Vous avez dit individu?
Alors la morale, selon Nietzsche, ne serait qu’un moyen de nous dresser à vivre ensemble ? (voir mon blog du 14 septembre dernier, « la vraie nature de la morale »).
Pourquoi pas, après tout, c’est assez logique…Car, selon Nietzsche, le ciment de toutes les morales n’est pas l’amour, mais la crainte du prochain.
Il est vrai que nous avons peur du jeune qui pourrait nous arracher notre sac à main, du barbu qui pourrait se révéler un dangereux terroriste, mais aussi du passager qui parle trop fort dans le train, du fumeur qui pourrait empoisonner nos poumons, du chef qui pourrait nous harceler, du dragueur qui voudrait nous transformer en objet sexuel, du photographe qui pourrait nous voler notre droit à l’image ou du raciste dont les propos pourraient heurter notre amour propre.
La liste des « violences » verbales finit par laisser penser que tout échange avec les autres humains est plus ou moins perçu comme une violence. D’ailleurs, chacun a fait l’expérience de la peur qu’il inspire à l’autre, simplement en lui disant bonjour.
Il est vrai aussi que le troupeau humain a instinctivement peur de tout ce qui pourrait déranger ses convictions, ses habitudes ou sa cohésion.
Aussi, l’individu, qui se revendique en tant que tel, est par définition l’ennemi du troupeau.
D’un autre côté, l’individu n’a pas forcément envie de se différencier des autres. Au contraire, il peut trouver rassurant de n’être qu’un numéro dans le troupeau. Il peut être commode de se cacher derrière des principes pour ne pas devoir affronter ses propres désirs : on trouve une sorte de paresse derrière toute morale, dans la mesure où elle propose des schémas d’action préfabriqués.
Aussi Nietzsche avance t-il que la morale est aussi fortement motivée par la crainte de soi-même que par la crainte des autres : la morale serait le refuge idéal pour celui qui veut s’épargner l’effort de s’interroger sur ses propres objectifs.
Car, si nous devons avoir des vertus, elles ne sauraient être que personnelles et non pas communes à tout le troupeau. S’il existe un authentique devoir moral, il consiste à faire impérativement ce que moi seul, et personne d’autre, peut et doit accomplir. Il s’agit alors de la nécessité intérieure qui me force à agir d’une manière singulière, au risque de choquer tout le troupeau :
« Aussi longtemps qu’on te louera, crois bien toujours que tu n’es pas encore sur ta voie, mais sur celle d’un autre. » (Humain, trop humain, II,1,340).
Mais il ne s’agit pas pour autant de se replier dans l’individualisme, car « l’individu en soi est une erreur et il n’y a pas de vérités individuelles, mais seulement des erreurs individuelles, dans la mesure où nous sommes des bourgeons sur un arbre, qui ne savent rien de l’intérêt de l’arbre que nous pourrions devenir » (Fragment posthume, 1881,11,7).
L’individu, vu comme un moi autonome est une illusion, proclame Nietzsche. Nous devons nous voir comme un maillon d’une lignée qui plonge dans le passé pour s’élancer vers l’avenir.
La Convention liquide ses opposants
Poursuivant la série de blogs que je publie sur la Terreur, j’écrivais dans mon blog du 31 août dernier, intitulé « La Terreur pour quoi faire ? » que la famine menaçait le pouvoir de la Montagne.
Oui, elle menaçait le pouvoir de la Montagne, débordée sur sa gauche par les « enragés », conduits notamment par Jacques Roux, qui avait eu l’audace de dénoncer les vains mots que représentaient pour les affamés les grands principes révolutionnaires de la Convention.
La Convention y répondit à sa manière habituelle, en le faisant arrêter, et sachant le sort qui l’attendait, il eut l ‘élégance de se donner la mort en prison. Du coup, les autres « enragés » comprirent la leçon, si bien qu’à l'automne 1793 la faction des enragés n'existait plus.
Plus dangereux pour la Montagne, les Hébertistes s’emparèrent à leur tour de la question des subsistances. Ils étaient en effet soutenus par la Commune, très populaires auprès des sans-culottes et disposaient de deux appuis au Comité de Salut Public avec Billaud-Varenne et Collot d’Herbois. De plus, le club des Cordeliers leur était acquis et ils pouvaient compter sur l'armée révolutionnaire.
