Shinzo Abe rebat les cartes
En dévaluant le yen pour relancer les exportations, le Premier ministre japonais a provoqué des répercussions sur l’ensemble de l'économie mondiale.
Shinzo Abe, le Premier ministre japonais, a en effet réussi ce qu'aucun dirigeant politique n'était parvenu à faire depuis le déclenchement de la grande crise japonaise, au début des années 90 : mettre au pas la Banque Centrale du Japon. Cette remise au pas a consisté à remplacer le président de la Banque du Japon, Masaaki Shirakawa, jugé trop mou, par Haruhiko Kuroda, défenseur d’une politique monétaire accommodante.
Shinzo Abe a ainsi détruit le mythe de l’indépendance des Banques Centrales, qu’elles avaient mis tant de soin à entretenir. Car sur le papier, toutes les Banques Centrales sont indépendantes du pouvoir politique, à ceci près qu’elles obtempèrent toutes à la demande des Etats-Unis de racheter des tombereaux de titres de dettes publiques américaines.
Ce ne sera plus le cas de la Banque du Japon qui obéira plutôt aux injections du gouvernement japonais que de celles du gouvernement américain. À l’avenir, elle devra acheter en quantité illimitée les titres de dette émis par le Trésor nippon. Car elle a désormais pour mission de réinjecter une dose d'inflation dans une économie languissante, minée par une dette publique qui culmine à 240 % du produit intérieur brut.
L'objectif de l'opération est limpide : ranimer la croissance en faisant baisser le yen pour regonfler les profits des entreprises, laminés par deux décennies de déflation. Pour l'instant, la nouvelle stratégie de Shinzo Abe semble réussir : depuis janvier, le yen a perdu plus de 20 % de sa valeur par rapport au dollar et à l'euro et la Bourse de Tokyo s'emballe. C’est ce qui scandalise Ken Courtis, ancien vice-président de Goldman Sachs-Asie, qui estime que « pour les pays concurrents du Japon, c'est une véritable déclaration de guerre, un Pearl Harbor monétaire ».
La dépréciation du yen rebat en effet les cartes au niveau mondial dans les secteurs de l'automobile et du high-tech : les exportateurs japonais dont les parts de marché ont fortement diminué au cours de la décennie passée, n'attendaient que cela pour regonfler leurs carnets de commande et leurs profits, puisque la baisse de 1 % du yen par rapport au dollar générerait 2,7 milliards de dollars de profits supplémentaires pour les trente plus gros exportateurs nippons.
Les grands perdants sont les groupes coréens, malaisiens ou taïwanais, mais aussi allemands. En effet, les industriels japonais sont de redoutables concurrents du made in Germany dans l'automobile, la machine-outil ou les produits chimiques. Sans surprise, Séoul et Berlin et évidemment Pékin accusent Tokyo de raviver la guerre des monnaies. Mais ils feignent d’oublier que le Japon avait vu auparavant fondre son excédent commercial, en raison de l’appréciation du yen de 50% en cinq ans par rapport au dollar. Le Japon a en particulier beaucoup souffert de la dévaluation du won coréen, qui explique grandement la percée extraordinaire de Samsung à partir du milieu des années 2000.
Le Japon devait-il accepter passivement d’être éjecté du marché mondial, comme la France en ce moment, parce que les autres pays, la Chine, la Corée ou les Etats-Unis, entre autres, manipulent leurs propres monnaies, mais se scandalisent qu’il ait l'audace d’en faire autant ?
La contre-attaque du Japon était donc logique. Elle va provoquer des chocs en retour : le Japon va voir ses taux d'intérêt à long terme s'ajuster à la hausse. Les banques et les assureurs-vie vont vendre une partie des obligations d'Etat japonaises, qui seront rachetées par la Banque du Japon. Du coup, cette dernière achètera moins de bons du Trésor américains, fragilisant le marché obligataire américain.
Il faut se rendre compte des effets mondiaux de la decision de Shinzo Abe. Le Japon est la troisieme puissance économique du monde. S'il rééquilibre ses échanges, ce sera aux dépens du reste du monde, notamment de l'UE et en particulier de l'Allemagne. Si son inflation passe à 2% alors qu'elle est aujourd'hui négative de 0,6%, il fera passer ses taux d'intêrêts, par exemple à 10 ans, de 0,75% à ceux de la France, qui sont de 2,25% pour une inflation de 2%.
Aussitôt il faudra que la France remonte ses taux d'interets pour continuer à se financer. Car les anglais qui financent à 50% la dette française, tandis que nos amis allemands n'en financent que 7%, ne prendront la dette française qu'avec un taux plus élevé que le Japon, puisque ils équilibrent aujourdh'ui les deux dettes avec une prime de 1,50% en faveur du Japon. Or 1,50% d'interet en plus obligerait l'État français à trouver trois milliards d'Euros de plus par an et les européens comme les américains à emprunter plus cher : peut être voyez vous mieux les effets mondiaux de la décision logique de Shinzo Abe, sur la France, sur les États-Unis, sur la Chine, sur la Corée, sur tout le monde, hausse des taux d'intéret partout et réequilibrage des échanges en faveur du Japon...
