LA CAPITULATION DE RAMEZAY À QUÈBEC
À 18 heures, le 13 septembre 1759, Jean-Baptiste-Nicolas-Roch de Ramezay sort tout juste de l'hôpital pour reprendre ses fonctions, lorsqu’il apprend que l'armée quitte les lieux.
Qui est Jean-Baptiste Nicolas Roch, seigneur de Ramezay ?Né à Montréal, Il à 51 ans lors du siège de Québec. Il est le fils cadet de Jean-Baptiste Nicolas Roch de Ramezay est le fils cadet de Claude de Ramezay, qui commandait les troupes canadiennes au début du XVIIIesiècle et qui assurait l’intérim du gouvernorat de la Nouvelle-France en l’absence de Philippe de Vaudreuil.
Après une brillante campagne en Acadie, il est décoré de la croix de Saint-Louis. Pendant le siège de Québec, Ramezay commande les troupes de la haute-ville, soit sept cent soldats, quelques canons et des miliciens, mais sa santé l'oblige à se retirer. Il ne reprend donc son poste qu’après la Bataille des plaines d’Abraham.
Le marquis de Vaudreuil qui a décidé la retraite, a aussi décidé de ramener la plupart des vivres vers Trois Rivières. Or, hypocrite, Vaudreuil lui ordonne de capituler dés qu’il n’aura plus de vivres, c’est à dire fort rapidement.
Ramezay, à la tête d’une faible garnison, se trouve confronté au départ del'armée, mais aussi au retour des résidents de Québec qui se sont réfugiés dans les faubourgs pour se mettre à l'abri des bombes lancées de la Pointe-Lévy depuis juillet, et qui retournent à Québec depuis la bataille de l'avant-midi du 13 septembre sur les plaines. Il lui faut donc nourrir deux mille sept cent bouches de plus.
Dans la position critique où il se trouve, Ramezay prend la décision de ne pas informer ses hommes du départ de l'armée, tromperie facilitée par le fait que les troupes ont littéralement décampées en laissant les bivouacs derrière elle. Il gagne ainsi une demi journée de répit pour organiser ses hommes. Il demande ensuite au capitaine Louis-Thomas Jacau de Fiedmont, qui commande l'artillerie de la ville, de diriger le tir de trois canons et de deux mortiers en direction des plaines d'Abraham, au-delà des Buttes-à-Neveu. C’est ainsi que, durant toute la nuit du 14 au 15 septembre, son artillerie soutient un feu constant durant la nuit du 14 au 15 septembre. Mais le lendemain, l'absence de mouvement au camp de Beauport fait comprendre la situation aux soldats sous ses ordres et leur moral s’effondre.
Or, la garnison qu’il commande ne comprend que 345 soldats réguliers, 130 soldats des troupes de la marine, 19 artilleurs, 820 miliciens et 740 matelots. Chacun pense qu’il est impossible de défendre Québec, sans l’appui de la totalité des troupes qui étaient rassemblées deux jours auparavant autour de Québec. Ils craignent naturellement qu’une défense désespérée n’ait des conséquences catastrophiques sur la population réfugiée dans la ville, composée essentiellement des femmes, enfants et parents des hommes en service.
Le 15 septembre, une assemblée de vingt quatre notables de Québec se tient dans la résidence en partie détruite de François Daine, lieutenant général de la Prévôté de Québec, qui aboutit à adresser une requête demandant à Ramezay de négocier la reddition de Québec, requête remise le jour même par Daine en mains propres à Ramezay.
Ce dernier réagit à la requête en tenant un conseil de guerre dans lequel il demande aux quatorze officiers présents de coucher leur opinion par écrit, après leur avoir communiqué les ordres de Vaudreuil et fait savoir, par la bouche de Cadet, que la ville dispose de quatre jours de pleines rations, ou huit jours de demi rations. Seul Fiedmont qui conseille de réduire les rations au minimum pour « pousser la défense de la place jusqu'à la dernière extrémité. », mais les autres officiers conseillent la capitulation et Ramezay décide d’entamer les négociations à cet effet.
Le 16 septembre, de Vaudreuil dépêche Thisbé de Belcourt à la tête d'un détachement de trente cavaliers pour informer Ramezay que l'armée s'apprête à revenir, dès que Lévis sera sur place. Un cavalier revient le jour même pour transmettre la réponse du capitaine Armand de Joannès, l'adjudant de Ramezay, qui informe Vaudreuil que Québec s'apprête à capituler.
Lévis arriveà l'embouchure de la rivière Jacques-Cartier à dix heures le matin du 17 septembre. Il prend immédiatement le commandement des troupes de terre et se prépara à attaquer sans plus tarder pour reprendre la ville coûte que coûte ou alors, si c'est impossible, la détruire en entier pour que l'ennemi ne puisse y passer l'hiver.
