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Le blog d'André Boyer

Prison et Résurrection

29 Janvier 2012 Publié dans #HISTOIRE


Dans le dernier blog que je lui ai consacré, le 19 janvier dernier, nous avons vu Hélie Denoix de Saint-Marc plaider devant ses juges. En réponse, le jugement du tribunal militaire, logique et terrible, tombe : dix ans de réclusion criminelle.

Il se retrouve dans la prison de Tulle. Lisons le, ses mots exhalent la sincérité :

 

Prison-Tulle.jpg« Une heure, un jour, j’ai tout perdu. Je me suis retrouvé seul dans une cellule. J’ai compris alors la vanité de bien des choses et l’hypocrisie de bien des hommes. J’ai vécu les premiers mois de détention en référence constante aux camps de concentration. Ce souvenir me donnait de la force. Vingt ans plus tôt, j’avais tenu le coup. Pourquoi lâcher prise ? Le désarroi m’envahissait en pensant à ma femme, si jeune encore. Tout juste vingt-cinq ans et deux petites filles qui parlaient à peine. Dans la tempête, il est plus facile d’être seul. Quand on y entraîne les siens, les choses deviennent obscures.

Aujourd’hui encore, des souvenirs de coursive, de fenêtres ouvertes sur le béton, de nuits d’angoisse, d’ennui à couper au couteau, remontent parfois à la surface. Ce ne sont pas des images anodines. Le corps se met en berne, lourd et fatigué. Le ciel devient blafard. Je me suis senti soudain comme un prisonnier en cavale, dont l’esprit échafaude mille solutions pour ne pas être renvoyé en cellule.

 Aucune solidarité humaine ne pourra jamais empêcher l’enfermement d’attaquer les prisonniers dans ce qu’ils ont de meilleur. Comme la rouille érode le fer, la prison détruit. C’est un pourrissoir moral. L’uniformité des jours m’écrasait. J’étais nourri, chauffé, logé. Je n’avais plus aucune initiative, aucune responsabilité. Chaque heure, chaque minute, il fallait résister à la destruction de soi. Au fil des mois, l’angoisse devint mon ennemie familière : l’impuissance, l’accablement des aubes sans oubli, l’ennui monstrueux que rien ne pouvait combler. L’angoisse montait à intervalles réguliers, comme une marée puissante, bousculant les résolutions, la volonté, le courage. C’était une lutte exténuante qui se déroulait dans un cadre morne, toujours semblable, dont la règle était la régularité oppressante des horaires… »

 

Il est gracié au bout de cinq ans et quitte la prison de Tulle le jour de Noël, le 25 décembre1966:

 

« … À ma sortie, en dehors de l’oasis familiale, j’ai connu une sorte de trou noir. Je ne reconnaissais plus ni les lieux, ni les gens, ni les enseignes, ni les voitures. Je me sentais étranger dans un monde étranger. Je n’avais plus de papiers d’identité, plus de carnet de chèques, plus de maison, plus de métier. Pour de longs mois encore, j’étais un citoyen de second rang. On m’invita à Paris quelques jours, et ce fut pire encore. J’avais une sensibilité exacerbée, presque obsessionnelle, vis-à-vis de la vanité, de l’hypocrisie, des tiroirs à double-fond de la comédie humaine. On me posait des questions imbéciles sur ma détention. La moindre manifestation maladroite, qu’elle fût de mépris ou de flatterie, réveillait ma colère. 
Il s’en est fallu d’un rien pour que je bascule dans une délectation tragique et un puits d’amertume. »

Il s’installe alors à Lyon 
avec l'aide d’André Laroche, le président de la Fédération des déportés et il commence une carrière de cadre  dans l'industrie, en tant que directeur du personnel dans une entreprise de métallurgie qu’il achève en 1988. Dix ans auparavant, il avait été rétabli dans ses droits civils et militaires.