On n'a donc pas fini de parler du coup de force de Shinzo Abe, qui a sans doute fait sienne la réflexion de Keynes : « Il est plus grave dans un monde appauvri de provoquer le chômage que d'appauvrir le rentier. »
À l'été 1793, la France profonde est en ébullition
Le 17 février dernier, relatant l’arrivée des 700 « misérables » qui vont mettre les habitants de Bordeaux à l’heure de la Terreur, je rappelai que les représentants de la Convention étaient Tallien et Ysabeau, tandis que les 700 hommes étaient commandés par le général Brune. Je vous avais promis d’en parler, mais après avoir conté la vie de deux femmes de qualité, raconter la vie de ces sanglantes fripouilles (y compris ce boucher de Brune doté de toute une série de statues qui le célèbre, toute honte bue, à Paris, Avignon, Brive, Poligny…), j’ai préferé y renoncer et me concentrer sur la suite de l’histoire de la Terreur.
Il suffit d’essayer de rétablir les faits historiques, tant ils ont été distordus par des historiens aux ordres du pouvoir, afin de décrire cette période, sans doute l’une de deux ou trois plus sombres de l’histoire de France.
Comme je l’écrivais le 17 fevrier dernier en prenant pour exemple la révolte et la prise de Bordeaux, après le décret ordonnant la levée de trois cent mille hommes pour affronter l’ensemble des pays européens auxquels la Convention a déclaré la guerre et non l’inverse, des troubles éclatent dans le Midi et en Vendée. À Lyon, des affrontements opposent les partisans et les adversaires de la Convention. En Alsace, à Montargis ou à Orléans, on se soulève contre la conscription.
Mais la Convention se sait inexpugnable tant qu’elle dispose du soutien des sans-culottes parisiens et de leurs homologues en province, qui doivent être nourris et entretenus. D’où l’importance stratégique de la crise des subsistances : il ne faut pas perdre le soutien des faubourgs, sinon adieu le pouvoir ! La pénurie de pain entraîne de violentes scènes de pillage et l’apparition de la faction dite des « enragés », dénonciatrice des accapareurs et des spéculateurs. La rue arrache à la Convention des décrets fixant le maximum des prix, dans une atmosphère de conflit exacerbé entre les Girondins et les Montagnards.
Une commission de sécurité, où seuls des Girondins et des modérés sont élus, est chargée de prendre « les mesures nécessaires à la tranquillité publique ». Elle ordonne le 24 mai 1793 l'arrestation d'Hébert, l'homme fort de la Commune, mais une manifestation de rue aboutit à la libération d'Hébert. C’est dire le pouvoir de la rue parisienne ! Elle peut tout.
La preuve, le 2 juin 1793, un nouveau coup de force des sections parisiennes contre la Convention provoque la défaite des Girondins à Paris : à l'aube du 2 juin 1793, rassemblés par Marat, les bataillons d'Hanriot prennent place autour des Tuileries, canons braqués sur le château jusqu’à ce que la Convention se résigne à voter le décret d'arrestation de vingt-neuf de ses membres et de ses deux ministres. On imagine l’ambiance…
Mais en province, cette affaire ne passe pas, au point de provoquer le soulèvement des deux tiers des départements français ! On vous l’a présenté comme cela l’histoire de la révolution dans les salles de classe ? C’est l’inverse que l’on a décrit, la sédition de quelques attardés féderalistes contre les preux défenseurs de la République.
Les faits sont les suivants : à Lyon, le maire montagnard Chalier a été renversé dès le 28 mai. À Marseille, la chasse aux jacobins est ouverte. Paoli en Corse a pris la tête d’un gouvernement indépendant. Toulon passe aux mains des royalistes le 12 juillet. Bordeaux, fief des Girondins, forme une Commission de Salut Public qui appelait les autres départements à se concerter : on a vu la suite dans mes blogs précedents.
Le 13 juin 1793, l'assemblée des départements réunis est convoquée à Caen, où les cinq départements de Normandie levaient une armée fédéraliste. Le mot d’ordre est de former contre Paris une fédération de départements plus ou moins autonomes et égaux. Cette tentative a juste le temps de se constituer qu’elle est prise entre deux feux, les royalistes qui s’appuient sur le succès des Vendéens et les Montagnards qui appellent à la solidarité des républicains.
Le 13 juillet 1793, quatre ans après la prise de la Bastille, une fédéraliste, Charlotte Corday, poignarde Marat dans sa baignoire.