Hébert réclamait non seulement la mort pour les accapareurs, mais exigeait la déchristianisation forcée du pays, provoquant l’inquiétude de la Convention qui craignait de susciter une opposition radicale de la part des catholiques. Lorsqu’en mars 1794, Hébert tenta de prendre la direction de l'agitation contre le coût des subsistances, la Convention le fit exécuter, lui et ses lieutenants, sans provoquer, à son grand soulagement, de réactions dans les faubourgs.
Les Indulgents avaient de leur côté l’outrecuidance d’estimer que le processus de la Terreur allait trop loin. Vraiment ? Comment pouvaient-ils dire de telles énormités ? La Convention fit donc exécuter ces naïfs opposants de droite, dont Camille Desmoulins et Danton, guillotinés le 5 avril 1794.
Robespierre dominait désormais le Comité de salut public. Il faisait remplacer tous les tribunaux révolutionnaires de province par le seul Tribunal Révolutionnaire de Paris, afin d’accélérer le rythme des supplices :
le 18 avril 1794, dix-sept hommes et femmes accusés d'affamer le peuple sont éxécutés,
le 20 avril 1794, ce sont vingt-quatre parlementaires qui passent à la guillotine,
le 22 avril, c'est le tour de Malesherbes, Le Chapelier et Thouret,
le le 8 mai, les vingt-sept fermiers généraux, dont Lavoisier, sont exécutés,
le 10 mai, Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI, est guillotinée.
Ce n’était apparemment pas assez.
Le 10 juin 1794, la loi, dite du 22 prairial an II, s’efforça d’accélérer encore les exécutions, inaugurant la période dite de la « Grande Terreur » : cette loi déclarait que « le Tribunal Révolutionnaire de Paris a en charge de punir les ennemis du peuple dans les délais les plus courts, que la peine portée contre tous les délits dépendant dudit tribunal est la mort, que, s'il existe des preuves soit matérielles soit morales il ne sera pas entendu de témoins, que la loi donne pour défenseur aux patriotes calomniés des jurés patriotes ; elle n'en accorde point aux conspirateurs. »
Les auditions de témoins et les plaidoiries étant supprimées, les débats devenaient très succincts. On vit des erreurs de noms, des amalgames de personnes, des prisons entières vidées et conduites à l'échafaud. Le 9 thermidor, la veille de l’arrestation de Robespierre, 45 personnes passeront encore sous la guillotine.
Cela n’empêche pas deux auteurs tout à fait contemporains, d’écrire un livre intitulé « Robespierre, reviens ! » et un lecteur enthousiaste, de publier le commentaire suivant :
« Oui aux idées humanistes: Robespierre, inspiré par les idées de Rousseau, était contre les violences et pour la liberté... Il faut se remettre dans le contexte de guerre de l'époque, comprendre les mesures d'exception qui furent prises par la Convention contre les traîtres à la nation, et toujours se souvenir que Robespierre était contre la peine de mort...oui, il était "quelqu'un de bien"! »
Un grand humaniste, ce Robespierre !
C'est pitié qu'on l'ait calomnié, ce pauvre homme qui devait se résoudre à faire exécuter des dizaines de personnes chaque jour, alors qu'il était contre la peine de mort.
Comme il devait souffrir...
Reviens Robespierre, pour leur expliquer ta vision de l'humanisme...
La Norvège se protège
On voudra bien me pardonner de ne pas mêler aujourd’hui ma voix aux commentaires sur la victoire électorale d'Angela Merkel, mais plutôt d’attirer votre attention sur une autre élection qui s’est déroulée le 9 septembre dernier, dans la discrétion, sinon le silence des medias français.
Ce jour là, la droite a remporté les élections législatives en Norvège. Il est vrai que le pays est si petit, à peine 70% de la France, qu’il ne fait même pas partie de l’Union Européenne et que l’événement est si peu dans la ligne de la pensée unique qu’il obligerait la plupart des commentateurs de la sanglante affaire Anders Breivik à se contredire.