 

Il avait toujours été reconnu par ses pairs, mais c’est désormais le temps de la célébrité et des célébrations. En 1995 sont publiés, grâce à Laurent Beccaria, Les champs de braises. Mémoires, un ouvrage couronné par le Prix Femina, catégorie essai. Puis notamment, Les Sentinelles du soir, en 1999 et Notre histoire (1922-1945), coécrit avec August von Kageneck en 2002.

Finalement, il est fait Grand'Croix de la Légion d'honneur, le 28 novembre 2011 par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, à 89 ans.

 

Même s’il ne fait pas l’unanimité*, le voilà désormais consacré comme un homme célèbre, qui a eu un parcours de vie remarquable et qui souhaite laisser aux Français un message.

 

* Nous consacrerons un dernier blog aux jugements portés sur la signification des actes militaires d’Hélie Denoix de Saint-Marc. 

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Qui sont exactement les 1% les plus riches aux États-Unis?

26 Janvier 2012 Publié dans #ACTUALITÉ

1-pour-cent-logement.jpgDes déplacements professionnels nombreux m’ont contraint à retarder la publication de mon blog. Je m’en excuse auprès de mes lecteurs. Vous trouverez ci-dessous une analyse issue de The Economist du 21 janvier dernier sur l’origine et la nature de la richesse des 1% les plus riches aux Etats-Unis. Elle montre l’importance nouvelle de la finance dans les revenus des plus riches.

Tel Ross Perot, les milliardaires ont toujours été nombreux à briguer la Présidence des Etats-Unis. Il reste que Mitt Romney, qui a gagné 200 millions de $ comme cadre dirigeant dans une société financière, est le premier candidat issu du monde de la finance. C’est en quoi il illustre les changements intervenus dans la structure des riches aux Etats-Unis.

Le revenu moyen des 1% les plus riches en 2008 aux Etats-Unis était de 1,2 millions de $. La moitié de leurs revenus sont des salaires, un quart des dividendes et le reste provient de la finance et de l’immobilier. Selon une étude universitaire*, 16% de ces 1% les plus riches appartiennent au corps médical et 8% des juristes : ces proportions n’ont pas changé depuis  26 ans, alors que la proportion des financiers est passée pendant la même période de  8% à 14%.

Une autre recherche montre que les activités financières sont à l’origine de l’accroissement des inégalités. Ce serait la raison pour laquelle en 2007 les 1% les plus riches se sont accaparés 23,5% des revenus de l’ensemble de la population américaine, ce qui est un sommet inégalé depuis 80 ans. Pour les 0,1% les plus riches, c’est encore plus flagrant puisqu’ils détiennent 12, 3% du revenu global des Américains en 2007. On a pu également montrer que les banquiers, les juristes et les dirigeants de hedge-fund avaient remplacé les dirigeants d’entreprise au sommet de la pyramide des revenus.

Même si les 1% les plus riches ont vu leur part du gâteau progresser presque partout, un rapport récent de l’OCDE montre que la tendance est plus forte aux Etats-Unis. On peut y voir l’influence des valeurs politiques et sociales sur ces inégalités : dans les pays d’Europe continentale et au Japon, la gouvernance des entreprises, la fiscalité et la syndicalisation tendent à réduire les disparités de revenus.

Faire partie des plus riches est une situation relativement stable aux États-Unis puisqu’il semblerait que la grande majorité des 1% les plus riches le sont encore 10 ans plus tard. La famille joue un grand rôle, les parents riches engendrant des enfants riches ! Il s’y ajoute l’influence de l’éducation puisque les membres du club des 1% sont des diplômés de l’université trois fois plus souvent que les personnes qui appartiennent aux 99% restants. Enfin les riches ont de plus en plus tendance à se marier entre eux et sont beaucoup plus politiquement engagés que les 99% restants.

 

On peut en tirer deux conclusions : il semblerait souhaitable que les 1% voient leur part du gâteau réduite et que cette réduction doit passer par un affaiblissement de la part des revenus financiers dans la valeur ajoutée, aussi bien aux Etats-Unis et ailleurs.

 

*Pour ne pas alourdir le texte, les auteurs des études n’ont pas été cités, mais les références complètes sont à votre disposition sur demande.