L'armée se met en route le jour même, tandis que Ramezay se prépare à ouvrir la négociation en vue de capituler, mais Joannès s'y oppose et Ramezay accepte de repousser l'échéance. Le même jour, Belcourt revient avec ses cavaliers et informe la garnison que d’une part l'armée est en route et que d’autre part des vivres arriveront sous peu.
Mais Ramezay ne veut pas retarder plus longtemps la négociation. À 15 heures, il hisse le drapeau blanc et envoie Joannès au camp britannique pour proposer la capitulation selon des conditions qui sont toutes acceptées par la partie britannique, sauf pour un article permettant à la garnison de réintégrer l'armée française.
Les Britanniques proposent de transporter la garnison dans un port français situé hors du pays. Joannès retourne ensuite à Québec avec une copie de la capitulation modifiée afin de la faire approuver par Ramezay. Ce dernier y consent et renvoie Joannès au camp britannique à 22 heures 30. Comme il sort de la ville par la porte Saint-Louis, le capitaine de Rochebeaucourt y entre par la porte du Palais avec 100 cavaliers transportant des poches de biscuits mouillées par la pluie, mais Ramezay informe le capitaine qu'il est déjà trop tard.
Le matin du 18 septembre 1759, Ramezay et Townshend signent la capitulation de Québec dans le camp britannique. Le soir, l'armée britannique prend possession de la forteresse de Québec et e colonel George Williamson de l'artillerie royale hisse l’Union Jack au-dessus des murs de Québec à 15 heures 30.
Le 22 septembre 1759, la Royal Navy est forcée de quitter le Saint-Laurent de peur d’être prise dans les glaces. Québec aurait résisté quatre jours de plus et il était sauvé.
MA GRAND-MÈRE ET MOI
Je tiens à écrire ce billet, l’un des plus personnels que j’ai jamais publié, parce que, si vous cherchez sur Internet, vous ne trouverez jamais mentionnée l’existence de ma grand mère et c’est injuste.
Voici pourquoi.
Je n'ai jamais connu ma grand-mère paternelle, mais ma grand-mère maternelle est née le 29 avril 1889 à Umbertide (Ombrie) en Italie. Elle s’appelait Rose Zucchini (courgette en français) avant de se marier à l’âge de 24 ans avec Antoine Passeron, dont elle a eu deux enfants, mon oncle Louis et ma mère Odette.
Elle était issue d’une famille pauvre. Son père, Dominique, un régisseur d’un grand domaine situé prés de Citta di Castello (Ombrie) et sa mère Caroline voulaient émigrer aux Etats-Unis, mais faute d’argent pour payer le voyage transatlantique, ils durent se rabattre sur la France. Ils s’établirent à Nice vers la fin du dix neuvième siècle, où il leur fallut, pour subsister, trouver du travail pour eux et leurs neufs enfants vivants.
Dans ces conditions, Rose ne fit pas beaucoup d’études, sauf celles de couturière, études rapidement rentables. Mais elle savait lire et écrire, je ne sais pas depuis quand. Tout de suite, elle montra du caractère et du professionnalisme, ce qui lui valut de devenir rapidement couturière en chef. Elle rencontra à cette époque son futur mari, Antoine, qui devait sans doute être garçon boucher. Il s’était à peine écoulé un an et deux jours depuis leur mariage que la guerre de 1914 éclatait. Une période terrible, dont ma grand-mère ne parlait pas, mais mon oncle naquit en 1915 (ma mère en 1921) et mon grand-père revint miraculeusement de la guerre, sans doute en parvenant à éviter les pires endroits.
Ils se mirent au travail. Mon grand-père s’associa avec la famille Massa et créa le marché de Magnan à Nice où il s’attribua quatre cabines. La boucherie marchant bien, mes grands parents construisirent une villa et huit appartements de rapport.
Ils s’embourgeoisèrent, ce qui se traduisait, entre autres, par des cours de piano pour ma mère, une moto pour mon oncle, l’achat d’une belle voiture pour la famille ou des vacances d’été à la montagne. Il est certain que ma grand-mère menait d’une main de fer la famille qui comprenait, à la maison, outre son mari et ses deux enfants, les grands-parents et des cousins moins fortunés …
Puis à nouveau vint la guerre. Ma mère se maria avec mon père, mon grand-père fit du vélo, trop de vélo et il finit par faire une crise cardiaque qui l’emporta en 1945. Ma grand-mère se retrouva veuve à 56 ans et elle allait le rester pendant 25 ans. Il lui fallait gérer les affaires qu'avaient laissé son mari, ce qu’elle fit avec beaucoup d’autorité tout en aidant ses deux enfants, qui en avaient besoin.