La France profonde est en ébullition…
L'explosion bulgare
L’Islande, l’Irlande, la Grèce, le Portugal, l’Espagne, Chypre, vous connaissez la liste de plus en plus longue des pays qui se trouvent en crise sous la pression des emprunts des États et de leurs banques affiliées. Mais vous n’avez entendu parlé que fugitivement de la crise bulgare, preuve qu’il suffit que les medias ne braquent pas leurs projecteurs sur un aspect de l’actualité pour qu’il devienne un événement négligeable.
J’ai donc décidé de braquer mon propre projecteur sur l’affaire bulgare. À vous de décider si elle a une importance négligeable.
À la surprise générale, le mercredi 20 février dernier, le Premier ministre bulgare, Boyko Borisov, a démissionné. Le 12 mars suivant, le Président Rossen Plevniev a mis en place un gouvernement provisoire dirigé par l’ancien ambassadeur de Bulgarie en France, Marin Raïkov*, qui conduira le pays jusqu’aux législatives anticipées du 12 mai prochain.
À la tête du parti de droite GERB, Boyko Borisov avait, dans les jours précédents, oscillé entre la pure répression et des concessions face à la révolte populaire croissante. Il avait notamment essayé d’éteindre l’incendie en démettant de ses fonctions Siméon Diankov, ministre des finances et classique apparatchik de la Banque Mondiale, mais rien n’y avait fait.
La révolte de la population avait commencé avec l'augmentation de 13% du prix de l'électricité imposée par le fournisseur privé d’électricité tchèque CEZ.
Car en Bulgarie, on a privatisé la distribution électrique, ce qui a provoqué une augmentation pharamineuse des factures d’électricité aux particuliers: dans un pays où les retraites moyennes sont inférieures à 150 euros par mois et les salaires moyens autour de 400 euros, songez que les factures d’électricité peuvent désormais atteindre la somme astronomique de 170 euros par mois !
Il y avait longtemps que la corruption massive des partis politiques traditionnels, enrichis par la privatisation des entreprises d'État, avait suscité la colère montante de la société bulgare. S’y était ajoutée l’austérité budgétaire, avec son cortège de régression sociale, visant à réduire le déficit public à 0,5% (vous avez bien lu 0,5%!) du PNB, la monnaie bulgare, le Lev, devant être prochainement, sous la pression de l’Allemagne, remplacée par l’Euro.
L’augmentation du prix de l'électricité a donc constitué la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.
Des personnes ont commencé à se réunir devant les locaux de la CEZ pour brûler leurs factures d’électricité. Dans certaines villes, les véhicules de l'entreprise ont été incendiés et les dirigeants pourchassés dans la rue. À Sofia, les manifestants ont affronté la police anti-émeute. Puis les manifestations sont montées progressivement en intensité. Le slogan qui s'est rapidement et naturellement imposé était celui de « Mafia!» lancé à la fois contre la droite (GERB) et le parti socialiste bulgare (PSB).
Les immolations par le feu se sont multipliées, sept au moment où j’écris ces lignes, obligeant le nouveau primat de l’église orthodoxe bulgare, le Patriarche Neofit à exhorter les Bulgares à résister au désespoir. La place centrale de Varna a été baptisée « Пламък » (flamme), à la mémoire de Plamen Goranov, ce jeune Bulgare de 36 ans, alpiniste et photographe, qui s’est immolé par le feu le 20 février 2013 devant l’hôtel de ville de Varna, au cours d’une manifestation contre la corruption de la classe politique locale (photo ci-dessous). Beaucoup le comparent désormais à l’étudiant tchèque Jan Palach qui s’est immolé par le feu le 19 janvier 1969, ou à Mohamed Bouazizi dont le sacrifice a donné le coup d’envoi de la révolution tunisienne. Il protestait notamment contre la corruption de Kiril Iordanov, le maire de Varna qui effectue son quatrième mandat et que l’on soupçonne de servir les intérêts du groupe TIM, qualifié par l’ancien ambassadeur américain à Sofia de « nouveau leader du crime organisé en Bulgarie ».
Depuis la mi-février, les Bulgares manifestent de manière quasi continue. Dimanche dernier des centaines de milliers de manifestants ont défilé à Sofia, à Varna, à Plovdiv et dans une trentaine de villes du pays pour protester contre la pauvreté et exprimer leur colère contre les élites politiques. Ils scandaient leur ras-le-bol des factures élevées, des revenus bas, de la corruption et des promesses des hommes politiques. Le Président de la République, qui a cru devoir se montrer à Sofia, a été accueilli par une bordée de sifflets.