 

 

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Hélie Denoix de Saint-Marc, debout devant ses juges…

19 Janvier 2012 Publié dans #HISTOIRE

Hélie Denoix de Saint-Marc, aujourd’hui Grand Croix de la Légion d’Honneur, passe sa mélancolique dernière nuit algérienne à Zeralda, dans l’attente des gendarmes qui viendront l’arrêter le lendemain. 

Helie.jpegIl se présente le 5 juin 1961 devant ses juges en leur faisant la déclaration suivante :

« Ce que j’ai à dire sera simple et sera court. Depuis mon âge d’homme, Monsieur le Président, j’ai vécu pas mal d’épreuves : la Résistance, la Gestapo, Buchenwald, trois séjours en Indochine, la guerre d’Algérie, Suez, et puis encore la guerre d’Algérie...

En Algérie, après bien des équivoques, après bien des tâtonnements, nous avions reçu une mission claire : vaincre l’adversaire, maintenir l’intégrité du patrimoine national, y promouvoir la justice raciale, l’égalité politique.

On nous a fait faire tous les métiers, oui, tous les métiers, parce que personne ne pouvait ou ne voulait les faire.

Nous avons mis dans l’accomplissement de notre mission, souvent ingrate, parfois amère, toute notre foi, toute notre jeunesse, tout notre enthousiasme.

Nous y avons laissé le meilleur de nous-mêmes.

Nous y avons gagné l’indifférence, l’incompréhension de beaucoup, les injures de certains.

Des milliers de nos camarades sont morts en accomplissant cette mission.

Des dizaines de milliers de musulmans se sont joints à nous comme camarades de combat, partageant nos peines, nos souffrances, nos espoirs, nos craintes. Nombreux sont ceux qui sont tombés à nos côtés. Le lien sacré du sang versé nous lie à eux pour toujours.

Et puis un jour, on nous a expliqué que cette mission était changée. Je ne parlerai pas de cette évolution incompréhensible pour nous. Tout le monde la connaît.

Et un soir, pas tellement lointain, on nous a dit qu’il fallait apprendre à envisager l’abandon possible de l’Algérie, de cette terre si passionnément aimée, et cela d’un cœur léger.

Alors nous avons pleuré. L’angoisse a fait place en nos cœurs au désespoir.

Nous nous souvenions de quinze années de sacrifices inutiles, de quinze années d’abus de confiance et de reniement.

Nous nous souvenions de l’évacuation de la Haute-Région, des villageois accrochés à nos camions, qui, à bout de forces, tombaient en pleurant dans la poussière de la route.

Nous nous souvenions de Diên Biên Phû, de l’entrée du Vietminh à Hanoï. Nous nous souvenions de la stupeur et du mépris de nos camarades de combat vietnamiens en apprenant notre départ du Tonkin.

Nous nous souvenions des villages abandonnés par nous et dont les habitants avaient été massacrés.

Nous nous souvenions des milliers de Tonkinois se jetant à la mer pour rejoindre les bateaux français.

Nous pensions à toutes ces promesses solennelles faites sur cette terre d’Afrique.

Nous pensions à tous ces hommes, à toutes ces femmes, à tous ces jeunes qui avaient choisi la France à cause de nous et qui, à cause de nous, risquaient chaque jour, à chaque instant, une mort affreuse.

Nous pensions à ces inscriptions qui recouvrent les murs de tous ces villages et mechtas d’Algérie : « L’Armée nous protégera, l’armée restera. »

Nous pensions à notre honneur perdu…

Alors le général Challe est arrivé, ce grand chef que nous aimions et que nous admirions et qui, comme le maréchal de Lattre en Indochine, avait su nous donner l’espoir et la victoire.

Le général Challe m’a vu.

Il m’a rappelé la situation militaire.

Il m’a dit qu’il fallait terminer une victoire presque entièrement acquise et qu’il était venu pour cela.

Il m’a dit que nous devions rester fidèles aux combattants, aux populations européennes et musulmanes qui s’étaient engagées à nos côtés.

