Le Directoire franchit le Rubicon
Paul Barras
À quatre heures de l'après-midi, Barras prit Rewbell et La Révellière-Lépeaux à part, et leur dit qu'il fallait frapper la nuit même, pour prévenir l'ennemi…
Dans la soirée, on rédigea des proclamations annonçant qu'un grand complot avait été formé contre la république qui furent imprimées sur-le-champ et affichées dans la nuit sur les murs de Paris.
Vers minuit, Augereau disposa toutes les troupes de la garnison, avec une artillerie nombreuse, autour du Palais Législatif. Mais nombre de députés, avertis, voulurent se rendre à leur poste le lendemain, en se présentant, leurs présidents en tête, aux portes du Palais Législatif.
Vers onze heures, le groupe des députés traversa en silence la foule amassée sur le Carrousel et se présenta aux portes des Tuileries. On leur en refusa l'entrée et ils furent dispersés. Un certain nombre d’entre eux furent arrêtés et conduits au Temple. :
Les députés restants délibérèrent sous la surveillance de l'armée. Sous la contrainte militaire, ils durent « corriger » les élections dans quarante-neuf départements, ce qui leur permit d’éliminer cent quarante députés. Les élections aux administrations locales furent cassées dans cinquante-trois départements et remplacées par des nominations. Quarante-deux journaux furent supprimés et les lois contre les immigrés et les prêtres réfractaires furent remises en vigueur.
En outre, soixante-cinq « fructidorisés » furent condamnés, sans jugement, à la déportation, parmi lesquels figuraient les Directeurs Carnot et Barthélemy, les généraux Pichegru et Miranda, onze membres des Cinq-Cents et quarante-deux des Anciens. Huit y moururent parmi eux, les autres s’échappèrent et rentrèrent, qui en France, comme Pichegru et Barthélemy, qui en Suisse comme Carnot.
« À ces dispositions contre les individus, on en ajouta d'autres, pour renforcer l'autorité du directoire, et rétablir les lois révolutionnaires que les généraux avaient abolies ou modifiées. Ainsi le directoire avait la nomination de tous les juges et magistrats municipaux, dont l'élection était annulée dans quarante-huit départements.
« Quant aux places de députés, elles restaient vacantes. Les articles de la fameuse loi du 3 brumaire, qui avaient été rapportés, étaient remis en vigueur, et même étendus. Les parents d'émigrés, exclus par cette loi des fonctions publiques jusqu'à la paix, en étaient exclus, par la loi nouvelle, jusqu'au terme de quatre ans après la paix; ils étaient privés en outre des fonctions électorales. Les émigrés, rentrés sous prétexte de demander leur radiation, devaient sortir sous vingt-quatre heures des communes dans lesquelles ils se trouvaient, et sous quinze jours du territoire. Ceux d'entre eux qui seraient saisis en contravention devaient subir l'application des lois sous vingt-quatre heures. Les lois qui rappelaient les prêtres déportés, qui les dispensaient du serment et les obligeaient à une simple déclaration, étaient rapportées. Toutes les lois sur la police des cultes étaient rétablies. Le directoire avait la faculté de déporter, sur un simple arrêté, les prêtres qu'il saurait se mal conduire.
« Quant aux journaux, il avait à l'avenir la faculté de supprimer ceux qui lui paraîtraient dangereux. Les sociétés politiques, c'est-à-dire les clubs, étaient rétablies; mais le Directoire était armé contre eux de la même puissance qu'on lui donnait contre les journaux ; il pouvait les fermer à volonté.
« Enfin, ce qui n'était pas moins important que tout le reste, l'organisation de la garde nationale était suspendue, et renvoyée à d'autres temps. » (Auguste Thiers, Histoire de la Révolution Française, Livre 9, Chapitre X)
Tandis que les « patriotes des faubourgs » trouvaient la déportation trop douce pour les condamnés, la masse de la population, échaudée par les massacres qu’avaient engendrés les révoltes précédentes, se soumit et se réfugia dans l’abstention qui caractérise toutes les élections depuis les toutes premières en 1791.
La préparation de la thèse à SUNYA
La bibliothèque universitaire de SUNYA
Même s’il m’a fallu quelques jours pour m’accoutumer à SUNYA, son système d’inscription et son organisation, je n’avais pas perdu de vue la raison de ma venue à Albany : la thèse.
