POUR NE PAS INSULTER L'ANNÉE 2020
En chaque début d’année, l’habitude formelle consiste à présenter ses vœux à toute personne que l’on connaît peu ou prou. Je vais donc commencer par vous les présenter, ces vœux de santé, de bonheur, de succès pour l’année 2020, un joli chiffre.
Mais cela reste une formule de politesse, ou plutôt d’aménité, qui consiste à souhaiter officiellement pleins d’évènements heureux à chacun de nos interlocuteurs.
Naturellement, nous faisons semblant de ne pas croire que l’année qui vient sera toute pareille à l’année qui la précède et à l’année qui lui succèdera, sauf coup de chance ou de malchance qui la fera basculer dans le rose ou dans le noir, sans que nos vœux aient la moindre influence sur la tendance que prendra l’année qui vient.
Tout cela nous le savons bien, mais la politesse et la coutume nous imposent néanmoins de faire semblant de l’ignorer et de croire que nos vœux auront un effet bénéfique sur l’avenir de notre prochain. Ceci dit, bien sûr, je n’ai rien contre les vœux, au contraire. Ce serait bien triste en effet, en ce début d’année, de croiser tout un chacun sans se saluer spécialement, faisant comme si l’année qui commence nous indifférait, ou que le temps qui s’écoule glissait sur nous comme l’eau sur les plumes d’un canard.
Non, les vœux, c’est bien.
Mais il est quand même temps de s’attaquer au fond du sujet. Qu’est ce qui fait que l’année sera bonne ou mauvaise ? Je crois que nous savons tous d’avance si l’année sera bonne ou mauvaise, car cela dépend avant tout de notre attitude personnelle par rapport à la vie.
Je sais, je sais. Il y a la santé, il y a l’argent, il y a l’amour ou l’absence d’amour de nos parents, il y a l’éducation et j’en oublie. Tout cela explique plus ou moins notre attitude devant la vie et nous sommes profondément inégaux sur ce point, presque de pôles opposés.
D’un côté, il y a les avachis devant la vie. Je fais abstraction de ceux qui font semblant, qui se cachent derrière leur pseudo pessimisme, style Bacri, je parle des vrais.. On les repère facilement, ils mangent trop, ils boivent trop, ils se droguent. Ils n’y peuvent rien, mais ils se laissent aller. Ils ne veulent pas avancer ou alors à peine, lorsque toutes les voies sont dégagées. Alors pour eux, l’année qui vient sera tout naturellement la suite de la descente qu’ils prévoient, qu’ils anticipent, qu’ils organisent finalement. On aimerait bien leur dire de se secouer, de prendre la route vers la montée plutôt que vers la descente. Vaines pensées et vaines paroles, en général. On ne change de voie que contraint et forcé, sous l’influence d’un gros choc et encore, en général, l’impact du choc s'atténue avec le temps. Même une affection proche et permanente ne suffit généralement pas à changer un déliquescent en battant.
Un battant, comme vous et moi.
Nous, on voit la vie comme une route qui monte. D’accord, on finira par tomber, mais d’un coup et de plus haut. En attendant, on fait tous nos efforts pour que la vie aille dans le bon sens, on fait du sport pour se maintenir en forme, on ne mange pas trop, on fait attention, on court chez le médecin à la moindre alerte, on fait les radios et les scanners, on n’oublie pas le dentiste. On s’occupe de tous nos proches, on travaille dur. Naturellement, on va y gagner quelque chose, la santé maintenue, un succès personnel, une promotion, plus d’argent. Et si cela ne marche pas en 2020, cela marchera l’année suivante. Car, comme le dit Nietzsche, « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. »
Finalement, nous sommes conduits à formuler des vœux pour que les vents soient favorables ! Des vents qui concernent personnellement notre interlocuteur ou qui concernent notre pays, notre humanité, nous les êtres vivants, notre univers. Dans ce dernier cas, ces vœux sont une prière que notre pays progresse, que l’humanité ne soit pas en danger, que les êtres vivants ne disparaissent pas en masse, que l’univers soit à peu près stable.
Pourtant, au fond, nous savons ce qui va se passer. Notre Président va continuer à essayer « d’adapter » la France à la mondialisation, la population va continuer à progresser en nombre et en consommation, les espèces vivantes vont continuer à disparaitre en masse et notre univers à diverger.
Il nous reste tout de même à souhaiter que tout cela n’aille pas trop vite…
LES ARTICLES DE LA CAPITULATION DE MONTRÉAL
Le 8 septembre 1760, avant que les Britanniques n’entrent dans la ville, les Articles de capitulation de Montréal sont signés sous une tente du camp britannique entre Pierre de Rigaud de Vaudreuil, en tant que Gouverneur-général de la Nouvelle-France et Jeffery Amherst, en tant que major-général des troupes britanniques, au nom respectivement des couronnes française et britannique.
