LE PLAN DE WOLFE
Avant de s’avouer vaincu et de repartir, Wolfe chercha à livrer un dernier assaut, même s’il croyait peu en sa réussite.
Il avança trois plans d’attaque sur la ligne de Beauport à ses brigadiers, Monkton, Townshend et Murray. Ces derniers proposèrent au contraire d’attaquer Québec en amont de Québec afin de couper la voie de ravitaillement de Montcalm et les communications avec Montréal, en effectuant une descente entre la Pointe aux Trembles et Saint-Augustin, là où la côte est plus basse qu'ailleurs sur environ cinq miles. Les Britanniques devaient effectuer une feinte de débarquement à la Pointe aux Trembles, pendant que le vrai débarquement s’effectuerait plus au sud, plus près de Saint-Augustin. Il était prévu que les troupes anglaises se retrancheraient à l'endroit le plus convenable des environs, avec l’espoir de contraindre Montcalm à quitter ses retranchements et à se battre.
Wolfe se rendit à cette proposition et commença les préparatifs en vue d’amener ses troupes en amont du fleuve. Voyant les Anglais quitter leur camp à Montmorency et l’armée remonter le fleuve, Vaudreuil voulut augmenter les forces en amont de Québec, ce qui convainquit Montcalm de faire le contraire en maintenant le gros de son armée en aval de Québec.
Montcalm soutenait en effet que Bougainville, cantonné à Cap Rouge avec ses mille deux cent hommes, pouvait à lui seul repousser toute tentative de débarquement du côté de la route de Montréal, ou, du moins, retenir l’ennemi jusqu’à ce que le corps principal de l’armée arrive de Beauport.
Cependant des pluies diluviennes obligèrent les Anglais à annuler l’opération. Le 9 septembre, Wolfe alla en reconnaissance en aval du fleuve et prit la décision d’abandonner le plan prévu de débarquement dans la région de Pointe-aux-Trembles. Ce plan comportait pourtant deux avantages, celui de s’effectuer à une distance respectable du gros des forces françaises et celui de disposer d’une grève accessible.
Il prit la décision de mettre en oeuvre un plan beaucoup plus risqué, avec un débarquement à moins de deux milles des murs de la ville, à l’anse au Foulon, d’où partait un sentier qui permettait d’escalader la falaise. On a prétendu sans preuves que l’existence de ce sentier avait été indiquée par un traître. Le 10 septembre, Wolfe amena avec lui Monkton et Townshend pour une nouvelle reconnaissance sans les mettre entièrement au courant de son projet, si bien qu'il y eut un échange de notes acerbes le 12 septembre entre lui et ses trois officiers supérieurs qui se plaignaient d’être insuffisamment renseignés.
Finalement, dans la nuit du 12 au 13 septembre, tandis que les Français se réjouissaient déjà du fait que la campagne était presque terminée et que les Anglais seraient bientôt contraints de reprendre piteusement la mer, Wolfe déclenchait son opération décisive.
Les embarcations qui transportaient le premier contingent de troupes anglaises s’éloignèrent des vaisseaux ancrés en face de Cap-Rouge et se laissèrent descendre avec la marée…
MONTCALM SE CALFEUTRE, WOLFE RONGE SON FREIN
En ce début septembre 1759, les deux adversaires sont tous deux proches du KO. Les approvisionnements manquent chez Montcalm et une course contre la montre est proche de s’achever en débâcle chez Wolfe.
Montcalm était sûr de son fait en estimant que les Anglais n’avaient pas les moyens de prendre Québec, mais il s’était sans cesse trompé depuis le début de la campagne.
En mars 1759, avant que les Anglais ne se présentent dans le Saint-Laurent, Montcalm déclarait qu’il y avait peu à craindre pour Québec car, en raison des difficultés de la navigation sur le fleuve, il serait virtuellement impossible pour les Anglais de remonter le fleuve avec leur flotte. À son avis, la véritable menace viendrait du lac Champlain et pour une fois Vaudreuil était d’accord avec lui.
Lorsque l'on apprit que la flotte anglaise approchait, Montcalm fortifia la rive entre les rivières Saint-Charles et Montmorency. Il avait prés de vingt mille hommes sous ses ordres dans l’ensemble de la colonie et il détenait l’avantage d’une position fortifiée que l’ennemi devrait prendre d’assaut. En outre, le temps jouait en sa faveur puisque les Anglais devaient le vaincre et s’emparer de Québec avant la fin de l’été.
