bientôt scellé par sa mort. Aveugle qui désire voir et qui sait que la nuit n'a pas de fin, il est toujours en marche.

 

Il arrive au sommet. Le rocher roule encore : il sait qu’il retrouvera toujours son fardeau. Mais cet univers ne lui paraît ni stérile ni futile, car la lutte vers les sommets, la remontée du rocher, suffisent à remplir son cœur d'homme : Il faut imaginer Sisyphe heureux.

 

NB : ce texte est librement adapté de l’essai d’Albert Camus, « Le mythe de Sisyphe », écrit en 1942. 

Lire la suite

Professeur à titre provisoire

5 Juin 2011 Publié dans #INTERLUDE

La première fois où j’ai donné un cours, je venais de recevoir, dix minutes auparavant, un coup de poing dans la figure. 

Eleves.jpegC’était fin octobre 1968. Je venais d’être chargé de Travaux Dirigés à la suite de ma réussite à la Licence de Mathématiques. Il me fallait encore achever ma Licence de Sciences Économiques et le CAAE (l’actuel Master en Administration des Entreprises) qui pouvait à l’époque être  suivi en même temps que la Licence. Le mois précèdent, je m’étais marié avec Elisabeth qui avait terminé  pour sa part une Maîtrise de chimie. En ce samedi après midi, je me trouvais encore place Masséna vingt minutes avant le début des cours quand je réalisais qu’il fallait se dépêcher  pour  ne pas arriver en retard. J’inaugurais ainsi, sans le savoir, une très longue série de cours pour lesquels j’arriverai avec cinq minutes de retard, faute de prendre une petite marge de sécurité. Je ne sais pourquoi, je n’ai jamais aimé arriver en avance à un cours.

Je montais rapidement dans ma 2 CV, accélérais avenue de Verdun et doublais, sans trop prendre le temps de regarder derrière moi, une voiture qui se traînait. Ce faisant, j’obligeais une 4L de livraison, qui me suivait de près, à freiner violemment. Pressé par le temps, je n’y prêtais pas vraiment attention. Je fonçais Promenade des Anglais, obliquais Boulevard François Grosso et stoppais à un feu rouge au niveau de la rue Dante. C’est alors que ma porte gauche s’ouvrit violemment et que je reçu un coup de poing de la part du chauffeur livreur de la 4L qui m’avait suivi trois kilomètres pour se venger. Compte tenu de l’imminence du premier cours de ma vie, je résistais à la tentation de répliquer physiquement, relevais[1] le numéro de la voiture du boxeur et continuais ma route, la lèvre fendue, jusqu’au campus Droit où j’ai encore mes entrées aujourd’hui. Si je me rappelle bien les prolégomènes de ce premier TD de Statistiques et l’émotion que je ressentais de devoir enseigner pour la première fois dans de telles circonstances, je ne me souviens plus du tout en revanche de la qualité de ce cours…

Aujourd’hui en ce mois de juin 2011, j’en suis à près de 42 ans d’enseignement, si je soustrais de mon activité d’enseignant l’année que j’ai passé à la Mobil Oil entre septembre 1971 et août 1972. Dans cette Faculté de Droit et de Sciences Économiques qui n’avait guère plus de trois ans d’existence dans ses locaux modernes, les  événements de 1968 ne dataient que de quelques mois lorsque je donnais mes premiers Travaux Dirigés. Nous étions encadrés par de jeunes et vieux mandarins qui ne s’attendaient pas à être aussi fort secoués dans leurs certitudes et leurs positions. C’était encore l’époque où les bureaux du cinquième étage face à la mer avaient été soigneusement attribués en fonction du rang professoral, la salle des actes emplie par une immense table en bois précieux, la salle des pas perdus ornée d’une magnifique mosaïque de Chagall et il ne s’agissait pas pour le personnel administratif de garer son véhicule au premier niveau du parking : il était réservé aux professeurs.