Le document a été rédigé en français. Les articles de capitulation sont reproduits ci-aprés, avec en italique* les rejets, les acceptations et les commentaires des Britanniques au projet de traité de Vaudreuil.
Article 1 : Vingt-quatre heures après la signature de la présente capitulation, le général anglais fera prendre par les troupes de Sa Majesté britannique, possession des portes de la ville de Montréal, et la garnison anglaise ne pourra y entrer qu'après l'évacuation des troupes françaises.
Toute la garnison de Montréal doit mettre bas les armes et ne servira point pendant la présente guerre ; immédiatement après la signature de la présente, les troupes du roi prendront possession des portes et posteront les gardes nécessaires pour maintenir le bon ordre dans la ville.
Article 2 :Les troupes et les milices qui seront en garnison dans la ville de Montréal en sortiront par la porte de Québec, avec tous les honneurs de la guerre, six pièces de canon et un mortier, qui seront chargés dans le vaisseau où le marquis de Vaudreuil s'embarquera, avec dix coups à tirer par pièce ; il en sera de même pour la garnison des Trois-Rivières pour les honneurs de la guerre.
Référé à l'article précédent.
Article 3 : Les troupes et milices qui seront en garnison dans le fort de Jacques Cartier et dans l'Ile Sainte-Hélène et autres forts, seront traitées de même et auront les mêmes honneurs, et ces troupes se rendront à Montréal, aux Trois-Rivières ou à Québec pour y être toutes embarquées pour le premier port de France par le plus court chemin. Les troupes qui sont dans nos postes situés sur nos frontières du côté de L'Acadie au Détroit, Michilimakinac et autres postes jouiront des mêmes honneurs et seront traitées de même.
Toutes ces troupes ne doivent point servir pendant la présente guerre et mettront pareillement les armes bas, le reste est accordé.
Article 4 :Les milices, après être sorties des villes, forts et postes ci-dessus, retourneront chez elles, sans pouvoir être inquiétées sous quelque prétexte que ce soit pour avoir porté les armes.
Accordé.
Article 5 : Les troupes qui tiennent la campagne lèveront leurs camps, marcheront tambour battant, armes, bagages, avec leur artillerie, pour se joindre à la garnison de Montréal, et auront en tout le même traitement.
Ces troupes doivent comme les autres mettre bas les armes.
Article 6 : Les sujets de Sa Majesté britannique et de Sa Majesté très chrétienne, soldats, miliciens ou matelots, qui auront déserté ou laissé le service de leur souverain, et porté les armes dans l'Amérique septentrionale, seront de part et d'autre pardonnés de leurs crimes ; ils seront respectivement rendus à leur patrie, sinon ils resteront chacun où ils sont, sans qu'ils puissent être recherchés ni inquiétés.
Refusé.
Article 7 : Les magasins, l'artillerie, fusils, sabres, munitions de guerre et généralement tout ce qui appartient à Sa Majesté très chrétienne, tant dans les villes de Montréal et Trois-Rivières que dans les forts et postes mentionnés en l'article 3e, seront livrés par des inventaires exacts aux commissaires qui seront préposés pour les recevoir au nom de Sa Majesté britannique ; il sera remis au marquis de Vaudreuil des expéditions en bonne forme des dits inventaires.
C'est tout ce qu'on peut demander sur cet article.
Article 8 : Les officiers, soldats, miliciens, matelots et même les sauvages, détenus pour cause de leurs blessures ou maladies, tant dans les hôpitaux que dans les maisons particulières jouiront du privilège du cartel et seront traités conséquemment.
Les malades et blessés seront traités de même que nos propres gens.
Article 9 : Le général anglais s'engagera de renvoyer chez eux les sauvages indiens et moraigans qui font nombre de ses armées, d'abord après la signature de la présente capitulation ; et cependant, pour prévenir tout désordre de la part de ceux qui ne seraient pas partis, il sera donné par ce général des sauvegardes aux personnes qui en demanderont, tant en ville que dans les campagnes.
Le premier refusé ; il n'y a point eu de cruautés commises par les sauvages de notre armée, et le bon ordre sera maintenu.
Article 10 : Le général de Sa Majesté britannique garantira tout désordre de la part des troupes, les assujettira à payer les dommages qu'elles pourraient faire tant dans les villes que dans les campagnes.
Répondu par l'article précédent.