Que nous devions sauver notre honneur.

Alors j’ai suivi le général Challe.

Et aujourd’hui, je suis devant vous pour répondre de mes actes et de ceux des officiers du 1er REP, car ils ont agi sur mes ordres. Monsieur le président, on peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c’est son métier.

On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer.

Oh ! je sais, Monsieur le président, il y a l’obéissance, il y a la discipline. Ce drame de la discipline militaire a été douloureusement vécu par la génération d’officiers qui nous a précédés, par nos aînés. Nous-mêmes l’avons connu, à notre petit échelon, jadis, comme élèves officiers ou comme jeunes garçons préparant Saint-Cyr. Croyez bien que ce drame de la discipline a pesé de nouveau lourdement et douloureusement sur nos épaules, devant le destin de l’Algérie, terre ardente et courageuse, à laquelle nous sommes attachés aussi passionnément que nos provinces natales.

Monsieur le président, j’ai sacrifié vingt années de ma vie à la France.

Depuis quinze ans, je suis officier de Légion.

Depuis quinze ans, je me bats.

Depuis quinze ans, j’ai vu mourir pour la France des légionnaires, étrangers peut-être par le sang reçu, mais français par le sang versé.

C’est en pensant à mes camarades, à mes sous-officiers, à mes légionnaires tombés au champ d’honneur, que le 21 avril, à treize heure trente, devant le général Challe, j’ai fait mon libre choix.

Terminé, Monsieur le président. »

Mon commentaire sera encore plus simple et plus court. Pour un homme, ou une femme, politique, les concepts d’honneur, de respect de la parole donnée sont vide de sens. Ils ne leur servent qu’à manipuler les imbéciles, les naïfs, les purs qui les écoutent pour leur malheur. Sur ce plan, Hélie de Saint-Marc a fait la même expérience que Jeanne d’Arc.

Alors mes amis ne  croyez jamais un homme politique et surtout ne leur confiez jamais ni votre vie, ni votre espérance. 

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Tout va très bien, Madame la Marquise

15 Janvier 2012 Publié dans #ACTUALITÉ

Ces temps-ci,, la célèbre chanson française suivante fait à juste titre fureur, chantée sur tous les tons :

 Triple-A.gif

Allô, allô James !

Quelles nouvelles ?

Absente depuis quinze jours,

Au bout du fil

Je vous appelle ;

Que trouverai-je à mon retour ?

 

Tout va très bien, Madame la Marquise,

Tout va très bien, tout va très bien.

Pourtant, il faut, il faut que l'on vous dise,

On déplore un tout petit rien :

Un incident, une bêtise,

La mort de votre jument grise,

Mais, à part ça, Madame la Marquise

Tout va très bien, tout va très bien.

 

Allô, allô James !

Quelles nouvelles ?

Ma jument gris' morte aujourd'hui !

Expliquez-moi

Valet fidèle,

Comment cela s'est-il produit ,

 

Cela n'est rien, Madame la Marquise,

Cela n'est rien, tout va très bien.

Pourtant il faut, il faut que l'on vous dise,

On déplore un tout petit rien :

Elle a péri

Dans l'incendie

Qui détruisit vos écuries.

Mais, à part ça, Madame la Marquise

Tout va très bien, tout va très bien.

 

Allô, allô James !

Quelles nouvelles ?

Mes écuries ont donc brûlé ?

Expliquez-moi

Valet modèle,

Comment cela s'est-il passé ?

 

Cela n'est rien, Madame la Marquise,

Cela n'est rien, tout va très bien.

Pourtant il faut, il faut que l'on vous dise,

On déplore un tout petit rien :

Si l'écurie brûla, Madame,

C'est qu'le château était en flammes.

Mais, à part ça, Madame la Marquise

Tout va très bien, tout va très bien.

 

Allô, allô James !

Quelles nouvelles ?

Notre château est donc détruit !

Expliquez-moi

Car je chancelle

Comment cela s'est-il produit ?