Montcalm n’avait qu’à les neutraliser pendant trois mois tout au plus et ils devraient ensuite rebrousser chemin, sinon l'hiver se chargerait de les détruire.
Il n’avait donc pas besoin de les attaquer en bataille rangée, mais il commit l’erreur de leur laisser la maîtrise du fleuve, puis de ne pas fortifier la pointe Lévy en face de Québec. Les Canadiens s’en inquiétèrent vivement, mais Montcalm était d’avis que la distance était trop grande avec la ville de Québec pour que l’artillerie puisse lui causer beaucoup de dommages.
Lorsque les faits lui démontrèrent le contraire, Montcalm consentit à faire attaquer la position anglaise le 11 juillet, mais sans y mettre les moyens suffisants pour réussir.
Heureusement pour Montcalm, Wolfe était un piètre stratège. Au lieu de mettre à profit la mobilité de sa flotte pour attaquer en haut de Québec, là où les Français était plus vulnérables, il était déterminé à enfoncer les lignes de Montcalm en aval de la ville, pour ensuite attaquer de l’autre côté de la rivière Saint-Charles qui pouvait être passée à gué à marée basse. Le 9 juillet, il débarqua une brigade à Montmorency auquel Montcalm refusa de s’opposer, ce qui permit à Wolfe de rendre la position imprenable.
Wolfe envoya des divisions en amont du fleuve afin d’effectuer des débarquements surprises et menacer la voie de ravitaillement de l’armée française, ce qui obligea Montcalm à placer des détachements mobiles à l’affût du mouvement des vaisseaux et prêts à faire obstacle aux raids.
L’attaque ratée de Wolfe contre le camp de Montmorency le 31 juillet persuada Montcalm que Wolfe n’attaquerait plus de ce côté mais cela ne l’empêcha pas d’être convaincu qu’il n’y aurait pas d’attaque non plus en amont de la ville. Il était convaincu que Wolfe se contenterait d’harceler les retranchements de Beauport.
Or Wolfe était de plus en plus malade et découragé. Craignant que sa campagne ne se solde par un échec cuisant, il chercha en compensation à obtenir la destruction du maximum d’établissements de la colonie, à commencer par la ville de Québec, provoquant quelque écoeurement chez certains officiers anglais. Du côté de la flotte, l’amiral Saunders déclara que la flotte devrait mettre à la voile et se retirer au plus tard le 20 septembre.
Montcalm était à quelques jours de remporter la bataille par défaut.
QUÉBEC INCENDIÉ, TERRE BRULÉE
La ville de Québec est fortement endommagée, en particulier par les bombes incendiaires.
Les Anglais ont fait le compte des projectiles qu’ils ont lancés sur la ville entre le 12 juillet et le 1er septembre : 2498 obus de treize pouces ; 1 920 obus de dix pouces ; 283 carcasses (des projectiles incendiaires) de treize pouces ; 93 carcasses de dix pouces ainsi que 11 500 boulets de vingt-quatre livres et 1 589 boulets de trente-deux livres. Les Français ne peuvent pas répondre à ce bombardement massif car les réserves de poudre sont trop faibles.
La cathédrale est détruite dès le 22 juillet mais l’incendie le plus important a lieu dans la nuit du 8 au 9 août qui voit la destruction de cent cinquante trois bâtiments, dont l'Église Notre-Dame-des-Victoires. La moitié de la Ville est détruite, ce qui force les habitants à fuir.
En outre, le général Wolfe décide d’occuper ses hommes pendant le bombardement, d’une part en organisant des diversions et d’autre part en pratiquant la politique de la terre brulée le long du Saint-Laurent.
Le 3 août, il ordonne au brigadier Murray de tenter une attaque contre le dépôt de munitions et de vivres de Trois-Rivières et de diviser les troupes françaises en effectuant des descentes à l'ouest de Québec.
Le lendemain, il ordonne à Joseph Goreham, capitaine des Rangers américains, de rassembler cent cinquante de ses hommes pour procéder la destruction «des habitations et des établissements dans la Baie St-Paul », puis d’incendier ensuite l’incendie de «toutes les maisons du village de Saint-Joachim à la rivière Montmorency » et même, s’il en a le temps, de détruire tous les établissements entre la rivière Chaudière et la rivière Etchemin.