Article 11 : Le général anglais ne pourra obliger le marquis de Vaudreuil de sortir de la ville de Montréal avant le _______ et on ne pourra loger personne dans son hôtel jusqu'à son départ. M. le chevalier de Lévis, commandant les troupes de terre, les officiers principaux et majors des troupes de terre et de la colonie, les ingénieurs, officiers d'artillerie et commissaires des guerres, resteront pareillement à Montréal jusqu'au dit jour et y conserveront leurs logements ; il en sera usé de même à l'égard de M. Bigot, intendant, des commissaires de la marine et officiers de plume, dont mon dit sieur Bigot aura besoin ; et on ne pourra également loger personne à l'intendance avant le départ de cet intendant.
Le Marquis de Vaudreuil et tous ces Messieurs seront maîtres de leurs logements et maisons, et s'embarqueront dès que les vaisseaux du roi seront prêts à faire voile pour l'Europe, et on leur accordera toutes les commodités qu'on pourra.
Article 12 :Il sera destiné pour le passage en droiture au premier port de mer en France, du marquis de Vaudreuil, le vaisseau le plus commode qui se trouvera ; il y sera pratiqué les logements nécessaires pour lui, Madame la marquise de Vaudreuil, M. de Rigaud, gouverneur de Montréal, et la suite de ce général. Ce vaisseau sera pourvu de subsistances convenables, aux dépens de Sa Majesté britannique ; et le marquis de Vaudreuil emportera avec lui ses papiers sans qu'ils puissent être visités, et il embarquera ses équipages, vaisselles, bagages et ceux de sa suite.
Accordé, excepté les archives qui pourront être nécessaires pour le gouvernement du pays.
Article 13 :Si avant ou après l'embarquement du Marquis de Vaudreuil, la nouvelle de la paix arrivait et que par le traité le Canada restât à Sa Majesté très chrétienne, le Marquis de Vaudreuil reviendrait à Québec ou à Montréal ; toutes les choses resteraient dans leur premier état, sous la domination de Sa Majesté très chrétienne, et la présente capitulation deviendrait nulle et sans effetsquelconques.
Ce que le roi pourrait avoir fait à ce sujet sera obéi.
Article 14 :Il sera destiné deux vaisseaux pour le passage en France de M. le chevalier de Lévis, des officiers principaux et état-major général des troupes de terre, ingénieurs, officiers d'artillerie et gens qui sont à leur suite. Ces vaisseaux seront également pourvus de subsistances, et il sera pratiqué les logements nécessaires; ces officiers pourront emporter leurs papiers, qui ne seront point visités, leur équipage et bagage ; ceux des officiers qui seront mariés auront la liberté d'emmener avec eux leurs femmes et enfants et la subsistance leur sera fournie.
Accordé, excepté que M. le Marquis de Vaudreuil, et tous les officiers de quelque rang qu'ils puissent être, nous remettront de bonne foi toutes les cartes et plans du pays.
Article 15 : Il en sera de même destiné un pour le passage de M. Bigot, intendant, et de sa suite, dans lequel vaisseau il sera fait les aménagements convenables pour lui et les personnes qu'il emmènera; il y embarquera également ses papiers, qui ne seront point visités, ses équipages, vaisselles et bagages et ceux de sa suite; ce vaisseau sera pourvu de subsistance comme il est dit ci-devant.
Accordé, avec la même réserve que par l'article précédent.
Article 16 : Le général anglais fera aussi fournir pour M. de Longueuil, gouverneur des Trois-Rivières, pour les états majors de la colonie et les commissaires de la marine, les vaisseaux nécessaires pour se rendre en France, et le plus commodément qu'il sera possible ; ils pourront y embarquer leurs familles, domestiques, bagages et équipages ; et la subsistance leur sera fournie pendant latraversée sur un pied convenable aux dépens de Sa Majesté britannique.
Accordé.
Article 17 : Les officiers et soldats, tant des troupes de terre que de la colonie, ainsi que les officiers, marins et matelots qui se trouveront dans la colonie, seront aussi embarqués pour France dans les vaisseaux qui leur seront destinés, en nombre suffisant et le plus commodément que faire se pourra ; les officiers des troupes et marins qui seront mariés, pourront emmener avec eux leurs familles; et tous auront la liberté d'embarquer leurs domestiques et bagages. Quant aux soldats et matelots, ceux qui seront mariés, pourront emmener avec eux leurs femmes et enfants, et tous embarqueront leurs havresacs et bagages ; il sera embarqué
dans les vaisseaux les subsistances convenables et suffisantes, aux dépens de Sa Majesté britannique.
Accordé.
Article 18 : Les officiers, soldats et tous ceux qui sont à la suite des troupes, qui auront leurs bagages dans les campagnes pourront les
envoyer chercher avant leur départ, sans qu'il leur soit fait aucun tort ni empêchement.
Accordé.