J’ai quitté Nice fin août 1973 pour être présent au début du Fall semester, par avion jusqu’à New York et par bus jusqu’à Albany. Après les formalités d’inscription, je devais formellement suivre deux cours, Advanced Microeconomics et Theory Income Employment, Economy Public Sector I, mais comme ils ne donnaient pas lieu pour moi à une délivrance de diplôme, j’y ai vu plutôt un exercice de compréhension de l’anglais et du système de formation américain qu’une obligation universitaire. Ma femme et mon fils sont aussi venus me visiter début septembre, période pendant laquelle je ne fus pas très concentré sur la thèse, aussi ne fus-je opérationnel pour cette dernière que vers la troisième semaine de septembre.
Je me concentrais alors sur les deux thèmes centraux de ma thèse, la croissance des entreprises et l’influence de la fiscalité sur les entreprises en général. Le premier thème me permit de découvrir ce merveilleux auteur qu’est Edith Penrose, dont je dévorais le court ouvrage magnifiquement écrit, The theory of the Growth of the Firm qu’elle avait publié en 1959, mais aussi Robin Marris, William Baumol et Oliver Williamson, sans savoir que j’allais rencontrer ce dernier l’année suivante. Je faisais ainsi connaissance avec la microéconomie qui était malheureusement en marge du sujet de ma thèse, mais je ne le savais pas encore.
Du côté de la fiscalité, je rôdais aussi en marge de mon sujet, en tournant autour de la Public Finance qui était bien trop macro économique pour m’être vraiment utile, mais à SUNYA personne n’était en mesure de me le faire sentir. Je découvris de la sorte les travaux monumentaux de Richard Musgrave que j’essaierai en vain d’utiliser. Ils me semblaient néanmoins plus pertinents que les travaux des fiscalistes français comme Krier, Lauré (l’inventeur de la TVA) ou Ardant, qui s’intéressaient de manière trop abstraite, à mon avis, aux effets de la fiscalité sur les comportements des agents économiques. En résumé, je découvrais l’immense littérature économique américaine.
Je découvrais aussi le libre accès à tous ces ouvrages et ces revues dont j’avais, au mieux, eu connaissance par ouie dire. Car dans la bibliothèque de l’université de Nice, malgré la bonne volonté des personnels, il n’y avait pratiquement rien comparé à ce que l’on trouve dans les bibliothèques universitaires américaines, notamment en matière de revues. De plus, l’on n’obtenait en général les documents qu’après avoir passé commande à un employé de la bibliothèque dans le cadre de ses horaires de travail, de 9 heures à midi et de 14 heures à 17 heures, la bibliothèque étant fermée pendant le week-end et les vacances universitaires. Alors que l’accès aux publications scientifiques est totalement ouvert aujourd’hui grâce à Internet et aux efforts des bibliothèques, l’accessibilité aux ouvrages et aux revues était encore un problème majeur quand je travaillais sur mon sujet de thèse.
À SUNYA, je découvrais avec délices et stupéfaction des bibliothèques ouvertes jour et nuit, sept jours sur sept, ce qui m’incitait à organiser un emploi du temps très personnel. Je me levais très tard le matin, prenait tranquillement un gros breakfast, allait en cours, déjeunait légèrement, faisait du sport en fin d’après-midi, arrivait à la bibliothèque vers huit heures du soir pour la quitter vers une heure du matin et prendre une navette qui me ramenait aux dormitories. J’évitais de la sorte le bruit et l’agitation qui y régnait assez tard le soir.
Le rêve, avant que ne sonne le réveil…
(À suivre)
Vous connaissez Lionel Bringuier?
LIONEL BRINGUIER, VIOLONCELLISTE ET CHEF D'ORCHESTRE
Le quatrième enfant d'une fratrie de musiciens, Lionel Bringuier est né en 1986 à Nice. Il est à la fois violoncelliste et chef d’orchestre.
Dés l’age de cinq ans, il débute à l'âge de 5 ans au Conservatoire de Nice. Il y remporte cinq premiers prix, violoncelle, piano, musique de chambre culture et formation musicale. Il obtient aussi À 13 ans, il est reçu au Conservatoire National de Paris.