Elle aida tellement ses enfants qu’elle m’accueillit chez elle, moi, l’un de ses cinq petits enfants, avec Jean-Marc, Christiane, Bernard et Mireille, lorsque j’entrais en sixième au Lycée Felix-Faure (aujourd’hui Masséna). Mes parents avaient en effet décidé que je devais faire mes études à Nice où le niveau de formation leur paraissait supérieur à celui du collège de Puget-Théniers.
Donc, à moins de onze ans, j’étais éjecté du douillet cocon familial pour aller en pension chez ma grand-mère. Pas si facile. Il fallait que je m’habitue aux contraintes de la ville après la liberté vécue au village, il fallait que je m’insère dans le lycée, un monde plus rude que l’école rurale. Je rencontrais des inconnus au lieu de mes copains. Je subissais l’horrible cantine du lycée au lieu des bons repas familiaux et le soir, je me retrouvais en tête à tête avec ma grand-mère au lieu de partager la vie de notre famille à Puget-Théniers.
Je découvrais, non plus en visiteur occasionnel mais en pensionnaire, une dame qui n’était pas vraiment drôle, parce que sévère et pleine de principes. Car, à onze ans, je n’étais pas encore en mesure de comprendre la chance que j’avais de partager ma vie avec une personne d’une telle qualité.
En plus, la maison était trop grande pour nous deux. Cela se sentait en particulier l’hiver, car ma grand-mère cloisonnait notre espace de vie avec des rideaux épais pour garder la chaleur et ne chauffait vraiment cet espace que deux ou trois heures par jour, le soir. Elle faisait des économies de mazout. Car elle était économe, mais pas avare. Elle disait toujours qu'elle n'était pas assez riche pour acheter des produits de mauvaise qualité.
Je me couchais à peu prés au chaud dans une chambre contiguë à la sienne, tandis qu’elle relisait sans se lasser ses trois livres préférés, Le mie prigioni, Michel Strogoff et L’Ami Fritz. En hiver, le lendemain matin, c’était dur, car il faisait 10 ou 12 degrés dans la maison : sortir du lit et aller se laver dans une salle de bains glacée demandaient un certain effort de volonté.
Pour être juste, la maison avait des bons côtés, on pouvait se cacher dans plein d’endroits et il y avait un jardin où je jouais aux soldats, où je martyrisais une vieille tortue qui se vengeait en me mordillant les pieds et où j'observais les poissons rouges dans un bassin.
Le temps passa et je m’habituais à Nice et à ma grand-mère. Mes parents, mon frère et ma sœur, mes copains, tous s’éloignèrent, car je ne les voyais plus que de temps en temps, un week-end sur deux et pendant les vacances scolaires. Et à Nice, je ne manquais de rien. Je commençais à me sentir chez moi dans sa maison, d’autant plus que ma grand-mère me chouchoutait. Une légende familiale raconte même qu’elle me laçait les chaussures pendant que je prenais le petit déjeuner, mais la vérité est que cela n’est arrivé qu’une seule fois, parce que j’étais en retard pour le lycée. De plus, elle était une excellente cuisinière. Je me souviens du jour où mon cousin Jean-Marc et moi avons ingurgité des casseroles entières d’excellents raviolis, au fur et à mesure où elle les faisait...
Et puis, au bout de deux ans, mon frère vint nous rejoindre, ce qui créait plus de vie. Plus tard, ma sœur s’y ajouta, mais j'étais parti pour deux ans et elle resta peu.
En grandissant, je devins petit à petit complice avec ma grand-mère. Je n’avais pas encore réalisé l’être exceptionnel qu’elle était, après tout, pour moi, elle n’était que ma grand-mère, mais je découvrais lentement sa rigueur, son intelligence et sa capacité à analyser les situations sans aucun préjugé. Je me rappelle qu’un jour je fus stupéfait de la voir agir avec une telle audace que, si je ne l’avais pas vue devant moi, j’aurais cru qu’elle avait 20 ans, pas 70. Deux anecdotes pour l’illustrer. Quand j’eus 14 ans, ma grand-mère, au reste fort prude, m’amena au cinéma voir Et Dieu créa la femme, pour me déniaiser sans doute. Et à 70 ans, elle décida d’acheter une voiture et me demanda de lui apprendre à conduire, ce que je faisais régulièrement en fin de semaine. D’elle, j’ai appris à analyser les situations avec le minimum d’à priori, l’esprit libre de toutes les idées reçues. Libre.
Vue de l’extérieur, ma grand-mère, quoique très respectée, n’était pas forcément populaire parce qu’elle se montrait dure en affaires, stricte et peu indulgente. Il est vrai qu’elle n’aimait ni les benêts, ni les paniers percés, mais foncièrement elle était généreuse et juste. Et puis le «couple» que nous formions désormais était regardé avec suspicion.