 

Eh bien ! Voila, Madame la Marquise,

Apprenant qu'il était ruiné,

A pein' fut-il rev'nu de sa surprise

Que M'sieur l'Marquis s'est suicidé,

Et c'est en ramassant la pell'

Qu'il renversa tout's les chandelles,

Mettant le feu à tout l'château

Qui s'consuma de bas en haut ;

Le vent soufflant sur l'incendie,

Le propagea sur l'écurie,

Et c'est ainsi qu'en un moment

On vit périr votre jument !

Mais, à part ça, Madame la Marquise,

Tout va très bien, tout va très bien.

 

"Tout va très bien, Madame la Marquise" est une chanson enregistrée le 22 mai 1935. Les paroles et la musique sont de Paul Misraki et elle a été publiée aux éditions Ray Ventura. Cinq ans plus tard, c’était mai 40, la chanson n'était plus de mise, on cherchait simplement quelqu'un qui veuille bien assumer la débacle...

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Contre Jeanne d'Arc

11 Janvier 2012 Publié dans #HISTOIRE

 

Rassurez vous, je ne vais pas m’attaquer à la personne de Jeanne d’Arc mais plutôt à l’utilisation qu’en ont fait les rois de France en particulier et l’oligarchie au pouvoir en France en général.

 

epee.jpgC’est entendu, Jeanne d’Arc est une jeune fille née en 1412 à Domrémy et condamnée au bûcher le 30 mai 1431 à Rouen à l’âge de dix-neuf ans. Dix-neuf ans ! Elle fait partie d’une famille de laboureurs nommée « Darc », qui sera plus tard  anoblie par Charles VII et changera son nom en d'Arc.

Dés 13 ans, la fillette avait déclaré qu’une apparition lui ordonnait de conduire le dauphin à Reims pour le faire sacrer Roi de France afin de « bouter les Anglais hors de France ». Elle finit par en convaincre sa famille et les nobles des alentours qui la conduisent à 17 ans jusqu’à Chinon où elle y rencontre le Dauphin Charles en mars 1429 qui, à cette date, n’a plus aucun droit à la couronne de France. Son père, le Roi Charles VI l’a en effet déshérité au profit du roi d'Angleterre, Henri VI, qui est en outre  reconnu roi de France par l’Église et l’Université de Paris. Mais il s’accroche au pouvoir, comme tout politique.

Le Dauphin écoute Jeanne, sent que son dévouement naïf et inconditionnel peut lui être utile. Il  lui donne une armure, une garde de quelques hommes et l'autorise à se joindre au convoi de 4000 hommes qui se porte au secours d’Orléans, clef de voûte de la défense des territoires qu’il contrôle. À l’aide de ces renforts et de l’emblème que représente Jeanne d’Arc, le commandant de la place, Jean de Dunois, oblige les Anglais, trop peu nombreux et lâchés par les Bourguignons, à lever le siège de la ville par une série de coups de main en mai 1429. Adoubée par les orléanais, Jeanne est bien le symbole dont a besoin le Dauphin pour asseoir sa légitimité de roi. Exaltant la résistance populaire aux Anglais qu’elle représente, il en profite pour marcher sur Reims où il se fait sacrer Roi, tandis que le jeune Henri VI est sacré à peu près au même moment à Notre Dame de Paris. Deux rois désormais se disputent la France.

Celui qui est désormais Charles VII, après avoir vainement tenté de prendre Paris, entame des négociations avec le Duc de Bourgogne. Quant à la pauvre Jeanne d’Arc qui ne lui est plus d’aucune utilité dans la grande politique qu’il mène, il s'en débarasse en l'envoyant, puisqu’elle a pris goût à la guerre, se battre contre les brigands, les fameuses grandes compagnies.