Le 12 février 2001, il n’a pas encore quinze ans, il dirige l’orchestre national des Pays de la Loire lors des Victoires de la musique.
En 2002, il devient le plus jeune Français à suivre la formation supérieure de chef d'orchestre au Conservatoire de Paris, tandis qu’il obtient, en même temps, le diplôme de formation supérieure (DFS) de violoncelle avec mention très bien.
En 2005, il remporte la finale du 49e Concours international des jeunes chefs d’orchestre de Besançon, parmi 220 chefs d'orchestre du monde entier.
Après avoir dirigé plusieurs orchestres à l’Opéra de Massy, Acropolis à Nice, le Palais des congrès de Marseille et avoir dirigé des formations comme l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo et l’Ensemble Orchestral de Paris, Il est nommé à partir de l’automne 2007 le plus jeune (21 ans !) chef assistant de l’histoire de l’Orchestre Philharmonique de Los Angeles, avant d’en devenir ensuite chef associé.
Cette saison 2014/15, à 27 ans, il prend la succession de David Zinman à la direction musicale du prestigieux Orchestre de la Tonhalle de Zurich.
Pour inaugurer son mandat, Lionel Bringuier a choisi de créer la nouvelle œuvre d’Esa-Pekka Salonen, le compositeur et chef qui l’a propulsé dans la carrière en le nommant chef assistant du Los Angeles Philharmonic Orchestra à l’âge de 20 ans. Ce n’est pas une pièce facile, mais les auditeurs ont été frappés par l’assurance du jeune chef d’orchestre qui s’en est emparé comme s’il la jouait depuis vingt ans. Il mettra fin à sa prestation, après avoir exécuté le Concerto n° 2 pour piano et orchestre de Prokofiev en livrant une Symphonie fantastique de Berlioz que certains ont qualifié de géniale.
Lionel Bringuier ressent un «amour indescriptible» entre lui et les musiciens de la Tonhalle, qu’il trouve être "l’orchestre idéal, qui combine les couleurs sombres et chaudes des formations allemandes et la précision des phalanges nord-américaines."
Lionel Bringuier, un chef d’orchestre génial. Que dire de plus sur lui ? Ècoutez-le.
La Suède quitte le centre droit
Le nouveau Premier Ministre Suèdois, Stefan Löfven, ancien soudeur, nouveau Premier Ministre de Suède
Toujours en avance sur son temps, la Suède, après huit années de gouvernement de centre droit, s’est donnée à une coalition de gauche, en raison de la montée de l’extrême droite qui a privé l’équipe au pouvoir d’une majorité.
Pendant que le centre droit pilote l’Union Européenne sous la direction de Madame Merkel, que le centre droit français rêve de remplacer le centre gauche de Messieurs Hollande et Valls, la Suède se situe une étape plus loin dans le processus politique.
Alors qu’en Europe la plupart des campagnes électorales se concentrent sur la réduction des déficits ou la recherche de la croissance, en Suède, ce sont les échecs des privatisations, l’amélioration du système de santé et du système scolaire et l’immigration qui ont été les thèmes majeurs de la campagne électorale
Au gouvernement de centre droit, les électeurs ont reproché sa mauvaise gestion de la privatisation des systèmes éducatifs et de santé. Le centre-droit a échoué dans la poursuite des mesures de libéralisation menées depuis la grave crise du début des années 1990. Il a introduit la possibilité à quiconque de choisir son système de santé ou l’école de ses enfants. Mais la quête du profit a donné lieu à un système éducatif à deux vitesse, menant certains établissements à la faillite et participant au renforcement des inégalités. De plus les derniers tests PISA ont montré les faiblesses de l’école suédoise. L’échec relatif du centre droit témoigne aussi des interrogations de la société suédoise sur sa politique d’intégration, et plus globalement l’orientation libérale prise par le pays depuis deux décennies.