Il est vrai que j’aimais désormais son caractère, qui m’avait d’abord rebuté. Je cherchais à m’inspirer d’elle, j’admirais sa capacité à s’attaquer en priorité aux questions les plus difficiles, sans hésiter et sans faiblir. À la fin, il nous est arrivé de décider ensemble, ma grand-mère et moi, sur des questions qui, à vrai dire, dépassaient mon entendement, et cela n’a pas toujours été à bon escient. Elle me faisait confiance, ce qui me permettait à mon tour de prendre confiance et d’apprendre de mes erreurs. La confiance, c'est elle qui me l'a donné.
Vint le Bac. Il me fallut quitter ce qui était désormais ma maison pour une chambre chez une logeuse à Lyon, afin de faire Maths Sup, puis Maths Spé. Deux ans après cette étape difficile, j’étais de retour pour un an chez elle, dans une autre chambre mieux adaptée à un jeune de 20 ans. C’est alors qu’elle m’acheta une armoire que j’ai toujours et un beau bureau en teck sur lequel j’écris ce billet : ma grand-mère est toujours là, sous mes doigts…
Puis je partis deux ans à la Cité Universitaire Montebello avant de revenir encore chez ma grand-mère pour un an, jusqu’à ce que je me marie. Il me fallut alors la quitter, et cette fois-ci définitivement. Quoique pas tout à fait, car elle nous prêta un appartement, ma femme et moi, jusqu’à ce nous nous installâmes pour deux ans au Maroc.
Et alors que nous étions en voyage, le 6 septembre 1970, j‘appris qu’elle avait été renversée par une voiture en sortant de celle de mon oncle qui l’avait amenée manger une glace à Cagnes sur Mer.
Après deux jours de coma, elle décéda le 8 septembre 1970. Elle était en pleine forme. Elle montait en courant les trois étages de sa maison. Elle aurait pu vivre un siècle! Bêtement, je m’en voulais comme si j’avais déserté, la laissant, celle qui était devenue ma petite grand-mère, toute seule en butte à des forces hostiles…
Avec sa disparition, un pan entier de ma vie s’achevait. Tout se passait comme si ma grand-mère avait décidé de me laisser me débrouiller avec ma vie d’adulte, alors que je venais de partager avec elle neuf ans de vie qui allaient forger mon existence. Car, vous l'avez compris, c’est à bien des égards ma grand-mère qui m’a élevée, j'ai fais miens la plupart de ses principes et je suis fier qu’il en soit ainsi. Mission remplie?
Enfin, vous l’avez compris aussi, je l’aimais, ma grand-mère. Il était plus que temps que je l’écrive…
PS : je dois la photo qui illustre ce billet et l’exactitude des dates de la biographie de ma grand-mère à l’immense gentillesse de ma cousine Annie-Jo, l’épouse de Jean-Marc.
EXPLIQUER LA VIOLENCE HUMAINE
Avec ce billet, ne croyez pas que je mette fin à la série que je viens de consacrer à la liquidation de l’industrie française, mais pour ne pas limiter le contenu de mon blog à ce seul sujet, aussi important soit-il, je vais la poursuivre à des intervalles de publication plus espacés.
Revenons donc à l’explication de la violence, après le premier billet que j'ai consacré au phénomène de la violence, le 6 février dernier.
L'Homo erectus, il y a deux millions d'années, était surtout carnivore. C'était donc un prédateur qui chassait aussi bien les animaux que ses semblables et c’est pourquoi la chasse, en influençant son comportement psychologique, social et territorial, revêt une grande importance dans l'emploi de la violence par l'espèce humaine.
En effet, au lieu d'une attitude de retrait et de fuite, les hommes ont très tôt adopté un comportement de prédation et d'attaque. Mais cette agressivité n’a pris un caractère destructeur qu’avec la révolution du Néolithique, dans une période qui se situe entre dix mille et six mille ans avant J.-C., car c’est à cette époque que les hommes sont passés de la cueillette et de la chasse à l'exploitation de la nature, s’organisant hiérarchiquement avec les plus agressifs, les guerriers, en haut et les plus pacifiques, les agriculteurs, en bas.
Au niveau collectif, la violence serait née de l’exploitation des richesses issues de l’agriculture, mais cela n’empêche pas de lui chercher une explication psychologique au niveau individuel. L’apprentissage de la violence trouverait son origine au sein de l’histoire familiale, en particulier lorsqu’elle contient des facteurs traumatiques, tels que des crises et des ruptures, qui sont à la fois violences et sources de violences à venir. Ces violences qui font les choux gras des sociologues qui expliquent, le cœur sur la main, que la violence a son utilité dans la mesure où elle joue un rôle d'initiation, d'intégration et d'expression dans les groupes de jeunes délinquants, les bandes de supporters ou les marginaux.