Les résultats électoraux du 9 septembre en Norvège ont donné aux partis de droite, qui regroupent le Parti conservateur, le Parti du progrès, le Parti chrétien populaire et le Parti libéral, 96 des 169 sièges de la chambre unique du Parlement (Storting), avec 54 % des voix. La participation s'est élevée à 71,4 %, 5 points plus bas que lors du scrutin législatif du 14 septembre 2009.
C’est la première fois depuis 24 ans que les électeurs norvégiens élisaient un Parlement à majorité conservatrice. La dirigeante du Parti conservateur, l'imposante Erna Solberg, à qui échoit le poste de Premier Ministre, a mis l’accent dans son programme sur l’Etat providence : elle se donne pour objectif de «meilleures écoles, de meilleures routes et une amélioration de la compétitivité pour s'assurer que la Norvège conserve son État providence. »
Sur le plan politique, elle s’apprête à gouverner notamment avec le Parti du progrès, l’ancien parti d’Anders Breivik. C’est la première fois depuis que ce parti populiste a été fondé, il y a quarante ans, qu’il entre au gouvernement. Sa dirigeante, Siv Jensen, aurait, paraît-il, fait quelques concessions sur ses positions anti-immigration.
Mais l’opinion publique a changé aussi. Dans les années 1990, le Parti du progrès avait suscité un tollé en demandant le calcul du coût de l'immigration, alors qu’aujourd’hui une commission officielle est chargée de ce calcul. De plus, au cours de la campagne électorale, tous les partis politiques ont mis en avant la nécessité de mettre en place une politique d'immigration plus « responsable ».
Erna Solberg, née à Bergen, est âgée de 52 ans et diplômée de l’excellente université de Bergen. Surnommée Jern-Erna (Erna de fer), elle s’est donné pour modèle Angela Merkel. Elle a modifié l’axe de son parti, qui était centré autour d’Oslo et qui est désormais plus tourné vers l'ouest de la Norvège.
À priori, la défaite de la gauche est surprenante : après avoir traversé la crise sans dommage, la Norvège, riche en pétrole, affiche une santé économique remarquable avec un chômage négligeable et des niveaux de vie très élevés. À l'écart de l’Union Européenne, elle possède aussi le plus gros fonds souverain au monde, qui pèse 750 milliards de dollars.
Pas de dette, pas de crise, mais la gauche a été à la fois victime de l’usure du pouvoir après huit années au pouvoir et des défaillances des autorités apparues lors de l’affaire Anders Breivik, une commission indépendante ayant conclu que le massacre aurait pu être évité. Le volume croissant de l’immigration commence aussi à inquiéter les Norvégiens, qui ont vu soixante dix mille étrangers s’installer l’an dernier dans ce pays de cinq millions d’habitants.
C’est pourquoi, loin de devenir plus tolérante et plus ouverte après l’affaire Breivik, la Norvège s’apprête à prendre un tournant politique conservateur, au plan économique et culturel à la fois….
La vraie nature de la morale
Eprouver un ressentiment consiste à intérioriser la violence, qui consiste à ruminer une vengeance imaginaire, que l’on n’exercera réellement jamais. Mais la mauvaise conscience est une arme pire encore.
En effet, alors que le ressentiment correspond à la recherche d’un coupable de son mal être, la mauvaise conscience consiste à se martyriser soi-même. Certes, la mauvaise conscience est inhérente à la vie en société, car la tranquillité de la société exige que les individus ne déversent pas leur violence intérieure sur les autres, mais la retournent contre eux-mêmes.
Il n’est d’ailleurs pas suffisant d’expliquer aux déshérités qu’ils sont responsables de leur propre malheur, mais encore faut-il culpabiliser les personnes qui ont l’outrecuidance de s’estimer heureuses.
C’est ainsi que nos moralistes nous expliquent que la prospérité, d’ailleurs en peau de chagrin, des occidentaux provient de leur passé colonial et de l’exploitation de la nature, afin de nous inviter aussitôt à nous en repentir parce que nous en serions, aujourd’hui et personnellement, coupables. Il s’agit à toute force de nous priver du droit au bonheur, nous qui avons la « chance » de vivre dans un ilot de prospérité entouré d’un océan de pauvreté et de malheurs.