Article 19 : II sera fourni par le général anglais un bâtiment d'hôpital pour ceux des officiers, soldats et matelots blessés ou malades, quiseront en état d'être transportés en France ; et la subsistance leur sera fournie aux dépens de Sa Majesté britannique ; il en serausé de même à l'égard des autres officiers, soldats, matelots blessés ou malades, aussitôt qu'ils seront rétablis; les uns et lesautres pourront emmener leurs femmes, enfants et domestiques : et lesdits soldats et matelots ne pourront être sollicités ni forcésà prendre parti dans le service de Sa Majesté britannique.
Accordé.
Article 20 : Il sera laissé un commissaire et un écrivain de roi pour avoir soin des hôpitaux et veiller à tout ce qui aura rapport au service deSa Majesté très chrétienne.
Accordé.
Article 21 : Le général anglais fera également fournir des vaisseaux pour le passage en France des officiers du Conseil supérieur, de justice,police, de l'amirauté et tous autres officiers ayant commissions ou brevet de Sa Majesté très chrétienne, pour eux, leurs familles,domestiques et équipages, comme pour les autres officiers, et la subsistance leur sera fournie de même aux dépens de Sa Majestébritannique ; il leur sera cependant libre de rester dans la colonie, s'ils le jugent à propos, pour y arranger leurs affaires ou de seretirer en France quand bon leur semblera.
Accordé, mais s'ils ont des papiers qui concernent le gouvernement du pays, ils doivent nous les remettre.
Article 22 : S'il y a des officiers militaires dont leurs affaires exigent leur présence dans la colonie jusqu'à l'année prochaine, ils pourront y rester, après en avoir eu la permission du Marquis de Vaudreuil, et sans qu'ils puissent être réputés prisonniers de guerre.
Tous ceux dont les affaires particulières exigent qu'ils restent dans le pays et qui en ont la permission de M. de Vaudreuil, seront permis de rester jusqu'à ce que leurs affaires soient terminées.
Article 23 : Il sera permis au munitionnaire des vivres du roi de demeurer au Canada jusqu'à l'année prochaine, pour être en état de faire face aux dettes qu'il a contractées dans la colonie relativement à ses fournitures ; si, néanmoins, il préfère de passer en France cette année, il sera obligé de laisser jusqu'à l'année prochaine une personne pour faire ses affaires ; ce particulier conservera et pourra emporter ses papiers sans être visités ; ses commis auront la liberté de rester dans le pays ou de passer en France, et, dans ce dernier cas, le passage et la subsistance leur seront accordés sur les vaisseaux de Sa Majesté britannique, pour eux, leurs familles et leurs bagages.
Accordé.
Article 24 : Les vivres et autres approvisionnements qui se trouvent en nature dans les magasins du munitionnaire, tant dans les villes de Montréal et des Trois-Rivières que dans les campagnes lui seront conservés; les dits vivres lui appartenant et non au roi ; et il lui sera loisible de les vendre aux Français ou aux Anglais.
Tout ce qui se trouve dans les magasins destinés à l'usage des troupes, doit être délivré au commissaire anglais pour les troupes du roi.
Article 25 : Le passage en France sera également accordé sur les vaisseaux de Sa Majesté britannique ainsi que la subsistance à ceux des officiers de la compagnie des Indes qui voudront y passer, et ils emmèneront leurs familles, domestiques et bagages. Sera permis à l'agent principal de la dite compagnie, supposé qu'il voulût passer en France, de laisser telle personne qu'il jugera à proposjusqu'à l'année prochaine, pour terminer les affaires de la dite compagnie et faire le recouvrement des sommes qui lui sont dues.L'agent principal conservera tous les papiers de la dite communauté, et ils ne pourront être visités.
Accordé.
Article 26 : Cette compagnie sera maintenue dans la propriété des écarlatines et castors qu'elle peut avoir dans la ville de Montréal ; il n'y sera point touché, sous quelque prétexte que ce soit; et il sera donné à l'agent principal les facilités nécessaires pour faire passer cette année en France ces castors sur les vaisseaux de Sa Majesté britannique, en payant le fret sur le pied que les Anglais le paieront.
Accordé pour ce qui peut appartenir à la compagnie ou aux particuliers; mais si Sa Majesté très chrétienne y a aucune part, elle doit être au profit du roi.
Article 27 : Le libre exercice de la religion catholique, apostolique et romaine subsistera en son entier, en sorte que tous les états et le peuple des villes et des campagnes, lieux et postes éloignés pourront continuer de s'assembler dans les églises, et de fréquenter les sacrements, comme ci-devant, sans être inquiètes en aucune manière, directement ni indirectement. Ces peuples seront obligés par le gouverneur anglais à payer aux prêtres qui en prendront soin les dîmes et tous les droits qu'ils avaient coutume de payer sous le gouvernement de Sa Majesté très chrétienne.
Accordé pour le libre exercice de leur religion ; l'obligation de payer les dîmes aux prêtres dépendra de la volonté du roi.