En somme, chacun s’accorde à reconnaître que la violence est la compagne fidèle de l’homme, à commencer par les philosophes. Déjà, Héraclite, au Vesiècle avant JC, l’avait justifiée par la nature antagonique de l'Etre, un pauvre Etre sans cesse traversé par le conflit. Et, vingt-quatre siècles plus tard, Hegel s’est inscrit dans cette tradition. Pour lui, l'Etre se réalise dans un mouvement dialectique de conflit et de violences entre individus et sociétés et Marx lui a emboité le pas en faisant de la lutte des classes le moteur d’un processus historique d'évolution de la lutte société, une lutte des classes qui est supposée prendre fin avec l’équilibre retrouvé des rapports sociaux de production dans une société communiste idéale.
La violence était donc justifiée par la nature humaine comme par l'évolution des sociétés, mais elle a fini par s'inviter au cœur du principe de l'évolution qui oblige chaque être à lutter pour sa vie et qui conduit à la sélection des mieux armés, selon la théorie de Darwin que Spencer s’est empressé d’appliquer à la société humaine, pour justifier intellectuellement l’écrasement du faible par le fort.
Mais c’est l’inverse de ce que pensait plus subtilement Nietzsche. Il a bien reconnu que la vie véhiculait des luttes et des drames, mais loin de saluer le succès des plus forts, il s’inquiètait au contraire des ruses qui permettent aux plus faibles, malheureusement nombreux et organisés, d'asservir les plus forts.
Revenant à une vision plus individuelle de la violence, Sartre a montré, dans sa Critique de la raison dialectique, que la reconnaissance par autrui n'était pas une affaire d'amour ou de bons sentiments, mais d'affrontement. Si bien que lorsque René Girard, auquel nous avons consacré un billet récent, introduit la rivalité dans le désir comme moteur de conflit, on ne s’étonne plus que des efforts séculaires aient été consacrés à limiter les conséquences de cette violence qui traverse depuis toujours les sociétés humaines, à l’aide du bouc émissaire.
D’autant plus, on en revient à son aspect collectif, que cette violence inhérente à la nature humaine doit être canalisée pour que les sociétés deviennent des communautés. Thomas Hobbes en a fait l’analyse saisissante dans son Léviathan (1651), en montrant dans l'état théorique de nature que l'absence de règles communes rendait les comportements imprévisibles, faute de réciprocité, car la bienveillance n’est pas forcément payée de retour, loin de là. Il en a conclu que n’importe quelle autorité valait mieux que la violence de tous contre tous, justifiant à l’avance les pires des dictatures. On est cependant obligé de convenir que la théorie de Hobbes, avait déjà trouvé racine dans Le Prince de Machiavel, lequel avançait déja que la violence ne pouvait être contenue que par une autre violence, celle de l'autorité.
Mais la justification de la violence ne s'est pas arrétée là. Des philosophes contemporains n’ont pas eu peur d’afficher leur fascination intellectuelle pour la violence. Georges Sorel en a fait l’éloge au travers d’une philosophie de la révolte, ce qui a inspiré Frantz Fanon, idolâtre de la violence totale, qu’il justifie par la nécessité pour l'opprimé de retrouver son humanité, à l’aide de meurtres et de tortures, délicates chambres de défoulement.
Ainsi la violence humaine est-elle partout, dans la vie comme chez les penseurs. Il reste à se demander si ce n’est pas lui faire trop d’honneur que de lui trouver des justifications théoriques…
ARCELOR MITTAL, L'OTAGE DES FINANCIERS
En 2006, c’est au tour du numéro 1 européen de l’acier, Arcelor (ex Usinor) d’être racheté par le géant indien Mittal, après six mois de surenchères boursières qui plombèrent définitivement le groupe tout entier.
Arcelor était un groupe sidérurgique européen ayant son siège social au Luxembourg. Il était né de la fusion, le 18 février 2002, de trois sidérurgistes européens, Aceralia (Espagne), Arbed (Luxembourg) et Usinor (France). La volonté des trois groupes européens était de mobiliser leurs synergies autour d'un projet commun pour créer un leader mondial dans l'industrie de l'acier.
Un an plus tard avait déjà lieu un plan de restructuration, alors que le marché de l’acier subissait une profonde dépression. Cependant Arcelor restait rentable, mais le cours de ses actions, jugée trop cyclique,s'effondrait. Puis, à la surprise de tous, industriels et financiers, alors qu'il craignait des pertes en 2003, le groupe réalisait 14,5 milliards d'euros de bénéfice d'exploitation au cours des trois annéessuivantes, son chiffre d'affaires ayant fortement progressé, en partie grâce à la reprise des prix de l'acier.