Effectivement, Goreham et ses hommes incendient le village de Baie-Saint-Paul le 9 août, puis se dirigent vers La Malbaie à dix lieues à l'est en ravageant tout sur leur passage. Traversant vers la Côte du Sud, ils détruisent une partie de la paroisse de Sainte-Anne de-la-Pocatière, de même que celle de St-Roan. À peine revenus à leur campement, ils repartent vers Montmorency pour procéder à la destruction de tous les bâtiments français jusqu'à Saint-Joachim.
Naturellement, la destruction des villages ne s’effectue pas sans que leurs habitants, canadiens et amérindiens, ne résistent. Goreham est contraint de faire appel à trois cent soldats supplémentaires du 43e régiment pour faire face aux hommes de M. de Portneuf, le curé de Sainte-Anne-de-Beaupré, qui, au nombre d’une trentaine, sont finalement fait prisonniers, tués et scalpés.
Pendant ce temps, que fait Montcalm ? Il attend passivement dans Québec en grande partie détruit.
Le 22 août, Wolfe déclare qu’il a « l'intention de brûler tous les édifices et les récoltes de l'ennemi sur la Côte-du-Sud » et confie au major George Scott cette seconde expédition, qui jette l’ancre le 7 septembre en face de
Kamouraska sur la côte sud du Saint-Laurent, à une centaine de milles de Québec. Scott et sa troupe brulent entre le 9 et le 19 septembre « 998 bons édifices, deux sloops, deux schooners, dix chaloupes, plusieurs bateaux et petites voiles, font 15 prisonniers (six femmes et cinq enfants),
tuent cinq ennemis »
Pendant ce temps, l’énorme garnison de Québec épuise progressivement ses provisions de vivres. Il lui faut alors entamer les réserves de l'entrepôt de Batiscan, situé à 60 milles à l’ouest de Québec. Pour éviter l'escadre commandée par le contre-amiral Charles Holmes qui est parvenue à passer à l’ouest de Québec, le munitionnaire Joseph-Michel Cadet fait transporter sept cents barils de farine et de lard salé sur le Chemin du Roy . Les 271 chariots du convoi qui partent de Batiscan le 24 juillet sont conduits par des femmes, des enfants et des vieillards sous escorte. Le ravitaillement arrive à destination le 1er août. Un deuxième convoi livré par voie terrestre part le 10 août et arrive le 18 août.
Mais entretemps, le chemin est devenu presque impraticable en raison des fortes pluies, ce qui rend le transport terrestre trop lent et oblige à prendre la décision est prise, malgré le risque d’interception, de transporter les vivres par bateaux sur le Saint-Laurent. C’est ainsi que le dernier ravitaillement de provisions en provenance des entrepôts de Batiscan arrive à Québec en deux convois transportés par bateaux les 23 et 24 août, ce qui doit permettre à la garnison de tenir jusqu'à la mi-septembre.
L’entrepôt de Batiscan vidé et la campagne autour de Québec ravagée par les soldats britanniques, il faut désormais aller chercher des vivres jusqu’à Montréal. Si la récolte de blé de 1759 est excellente autour de Montréal, les bras manquent puisque tous les hommes sont au front.
Aussi le gouverneur de Montréal dépêche t-il un détachement de 600 miliciens stationnés à La Prairie, en face de Montréal, pour aider les femmes, les vieillards et les enfants à faire la moisson. François Gaston de Lévis y ajoute 300 miliciens et 100 soldats réguliers, tout en exhortant la population des villes à soutenir l'effort de guerre en allant aider aux champs. Le 18 août, Vaudreuil ordonne de ne plus bluter la farine pour accélérer la production et éviter toute perte.
Le 28 août, Louis-Joseph de Montcalm fait réduire les rations de pain afin de durer cinq jours de plus. Le 29 août, un senau transporte du blé et de la farine de Montréal arrive à 60 km de Québec. Cadet, le munitionnaire, fait transborder la marchandise dans des bateaux de rivière qui sont attaqués par la Marine britannique le 31 août, ce qui contraint les équipages à échouer les bateaux sur le rivage et à décharger les provisions. En effet, l'escadre de Holmes postée au large de Pointe-aux-Trembles bloque le passage du convoi. Mais dés que les vaisseaux britanniques se déplacent au début du mois de septembre, Cadet fait avancer son convoi jusqu'à Cap-Rouge, à six milles de Québec. Le 11 septembre, les bateaux radoubés sont prêts à effectuer les derniers milles jusqu’à Québec.