Le 24 mai 1430, elle est faite prisonnière et elle a de la valeur, puisque Charles VII en a fait à Reims un instrument de son pouvoir. Aussi, son vainqueur la vend-il  pour dix mille livres aux Anglais qui souhaitent neutraliser ce symbole de résistance contre leur main-mise sur les territoires contrôlés par Charles VII. L’évêque Pierre Cauchon se charge de la besogne en la condamnant au bûcher parce qu’elle porte des habits d’homme. Terrorisée, elle abjure et accepte de porter des habits de femme, mais battue, insultée et peut-être violée dans sa cellule, elle se résout à accepter le bûcher plutôt que de finir sa vie dans les fers. Elle est brûlée vive le 30 mai 1431, à la grande satisfaction des Anglais.

 

Mais Charles VII continue de manœuvrer avec habileté. Il signe le traité de paix d’Arras en 1435 avec Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Ce dernier renonce à son alliance avec les Anglais contre de nouveaux territoires et l’indépendance de fait octroyée au Duché de Bourgogne par Charles VII qui, en échange, obtient d’être reconnu comme roi de France par la grande puissance que représente le  Duc de Bourgogne. En perdant l’alliance de ce dernier, Henri VI voit le rapport des forces s’inverser contre lui. Dés 1436, Charles VII reprend Paris. De trêves en batailles, les hostilités s’achèvent avec la victoire de Castillon le 17 juillet 1453, qui met fin à la guerre de Cent Ans. Vainqueur d’Henri VI, Charles VII a un second titre de gloire: il est l’inventeur, en novembre 1439, du premier impôt permanent institué en France, la taille...

Quel rôle joue Jeanne d’Arc dans cette histoire où un roi, Charles VII, impose son pouvoir à un autre roi, Henri VI ?

Michelet nous en donne la clef lorsqu’il écrit la magnifique et fallacieuse phrase suivante : « Souvenons-nous toujours, Français, que la patrie chez nous est née du cœur d'une femme, de sa tendresse et des larmes, du sang qu'elle a donné pour nous. ». Pour nous, c’est sûr ? Pour Michelet en tout cas, Jeanne d’Arc, cette femme aux origines modestes, cristallise le sentiment national du peuple français. Elle a accompli jusqu’au sacrifice de sa vie la mission sacrée au service de la France que lui a assigné Dieu. Ce faisant, Michelet a parfaitement compris le rôle que Charles VII a donné à Jeanne d’Arc, celui de sanctifier son règne, mais il fait mine de confondre les intérêts de la France et ceux du Dauphin Charles.

Rêvons un peu en effet : si les royaumes de France et d’Angleterre avaient été réunis à la fin du XVe siècle, l’histoire de l’Europe et de la France auraient été différentes et peut-être plus bénéfiques pour ses peuples. C’est pourquoi, sans aller tout à fait jusqu’à porter le même jugement que l'Encyclopédie de Diderot qui décrivait Jeanne d’Arc comme une « idiote manipulée par des fripons », je suis contre Jeanne d’Arc : sous couvert de « la France », cette authentique héroïne ne sert qu’à exalter le sacrifice du peuple au profit du pouvoir.

 

 

C’est exactement ce qu’a fait Charles VII à son égard. Par le sacre de Reims sanctifié par Jeanne d’Arc, il a imposé son pouvoir face à Henri VI. Qu’y a gagné « la France » ? De ne pas être réunie à l’Angleterre. Il est significatif que l’on ne se pose pas cette question sous la forme suivante : qu’y ont gagné les Français ?...

 

 

 

 

 

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Hélie Denoix de Saint-Marc en Algérie

7 Janvier 2012 Publié dans #HISTOIRE

Le blog du 28 décembre dernier, consacré à Hélie Denoix de Saint-Marc en Indochine, la quitte en 1954. Il rejoint Alger en 1957 avec le 1er REP, qu’il quitte pour devenir chef de cabinet du Général Massu.  

 

 

JE-NE-REGRETTE-RIEN.jpgVoici sa vision de l’Algérie et de sa mission:

"Nous avons été envoyés à Alger à la fin du mois de janvier 1957. La tension était palpable au moindre coin de rue. Chaque jour, les morts se comptaient par dizaines, les blessés par centaines…Le moindre retard d’un enfant suscitait des mouvements de panique. Les manchettes des journaux rivalisaient de titres sur cinq colonnes. La Casbah pouvait être grouillante de monde puis, dans la minute, devenir secrète. Personne ne s’y risquait plus seul. 