Article 28 : Le chapitre, les prêtres, curés et missionnaires continueront avec entière liberté leurs exercices et fonctions curiales dans les paroisses des villes et des campagnes.
Accordé.
Article 29 : Les grands vicaires, nommés par le chapitre pour administrer le diocèse pendant la vacance du siège épiscopal, pourront demeurer dans les villes ou paroisses des campagnes, suivant qu'ils le jugeront à propos ; ils pourront en tout temps visiter les différentes paroisses du diocèse avec les cérémonies ordinaires, et exercer toute la juridiction qu'ils exerçaient sous la domination française; ils jouiront des mêmes droits en cas de mort du futur évêque dont il sera parlé à l'article suivant.
Accordé, excepté ce qui regarde l'article suivant.
Article 30 : Si, par le traité de paix, le Canada restait au pouvoir de Sa Majesté britannique, Sa Majesté très chrétienne continuerait à nommer l'évêque de la colonie, qui serait toujours de la communion romaine, sous l'autorité duquel le peuple exercerait la religion romaine.
Refusé.
Article 31 : Pourra le seigneur évêque établir, dans le besoin, de nouvelles paroisses et pourvoir au rétablissement de la cathédrale et de son palais épiscopal ; et il aura, en attendant, la liberté de demeurer dans les villes ou paroisses, comme il le jugera à propos ; il pourra visiter son diocèse avec les cérémonies ordinaires et exercer toute la juridiction que son prédécesseur exerçait sous la domination française, sauf à exiger de lui le serment de fidélité ou promesse de ne rien faire ni rien dire contre le service de Sa Majesté britannique.
Cet article est compris sous le précédent.
Article 32 : Les communautés de filles seront conservées dans leurs constitutions et privilèges ; elles continueront d'observer leurs règles ; elles seront exemptées du logement des gens de guerre; et il sera fait défense de les troubler dans les exercices de piété qu'elles pratiquent, ni d'entrer chez elles; on leur donnera même des sauvegardes, si elles en demandent.
Accordé.
Article 33 : Le précédent article sera pareillement exécuté à l'égard des communautés des Jésuites et Récollets et de la maison des prêtres de Saint-Sulpice à Montréal ; ces derniers et les Jésuites conserveront le droit qu'ils ont de nommer à certaines cures et missions comme ci-devant.
Refusé, jusqu'à ce que le plaisir du roi soit connu.
Article 34 : Toutes les communautés et tous les prêtres conserveront leurs meubles, la propriété et l'usufruit des seigneuries et autres biens que les uns et les autres possèdent sur la colonie, de quelque nature qu'ils soient ; et les dits biens seront conservés dans leurs privilèges, droits, honneurs et exemptions.
Accordé.
Article 35 : Si les chanoines, prêtres, missionnaires, les prêtres du Séminaire des missions étrangères et de Saint-Sulpice, ainsi que les Jésuites et les Récollets, veulent passer en France, le passage leur sera accordé sur les vaisseaux de Sa Majesté britannique ; et tous auront la liberté de vendre en total ou partie les biens fonds et mobiliers qu'ils possèdent dans la colonie, soit aux Français ou aux Anglais, sans que le gouvernement britannique puisse y mettre le moindre empêchement ni obstacle. Ils pourront emporter avec eux ou faire passer en France le produit, de quelque nature qu'il soit, des dits biens vendus, en payant le fret (comme il est dit à l'article 26) et ceux d'entre ces prêtres qui voudront passer cette année, seront nourris pendant la traversée aux dépens de Sa Majesté britannique, et pourront emporter avec eux leurs bagages.
Ils seront les maîtres de disposer de leurs biens, et d'en passer le produit, ainsi que leurs personnes et tout ce qui leur appartiendra, en France.
Article 36 : Si par le traité de paix le Canada reste à Sa Majesté britannique, tous les Français, Canadiens, Acadiens, commerçants et autres personnes qui voudront se retirer en France, en auront la permission du général anglais, qui leur procurera le passage: et néanmoins, si d'ici à cette décision, il se trouvait des commerçants français ou canadiens, ou autres personnes, qui voulussent passer en France, le général anglais leur en donnera également la permission : les uns et les autres emmèneront avec eux leurs
familles, domestiques et bagages.
Accordé.