Bougainville, responsable des avant-postes à l'ouest de Québec et commandant d'une « colonne volante » près de Cap-Rouge, reçoit l'ordre du gouverneur Vaudreuil de protéger les bateaux de Cadet. Ceux-ci doivent passer sur le fleuve dans le plus grand silence durant la nuit du 12 au 13 septembre. Bougainville transmet des ordres à cet effet aux avant-postes le long du fleuve entre Cap-Rouge et Québec.
Ces ordres interviendront juste avant le débarquement des Anglais à l’Anse au Foulon.
À SUIVRE
OUI À LA VIE
On ne peut maudire sa propre vie, simplement parce que l’on se sent malheureux.
Vouloir isoler les périodes de bonheur des moments de malheur n’a pas de sens, car ces derniers nous conduisent aux instants de bonheur. Ainsi, on ne peut pas maudire la solitude alors qu’elle est à la fois la préparation et la conséquence de la communion entre deux êtres : refuser à tout prix de faire face à la solitude implique de se priver de l’accomplissement amoureux qu’elle prépare.
En résumé, nous ne pouvons pas vouloir le plaisir sans accepter la souffrance, le bonheur sans accepter le malheur. Il nous faut admettre l’imbrication des événements de la vie, qui fait que la réalisation de chacun d’entre eux est conditionnée par tous les autres.
Il ne s’agit pas pour autant de se résigner à l’intolérable mais de prendre ses distances. Contrairement à celui qui reste esclave de ce qui le meurtrit, l’homme gagne à ne pas chercher à combattre ce qu’il juge mauvais, mais à l’ignorer en prenant ses distances : plutôt que de pester contre la société de consommation en remplissant son caddie, plutôt que de tempêter contre la société du spectacle tout en restant collé à son poste de télévision, plutôt que de rager contre des journalistes-propagandistes que l’on écoute tous les jours, il convient de consommer raisonnablement, d’éteindre son téléviseur, de lire des écrits de qualité plutôt que des textes publicitaires.
La logique de la vie implique que toute déconvenue, toute souffrance, toute tragédie de l’existence doit être l’aiguillon de notre force ; chacune d’entre elles devrait nous inciter à affirmer notre volonté de puissance, c’est à dire de manifester notre volonté de vivre.
Ce n’est pas parce que nous avons des idées noires que nous nous sentons blasés ou dégoutés, c’est juste l’inverse, c’est parce que notre énergie vitale est affaiblie que nous avons besoin de nous refugier dans des idées noires. Les délires meurtriers des fanatiques comme les excès de toutes sortes, qu’ils s’expriment sous forme de violences, de drogues ou d’addictions diverses, s’expliquent par la faiblesse de ceux qui y succombent, qui les contraint à rechercher des excitations toujours plus puissantes pour se sentir en vie.
La faiblesse n’a rien à voir avec le manque de volonté ou l’incapacité à prendre des décisions et à s’y tenir. Elle se caractérise plutôt par l’incapacité à résister à une impulsion et elle se traduit par la la distraction permanente. C’est ainsi que certains sont littéralement incapables de supporter une minute de silence, il faut que leur attention soit en permanence accaparée par des images télévisées, une conversation téléphonique ou un jeu vidéo. De même, la faiblesse consiste à réagir à l’emporte-pièce, sans laisser mûrir notre réflexion.
S’il est nécessaire de laisser murir sa réflexion, une fois que l’on décide d’agir, il faut concentrer toute sa force vitale dans l’action pour aller au bout des possibles, afin de transcender les limites que l’on s’est imposées, ce qu’exprimait Pindare en proposant la maxime « Deviens ce que tu es ».
Deviens ce que tu es ?
Il ne s’agit pas de se connaître soi-même par une lente prise de conscience, car cela revient à limiter sa personnalité à une image préfabriquée et standardisée.
Il s’agit plutôt de se perdre pour se trouver.
Les accidents de parcours, les aveuglements temporaires, les désillusions, les hésitations sont des étapes nécessaires dans la construction de soi. Plus nous errons, plus nous nous éparpillons, plus nous avons l’impression de changer de direction et plus nous percevons ce qui est immuable en nous.
Puis, à force d’explorer les possibles, nous nous heurtons à une barrière infranchissable qui nous fait connaître nos limites sous la forme d’un trait de caractère que nous ne pouvons pas corriger, d’un défaut qui nous empêche d’apprendre d’une nouvelle expérience ou d’une pulsion invariable qu’aucun de nos efforts ne sera en mesure de changer.