   

 Personne ne savait vraiment au nom de quoi au nom de qui nous combattions. L’assistance apportée aux musulmans ne pouvait suffire. Le contingent était présent en Algérie. Mais une armée de quatre cent mille hommes pouvait-elle rester indéfiniment ? Comment bâtir la paix ? Egalité des droits, fédération, association… De jour comme de nuit, ces débats nous accompagnaient. Nous pressentions tous qu'un orage était dans l’air, sans savoir ni où, ni quand, ni comment il allait éclater".

 

En avril 1961, il rejoint putsch des généraux à la tête du 1er régiment étranger de parachutistes qu'il commande par intérim. Il se refuse à abandonner les pieds-noirs et les harkis, comme il avait été obligé d’abandonner le peuple Tho:

"Lorsque j'ai répondu oui au général Challe, acceptant d'entrer dans la rébellion, je n'avais pas prémédité cette décision. Mais c'était la dernière pièce d'une sorte de puzzle fait d'engagements. Aussi contestable qu'elle puisse paraître aux yeux de certains, elle correspond à une suite logique dans ma propre vie, que je n'ai pas à regretter. Un homme doit toujours garder en lui la capacité de s'opposer et de résister. Trop d'hommes agissent selon la direction du vent. Leurs actes disjoints, morcelés, n'ont plus aucun sens. C'est là notre seule liberté.
"   

 

On sait que le coup d’État réussi dans un premier temps avant de s’effondrer au bout de trois jours.  Hélie de Saint Marc refuse de s’enfuir: 

"Je n'ai pas voulu me dérober. Les responsabilités que j'avais prises étaient trop lourdes. J'ai voulu couvrir entièrement mes subordonnés. Ils avaient agi sur mes ordres. Je ne pouvais pas les laisser seuls face à la justice." 

 

Effectivement, il assume ses responsabilités en se constituant prisonnier :

"Je me souviens de la dernière nuit africaine, ma dernière nuit d'homme libre. Je revenais inlassablement sur l'enchaînement des évènements, qui m'avaient échappé. Après quatre nuits de fièvre, j'étais devenu "un félon", "un putschiste", "un amateur de pronunciamiento". Cette nuit de Zéralda était fraîche et pure. J'ai pensé à Don Quichotte, à cette foi qui va au-delà de la raison, à sa certitude que l'homme se mesure à ses rêves intérieurs.
"

 

Nous retrouverons dans un prochain blog Hélie Denoix de Saint-Marc devant ses juges et en prison.

 

Les textes entre guillemets sont extraits de son ouvrage autobiographique intitulé « Toute une vie » Éditions les Arènes, 2004.

 

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Grande Fratello Monti

3 Janvier 2012 Publié dans #ACTUALITÉ

D’habitude, on ne prête pas beaucoup d’attention à ce qui se passe en Italie, comme si cela ne nous concernait que très peu. On a tort, comme ce blog devrait vous en convaincre, à mon avis.

mario-monti.jpgLe gouvernement de Mario Monti vient en effet de faire approuver par le Sénat un budget d'austérité qui doit théoriquement aider l'Italie à sortir de la crise financière. Ce dernier, qui n'est que le troisième en date pour l'année écoulée,prévoit 20 milliards d'euros d’économies et de hausses d’impôts destinées à réduire le déficit de l’État  dans le cadre d’une économie qui est déjà en récession.

Le contenu du « plan » est aussi triste que  classique. Il  se propose de retarder d’un an le départ à la retraite, de geler pour deux ans les salaires au-dessus de 1400 euros par mois, de rétablir les impôts, abolis en 2008, sur la résidence  principale, d’augmenter de deux points le taux de TVA qui sera porté à 21 %, de ponctionner à nouveau les capitaux rapatriés de l’étranger en 2008, d’accroître les taxes sur les carburants et sur le tabac comme de toute une série d’impôts sur les biens de consommation.