Au reste, la défaite de la coalition sortante du Premier Ministre Fredrik Reinfeldt n’est pas infamante. Avec 39,3% des voix, son Alliance pour la Suède qui regroupe quatre partis est très proche en nombre de voix de la coalition victorieuse. Elle perd cependant près de dix points par rapport aux dernières élections
Le bloc rouge vert mené par Stefan Löfven, qui réunit les sociaux-démocrates avec 32,1% des voix, les écologistes et la gauche radicale, rassemble au total 43,7% des suffrages. Il ne dispose donc pas d’une majorité absolue au Riksdag, le Parlement suédois. Il est à peine plus élevé qu’il y a quatre ans. De plus, il existe de nombreuses divergences de vue entre les sociaux-démocrates et les gauches radicales. Le Premier Ministre devra soit ramener à lui les partis les plus centristes de la coalition sortante, soit constituer un gouvernement minoritaire.
Il lui faudra aussi rassurer le pays, car son programme a celui que présentait le candidat Hollande, il y a deux ans et demi, une éternité. Il s’agit de réduire le temps de travail hebdomadaire, de mieux meilleure indemniser les chômeurs et de mieux accueillir les étrangers.
Tout le monde a les yeux fixés sur le score des Démocrates de Suède qui ont réalisé 12,9% des voix, rassemblant parfois près de 30% des voix dans certaines communes de Scanie, au sud de la Suède. Ils s’installent comme le troisième parti de Suède, en se concentrant sur la dénonciation de l’immigration. Il est vrai que ces derniers sont peut-être en mesure de provoquer de nouvelles élections à court terme.
En effet, le centre droit s'est engagé à présenter une proposition de budget pour 2015 concurrent à celle de la gauche et le chef des Démocrates de Suède s'est déclaré prêt à s'y rallier. Si du coup, le projet de budget présenté par les socio démocrates n'était pas adopté, la seule issue serait en effet une dissolution du Parlement et l'organisation de nouvelles élections législatives.
En attendant l'évolution de la situation politique, il sera intéressant de voir la gestion de cette nouvelle coalition de gauche, absente du pouvoir et qui devra démontrer, ce qui est loin d’être gagné d’avance, que le « social libéralisme » n’est pas, aujourd'hui, condamné à échouer…
Les responsables du déclenchement de la guerre de 1914-1918
Raymond Poincaré
Les décideurs ont horreur que l’on mette à nu leurs responsabilités.
Ils veulent que l’on croit que les peuples les ont poussé à la guerre en 1914, c'est pourquoi ils invoquent le soi-disant enthousiasme des conscrits à la déclaration de guerre, alors que les témoignages de l’époque décrivent la stupéfaction, l’abattement et la résignation des populations, notamment en France et en Russie. À la fin de la guerre, ces décideurs, Clemenceau en tête, ont voulu imposer l’idée que la guerre était la faute de l’Allemagne, ce qui était bien commode puisqu’elle était vaincue. Il est vrai que, justement parce qu’ils ont gagné, les vainqueurs ont par définition raison. Vae victis ! Ils ont simplement négligé le fait que les Allemands feraient de la destruction du Traité de Versailles, qui les désignait coupables, un objectif collectif tellement puissant qu’il aboutirait à la guerre de 1939-1945.
Bref, qui est responsable de la guerre de 1914-1918, la pire boucherie de l’histoire de l’humanité ?
Chronologiquement, les dirigeants d’Autriche-Hongrie et en particulier son ministre des affaires étrangères, Alois Lexa von Aerenthal, lorsqu’ils décident en 1908 d’annexer la Bosnie-Herzégovine, sous suzeraineté ottomane, qu’ils administraient depuis le traité de Berlin de 1878. Ils étaient poussés par la crainte que le mouvement des Jeunes Turcs n’obtienne la réintégration de la Bosnie-Herzégovine à l’empire turc. Ils n’imaginaient pas du tout que cette annexion entrainerait au bout du compte la première guerre mondiale et la destruction de l’Empire Austro-Hongrois.
Sans en avoir vraiment conscience, par cette annexion ils poussent à l’incandescence le nationalisme des dirigeants serbes, à commencer par celui de son Premier Ministre, Nikola Pašić, qui rêvent de constituer une « Grande Serbie ». Cette dernière, d’après eux ne pourrait pas se faire sans la Bosnie-Herzégovine. Ces dirigeants encouragent une société secrète, la Main Noire, à assassiner le futur empereur d’Autriche, François Ferdinand d’Autriche. Le gouvernement serbe est donc celui qui allume concrètement la mèche qui fait éclater la guerre de 1914-1918.