Article 37 :Les seigneurs de terre, les officiers militaires et de justice, les Canadiens, tant des villes que des campagnes, les Français établis ou commerçants dans toute l'étendue de la colonie de Canada, et toutes les autres personnes que ce puisse être, etc. conserveront l'entière paisible propriété et possession de leurs biens seigneuriaux et roturiers, meubles et immeubles, marchandise, pelleterieset autres effets, même de leurs bâtiments de mer ; il n'y sera point touché ni fait le moindre dommage sous quelque prétexte que ce soit. II leur sera libre de les conserver, louer, vendre, soit aux Français ou Anglais, d'en emporter le produit en lettres de change, pelleteries, espèces sonnantes ou autres retours, lorsqu'ils jugeront à propos de passer en France, en payant le fret (comme à l'article 26). Ils jouiront aussi des pelleteries qui sont dans les postes d'en-Haut, qui leur appartiennent, et qui peuvent même être en chemin de se rendre à Montréal ; et à cet effet il leur sera permis d'envoyer dès cette année ou la prochaine, descanots équipés pour chercher celles de ces pelleteries qui auront resté dans les postes.
Accordé comme par l'article 36.
Article 38 : Tous les peuples sortis de l'Acadie, qui se trouveront en Canada, y compris les frontières du Canada du côté de l'Acadie, auront le même traitement que les Canadiens et jouiront des mêmes privilèges qu'eux.
C'est au roi à disposer de ses anciens sujets ; en attendant ils jouiront des mêmes privilèges que les Canadiens.
Article 39 : Aucuns Canadiens, Acadiens ni Français, de ceux qui sont présentement en Canada et sur les frontières de la colonie, du côté de l'Acadie, du Détroit, de Michilimakinac et autres lieux et postes du pays d'en-Haut, ni les soldats mariés et non mariés restant en Canada, ne pourront être portés ni transmigrés dans les colonies anglaises, ni en l'ancienne Angleterre ; et ils ne pourront être recherchés pour avoir pris les armes.
Accordé, excepté à l'égard des Acadiens.
Article 40 : Les Sauvages ou Indiens alliés de Sa Majesté très chrétienne seront maintenus dans les terres qu'ils habitent, s'ils veulent y rester ; ils ne pourront être inquiétés sous quelque prétexte que ce puisse être, pour avoir pris les armes et servi Sa Majesté très chrétienne. Ils auront comme les Français la liberté de religion et conserveront leurs missionnaires ; il sera permis aux vicaires généraux actuels et à l'évêque, lorsque le siège épiscopal sera rempli de leur envoyer de nouveaux missionnaires, lorsqu'ils le jugeront nécessaire.
Accordé, à la réserve du dernier article qui a déjà été refusé.
Article 41 : Les Français, Canadiens et Acadiens, qui resteront dans la colonie, de quelqu'état ou condition qu'ils soient, ne seront ni ne pourront être forcés à prendre les armes contre Sa Majesté très chrétienne ni ses alliés, directement ni indirectement, dans quelque occasion que ce soit ; le gouvernement britannique ne pourra exiger d'eux qu'une exacte neutralité.
Ils deviennent sujets du roi.
Article 42 : Les Français et Canadiens continueront d'être gouvernés suivant la coutume de Paris, et les lois et usages établis pour ce pays ; et ils ne pourront être assujettis à d'autres impôts que ceux qui étaient établis sous la domination française.
Répondu par les articles précédents, et particulièrement le dernier.
Article 43 : Les papiers du gouvernement resteront, sans exception, au pouvoir du marquis de Vaudreuil, et passeront en France avec lui ; ces papiers ne pourront être visités, sous quelque prétexte que ce soit.
Accordé, avec la réserve déjà faite.
Article 44 : Les papiers de l'intendance, des bureaux du contrôle de la marine, des trésoriers anciens et nouveaux, des magasins du roi, du bureau du domaine et forges de Saint-Maurice, resteront au pouvoir de M. Bigot, intendant ; et ils seront embarqués pour France dans le vaisseau où il passera ; ces papiers ne seront point visités.
Il en est de même de cet article.
Article 45 : Les registres et autres papiers du Conseil supérieur de Québec, de la prévôté et amirauté de la même ville, ceux des juridictions royales des Trois-Rivières et de Montréal, ceux des juridictions seigneuriales de la colonie, les minutes des actes des notaires des villes et des campagnes, et généralement les actes et autres papiers qui peuvent servir à justifier l'état et la fortune des citoyens, resteront dans la colonie, dans les greffes des juridictions dont ces papiers dépendent.
Accordé.
Article 46: Les habitants et négociants jouiront de tous les privilèges du commerce, aux mêmes faveurs et conditions accordées aux sujets de Sa Majesté britannique, tant dans les pays d'en-Haut que dans l'intérieur de la colonie.
Accordé.
Article 47: Les nègres et panis des deux sexes resteront en leur qualité d'esclaves en la possession des Français et Canadiens, à qui ils appartiennent: il leur sera libre de les garder à leur service dans la colonie ou de les vendre ; ils pourront aussi continuer à les faire élever dans la religion romaine.
Accordé, excepté ceux qui auront été faits prisonniers.