D’ailleurs, si par malheur un jour, nous nous trouvions plongés à notre tour dans l’océan en question, nos moralistes nous expliqueraient aussitôt que nous sommes les premiers responsables de nos épreuves.
Car il n’ y a pas d’issue : soit l’homme est coupable de son bonheur, soit il est coupable de son malheur, mais toujours coupable.
À cet effet, celui qui préfère jouir de l’instant présent plutôt que de penser à l’avenir de la planète, ou de lutter contre les injustices doit sans répit être accusé d’égoïsme, d’insouciance ou d’hédonisme, et les pires catastrophes doivent lui être prédites, à cet homme insouciant, sauf s’il fait pénitence !
De ce point de vue, rien n’est plus tristement burlesque que ces vieilles personnes, collées devant leurs écran de TV, qui se désolent des catastrophes futures que leur annonce quotidiennement les journalistes payés pour contrôler le troupeau, alors que leur espérance de vie est assez courte pour leur garantir, même si ces prévisions tragiques se révélaient réalistes, que jamais elles ne les verraient personnellement !
Comme l’envie nous démange de leur crier : mais vivez, que diable !!!!
Aussi, peut-être pire que la souffrance, la violence, l’injustice, l’idée de punition, de culpabilité et de responsabilité empoisonne t-elle la vie des hommes, qui finissent par rendre la vie elle-même coupable de leur souffrance.
Pourtant, nous sommes aussi peu coupables que méritants de ce que nous sommes, alors que la morale veille sur nous, avec pour but légitime de dresser l’individu afin de transformer une meute de bêtes sauvages en un troupeau d’ animaux coupables, donc dociles.
Une mécanique programmée pour être folle
Comme en 1914, la situation évolue de jour en jour dans la crise syrienne. En ce moment, la proposition russe, sur une suggestion américaine, de geler et détruire les armements chimiques, semble de nature à écarter la menace d’explosion du conflit syrien.
Il reste une inconnue majeure : quel est l’objectif du gouvernement américain ? chasser Assad ou mettre fin à la guerre civile ? dans le premier cas, le gouvernement américain est en train de chercher un prétexte pour refuser l’offre russe. Dans le second cas, une conférence internationale sous l’égide de l’ONU est en vue.
Je ne vous dirai pas mon point de vue, il est sans intérêt, mais je vous propose plutôt de parcourir le déroulement des évenements à partir du 30 juillet 1914, quand le tsar Nicolas II, écoutant ses militaires inquiets de se retrouver à découvert, signe par sécurité l’ordre de mobilisation générale, au lieu d’une mobilisation partielle.
Le gouvernement français l’apprend deux heures plus tard ; il ne lui faut que cinquante-cinq minutes pour ordonner la mise en place d’une couverture militaire réduite.
Pour les Allemands, cette mobilisation générale signifie la guerre contre la Russie, donc contre la France, sauf si la Russie annule son ordre de mobilisation.
Il lui faut agir vite pour arrêter la guerre.
Le 31 juillet, l’Allemagne demande à la Russie d’arrêter ses préparatifs dans les douze heures et interroge la France sur sa neutralité en cas de conflit avec la Russie.
La France retire ses troupes de dix kilomètres pour éviter toute provocation.
L’Autriche-Hongrie décrète la mobilisation générale en réponse à celle de la Russie.
Du coup, à 17 h 40, l’ordre de couverture militaire complète est donné en France.
À 19 heures, La Belgique prescrit la mobilisation générale, en réponse à l’ultimatum du 29 juillet.
À 21 h, 40, au café du Croissant, rue Montmartre, Jaurès est assassiné par Raoul Villain, qui sera ensuite acquitté en 1919.
L’Allemagne, quant à elle, est littéralement prise dans l’engrenage de ses plans militaires.
Si la Russie ne cède pas, il lui faut honorer son alliance avec l’Autriche-Hongrie.
Dès que la guerre sera déclarée, l’Allemagne ne peut pas porter toutes ses armées vers l’Est, en raison de la menace des soixante-quatorze divisions françaises massées sur ses arrières et alliées aux Russes.