Tous s'accordent à rendre responsables de leurs maux une classe politique jugée plus que jamais corrompue, mais la crainte s’exprime désormais que le pays ne se dirige vers une guerre civile, rien de moins, si cette classe politique là continue à s’accrocher au pouvoir. La presse bulgare est pessimiste. Le quotidien Troud observe un « virage populiste à composante nationaliste et d'extrême gauche » dans le pays, pronostiquant une campagne électorale «très agressive». Le Premier Ministre est soupçonné de manœuvrer pour apparaître, face au chaos qu’il a lui-même provoqué, comme le «Sauveur» de la Bulgarie…
Alors, ce qui se passe en Bulgarie est-il périphérique, particulier, sans importance ? Sans doute, pour ceux qui trouvent que les manifestations des chypriotes, des grecs, des portugais, des espagnols ne sont que des épiphénomènes et qui pensent que le vote des italiens présente un caractère folklorique. Pour eux, comment pourrait-on se soucier de ce qui se passe en Bulgarie? Il faudra qu'ils trouvent leurs distributeurs d'argent vides et leurs poubelles pleines pour convenir, qu'en effet, il se passe quelque chose...
Que l’on entende pourtant le vent de l’indignation morale qui s'y lève, car il n’y en a pas de plus redoutable pour les pouvoirs en place : dans le silence de nos medias, ces hommes qui, de désespoir, s’immolent par le feu constituent la braise d’une colère dont les flammèches s’allument chaque jour plus nombreuses en Europe…
* Marin Raïkov est le fils du diplomate Raïko Nikolov, un homme familier, trop familier, du monde politique français : c’est lui qui aurait recruté comme informateur Charles Hernu, qui aurait rédigé de 1953 a 1963 des rapports politiques pour les services secrets soviétiques, bulgares et roumains, avant de devenir…le Ministre de la Défense de François Mitterrand !
Deux femmes sous la Terreur
Le vendredi 8 mars dernier, j’ai emprunté la plume de la Marquise de la Tour du Pin* pour vous conter des « Scènes de la Terreur à Bordeaux » afin de vous faire saisir l’ambiance qui y régnait. Mais que faisait cette dernière à Bordeaux ?
Elle s’enfuyait.
Née le 25 février 1770, Henriette Lucy Dillon est issue d’une famille noble irlandaise. Elle se marie à l’âge de 17 ans, deux ans avant la Révolution, avec Frederic de Gouvernet, marquis de la Tour du Pin, qui est le fils du ministre de la Guerre de Louis XVI du 4 août 1789 au 16 novembre 1790. Ce dernier sera guillotiné le 28 avril 1794 pour avoir déposé en faveur de Marie-Antoinette lors de son procès.
La Marquise de la Tour du Pin est admise à la Cour auprès de Marie-Antoinette dont elle dresse un portrait flatteur. La Terreur l’oblige à s’enfuir avec son mari. Elle se retrouve près de Bordeaux où la rencontre providentielle de Madame Tallien, qu’elle avait connue toute jeune et à qui elle a l’audace d’écrire un mot avant de sonner à sa porte, lui permet de prendre un bateau pour les Etats-Unis en mars 1794. Les époux y achètent une ferme avant de revenir en France en 1796…
Le récit de la suite de ses aventures m’éloignerait du sujet, qui est la Terreur, sa raison d’être, ses conséquences, ses acteurs. Je viens de mentionner le nom de Madame Tallien, la bienfaitrice de la marquise de la Tour du Pin. C’est une femme célèbre, pour sa beauté et pour son influence.
Juana Maria Thereza Cabarrus est née à Madrid en 1773. Fille d’une famille de financiers originaires de Navarre, elle est courtisée très jeune en raison de sa beauté. Dés l’âge de 15 ans, son père la marie avec Devin de Fontenay, issu d’une riche famille. Ce dernier se révélant un débauché, Thereza se résigne à une union de façade, fréquente les clubs révolutionnaires et les loges maçonniques. Menacée par la Terreur, elle s’enfuit à Bordeaux avec son mari qui accepte alors de divorcer.
À force d’intervenir auprès des Montagnards pour faire libérer des victimes de la Terreur, elle est à son tour arrêtée puis libérée par Tallien, avant tout séduit par sa beauté. Tallien s’installe avec elle tandis qu’elle continue à protéger tous ceux qu’elle peut, dont la Marquise de la Tour du Pin, au point qu’on la surnomme « Notre Dame de Bon Secours ».