Article 48: Il sera permis au Marquis de Vaudreuil, aux officiers généraux et supérieurs des troupes de terre, aux gouverneurs, états majors des différentes places de la colonie, aux officiers militaires et de justice, et à toutes autres personnes qui sortiront de la colonie ou qui en seront déjà absents, de nommer et établir des procureurs pour agir pour eux et en leur nom dans l'administration de leurs biens, meubles et immeubles, jusqu'à ce que la paix soit faite ; et si par le traité des deux couronnes, le Canada ne rentre point sous la domination française, ces officiers ou autres personnes, ou procureurs pour eux, auront l'agrément de vendre leurs seigneuries, maisons et aucuns biens fonds, leurs meubles et effets, et d'en emporter ou faire passer le produit en France, soit en lettres de change, espèces sonnantes, pelleteries ou autres retours, comme il est dit en l'article 37.
Accordé.
Article 49 : Les habitants et autres personnes qui auront souffert quelque dommage en leurs biens, meubles ou immeubles, restés à Québec sous la foi de la capitulation de cette ville, pourront faire leurs représentations au gouvernement britannique, qui leur rendra la justice qui leur sera due contre qui il appartiendra.
Accordé.
Article 50, et dernier: La présente capitulation sera inviolablement exécutée en toutes ses articles de part et d'autre, et de bonne foi, nonobstant toute infraction et tout autre prétexte par rapport aux précédentes capitulations, et sans pouvoir servir de représailles.
Accordé.
Post scriptum :
Article 51: Le général anglais s'engagera, en cas qu'il reste des sauvages après la reddition de cette ville, à empêcher qu'ils n'entrent dans les villes et qu'ils n'insultent en aucune manière les sujets de Sa Majesté très chrétienne.
On aura soin que les sauvages n'insultent aucuns des sujets de Sa Majesté très chrétienne.
Article 52: Les troupes et autres sujets de Sa Majesté très chrétienne, qui doivent passer en France, seront embarqués quinze jours au plus tard après la signature de la présente capitulation.
Répondu par l'article XI.
Article 53: Les troupes et autres sujets de Sa Majesté très chrétienne, qui devront passer en France, resteront logés et campés dans la ville de Montréal et autres postes qu'ils occupent présentement, jusqu'au moment qu'ils seront embarqués pour le départ ; il sera néanmoins accordé des passe-ports à ceux qui en auront besoin pour les différents lieux le la colonie, pour aller vaquer à leurs affaires.
Accordé.
Article 54: Tous les officiers et soldats des troupes au service de France, qui sont prisonniers à la Nouvelle-Angleterre, et faits en Canada, seront renvoyés le plutôt qu'il sera possible en France, où il sera traité de leur rançon on échange, suivant le cartel ; et si quelques-uns de ces officiers avaient des affaires en Canada, il leur sera permis d'y venir.
Accordé.
Article 55: Quant aux officiers de milices, aux miliciens et aux Acadiens qui sont prisonniers à la Nouvelle-Angleterre, ils seront renvoyés sur leurs terres.
Accordé, à la réserve des Acadiens.
Fait à Montréal le 8 septembre, 1760
(Signé) Vaudreuil
Fait au camp devant Montréal, le 8 septembre, 1760.
(Signé) Jeffery Ahmerst
*En vert, les articles approuvés par les Britanniques, en orange ceux qui sont approuvés en partie seulement, en rouge, les articles qu’ils rejettent.
Nous analyserons les termes de ces Articles de capitulation dans le prochain billet consacré à la Nouvelle-France.
À SUIVRE
L'ARBRE DE NOËL
Dans la nuit de Noël, pourquoi ne m’abandonnerais-je pas au charme de mes premières années, à tout ce qui m’a successivement captivé sur les rameaux de l’arbre magique, alors que, chaque hiver, Noël me retrouvait enfant heureux et crédule ?
Il est là, devant moi, cet arbre qui déploie son ombre mystérieuse. D’abord, je reconnais mes joujoux : voilà, tout là-haut, parmi les feuilles lustrées et les baies rouges du houx, le culbuteur avec ses mains dans les poches qui ne voulait jamais se tenir tranquille par terre, mais qui, une fois mis sur le parquet, roulait sur lui-même et ne s’arrêtait que pour fixer sur moi ses yeux de homard, dont j’affectais de rire tout en m'en méfiant au fond du cœur.
À côté du culbuteur, voici cette tabatière infernale d'où s’élançait un avocat démoniaque en robe noire et en perruque de crin, ouvrant une large bouche, tirant une langue de drap rouge, et qu’il n’y avait pas moyen de faire rentrer dans sa boîte, car il s’en échappait toujours, la nuit surtout, pendant mes rêves.