Pendant mon année mixte d’étudiant et d’enseignant, je participais aux débats sur les statuts de l’IAE, mais ce monde solidement hiérarchisé et fortement refermé sur ses domaines spécifiques  ne me tentait guère, tant il me semblait en dehors de la vraie vie. Après une vingtaine d’années d’études, je pensais en effet qu’il était temps de rejoindre le monde réel, celui des entreprises. En attendant, en tant que jeune marié, il me semblait préférable d'accomplir, comme coopérant militaire, deux ans d’enseignement au Lycée Lyautey en compagnie de mon épouse que seize mois de service national dans une caserne…

C’est ainsi que je commençais ce que je croyais être une brève carrière d’enseignant à Casablanca, où j’interviens encore, toujours en tant qu’enseignant, quarante-deux années plus tard. Il faut dire que ce métier de professeur au Lycée ne m’a pas déplu, ni la vie à Casablanca d’ailleurs. Je devais enseigner les sciences économiques et les mathématiques à des élèves de terminales et de premières des filières classiques et techniques. Pour ces dernières, cela n’a pas très bien tourné. Les classes de Terminale G2 (plutôt comptabilité) se sont révélées turbulentes  et j’ai aussitôt pris des mesures extrêmes, heures de colle puis exclusions, qui ont conduit à une sorte de révolte générale des élèves. C’est à cette occasion que j’ai appris qu’il ne fallait pas « surjouer » le rôle de professeur.  Le proviseur a trouvé un moyen terme entre la satisfaction des revendications des élèves et le soutien à son jeune professeur inexpérimenté. Il m’a donné une autre classe à la place des Terminales G2. Avec la Première G1 (secrétariat) composée à 100% de filles ignorant tout et ne voulant rien savoir des mathématiques, d’une certaine manière cela n’a pas mieux marché qu’avec les G2, mais j’ai su trouver tout seul un gentleman agreement : elles passaient des chansons sur leur Teppaz pendant leur heure de cours hebdomadaire de "mathématiques" et moi je corrigeais des copies. Si je voulais être complet sur mes aventures d’enseignant, il faudrait que je vous raconte le déroulement du Baccalauréat 1971 à Rabat, mais ce sera pour une autre fois…

Dans l’ensemble, j’étais plutôt content de mes cours et de mes élèves dont certains sont aujourd’hui bien connus au Maroc, Hassan Abouyoub, actuel ambassadeur itinérant du Roi Mohammed VI ou les jumeaux Nadir et Fahd Yata, fils du célèbre dirigeant communiste Ali Yata. Je n’oublie pas non plus que l’un de mes anciens élèves de l’époque est aujourd’hui mon collègue. Je m’y suis fait par ailleurs des amis, qui le sont toujours.  La douceur de la vie marocaine et la naissance de notre fils Thierry aidant, je me serais bien installé au Maroc en prolongeant ad vitam aeternam le contrat de deux ans que j’avais signé avec la MUCF (Mission Universitaire et Culturelle Française au Maroc). Mais il fallait être sérieux et renoncer à la vie de Capoue pour entrer enfin dans la vraie vie, celle de cadre d’une grande société multinationale, la Mobil Oil Française. En cette époque révolue, il m’avait suffi en effet d’adresser trois lettres de candidature spontanée, une à Air France, une à Shell et une à Mobil Oil pour être embauché. Pour cette dernière, je bénéficiais en outre de la recommandation du directeur de la Mobil Oil Maroc, Louis Ravier.

 

Aussi, muni d’une promesse d’embauche au 1er septembre 1971, ma femme, mon fils et moi quittions « définitivement » le Maroc le 17 juillet 1971, sept jours après l’attentat de Skhirat, à destination de Marseille, à bord du tout nouveau Massalia de la compagnie Paquet. C’était la fin, du moins je le croyais, de ma brève expérience d’enseignant…

 



[1] Le pauvre chauffeur y perdit : rancunier, je portais plainte et il fut licencié par son employeur, Prénatal. 

Lire la suite

Être dirigé, pourquoi pas, mais dirigé vers où?

2 Juin 2011 Publié dans #ACTUALITÉ

Bien des questions agitent nos esprits depuis que la mondialisation a succédé à la guerre froide. Tandis que nous cherchons des solutions pour conserver nos positions, le point de vue des pouvoirs en place est que nous sommes tout simplement dans l’obligation de nous adapter à la mondialisation.