Mais la liaison d’un Tallien, supposé Montagnard pur et dur, avec une jeune, belle et riche aristocrate fait scandale. Tallien est rappelé à Paris pour se justifier. Thereza l’y rejoint, est arrêtée sur ordre de Robespierre et juste avant de passer en jugement pour être guillotinée, elle parvient à faire parvenir ce mot à Tallien : « je meurs d’appartenir à un lâche. » Cette missive détermine, semble t-il, ce dernier à entrer dans la conjuration contre Robespierre. C’est lui qui, le 9 thermidor, empêche Saint-Just de prendre la parole. Émerveillée du pouvoir de Thereza, William Pitt, le Premier Ministre anglais, dira d’elle : « Cette femme serait capable de fermer les portes de l’enfer. »
Thereza est libérée, rejoint Tallien, lance la mode néo grecque et son salon dans sa maison sur les Champs-Élysées fait fureur. Elle se marie avec Tallien en décembre 1794, qui lui donne une fille. Mais elle se sépare de lui en 1795, l’accusant d’avoir trop de sang sur les mains, pour avoir notamment été l’un des responsables des massacres de septembre 1792. Elle devient ensuite la maîtresse de Barras, puis d’Ouvrard, le richissime financier de l’Empire. Bonaparte, qui l’avait beaucoup désirée, épouse sa meilleure amie, Joséphine de Beauharnais mais la proscrit par dépit des salons officiels. Elle devient dès lors l’amie de Madame de Staël chez qui elle rencontre celui qui deviendra son dernier époux, le Prince de Chimay.
Elle meurt dans le château de Chimay en 1835.
La marquise de la Tour du Pin et Madame Tallien, deux femmes remarquables, deux femmes de bien sous la Terreur. Il me reste à dresser le Tableau de Tallien, du général Brune et d’Ysabeau, des personnages infiniment moins sympathiques…
* Je vous recommande la lecture de ses mémoires, Journal d’une femme de 50 ans, tant elles sont vivantes et parfaitement lisibles.
Les innovations venues du Nord
Les pays nordiques, que ce soit la Suède, le Danemark, la Finlande ou la Norvège, ont des États traditionnellement très protecteurs pour le citoyen. Cela ne les a pas empêchés, sans renoncer à leur politique de « welfare », d’équilibrer leurs budgets et d’innover, en ayant pour but de répondre aux besoins de leur population sans renoncer à s’adapter aux changements du monde. Je vais en donner quelques exemples ci-après:
- Pour accroître l’efficacité de son administration, l’État suédois a autorisé les entreprises privées à entrer en concurrence avec ses propres services publics pour répondre aux appels d’offre. Le résultat est d’exclure ses propres services des appels d’offre, s’ils ne sont pas compétitifs. C’est ainsi que la majorité des centres de santé et des écoles maternelles sont désormais construits par des entreprises privées.
- Les mêmes Suédois ont décidé de remettre des « bons d’éducation » aux parents afin qu’ils puissent envoyer leurs enfants dans l’école de leur choix, qu’elle soit publique ou privée. Quel politicien suicidaire imaginerait en France de verser des chèques formation aux étudiants pour qu’ils choisissent de suivre une formation publique ou privée ou qu’ils choisissent de se loger où ils le souhaitent, dans les résidences du CROUS ou dans des logements privés, pour le même prix? ce serait assurément un bouleversement qui obligerait chacun, public et privé, à comparer la qualité des services rendus…
- Le Danemark a adopté le système suédois « des bons d’éducation » en permettant en plus aux parents, dans certaines limites de payer un supplément pour obtenir un service spécifique. Cela a permis de développer toutes sortes d’écoles, qui vont des écoles classiques jusqu’aux écoles religieuses catholiques, protestantes, musulmanes en passant par les écoles expérimentales pour les hippies vieillissants, afin de répondre aux différentes approches philosophiques des familles.
- Dans le domaine du travail, il est bien connu que le Danemark est le pionnier du concept de « flexicurité » auquel rêve le gouvernement français. Au Danemark, les entreprises peuvent licencier leurs employés avec une brutalité équivalente à celle des entreprises américaines, tandis qu’en contrepartie l’État leur apporte de substantielles indemnités de chômage et une aide efficace pour retrouver un nouvel emploi. Nos chômeurs rêveraient de trouver auprès de « Pôle Emploi » le même soutien. Ce système libère le Danemark du cancer qui mine notre société, la fracture entre les salariés protégés, ceux qui ne risquent pas de perdre leur travail, et les personnes qui se retrouvent en situation de précarité parce qu’elles sont incapables, abandonnées à elles-mêmes, d’entrer ou de revenir sur le marché du travail. Les Restos du cœur en savent quelque chose.
- Le Danemark est aussi un pionnier du concept d’État intelligent. Le gouvernement danois a certes abandonné la « fat tax » qui visait à inciter les gens à consommer de produits moins gras, en raison de ses résultats décevants. Du moins a t-il essayé. Par contre, il encourage les innovations par ses subventions. Par exemple, plutôt que d’acheter de manière routinière des fauteuils roulants au même fournisseur, il attend des entreprises qu’elles proposent les meilleures «solutions de mobilité» et encourage les plus performantes d’entre elles à exporter leurs produits.