Arcelor dépassait alors les15 milliards d'excédent brut d'exploitation. Le groupe était le premier producteur mondial d'acier avec 42,8 millions de tonnes et 4,5 % du marché mondial. Il employait 98000 personnes dans 60 pays, dont 30000 en France.
À nouveau à la surprise générale, le 28 janvier 2006, Mittal Steel Company annonçait une offre publique d'achat hostile sur Arcelor, qu’il se proposait d’acheter pour 18,6 milliards d'euros. Arcelor se défendit d’autant plus vigoureusement contre cette offre que Mittal se proposait de ne payer que le quart de cette somme en espèces, alors que les fonds propres d’Arcelor s’élevaient à 17,6 milliards d'euros et que les capitalisations boursières des deux groupes étaient quasiment identiques. S’il en avait eu la volonté, Arcelor aurait pu faire une offre identique pour racheter Mittal, d’autant plus qu’il avait un net avantage de trésorerie sur ce dernier.
Aussi, le 26 mai 2006, dans le but de contrer l'OPA hostile de Mittal, Arcelor annonçait une fusion avec l'entreprise russe Severstal, ce qui devait renforcer encore sa stature de numéro un mondial de l'acier, mais un mois plus tard, en raison du mauvais accueil réservé à l'alliance avec Severstal, Arcelor capitulait et se résolvait à négocier l'OPA hostile de Mittal, qui acceptait de porter son offre à 26,9 milliards d'euros. La transaction était acceptée par le conseil d'administration d'Arcelor et entérinée par les actionnaires, ce qui donnait naissance au groupe ArcelorMittal.
Le groupe conservait son siège social au Luxembourg et il emploie toujours prés de 80000 salariés en Europe. Mais cet achat a été une victoire à la Pyrrhus pour le nouveau groupe.
En effet, pour acheter ses concurrents, Lakshmi Mittal, l’Indien PDG d’ArcelorMittal a dû emprunter des sommes considérables, pour lesquelles il verse un taux d’intérêt colossal, de prés de 9% par an.
De fait, sa dette est notée en catégorie spéculative par Standard & Poor's et par Moody's, car les financiers arguent que le risque de faillite est considérable et ils en profitent grassement depuis 13 ans, s’abritant derrière l’orthodoxie financière qui considère que la production d’acier est une industrie très cyclique et qu’un producteur d’acier doit se contenter d'un endettement faible, voire négatif, pour limiter l'effet de levier.
Or Mittal a fait exactement le contraire, il s’est fortement endetté pour acheter Arcelor et maintenant il ne reste plus à ArcelorMittal qu’à désinvestir pour faire baisser le niveau de son endettement. C’est ce qu’il fait en vendant des participations, en écoulant une partie de ses stocks et surtout en arrêtant progressivement laproduction de plusieurs sites, comme le haut-fourneau de Gandrange ou celui de Florange.
ArcelorMittal bénéficie aussi, en fermant ses sites, du système des droits à polluer qu’il revend au fur et à mesure où il ferme des usines. Ces droits sont notamment achetés par les centrales électriques à charbon allemandes, grosses consommatrices de quotas de CO2, qui en profite pour acheter du charbon américain, déclassé par le boom du gaz de schiste. Le comble !
L’offre stupide de rachat d’Arcelor par Mittal, péché d’orgueil de Lakshmi Mittal, a surtout profité aux banquiers et accessoirement aux centrales à charbon allemandes. La France y a perdu une bonne partie de ses aciéries, leurs employés et leurs bénéfices. Faudra t-il attendre que Mittal s’effondre sous le poids de ses dettes et de son orgueil mêlés, pour arrêter le gâchis ?
À SUIVRE
PECHINEY ABSORBÉ ET DIGÉRÉ
En 2003, à la suite d’une OPE, notre géant industriel Pechiney, spécialiste de l’aluminium et de l’emballage, est absorbé par Alcan.
En 1855, Henry Merle et Jean-Baptiste Guimet créent la Compagnie des produits chimiques d'Alais et de la Camargue pour produire de la soude à Salindres dans le Gard jusqu’en 1860, date à laquelle Henry Merle se lance dans l'aluminium.
En 1877, à la mort d'Henry Merle, la société fusionne avec la société Alfred Rangod Pechiney et Compagnie. Ce groupe aura un périmètre très variable mais restera toujours centré sur l'aluminium.
En 1950, le groupe se baptise Pechiney, et grâce à l'électrolyse qui fait chuter les coûts de production de l'aluminium mais demande beaucoup d’électricité, entreprend de se développer à l'étranger en ouvrant une première usine au Cameroun (1954). En 1965, la société se diversifie dans l'emballage puis dans la transformation des métaux non ferreux en rachetant Tréfimétaux.