Les responsables de la Russie, en particulier le ministre des affaires étrangères Sergueï Sazonov qui apporte son soutien aux ambitions serbes et le Tsar Nicolas II qui signe les ordres de mobilisation à la suite de l’ultimatum austro-hongrois à la Serbie, permettent qu’une guerre entre l’Empire Austro-Hongrois et la Serbie se transforme en guerre générale.
La partie revancharde des responsables politiques français, avec à leur tête le Président Raymond Poincaré (photo ci-dessus), sont, à mon avis, les acteurs déterminants de la guerre 1914-1918. Pendant des décennies, ils ont œuvré dans ce sens en construisant l’Alliance Franco-Russe en 1892 puis l’Entente Cordiale avec le Royaume-Uni en 1904, afin de changer les rapports de force militaires avec l’Allemagne en leur faveur. Ils ont complété ces traités par une politique de prêts envers la Russie et la Serbie en vue d'accroitre les moyens militaires de ces pays et de renforcer leurs réseaux ferrés orientés vers l’offensive contre l’Allemagne. Au moment de l’ultimatum Austro-Hongrois à la Serbie, Raymond Poincaré renforce la détermination de la Russie à s’opposer à l’Autriche Hongrie en l’assurant du soutien de la France dans cette querelle dans laquelle elle n'était pas concernée.
L’Allemagne se retrouve piégée, tout d'abord par ses engagements, ensuite par ses plans. Elle ne peut pas abandonner l’Autriche-Hongrie sans se retrouver isolée, elle est contrainte de mobiliser pour ne pas être démunie face à une attaque russe et d’appliquer le Plan Schlieffen pour ne pas être prise en tenaille entre la France et la Russie. La responsabilité allemande du conflit de 1914-1918 apparaît quasi nulle, contrairement à ce que l’historiographie officielle française a voulu le faire croire. Une thèse exactement opposée, celle de Fritz Fischer dans Les buts de guerre de l'Allemagne impériale 1914-1918 (1961), soutient au contraire que Guillaume II a déclenché la guerre pour faire de l'Empire Allemand une puissance mondiale.
Le Royaume Uni, dont la politique étrangère est largement conduite par Lord Edward Gray, décide tardivement de se rallier à la guerre aux côtés de la France parce qu’il craint d’être le perdant du conflit, quel que soit le vainqueur, s’il ne s’engage pas. C’est un calcul stratégique dans lequel il n’est pas l’acteur principal, l’invasion de la Belgique ne servant que de prétexte.
Tel est mon point de vue. Que vous le partagiez ou non, il ne doit servir qu’à vous inciter à lire « Les somnambules » pour vous faire votre propre opinion.
Les somnambules
La page de couverture de l'ouvrage de Cristopher Clark
COMMENT S'EST DÉROULÉ LE PROCESSUS DE DÉCISION QUI A CONDUIT L'ENSEMBLE DES ACTEURS À DÉCLENCHER LA MONSTRUEUSE GUERRE DE 1914-1918?
Le gros livre (544 pages) que lui a consacré l’historien Christopher Clark est un best seller, bien que son sujet n’aurait dû n’intéresser que les passionnés d’histoire. Mais il est suffisamment documenté pour révéler de manière intime les mécanismes psychologiques, culturels et sociaux qui conduisent à des décisions qui vont se révéler extraordinairement négatives. Elles ne sont pourtant ni irrationnelles dans leur contexte, ni inéluctables, même si le hasard, la malchance n’interviennent que faiblement.
On ne peut pas non plus en conclure que le modèle de décision de 1914 pourrait, par exemple, s’appliquer à la crise ukrainienne mais il permet tout de même de décortiquer comment une erreur initiale (l’ultimatum de l’UE au président de l’époque, Victor Inanoukovytch) dans le cadre d’une stratégie amricano-européenne de contrer les initiatives de Poutine en matière d’union économique eurasienne a entrainé un processus de confrontation entre la Russie et l’Otan difficilement maitrisable.
En ce sens, Le livre de Christopher Clark est révélateur d’un processus de crise dans lequel chacune de ses étapes rend toujours plus difficile son interruption avant qu’il ne produise tous ses effets.