- De leur côté, on sait que, selon tous les critères internationaux, les Finlandais possèdent l'un des systèmes éducatifs plus performants au monde. Ce n’est par chance. Pour y parvenir, ils ont commencé par supprimer toute la pesante machinerie de leur Ministère de l’Éducation : fini les lourds programmes imposés en histoire, en langue ou en mathématique, qui émanaient de compromis entre diverses écoles intellectuelles ou idéologiques. Chaque professeur peut enseigner l’histoire de la Finlande selon sa propre vision et ses propres méthodes. Supprimés aussi les rigides et inutiles inspections des professeurs. Révolus enfin les soi-disant diplômes couperets, tels que le Baccalauréat que l’on finit par distribuer à tout le monde pour ne fâcher personne. En Finlande, les enfants sont tenus de fréquenter l’école de l'âge de sept ans à 16 ans, sans qu’il y ait rupture entre l'école primaire et secondaire. Mais les enseignants sont libres de choisir les méthodes d’enseignement qui leur semble les mieux adaptées et qui ont souvent tendance à mettre l’accent sur la créativité et l'apprentissage en groupe. Quant aux examens, ils les ont remplacés par des tests qui permettent d’évaluer le niveau des élèves et leurs besoins en formation, plutôt que de les classer. Il leur a fallu aussi le courage de ne pas succomber à la pensée unique : à l'âge de 16 ans, les élèves sont rigoureusement séparés entre les filières généralistes et les filières professionnelles. De plus, la Finlande ne consacre que 6,4% de son PIB à l’éducation, ce qui fait que les enseignants finlandais ne sont pas spécialement bien payés. Mais apparemment, la réussite finlandaise est fondée sur la confiance accordée aux enseignants et sur la stabilité d’un système qui n’a pas changé depuis quarante ans…
En résumé, la leçon simple que nous donnent les pays nordiques est sans conteste que pour maîtriser les dépenses publiques tout en continuant à offrir des services publics de qualité, il vaut mieux se concentrer sur les résultats recherchés plutôt que sur le maintien des rigidités bureaucratiques.
Reste à en convaincre les électeurs et les politiciens, dont on ne sait laquelle des deux catégories est la plus frileuse…
Scènes de la Terreur à Bordeaux
Voici la suite de mon blog du 17 février dernier, intitulé « Les Pol Pot français de 1793 à l’œuvre » et donc la suite de ce qui se passa à Bordeaux après que la bande d’assassins y fut entrée, le matin du 13 septembre 1793.
La marquise de la Tour du Pin poursuit son récit, corroboré par les récits des témoins de ces journées (les parenthèses sont de mon fait) :
« Moins d’une heure après, tous les chefs fédéralistes (qui hésitaient sur la conduite à tenir 48 heures auparavant et qui s’étaient résolus à ne rien faire) étaient arrêtés et emprisonnés. Le tribunal révolutionnaire entra aussitôt en séance et il siégea pendant six mois, sans qu’il se passât un jour qui ne vit périr quelque innocent.
La guillotine fut établie en permanence sur la place Dauphine. La petite troupe d’énergumènes qui l’escortait n’avait trouvé personne pour s’opposer à son entrée à Bordeaux alors que quelques coups de canon tirés sur la colonne serrée qu’elle formait dans la rue du Faubourg Saint-Julien, par laquelle elle arrivait, l’auraient certainement mise en déroute. Mais les habitants, qui la veille, juraient, en vrais Gascons, de résister, ne parurent pas dans les rues désertes. »
Notez comme ces gens se sont facilement soumis à la « bande d’énergumènes »:
« La terreur dans la ville était telle qu’un ordre ayant été placardé prescrivant aux détenteurs d’armes, de quelque nature qu’elles fussent, de les porter avant midi du lendemain, sur la pelouse du Château-Trompette, sous peine de mort, on vit passer dans les rues des charrettes où chacun allait jeter furtivement celles qu’il possédait, parmi lesquelles on en remarquait qui n’avaient pas servi depuis deux générations. On les empila toutes sur le lieu indiqué, mais il ne vint à personne la pensée qu’il eut été plus courageux d’en faire usage pour se défendre. »
La Terreur a aussi inventé les cartes de rationnement, qui ont finalement coûté la vie à Robespierre et ses amis :
« Le jour même de l’entrée des représentants du peuple, on avait publié et affiché ce que l’on nomma le maximum. C’était une ordonnance en vertu de laquelle toutes les denrées, de quelques natures qu’elles fussent, étaient fixées à un prix très bas, avec interdiction, sous peine de mort d’enfreindre cette ordonnance »
Tout était passible de la peine de mort, au moins c’était clair. Si nous nous trouvions sous la Terreur, un dépassement de moins de 10 Km/h de la vitesse limite, une fraude fiscale, une cigarette au travail, un acte de harcèlement sexuel, un téléchargement illégal : peine de mort.