En 1971, Pechiney fusionne avec Ugine Kuhlmann, lui-même issu du regroupement d'Ugine et des Établissements Kuhlmann, pour devenir Pechiney-Ugine-Kuhlmann, PUK. À partir de 1974, ce conglomérat subit les chocs pétroliers et la concurrence des pays asiatiques et sa situation financière se dégrade.
En 1981, le gouvernement socialiste se porte soi-disant au secours de PUK en le nationalisant et en finançant sa restructuration, ce qui conduit à l’abandon par le groupe de la chimie et des aciers spéciaux. Du coup, PUK reprend le nom de Pechiney et se lance à nouveau dans une stratégie expansionniste, sous la présidence de Jean Gandois. Il acquiert en 1988 le géant de l'emballage américain American National Can, ce qui donne lieu à un scandale politico-financier fondé sur un délit d'initié. Si l'entreprise, toujours nationalisée, double de taille, en contrepartie son endettement s'envole.
En 1994, un nouveau PDG, Jean-Pierre Rodier, décide de recentrer le groupe sur son cœur de métier et de le désendetter en vue de le privatiser, ce qui intervient en 1995.
En 2000, un projet de fusion avec ses concurrents canadien Alcan et suisse Algroup est refusé par la Commission européenne pour risque d'abus de position dominante. Alcan reprend alors seul le suisse Algroup en 2001 et tente en juillet 2003 une OPA hostile sur Pechiney. En situation financière fragile, Pechiney ne peut résister et se fait absorber pour la somme de 4 milliards d'euros.
C’est alors la fin d’un fleuron de notre patrimoine industriel qui était devenu le premier groupe industriel privé français, présent dans l’aluminium, la chimie, le cuivre, le combustible nucléaire et les aciers spéciaux.
Alors que six grands producteurs d'aluminium dominaient historiquement le secteur, Alcoa, Alcan, Kaiser Steel, Reynolds, Alusuisse et Pechiney, il ne reste plus que le canadien Alcan et l'américain Alcoa en 2007. Tandis que l'américain tente de racheter le canadien, le conglomérat minier anglo-australien Rio Tinto coiffe Alcoa sur le poteau et rachète Alcan pour prendre le nom de Rio Tinto Alcan.
Désormais un duopole semble dominer dans l’industrie de l’aluminium, Rio-Tinto-Alcan et Alcoa. Les deux entreprises sont même en passe de constituer un monopole mondial, puisqu’elles ont annoncé en 2018 la création de la coentreprise Elysis. Cette dernière est théoriquement destinée à rendre la production d'aluminium moins polluante, via une technologie réduisant les émissions de gaz à effet de serre lors de la procédure de fusion du métal, avec l'aide d'Apple. Mais les deux entreprises sont désormais déjà dépassées, en quantité de production, par le groupe China Hongqiao et le groupe russe Rusal : la course continue.
La mondialisation est donc, dans le domaine de l’aluminium, synonyme de prise de contrôle global. Pechiney s'y est perdu. Une start-up va t-elle bientôt apparaître dans le Gard, consacrée à la production d’aluminium propre ?
À SUIVRE
TOTAL PREND LE LARGE
L’histoire de Total commence le 16 mars 1918, lorsque pour lutter (déjà) contre la dépendance de l’approvisionnement en pétrole de la France, le gouvernement français s’arrogea le monopole des importations de pétrole.
Puis naquit la Compagnie française des pétroles (CFP), société mixte associant capitaux d’État et privés, le 24 mars 1924. Ensuite vint la découverte d’un champ de gaz dans le département de Haute-Garonnele 14 juillet 1939, puis, les recherches continuant dans le Sud-Ouest de la France, la société nationale des pétroles d'Aquitaine (SNPA) fut fondée en 1941 et c'est elle qui découvrit en 1951 le gisement de gaz de Lacq. Entre-temps, en 1945, avait été créé le Bureau de Recherches Pétrolières (BRP), un organisme public dont l’objectif était de mettre en place les conditions nécessaires pour aboutir à l’indépendance énergétique de la France.
Sous son égide, en 1953, furent attribués les premiers permis de recherches à quatre grandes compagnies françaises dont la Société Nationale de Recherche et d’Exploitation des Pétroles en Algérie (S.N.REPAL). Cette dernière, au bord du découragement, s’obstinait à forer à Hassi Messaoud, lorsqu’une nuit de mai 1956, « à la fin d’une longue journée dans une tempête de sable qui ne s’était calmée que vers le soir, le grondement de la foreuse éclairée comme un arbre de Noël s’était brusquement atténué. L’interminable descente du forage à travers le sel venait de ralentir ; le trépan de MD1 avait heurté un niveau dur. »* Deux jours plus tard, les ingénieurs savaient qu’ils tenaient un gisement, un immense gisement. L’exploitation du pétrole du Sahara algérien commençait et l’espoir d’une totale indépendance pétrolière prenait corps, un espoir qui durera six ans.