Et c’est finalement notre capacité à nous organiser autour de notre pulsion centrale, et non notre volonté de lutter contre elle, qui fait la différence entre les forts et les faibles.
FIN
LES DÉTOURS DE LA VOLONTÉ DE PUISSANCE
La volonté de puissance des hommes, comme de tous les êtres vivants, voilà l’origine de notre raison de vivre. Et elle utilise tous les artifices pour s’exprimer, lorsqu’elle ne veut pas en convenir.
On peut faire semblant de croire que se soumettre à une autorité est le contraire de la volonté de puissance. Or il n’en est rien, car l’on participe ainsi à la puissance dominante, ce qui nous permet de l’utiliser à notre profit pour soumettre plus faible que nous : la tyrannie des petits chefs en est la parfaite illustration.
Le summum de cette supposée soumission consiste à sacrifier sa vie à une idée : se faire exploser en tuant des ennemis permet d’atteindre dans la mort une puissance inaccessible dans la vie. Ce sacrifice renonciateur peut heureusement prendre des formes plus douces, telles que l’abnégation au travail, l’action charitable ou le renoncement à un héritage dont se targuait Wittgenstein, s’attirant une remarque ironique de Nietzsche :
« En vous immolant, vous vous êtes enivré du sentiment de puissance. Vous vous sacrifiez seulement en apparence, car dans votre pensée, vous jouissez de vous-même comme si vous étiez Dieu » (Aurore, IV, 215).
Nier sa propre volonté de puissance est vain, car la vie n’est qu’actes et mouvements qui traduisent notre volonté de puissance. Nous ressentons du plaisir quand, après avoir surmonté une résistance, notre puissance augmente et nous éprouvons de la douleur quand notre puissance diminuant, nous cédons face à une résistance.
Comme nous avons besoin d’un ordre au sein du chaos qu’est le monde, afin d'extérioriser la surabondance de force que traduit notre volonté de puissance, nous cherchons à donner un sens aux évènements et aux choses. La connaissance implique l’action, ce qui fait que les subjectivistes ont raison lorsqu’ils avancent que la connaissance neutre n’existe pas, pas plus que les faits en soi, et qu’il n’existe que des interprétations, notre interprétation de la réalité.
Aussi le monde n’est-il pas dénué de sens, contrairement à ce que soutiennent les nihilistes. Au contraire, il fourmille d’une infinité de sens, fournis par tous les êtres vivants qui interprètent la « réalité » à partir de leur propre perspective. Proclamer que la vérité n’existe pas ne signifie pas que l’on prétend qu’il n’existe pas de vérité du tout, mais qu’il n’existe pas de vérité unique, que de multiples vérités sont possibles.
Devenir plus puissant consiste, au lieu de capituler face à la supposée absence de vérité, à élargir notre vision de la vie, à lui donner de nouveaux sens, plus élevés, plus riches, plus nuancés.
Le concept de volonté de puissance permet de distinguer le bon et le mauvais. Est bon, tout ce qui concourt à valoriser la vie. Est mauvais, tout ce qui est faible, raté, malheureux. Nietzsche oppose cette morale à celle qu’invoquent les faibles, qui ont besoin de dire non à l’autre, supposé responsable de leur faiblesse et de leurs souffrances, qu’ils expriment par une violence rentrée contre soi-même, « coupable » de ne pas avoir su se défendre.
Or les faibles ne le sont pas pour l’éternité, car ils disposent d’un moyen pour se libérer du ressentiment destructeur : l’oubli. De l’oubli, dépend en effet notre faculté à digérer nos expériences négatives et donc à faire place à de nouvelles expériences, au lieu de ruminer les anciennes.
Car le ressentiment repose sur l’idée que si quelqu’un nous a fait du mal, c’est qu’il a agi délibérément contre nous, qu’il n’y a ni hasard ni accident. Ainsi l’agneau devrait reprocher à l’oiseau de proie de l’attaquer, et l’en rendre coupable. Mieux encore, il devrait s’attribuer le mérite d’être un agneau. Le mensonge est donc de prétendre que la faiblesse résulte du choix de ne pas être fort : la manœuvre consiste à culpabiliser son bourreau victorieux tout en interprétant son propre échec comme une démonstration de grandeur morale.
Le résultat de cette imposture est d’affaiblir encore plus les faibles en les persuadant que leur faiblesse est leur plus grand mérite. Elle les pousse à chercher le secours de la morale et de la métaphysique, pour se venger dans un monde idéal de la défaite qu’ils ont subie dans la réalité.