Que produisit donc ce blocage des prix, peine de mort ou pas peine de mort : « Il en résulta que les arrivages cessèrent à l’instant. Les marchands possesseurs de grains les cachèrent plutôt que de les vendre à meilleur marché qu’ils ne les avaient achetés, et la famine conséquence naturelle de cette interruption des échanges fut imputée à leur incivisme. »
Même la peine de mort se révela impuissante à lutter contre les lois du marché, comme aujourd’hui où l’on surcharge d’impôts et de contraintes les chefs d’entreprise qui préfèrent du coup mettre leur tête sur le billot plutôt que d'investir et qu’on brocarde pour leur incivisme, tandis que la machine économique s'enraie inexorablement l’économie et que le chômage monte en flèche.
« On nomma alors, dans chaque section, un ou plusieurs boulangers chargés de confectionner du pain, et ils reçurent l’ordre formel de n’en distribuer qu’à ceux qui seraient munis d’une carte délivrée par la section. Il en fut de même pour les bouchers. On fixa la quantité de viande, bonne ou mauvaise, à laquelle on avait droit quand on était muni d’une carte semblable à celle destinée au boulanger. Les marchands de poisson, d’œufs, de fruits et de légumes abandonnèrent les marchés. Les épiciers cachèrent leurs marchandises, et l’on ne pouvait obtenir que par protection une livre de café ou de sucre.
On aura peine à croire à un tel degré d’absurdité et de cruauté, et surtout qu’une grande ville tout entière se soit docilement soumise à un pareil régime. Le pain de section, composé de toutes espèces de farine, était noir et gluant, et l’on hésiterait maintenant à en donner aux chiens. »
Si la marquise de la Tour du Pin fait bon marché de la peur qui habite les Bordelais, en observant qu’un « un autre trait caractéristique des Français, c’est leur facilité à se soumettre à une autorité quelconque », elle décrit aussi les manifestations à l’origine des attaques violentes contre l’Église comme celle qui habita l’autre jour les « Femen » vociférant seins nus dans Notre Dame de Paris :
«La Terreur était à son comble à Bordeaux. L’horrible procession qui marqua la destruction de toutes les choses précieuses possédées par les églises de la ville venait d’avoir lieu. On rassembla toutes les filles publiques et les mauvais sujets. On les affubla des plus beaux ornements trouvés dans les sacristies de la cathédrale, de Saint-Seurlin, de Saint-Michel, églises aussi anciennes que la ville et dotées, depuis Gallien, des objets les plus rares et les plus précieux. Ces misérables parcoururent les quais et les rues principales. Des chariots portaient ce qu’ils n’avaient pu mettre sur eux. Ils arrivèrent ainsi, précédés par la Déesse de la Raison, représentée par je ne sais quelle horrible créature, jusque sur la place de la Comédie. Là, ils brûlèrent, sur un immense bûcher, tous ces magnifiques ornements.»
Qu’ajouter ?
La stratégie russe face à l'adversité
La Russie se trouve aujourd’hui revenue à ses frontières du XVIIe siècle. C’est dire l’ampleur de l’effondrement récent et l’énorme effort de récupération qu’implique la volonté de reprendre son rang traditionnel dans le concert mondial.
Dans ce dessein, il lui faut tout d’abord retrouver son équilibre démographique, puis reconstruire son économie et reprendre enfin ses forces dans un monde ou elle compte peu d’alliés fiables.
C’est qu’il lui faut faire vivre les espaces énormes qui lui reste, dix-sept millions de km2, et assurer la sécurité aux frontières. Il s’agit de surveiller les anciennes républiques soviétiques, qu’il s’agit au mieux de maintenir dans l’orbite de Moscou et au minimum d’empêcher qu’elles ne deviennent des points d’appuis pour les Etats-Unis. À cet égard, le contrôle de l’Ukraine, équivalente à la France en termes de population et de superficie, constitue un enjeu majeur pour la Russie.
Face à la persistante hostilité américaine, la Russie possède quelques alliés. En Europe, la Grèce et la Bulgarie sont traditionnellement tournées vers Moscou. L’Allemagne et l’Italie dépendent de son gaz, mais c’est de peu de poids face à l’alignement de l’Europe occidentale sur les Etats-Unis, de la méfiance des pays d’Europe Centrale et de l’humanitarisme des pays scandinaves.
Quant aux relations entre la France et la Russie, elles sont mauvaises. Les échanges commerciaux franco-russes continuent à se réduire, malgré la participation des compagnies françaises GDF Suez et EDF dans les projets gaziers Nord et South Stream, la participation de Total au capital du russe Novatek, les investissements des groupes Renault-Nissan, Danone ou de la Société Générale ou l’achat de porte-hélicoptères Mistral.