La thèse consensuelle de l’auteur consiste à ne pas désigner de coupable de la guerre de 1914, en arguant que le choix des coupables implique des présupposés qui donnent d’avance la réponse. Cela le conduit à une pirouette intellectuelle en désignant la désinvolture des décideurs comme coupable du processus de déclenchement de la guerre, ce qui lui offre le titre de l’ouvrage, Les somnambules.
Je n’adhère pas à ce refus de désigner les coupables de la guerre, d’autant plus que sa description des faits permet de se faire une idée assez précise des responsabilités respectives. J’ai cependant pris Christopher Clark en flagrant délit d’une description édulcorée de la situation française au printemps 1914, alors que les électeurs venaient d’élire un gouvernement socialiste en raison de son refus de la guerre. Ce fait politique éclaire crument la responsabilité de Raymond Poincaré, Président de la République, qui manœuvre pour provoquer la guerre contre l’avis de la population et en dépit de la (faible) résistance de son Président du Conseil, René Viviani.
Désigner les coupables, comme le note Paul Kennedy, dans son ouvrage classique, The Rise of the Anglo-German Antagonism, 1860-1914 (1980), me semble nécessaire pour révéler les responsabilités personnelles des décideurs, qui ont bien entendu horreur de cela.
Mais notre problème à nous, analystes et citoyens, consiste à ne pas être dupes des justifications à posteriori des décideurs.
(À SUIVRE)
Vers un nouveau dictateur libyen?
LE GÉNÉRAL KHALIFA HAFTAR
Le général Khalifa Haftar a lancé au printemps 2014 son offensive à l’est de la Libye, qu’il a joliment appelé « Opération Dignité ».
Il avait fait partie des officiers supérieurs du régime Kadhafi avant de s’exiler opportunément aux Etats-Unis. Son opération vise à « purger le pays des terroristes», autrement dit des milices islamistes telles que al-Jammaa al-Libiya, al-Moukatila ou Ansar al-Charia, ce dernier mouvement étant désormais proche de l’Etat Islamique irako-syrien. Le général jouit du soutien d’une partie de l’opinion et de celui, tacite seulement, des Etats-Unis qui jouent pour le moment un jeu compliqué en Libye.
Quant aux islamistes, ils ont crié logiquement au coup d’Etat et ils ont livré bataille, avec l’appui des milices de Misrata, aux forces pro-Haftar qui étaient soutenues par des éléments de l’ancien régime et par les milices de Zenten, situées à l’ouest de la Libye.
Les combats n’ont apparemment pas empêché le gouvernement libyen officiel d’organiser le 25 juin 2014 des élections législatives pour remplacer le CGN. Oh surprise ! Le scrutin n’a pas mobilisé les foules, ce qui a réduit la légitimité du nouveau Parlement, qui, effrayé par les affrontements, s’est barricadé dans la ville de Tobrouk, à 1 600 km à l’est de Tripoli mais surtout toute proche de la frontière avec l’Egypte, son soutien.
Bien sûr, dans ce contexte de conflit, les islamistes boycottent d’autant plus l’Assemblée législative qu’ils ont essuyé un large revers aux élections. Ils continuent donc de se réclamer du CGN, l’Assemblée sortante, où ils disposaient de la majorité des sièges. Ils ont même décidé, le 24 août dernier, de faire siéger à nouveau le CGN malgré l’existence concurrente du Parlement qui est supposé l'avoir remplacé et de préparer la formation d’un gouvernement islamique sous la direction d’Omar Al-Hassi.
Entretemps les combats, qui étaient jusqu’alors restés cantonnés à l’est du pays, se sont étendus à Tripoli à la mi juillet 2014. Les brigades nationalistes de Zenten, ralliées à Haftar, et leurs adversaires de Misrata, alliés aux islamistes, se sont très violemment disputées le contrôle de l’aéroport international, provoquant l’évacuation des diplomates et des personnels des ONG. Au bout de huit jours, les miliciens de Misrata, des pro-islamistes qui ripostaient par une «Opération Aube» à l’ « Opération Dignité » du général Haftar, se sont finalement emparés de l'aéroport de Tripoli, malgré les bombardements opérés contre eux par des avions non identifiés.