Le besoin compulsif d’un bouc émissaire est certainement le moyen le plus efficace pour ne pas s’occuper de ce que l’on peut améliorer soi-même.
À SUIVRE
LA FORCE DE DONNER UN SENS À SA VIE
Je vous prie de ne pas vous laisser mener par le bout du nez par ceux qui prétendent connaître le sens de l’histoire, qui glorifient le modernisme à leur profit contre votre conservatisme ou qui veulent, sous prétexte de modernisme ou de progressisme, changer les règles à leur avantage.
La force de l’être humain consiste en effet à pouvoir choisir lui-même son but. S’il y renonce, s’il cède au nihilisme, il succombera à la tentation d'inventer un monde imaginaire où la vie aurait enfin un sens. La société sans classe du communisme, le marché libre et concurrentiel du capitalisme sont à l’égal du paradis promis des palliatifs destinés à masquer la sensation d’absurdité que ressent l’être humain face à la vie.
Le scepticisme systématique comme le besoin de certitudes toutes faites ne sont que faiblesses grâce auxquelles les médias parviennent à inculquer aux moutons des idées préfabriquées. L’être humain est en effet prêt à croire aux affabulations les plus invraisemblables comme l’astrologie, ou à se laisser tyranniser, malmener, voire torturer, pourvu qu’il obtienne l’ombre, le mirage d’un sens donné à sa vie. À ce titre, le comble de l’absurde est atteint avec le « sacrifice » des terroristes manipulés pour tuer et mourir !
Serons nous donc assez forts choisir nos propres buts, inventer nos propres idéaux, donner nous-mêmes un sens à notre existence, ou serons nous assez faibles pour nous mettre à la recherche de quelqu'un qui nous dicte un sens préfabriqué de la vie, auquel il nous suffira de nous soumettre?
Qui donc pourrait donner un sens à notre vie ? Cela a t-il seulement un sens de se poser cette question ? Car personne n’est capable d'y répondre, la valeur de notre vie n’étant pas mesurable et personne n’étant en mesure de découvrir quel est le sens du monde.
Et pourtant, si nous observons ce qui se passe dans l’univers, nous voyons des torrents d’eau creuser inlassablement la roche pour se frayer un chemin, des termites grignoter des arbres pendant des décennies, des araignées tisser leur toile, le lierre envahir un mur, une entreprise racheter ses concurrents, un prédateur dévorer ses proies, des trous noirs engloutir des planètes, bref aucun ordre ne régner sur ces forces qui s’affrontent toujours et qui se détruisent souvent.
Or chaque élément de l’univers possède son propre sens : croitre, augmenter, s’épandre, s’intensifier, se renforcer. Nietzsche a donné un sens à ce but universel qu’il a appelé la volonté de puissance.
Pour lui la force de donner un sens à sa vie trouve son origine dans la volonté de puissance que chacun de nous possède. Car la vie n’est pas simple volonté de vivre, ni une simple lutte pour survivre comme on voudrait nous le faire croire. Personne ne se contente simplement d’être, tout le monde veut davantage. Même lorsque l’homme condamne l’immoralité de cette lutte sans fin qu’est la vie et prétend que son rôle est de mettre fin à cette lutte insensée afin de trouver enfin la paix, le paradoxe est que cette lutte contre la volonté de puissance constitue elle-même une expression de la volonté de puissance.
En effet, en condamnant la volonté de puissance, nous augmentons notre propre puissance en tant qu’autorité morale opposée à la volonté de puissance! Nous sommes du côté des gentils, nous sommes pour la paix ce que les grandes puissances ont bien compris depuis longtemps, toutes prétendant lutter pour la paix alors qu’elles cherchent simplement à imposer leur puissance.
D’ailleurs, même l’ermite qui se retire dans le désert est motivé par sa volonté de puissance qui est celle de s’assurer de son autonomie envers le reste du monde et le scientifique qui proclame son dédain du pouvoir politique veut en réalité la puissance lorsqu’il cherche à soumettre la nature à ses théories.
Au total, il est vain de lutter contre la volonté de puissance : nous sommes volonté de puissance, nos instincts, nos pulsions, nos idées, nos habitudes qui veulent dominer celles des autres, toutes expriment notre volonté de puissance…
« To be or not to be, that is the question. » (Shakespeare, Hamlet, Acte III, ouverture de la scène 1)
À SUIVRE