Il lui faut donc attaquer la France, et la France d’abord en raison des lenteurs connues de la mobilisation russe.
Il lui faut aussi attaquer la Belgique pour respecter le plan Schlieffen, au risque de déclencher la belligérance anglaise.
Le plan prévoit une victoire rapide contre la France, comme en 1870. Il sera temps ensuite de négocier avec le Royaume-Uni. Encore faut-il que le plan fonctionne.
Ce ne sera pas le cas.
Le 1er août, la Russie, résignée à la guerre, ne répond pas à l’ultimatum allemand.
La France rétorque qu’elle « fera ce que commanderont ses intérêts ». La répartie a de l’allure, encore que l’alliance franco-russe ne lui offrait pas d’autre choix que la guerre.
À 15 h 45, la France lance l’ordre de mobilisation générale. L’Allemagne fait de même à 17 heures, puis déclare la guerre à la Russie à 19 heures.
Le Royaume-Uni reste dans l’expectative.
À ce moment, le Kaiser s’adresse à son général en chef, Helmut Von Moltke, avec dans ses mots un tenu espoir d’échapper à la catastrophe totale mécaniquement inscrite dans le plan Schieffen : « Alors, nous marchons avec toute l’armée, dans l’Est uniquement ? ».
Von Moltke, en bon professionnel de la guerre, lui répond : « notre marche de concentration, qui est prévue avec de grandes forces du côté de la France et avec de faibles effectifs du côté de la Russie, doit suivre son cours selon le plan fixé, si nous ne voulons pas tomber dans le désordre le plus total.»
Car, dès lors que les politiciens ont lâché les chiens, la parole n’est plus qu’à la meute.
Le 2 août, les troupes allemandes envahissent le Luxembourg. L’Allemagne remet un ultimatum à la Belgique à 19 heures, exigeant le libre passage des troupes allemandes.
Alors que la flotte française est regroupée en Méditerranée en vertu de l’entente cordiale, le Royaume-Uni informe la France qu’il ne tolérera pas d’actions allemandes contre les côtes françaises.
Le 3 août à 7 heures du matin, la Belgique rejette l’ultimatum allemand.
À 18 heures 40, l’Allemagne déclare la guerre à la France.
Le Royaume-Uni promet son soutien à la Belgique si sa neutralité venait à être violé.
Le 4 août, l’armée allemande envahit la Belgique.
Le 5 août, la Grande-Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne en raison de sa violation de la neutralité de la Belgique.
Le 6 août, l’Autriche déclare la guerre à la Russie.
Le 11 août, la France déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie.
Le conflit le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité était lancé, en attendant pire.
L'engrenage
Nous sommes à la veille d’une décision dramatique. Que les Etats-Unis ordonnent de bombarder la Syrie et un mécanisme incontrôlable sera lancé. Qu’ils renoncent, et toutes les cartes seront rebattues.
Nous avons l’exemple d’un extraordinaire mécanisme d’emballement qui s’est achevé par la destruction de l’Europe. Il date de 99 ans. J’ai écris les lignes qui suivent dans le cadre d’un ouvrage que je projette…
Le 28 juin 1914, l’héritier de l’Empire d’Autriche-Hongrie, l’archiduc François-Ferdinand et sa femme Sophie sont assassinés à Sarajevo. Neveu de l’Empereur François-Joseph, François-Ferdinand est inspecteur général des forces armées autrichiennes. Son entêtement à vouloir visiter Sarajevo le 28 juin 1914, le jour de la fête nationale de la Serbie, est considéré par les patriotes serbes comme une provocation, d’où l’assassinat du couple princier à coups de revolver par l’étudiant Princip.
Pendant un mois, l’événement n'entraîne en France aucune inquiétude particulière, au point que le président de la République Raymond Poincaré et le président du Conseil René Viviani maintiennent leur projet de voyage en Russie et en Scandinavie. Pendant que l’opinion publique se passionne pour le procès de madame Caillaux, ils sont reçus à Saint-Pétersbourg du 20 au 23 juillet.