Sans doute à juste titre, les islamistes accusent l'Egypte et les Emirats arabes unis d’être responsables de ces bombardements. À l’issue de la bataille, onze avions, civils et militaires, ont disparu de l’aéroport de Tripoli, provoquant un déploiement massif de défense anti aérienne… au Maroc, qui avait sans doute eu des renseignement alarmants.
La prise de cet aéroport est particulièrement importante au niveau libyen, même si les combats l’ont en grande partie détruit. C’est un emplacement stratégique pour contrôler le trafic de drogue, la contrebande et faciliter les enlèvements des proches du pouvoir. De plus, empêcher l’accès à l’aéroport aux parlementaires est un excellent moyen de pression politique. Cela gênera en outre les milices rivales pour s’approvisionner en armes. Mais le niveau libyen du conflit n’intéresse plus désormais que les libyens eux-mêmes, car l’enjeu s’est déplacé au niveau stratégique.
Certes, le conflit est en train de se généraliser à tout le pays, mais que pouvait-on attendre d’autre, Messieurs les apprentis sorciers des Droits de l’Homme ?
Certes, les djihadistes et les trafiquants de la zone sahélienne disposent d’une magnifique zone de repli dans le sud-ouest du pays.
Certes la Libye se coupe en deux, non seulement militairement, mais constitutionnellement, avec deux gouvernements concurrents et deux Parlements rivaux.
Certes. Mais on connaît la suite de l’histoire qui échappe désormais aux Libyens, sur le modèle de la guerre d’Espagne. L’ensemble des pays limitrophes, la Tunisie, l’Algérie, l’Egypte, le Niger et le Soudan sont de moins en moins neutres dans le conflit, même s’ils n’ont pas les mêmes positions, qui oscillent entre le soutien aux islamistes comme le Qatar et le Soudan et le soutien aux anti-islamistes comme l’Egypte et les Émirats en passant par la recherche d’un prudent compromis qui ménage la chèvre et le chou comme l’Algérie ou de manière plus surprenante, les Etats-Unis. Pour sa part, l’Union européenne est absente de la scène libyenne, se contentant d’appeler à former un gouvernement «représentatif de tous les Libyens». Un nain stratégique, craintif.
On peut préjuger que le conflit sera directement réglé par l’Egypte, qui est la première à avoir un intérêt vital à éviter qu’un État islamique ne s’installe à ses portes, du type de celui que les Frères Musulmans voulaient instaurer au Caire. Mais l’Algérie ou la Tunisie ne seront pas fachés d’une telle solution. Il y a fort à parier, en ce qui concerne les groupes islamiques, qu’ils ne seront pas très longtemps soutenus par le Qatar.
C’est pourquoi il est logique, donc prévisible si toutefois il parvient à survivre au désordre, que le Général Khalifa Haftar devienne le futur homme fort du pays.
La désintégration des illusions libyennes
Les évènements qui se déroulent en Libye depuis la chute de Mouammar Kadhafi n’ont rien d’étonnant, dans la mesure où les chevaliers des Droits de l’Homme n’avaient pas prévu de service après vente de « la Paix, de la Liberté et du Progrès Économique » qu’ils promouvaient en Libye.
Le jeudi 15 septembre 2011, il y a trois ans, une éternité, Nicolas Sarkozy et David Cameron étaient triomphalement accueillis par la foule de Benghazi. Le président français n’avait pas pu se retenir d’amener avec lui Bernard Henri-Levy. Il s’adressa à la foule de Benghazi en ces termes : « Vous avez voulu la paix, vous avez voulu la liberté, vous voulez le progrès économique, la France, la Grande Bretagne et l'Europe seront aux côtés du peuple libyen ». Plus sobre, le Premier ministre britannique déclara pour sa part « C'est extraordinaire de se retrouver dans une Libye libre ».
Je suis sûr que rien au monde ne pourrait convaincre aujourd’hui Messieurs Sarkozy et Cameron de revenir à Benghazi. Parcourons donc le fil des évènements depuis ce 15 septembre 2011, évènements au demeurant prévisibles. Je me permets à cet égard de vous renvoyer à la lecture de mon blog du 22 octobre 2011, intitulé « Requiem pour Mouammar Kadhafi ».