 

images.jpegNul ne disconvient que ces jeunes qui ne trouvent que de bas salaires, ces  ouvriers confrontés au chômage, ces agriculteurs qui doivent surfer sur les montagnes russes des prix agricoles mondialisés, ces retraités aux revenus étiques puissent nourrir quelques doutes sur le bien fondé de la mondialisation. Beaucoup reconnaissent que ces petites gens, qui voient leurs quartiers autrefois populaires se transformer à un patchwork où cohabitent des  déracinés de tous horizons, paient au  prix fort la nécessité de la diversité. On vous comprend, leur concède les bonnes âmes. Vous avez la nostalgie de cette période bénie où il n’y avait pas de chômage, où les pays émergents n’exerçaient pas de pression sur le  niveau des salaires et de protection sociale, où les régimes autoritaires du Sud et de l’Est empêchaient leurs ressortissants de déguerpir et où la menace du communisme obligeait les détenteurs de capitaux à modérer leur appétit.

Mais voilà, les belles années sont terminées, le temps est venu des temps difficiles, il faut vous résigner à vous y adapter. Vous n’avez pas le choix. Car, depuis le choc pétrolier de 1973, les choses ont changé pour l’Europe. Il faut vous faire à l’idée que le chômage restera un mal endémique, il faut accepter l’idée que nos enfants auront une vie moins facile que la nôtre et que ce sont les Chinois qui bientôt domineront le monde.

Pour convaincre les masses de se résigner, le mot clé est celui de l’absence de  solution alternative. Moi ou le chaos, avançait[1] De Gaulle en 1965. Il n’y a pas d’autre choix disait, paraît-il, Margaret Thatcher, en imposant ses solutions libérales à la Grande-Bretagne. Quoi qu’il en soit, l’objectif stratégique central du pouvoir est d’une clarté aveuglante :

L’économie de marché mondialisée oblige l’Europe en général et la France en particulier à s’y adapter à la vitesse maximale en faisant sauter progressivement tous les verrous qui s’y opposent. Entreprises publiques jugées inefficaces, coûts de production jugés trop élevés, règlements estimés protectionnistes, frontières supposées freiner les échanges, emplois et protection sociale abusivement réservés à certains groupes, la liste des particularités nationales vouées à être démantelées s’allonge sans cesse. Il s’agit d’éliminer à terme tous les obstacles qui empêchent les employeurs de trouver, dans l’espace géographique que l’on continuera par habitude d’appeler « France », des employés aussi compétitifs que dans n’importe quel autre pays du monde. Dans cette perspective concurrentielle, la différence culturelle n’est pas un atout. Au contraire, l’immigration apparaît comme une nécessité démographique et un avantage économique puisqu’elle fait baisser le coût du travail; on ajoute, sans trop le proclamer, que c’est, qu’on le veuille ou non, une fatalité géopolitique puisque la pression migratoire semble impossible à contrôler. C’est pourquoi le concept de « diversité » est devenu le porte-drapeau de cette politique qui considère que toute mention d’une différence est négative, voire un délit[2].

Ce primat de la compétitivité sur tout autre objectif collectif a été jusqu’ici tacitement ratifié par la population. Du coup, le pouvoir politique s’est cru fondé à soutenir toutes les initiatives européennes visant à intégrer la France dans les flux mondiaux, qu’ils soient humains, économiques, monétaires, politiques ou militaires. Tous les traités convergent pour  abolir les frontières à l’intérieur de l’Union Européenne mais aussi  entre l’Union Européenne et le reste du monde dans quatre domaines stratégiques, dans l’ordre : la finance, les marchandises, les hommes et la monnaie. Les transferts de capitaux sont libres à l’intérieur de l’UE et par voie de conséquence avec tous les pays du monde. Les taux d’intérêt sont déterminés par les marchés mondiaux comme peuvent le découvrir avec effroi les infortunés ressortissants de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal, qui subissent des taux usuraires[3]. C’est que l’Euro échappe aux politiques nationales pour devenir un outil d’ajustement du système financier mondial.