Le 23 juillet à 18 heures, l’Autriche-Hongrie envoie son ultimatum à la Serbie. L’ultimatum exige le châtiment des coupables, l’arrêt de la propagande nationaliste et la participation de policiers autrichiens à l’enquête. Le gouvernement serbe dispose de 48 heures pour l’accepter. Cet ultimatum avait été soigneusement préparé.
Dés le 2 juillet, l’Allemagne avait assuré l’Autriche de son soutien. Trois jours plus tard, François-Joseph écrit à l’Empereur d’Allemagne, Guillaume II, en préconisant « l’élimination de la Serbie comme facteur politique dans les Balkans ».
Guillaume II adhère à ce but stratégique, malgré les risques de réaction de la Russie. Bertchtold, le ministre austro-hongrois des affaires étrangères convainc le conseil des ministres de déclarer la guerre à la Serbie, en se référant au soutien allemand. Il choisit la date du 23 juillet, quand Poincaré et Viviani quittent la Russie, pour éviter une réaction rapide du gouvernement français.
Le 24 juillet, les ambassades allemandes remettent une note aux gouvernements européens, insistant sur le caractère localisé du conflit. La Russie prône la modération à la Serbie et demande un délai supplémentaire à l’Autriche-Hongrie, avec l’appui de la France et de la Grande-Bretagne. Elle fait aussi savoir qu’elle ne restera pas neutre en cas de guerre austro-serbe.
Le 25 juillet, peu avant 18 heures, la Serbie fait savoir qu’elle accepte les termes de l’ultimatum, à l’exception de la participation des policiers autrichiens à l’enquête. L’Autriche-Hongrie répond qu’une acceptation partielle équivaut à un refus. Les relations diplomatiques entre les deux pays sont rompues. La Serbie, qui ne se faisait pas d’illusions, a ordonné la mobilisation générale de ses troupes depuis 15 heures. L’Autriche mobilise huit corps d’armée. La Russie lance des mesures de pré mobilisation.
Le 26 juillet, l’Allemagne demande à la France de modérer la Russie. La France refuse, par crainte d’affaiblir l’alliance franco-russe. La Grande-Bretagne propose de soumettre le différend à une conférence de quatre pays étrangers au conflit, l’Allemagne, l’Italie, la France et la Grande-Bretagne. L’Allemagne refuse, pour ne pas humilier l’Autriche-Hongrie, argumente t-elle.
Le 27 juillet, la Russie prend contact avec l’Autriche-Hongrie pour qu’elle réduise ses exigences à l’égard de la Serbie. L’Autriche refuse. Ce n’est que ce jour qu’en France, on commence à s’inquiéter sérieusement du risque de conflit et sur les boulevards parisiens, les syndicats organisent une manifestation contre la guerre.
Le 28 juillet, l’Autriche-Hongrie pousse les feux, c’est le cas de le dire : elle déclare la guerre à la Serbie. Le conflit peut encore rester limité. Tout dépend désormais du choix de la Russie. Le même jour, le tsar signe un ordre de mobilisation partielle de treize corps d’armées face à la frontière autrichienne. Ses généraux craignent que les Allemands ne l’interprètent comme une mobilisation générale, ce qui placerait la Russie en position d’infériorité. C’est pourquoi, par précaution, ils pressent le tsar de signer l’ordre de mobilisation générale.
Le 29 juillet, l’Allemagne prévient la Russie qu’un ordre de mobilisation générale de sa part entraînera la mobilisation allemande.
Un nouveau meeting contre la guerre se tient à Paris.
Le gouvernement allemand prépare déjà son plan Schlieffen. Dans ce cadre, il demande au gouvernement belge de « prévenir l’attaque française » en acceptant son assistance. Le soir, Guillaume II presse le tsar Nicolas II de laisser la Russie spectatrice du conflit austro-serbe, sans obtenir que l’ordre de mobilisation partielle contre l’Autriche soit levé.
Le 30 juillet à 16 heures, le tsar franchit le Rubicon : il signe l’ordre de mobilisation générale.
À SUIVRE.
La maladie du ressentiment
Dans mon blog du 24 août dernier, nous avons laissé Nietzsche en train d’exalter la volonté de puissance, comme antidote à la résignation. La volonté de puissance est-elle donc une valeur en soi ?