Au plan diplomatique, l’alignement de la France sur la position américaine vis-à-vis de la Russie se traduit par le soutien à l’adhésion de la Georgie à l’Otan, ou son opposition à la politique russe en ce qui concerne la Syrie et l'Iran.
À l’Est, les liens avec la Chine sont moins importants qu’on pourrait le croire. Les échanges d’hydrocarbures restent modestes alors que le voisinage du vide sibérien et du trop plein du littoral chinois provoque l’inquiétude des Russes.
Au sud, la Russie peut espérer mobiliser la Chine, l’Inde, le Brésil ou l’Afrique du Sud, en se faisant le défenseur de la souveraineté de ces pays face à l’interventionnisme américain, sans toutefois espérer les rassembler durablement dans un front uni.
Il ne reste à la Russie, sur le théâtre mondial que quelques faibles amis, l’incertain Cuba, le fantasque Venezuela, la Syrie agonisante, la Serbie aspirée par l’Union Européenne, le Vietnam qui lorgne vers Washington, l’Iran que la Russie aide avec quelques réticences.
Aussi la Russie peut-elle avant tout compter sur ses propres forces, un régime fort soutenu par une large majorité de la population, une économie qui conserve son dynamisme malgré la crise, une population éduquée dont le déclin semble arrêté et trois armes de dissuasion, les hydrocarbures, l’arsenal nucléaire et le droit de veto.
Nation déclassée qui reste néanmoins une superpuissance, seul pays qui soit à la fois européen et asiatique, économie de rente qui a maintenu un haut niveau de technologie, la Russie apparaît comme un pays polymorphe et capable de s’adapter à toutes les situations sur l’échiquier du monde. La France devrait tenir compte des atouts russes dans ses propres calculs stratégiques au lieu de s’aligner systématiquement sur les positions anti-russes des Etats-Unis.
Vladimir Poutine, l'empêcheur de danser en rond
Un an après l'arrivée au pouvoir de Primakov, qui inversa la spirale mortifère engagée au cours des années précédentes, Vladimir Poutine, le chef du FSB (ex-KGB), accèda aux fonctions de Premier ministre par intérim.
Au beau milieu d'une succession d'attentats commis par des terroristes tchétchènes, Vladimir Poutine remporta les élections législatives du 19 décembre 1999 avant de devenir douze jours plus tard Président par intérim, du fait de l'état de santé d'Eltsine. Le 26 mars 2000, il fut enfin élu Président avec 53 % des suffrages.
Poutine entama immédiatement une reprise en main autoritaire du pouvoir de l’État. S'appuyant sur les siloviki, issus des services de renseignements, il entendait mettre au pas les oligarques et assurer le retour de la Russie sur la scène mondiale. C’était un défi difficile à relever après les années Eltsine, marquées par l'autonomie accordée aux régions, par la vente des entreprises d'État aux «barons pillards» et par l'ouverture des secteurs stratégiques aux capitaux étrangers.
Il établit tout de suite un nouveau rapport de forces avec les oligarques en prenant le contrôle de Gazprom et de nombreux médias lancés par les oligarques, tels ceux créés par Vladimir Gusinski qui s’était forgé un empire, soutenu par Rupert Murdoch et Masha Lipman, une ancienne du Washington Post.
En 2003, l'oligarque Mikhaïl Khodorovski, directeur du groupe pétrolier Ioukos, fut arrêté au moment où il négociait, sans en avoir informé le Kremlin, la vente d'une partie de son capital aux majors américaines Chevron-Texaco et Exxon-Mobil!
La recentralisation du pouvoir et la place accordée aux acteurs issus des ministères de force (Armée et Services de renseignement) ont provoqué l’hostilité des Etats-Unis, dans la mesure où elles témoignaient de la volonté du pouvoir russe de reconstituer les éléments de sa puissance, afin de jouer de nouveau un rôle de premier plan sur la scène internationale.
Pour la Russie, il s’agit d’opposer une logique multipolaire, respectueuse du droit des États, au monde unipolaire dominé par les États-Unis qui s'attribuent un droit d'ingérence dans les affaires intérieures des autres États, comme en Irak, en Afghanistan, en Syrie ou en Europe.
Vladimir Poutine a été réélu en mars 2004 avec 71,2 % des suffrages, avant de devenir en 2008 Premier ministre de son successeur Dmitri Medvedev. On sait qu'en mars 2012, il a été à nouveau cliarement élu président de la Russie avec 64 % des suffrages.
Aujourd’hui, quoique éprouvée par la crise née aux États-Unis en 2008, la Russie a renoué avec la croissance dès 2010 et a pu éviter tout nouveau recours à l'endettement auprès du FMI. Elle a, plus important encore, amorcé son redressement démographique.