Pourtant, il semble que ce consensus qui rassemble les élites européennes soit de moins en moins partagé par leurs populations, plaçant les dirigeants politiques dans une situation inconfortable. D’un côté, il leur faut suivre la tendance, maintenir ouverts les marchés, les frontières, emprunter, envoyer des soldats en Afghanistan ; en somme s’adapter à l’évolution d’une mondialisation schématiquement pilotée par les banquiers new-yorkais. D’un autre côté, il leur faut composer avec des gens dont ils sont théoriquement les représentants. Or, si les membres de l’élite, politiciens, hommes d’affaires, intellectuels, journalistes, artistes, estiment qu’ils ont le devoir de  faire accepter aux gens ce qu’ils appellent la « réalité », ils manquent de légitimité démocratique pour requérir des choix énergiques, car ce sont eux qui se sont imposés à la population et non cette dernière qui les a choisis, puisque cette élite s’arrange pour s’auto-reproduire. C’est ce que clament les manifestants qui occupent les places centrales des villes espagnoles.

Aussi, à travers toute l’Europe, les groupes dirigeants sont convaincus que l’une de leurs tâches prioritaires consiste désormais à neutraliser la tendance naturelle du peuple à se cabrer contre la « réalité », ce qu’ils appellent le populisme. Ils se trouvent contraints de contrôler ce peuple qu’il ne faut ni effrayer ni conduire sur des chemins trop escarpés sur lesquels il pourrait désarçonner son cavalier. La difficulté de l’exercice se précise lorsqu’une élection se profile, avant laquelle il s’agit de ne pas désespérer les gens, tout en leur donnant quelques espoirs mais en évitant qu’ils ne s’exaltent trop pour pouvoir continuer sur la même voie, une fois l’élection passée.

Pour eux, c’est un exercice difficile, mais nous, en tant que citoyens subissant ce point de vue unanime de nos dirigeants, notre dilemme consiste à décider si nous devons ou non passer outre à leurs discours.  

En d’autres termes, avons-nous encore le choix ?

L’Europe, la France, nos régions, nos villes, nos quartiers doivent-ils se dissoudre au sein des populations venues de toutes les parties du monde ? L’Europe, la France doivent-elles accepter leur progressive disparition en tant qu’acteur sur la scène mondiale, la France doit-elle accepter la destruction de ses moyens de production industrielle et la perte de son autonomie financière ? Ou bien devons-nous nous rebeller contres ces tendances et camper sur la défense de nos positions acquises ? Devons-nous résister ?

Je ne sais pas si ces questions se posent, du moins de manière aussi abrupte, mais je constate que nos dirigeants continuent à nous cacher les alternatives qui se présentent à nous. Ils vont répétant que l’Europe, la France se battent chaque jour pour maintenir leur compétitivité dans le cadre de la mondialisation, mais sans nous dire expressément si nous sommes en train de gagner ou de perdre la guerre. Lorsque l’on livre une bataille, il est pourtant essentiel que les officiers  ne cachent pas aux soldats s’ils sont en train de gagner ou de perdre la bataille, pour que ces derniers trouvent des raisons de se battre, prendre l'offensive ou se replier en bon ordre…

 

Aussi, pour nous faire croire qu’il n’existe qu’une seule voie, celle qu’elles ont choisi pour nous, nos élites commettent une grande faute en occultant les données des choix qui se posent à nos sociétés. Car les populations ainsi dirigées se posent de plus en plus ouvertement la tragique question suivante :

 

Être dirigé, pourquoi pas, mais dirigé vers où ?

 

 



[1] « Que l'adhésion franche et massive des citoyens m'engage à rester en fonctions, l'avenir de la République nouvelle sera décidément assuré. Sinon, personne ne peut douter qu'elle s'écroulera aussitôt et que la France devra subir - mais cette fois sans recours possible - une confusion de l'Etat plus désastreuse encore que celle qu'elle connut autrefois » Charles De Gaulle, allocution du 4 novembre 1965

[2] Le 17 février 2011, la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris a condamné le journaliste Eric Zemmour pour avoir prononcé sur Canal+ la phrase suivante : «Mais pourquoi on est contrôlé 17 fois? Pourquoi? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est comme ça, c’est un fait».

[3] Le 26 avril 2011, les taux à 2 ans et à 10 ans grecs ont atteint des niveaux jamais égalés : le rendement de l'obligation d'Etat à 2 ans a progressé à 23,237% et le taux sur le 10 ans à 15,058%.

Lire la suite