Au-delà de la volonté de puissance, Nietzsche se propose d’élargir notre perspective par une morale qui célèbre la vie. Il appelle cette morale, la morale des « seigneurs », une morale dont le point de départ ne consiste pas à juger les autres. Elle commence au contraire à regarder ce qui est, chez soi, digne d’être honoré, parce que cela nous permet de pérenniser notre bonheur, notre talent ou notre courage. Nietzsche avance que c’est une morale positive, parce qu’elle commence par l’acceptation de la vie, avant d’en déduire ce qui est bon et mauvais : est bon, tout ce qui concourt à valoriser la vie, cette vie que nous avons la chance de posséder. Est mauvais, tout ce qui, dans cette vie, est faible, raté, malheureux. Il ne s’agit alors pas de détruire ce qui est mauvais en nous et autour de nous, mais de nous en tenir à distance pour préserver ce qui est bon.
À cette morale des « seigneurs », Nietzsche oppose la morale des « esclaves » qui a besoin d’un extérieur à qui elle commence par dire non. C’est une morale qui se fonde sur le ressentiment, qui est le sentiment que ma souffrance a pour origine quelqu’un qui en est responsable :
« D’instinct, celui qui souffre cherche toujours une cause à sa souffrance, ou plus précisément un auteur coupable de sa souffrance, sur lequel il puisse décharger ses affects en effigie ou en réalité. » (La Généalogie de la morale, III, 15).
Le ressentiment est une forme de vengeance qui se retourne contre soi. Si l’on était capable de réagir à une exaction, nous serions du même mouvement libéré de notre agressivité. Celui qui a assez de force pour se défendre, assez de courage pour donner la réplique ne connaît pas la lente incubation de la violence rentrée. Mais en intériorisant la vengeance, nous devenons victime de notre souffrance, de notre haine, de notre impuissance.
Pour se libérer de cette escalade autodestructrice, la recette est pourtant simple : l’oubli.
Pour Nietzsche, la capacité à oublier les expériences pénibles est essentielle à la santé de l’âme. De l’oubli, dépend notre faculté à digérer nos expériences négatives et donc à faire place à de nouvelles expériences, plutôt que de ruminer les anciennes :
« Rouvrir d’anciennes plaies, se vautrer dans le mépris de soi et la contrition, est une maladie dont jamais le salut de l’âme ne pourra naître. » (Fragment posthume de 1888, 14,155).
Le ressentiment repose sur deux pathologies de base, l’impuissance à réagir et l’incapacité à oublier. Il trouve son aliment dans l’idée que, si quelqu’un nous a fait du mal, c’est qu’il est coupable. On se persuade que celui-là a voulu délibérément nous faire du mal, qu’il n’y a ni hasard ni accident, à l’aide de la notion de libre-arbitre.
Pour Nietzsche, la notion de libre-arbitre » permet de juger, de punir et de contraindre l’être humain. Nous croyons que la reconnaissance d’une volonté libre de notre part est la condition de notre liberté d’agir, mais elle est surtout le moyen de nous faire savoir que nous devons agir autrement parce que nous en sommes capables, parce que cela ne dépend que de notre volonté. C’est ainsi que l’on peut exiger de quelqu’un qu’il soit autre que lui-même, de son propre chef.
Ainsi l’agneau reproche à l’oiseau de proie d’attaquer les agneaux, et l’en rend coupable. Mieux encore, il s’attribue le mérite d’être un agneau. Le mensonge est de prétendre que la faiblesse ne résulte que du choix de ne pas être fort. Il s’agit, par cette falsification, à la fois de culpabiliser son bourreau victorieux, mais d’interpréter son propre échec comme une démonstration de vertu, de grandeur morale. Le résultat est qu’elle affaiblit encore les faibles en les persuadant que leur faiblesse est leur plus grand mérite.
C’est alors que le faible cherche dans le secours de la morale et de la métaphysique le moyen de se venger, dans un monde idéal, de la défaite qu’il a connue dans la réalité.
Le besoin compulsif d’un bouc émissaire est le moyen le plus efficace pour ne pas s’occuper de ce que l’on peut améliorer soi-même.