En décembre 1965, l’ERAP naissait de la fusion de plusieurs sociétés d’exploration pétrolières, de l'UGP (Union générale de distribution) et de la SNPA, cette dernière devenant la principale filiale de la nouvelle maison mère, ce qui se traduisit par le lancement, le 28 avril 1967, de la marque Elf.
Pendant ce temps la CFP donnait naissance, le 14 juillet 1954, à la marque de distribution « Total ». Total et Desmarais frères fusionnaient en 1965, jusqu’à ce qu’en 1993, erreur stratégique majeure de notre point de vue puisqu’elle aboutit à la perte de contrôle de notre approvisionnement pétrolier et gazier, une part importante des actions détenues par l'État était vendue à des investisseurs privés sur l'initiative du gouvernement Balladur.
La suite est l'histoire classique de la combinaison d’une croissance non maitrisée et des mécanismes implacables de l’économie de marché globalisée à la sauce américaine.
Le 14 juin 1999, Total se rapprochait de la société belge Petrofina pour devenir TotalFina, puis, moins d’un an plus tard, le 22 mars 2000, TotalFina acquerra Elf Aquitaine et deviendra TotalFina-Elf jusqu’à ce que TotalFina fusionne avec Elf Aquitaine pour retrouver, le 6 mai 2003, sa dénomination d’avant 1999 : Total.
Au début de cette fusion, Albert Frère, un belge qui était le principal actionnaire de Petrofina lors de son rachat par Total, devint le plus gros actionnaire individuel de Total avec 5% du capital, à égalité avec les salariés de l’entreprise.
Puis Fin 2007, le fonds souverain chinois State Administration of Foreign Exchange (Safe) prit le contrôle de 1,6 % du capital de Total pour devenir le second actionnaire de Total. Son futur PDG, Christophe de Margerie reconnaissait avoir favorisé lui-même le processus d'entrée des Chinois dans le capital de Total, espérant naïvement développer en retour sa présence sur le marché chinois. Sans doute croyait-il à la reconnaissance des Chinois, mais ces derniers préférèrent, ô surprise, réserver leur marché à Petro China qui dépasse désormais Total en taille. Le même De Margerie appela en sus des investisseurs des pays du Golfe: l’inévitable Qatar devint en 2011 son troisième actionnaire devant Safe.
Aujourd’hui, Total SA est en 2014 le cinquième groupe pétrolier privé du monde, derrière ExxonMobil, Shell, Chevron Texaco et PetroChina. C'est aussi la première entreprise « française » en termes de chiffre d'affaires, elle qui emploie plus de cent mille salariés dont 30% en France, car Total n’est désormais plus qu’une entreprise française en trompe l’œil, car ce sont des actionnaires institutionnels étrangers qui détiennent 71 % des actions de Total.
À eux seuls, les actionnaires institutionnels américains détiennent 35% du capital de Total. Le premier actionnaire de Total, avec 6,3% du capital, est désormais Blackrock, une énorme société multinationale de gestion d'actifs dont le siège est situé à New York et dont les clients sont aux deux tiers des fonds de pension. Blackrock est soupçonné d’être impliqué dans la gigantesque fraude CumEx, système pratiqué par des fonds de placement et des banques consistant à se faire rembourser des impôts non payés sur les dividendes des actionnaires.
Avec 71% d’actionnaires étrangers et 35% d’actionnaires américains au minimum, en ne comptant que les investisseurs individuels, contre 29% d’actionnaires français au maximum, on ne s’étonnera pas que Total ait quitté l’Iran à la première injonction du gouvernement américain.
Pour le moment, le siège de Total est à La Défense, les dirigeants et les membres du Conseil d’Administration de Total sont en majorité français et Total est toujours coté à la Bourse de Paris. Mais rien n’empêcheraient les actionnaires américains, pour peu qu’ils s’unissent, de prendre le contrôle du Conseil d’Administration, de transférer le siège à New York et sa cotation à Wall Street, faisant disparaître d’un trait de plume la nationalité française de Total.
C’est ainsi que, pour obtenir des fonds à court terme, le gouvernement français a fait disparaître un instrument majeur de l’indépendance énergétique française. Total n’a plus eu ensuite qu’à suivre la pente naturelle des majors pétrolières pour devenir par étapes une multinationale contrôlée par des acteurs étrangers. Et maintenant, comment faire pour renationaliser Total ? Qu’en pensez-vous, Monsieur Balladur ?
* André Rossfelder, « Le Onzième commandement » page 409, (Gallimard, 2000)
À SUIVRE