 Ces mesures d’une inventivité réjouissante, qui conduisent le patronat italien à prévoir un recul du PIB italien de 1,6 % et 800.000 pertes d’emplois en 2012, sont enrobées par un discours classiquement grandiloquent. C’est un plan « d'extrême urgence » qui va permettre à l'Italie d'« affronter la tête haute la très grave crise européenne ». Même s'il avoue que la situation reste « très critique », Mario Monti n’hésite pas à déclarer que « nous devons avoir confiance en nous-mêmes ». En effet, Il s’agit de « poursuivre l'objectif de la croissance durable, de l'emploi, de la cohésion », même s’il ne faut pas se cacher qu’« il reste un travail énorme pour libérer l'économie italienne des freins qui depuis trop longtemps ont ralenti sa croissance ». Le président de la République Giorgio Napolitano n’a pas hésité à en rajouter en exhortant les Italiens à consentir des sacrifices, «y compris de la part de ceux qui possèdent le moins» ! On croirait lire les discours du Maire de Champignac dans Spirou…

Derrière ces proclamations mélodramatiques se cache un « Big Brother » particulièrement créatif, qui devrait rendre fou de jalousie nos Inspecteurs des Finances, les meilleurs du monde comme chacun devrait le savoir, même les Italiens du Dipartimento delle Finanze. En découvrant l'utilisation faite par le gouvernement italien de Serpico, je vous demande d’imaginer que notre gouvernement ait la riche idée de s'en inspirer pour la France.

De quoi s'agit-il? Tout simplement de ce que le gouvernement italien invoque la lutte contre l'évasion fiscale pour abolir tout secret bancaire à partir du 1er janvier 2012. À partir de cette date, les paiements en liquide supérieurs à 1000 euros sont interdits et tous les établissements financiers sont contraints de communiquer au fisc en temps réel les mouvements effectués par les clients sur leurs comptes. 

Toutes ces informations sont analysées par un gigantesque ordinateur appelé Serpico, à raison de 22000 traitements par seconde. D'un clic de souris, Serpico peut croiser en une fraction de seconde une infinité de données sur les contribuables : déclaration des revenus, propriétés foncières, voitures immatriculées, avions ou bateaux possédés, assurances, consommation d'électricité ou de gaz, registres du commerce. Pénétrant encore davantage dans la vie privée des Italiens, il repère des signes de richesse comme l'inscription dans un club de sport ou un cercle privé. 

Chaque Italien sait désormais que toutes ses dépenses peuvent être suivies à la loupe par le fisc, et dénoncées par les employés de banque qui gèrent ses comptes. Voilà qui va créer une saine atmosphère de confiance dans la société italienne!

 

Cette avancée démocratique aurait conforté Georges Orwell dans ses analyses. Il n’aurait pas manqué de faire observer aux Italiens qu'ils l’ont bien cherché en plaçant un technocrate de la Commission Européenne à la tête de leur gouvernement. Provisoirement, sans doute…

 

NB : j’ai regardé la réaction des internautes sur un site de discussion. Certains assurent s’en accommoder; ils s’en réjouissent même, précisant que « si l’on est honnête, il n’y a rien à craindre d'un tel système ». D’autres s’y résignent, en observant que nous sommes déjà tous fichés. D’autres enfin, dont je fais partie, s’en indignent. Ils s’effraient de constater qu’une part non négligeable de nos concitoyens acceptent de donner au pouvoir les moyens de rendre illégal tout ce qui le gène, depuis les paiements en liquide jusqu’à notre opinion sur le génocide arménien. Le plus inquiétant n’est donc pas d’être dirigé par des individus qui saisissent toutes les occasions qui se présentent pour réduire le champ de nos libertés, mais qu'il y ait nombre de grenouilles ébouillantées pour ne pas s'en soucier ou pire s'en réjouir.

On s'en consolera en observant que même le régime politique qui sévissait en Allemagne de l’Est, maître en matière de contrôle de la vie privée de ses sujets, a finalement été balayé par leur révolte générale. 

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