Le 23 octobre 2011 donc, après l’assassinat de Mouammar Kadhafi trois jours plus tôt prés de Syrte, le Conseil national de transition (CNT), organe politique de la rébellion, proclamait la « libération » du pays, après un conflit qui avait duré huit mois et coûté la vie à dix mille ou vingt mille Libyens on ne sait exactement, un nombre de morts réduit si on le compare aux centaines de milliers de victimes irakiennes, syriennes ou même afghanes.
Il fallut ensuite attendre le 7 juillet 2012 pour que les Libyens se rendent aux urnes afin d’élire le Congrès général national (CGN). Après quatre décennies d’autoritarisme, les espoirs étaient immenses d’autant plus que le scrutin se déroula bien et que le CNT remit ses pouvoirs le 8 août 2012 à la nouvelle Assemblée, présidée par Mohamed Al-Megaryef, un islamiste modéré. Mais les nouvelles autorités manquaient d’expérience du pouvoir, et même de pouvoir tout court. Non seulement les brigades formées durant l'insurrection ne furent pas désarmées, mais le CGN leur confia imprudemment la mission de maintenir la sécurité dans les grandes villes et de gérer les frontières. Il en résulta logiquement que chaque milice, formée sur une base tribale, chercha à saper l'autorité des nouvelles institutions en cherchant à avoir sa part de gâteau.
C’est ainsi que les brigades de Zenten, une ville proche de Tripoli, qui avaient libéré la capitale avec l’appui de l’OTAN, prirent le contrôle de l’aéroport de Tripoli, qui vient de leur être ravi en août 2014 par les brigades de Misrata, une ville « martyre » située à 200 km à l'est de Tripoli, qui ont toujours réclamé pour leur part d’être associées à la gestion du pays. À Benghazi, à 1 000 km à l’est de Tripoli, ce furent des brigades d’inspiration islamistes qui s’implantèrent. De plus, on vit des milices rattachées à une ville, à un chef local ou à un groupe ethnique revendiquer un morceau de pouvoir, comme les Berbères postulant à la reconnaissance de leur identité, les Touaregs demandant une citoyenneté spécifique ou les Toubous souhaitant former un gouvernement du Sud libyen.
Cet éclatement tribal déboucha sur des violences. Le 11 septembre 2012, le consulat américain de Benghazi fut attaqué par des manifestants islamistes qui tuèrent avec un déchainement de cruauté quatre Américains, dont l’ambassadeur Chris Stevens. Les violences s’y poursuivaient en 2013 par une série d’assassinats de responsables de la sécurité. Au mois d'avril, l'ambassade de France à Tripoli était visée par un attentat à la bombe, qui faisait deux blessés et d'importants dégâts.
La rente pétrolière n’avait pas tardé à exciter les appétits de groupes armés qui prenaient en otage les terminaux pétroliers, ce qui faisait chuter la production nationale à un niveau historiquement bas, et, avec elle, les recettes de l’Etat, jusqu’à ce qu’en juillet 2014 le gouvernement annonce la réouverture des ports pétroliers. Normalement, les forages ont repris dans la région d'El Sharara, le plus grand champ pétrolifère de la Libye, ce qui devrait booster la production pétrolière libyenne à raison de 560.000 barils par jour, soit quatre fois le niveau qu'elle atteignait en mai dernier. C’est du moins ce qu’espèrent les bénéficiaires.
Les autorités libyennes étaient clairement débordées, ce qui n’empêchait pas le CGN, à la fin de 2013, par une réaction classique d’hommes au pouvoir, de décider de prolonger son mandat jusqu'au 24 décembre 2014. Mais la colère de l’opinion publique provoqua la destitution du premier ministre, Ali Zeidan, qui avait été nommé le 14 octobre 2012. Naturellement, on lui reprocha de n’avoir pas su rétablir la sécurité et d'avoir été incapable de reprendre le contrôle des installations pétrolières. Il n’était évidemment pas l’unique responsable du désordre qui régnait dans le pays, mais il fallait bien une victime expiatoire. Pour plus de sureté, Ai Zeidan prit la fuite en Europe tandis que le CGN nommait Abdallah Al-Theni premier ministre par intérim.
C’est dans ce contexte que le général Khalifa Haftar lançait une offensive dans l’est du pays le 16 mai 2014, sans l’aval du CGN, encore que...
(À SUIVRE)