Tout près encore, se cache la grenouille avec de la poix de cordonnier sous les pattes, qui bondissait inopinément et allait quelquefois éteindre la bougie ou retombait sur votre main, une sale bête à la peau verdâtre tachetée de rouge.
Sur le même rameau se trouve la dame de carton en jupe de soie bleue, qu’on faisait danser devant le flambeau, jolie et gracieuse dame... Mais je n’en saurais dire autant du grand pantin qui se pendait contre la muraille et qu’on mettait en mouvement avec une ficelle... il avait une expression sinistre, un nez atroce et quand il relevait les jambes jusqu’à son cou, il était difficile de rester seul avec lui sans avoir peur.
Ce masque... quand donc me regarda-t-il pour la première fois, ce masque terrible ? Qui le mit sur son visage et pourquoi m’effraya-t-il à ce point que cette impression m'a marqué pour la vie ? Longtemps, rien ne put me distraire de mon émotion; ni les deux tambours qui, au moyen d’une manivelle, faisaient entendre une musique grinçante ; ni un régiment de soldats qui sortaient l’un après l’autre d’une caserne en carton et s’alignaient, roides et muets, sur une pince à zigzags. Le souvenir seul de cette figure, l’idée qu’elle existait quelque part, cela suffisait pour me réveiller la nuit tout en sueur et criant : « Oh ! Mon Dieu ! Il vient... Oh ! Le masque ! »
Mais après les jouets, vinrent les livres. En voilà tout un rayon sur les branches inférieures de mon arbre de Noël. Ces volumes sont minces mais nombreux et avec de jolis cartonnages bleus ou rouges. Avec quel bonheur je te revois, ô Chaperon rouge ! C’était un bon vêtement pour la saison que le manteau en laine écarlate à l’abri duquel je te vis apparaître, un soir de Noël, lorsque tu vins, ton panier au bras, me raconter la perfidie du loup, cet hypocrite dont l’appétit était si féroce... Je dois avouer que la petite fille surnommée le Chaperon rouge a été mon premier amour.
Silence ! Qui est dans cet arbre ? Ce n’est pas Robin des bois, ni Valentin, ni le Nain jaune, ni aucun de ces personnages de mes premiers livres de contes, dont je ne parlerais pas ; c’est un roi d’Orient, un turban au front, un brillant cimeterre au poing. À côté, une cage en cristal garnie de quatre serrures en acier poli, dans laquelle il tient la princesse prisonnière. J’aperçois les quatre clefs à sa ceinture. La princesse fait signe aux deux rois dans l’arbre, et ils descendent sans bruit. C’est le début des Mille et Une nuits.
Ah ! Désormais, les choses les plus communes me devinrent enchantées. Toutes les lampes sont des lampes merveilleuses ; toutes les bagues sont des talismans ; tous les vases de fleurs sont remplis de trésors cachés sous un peu de terre ; tous les arbres protègent Ali Baba dans leur feuillage. Mon cheval à bascule lui-même devrait avoir une cheville à son cou pour s’envoler avec moi, à l’exemple du cheval de bois sur lequel s’envola le prince de Perse devant toute la Cour de son père.
Oui, tous les objets que je reconnais aux rameaux de mon arbre de Noël brillent de cette merveilleuse lumière. Tantôt je distingue sous mon arbre de Noël Robinson Crusoé sur son île déserte, Philip Quarll parmi les singes, Sandford et Merton, avec M. Barlow; tantôt des figures moins familières, qui s’approchent ou reculent dans un vague lointain.
Hélas ! C’est à présent que j’éprouve combien il est triste, le lendemain, de retourner aux prosaïques réalités de la vie quotidienne ! Mon imagination me ramène aux merveilles qui m’ont tant charmé ; je soupire en pensant à la petite fée avec sa longue baguette, et je voudrais partager son immortalité féerique; mais, quoiqu’elle m’apparaisse de nouveau parmi les rameaux de mon arbre de Noël, elle disparaît presque aussitôt, et elle ne consent jamais à demeurer auprès de moi. Reviens, fée de mes plus doux enchantements !
Ah, écoutez la musique des crèches ! Un ange parle à un groupe de bergers, dans un champ ; des voyageurs marchent les yeux levés vers le ciel, suivant une étoile; un nouveau-né a pour berceau la crèche d’une étable. Une figure solennelle, avec un visage d’une beauté et d’une douceur ineffables, aide de la main une jeune fille morte à se relever. La voilà sur le rivage enseignant une multitude. Elle rend la vue aux aveugles, la parole aux muets, le mouvement aux paralytiques, la force aux infirmes, l’intelligence à ceux qui en étaient privés. Enfin, elle est sur une croix, mourante, entourée de soldats armés ; les ténèbres s’épaississent ; la terre tremble ; on n’entend plus qu’une voix grave qui dit : « Pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. »
D’autres souvenirs et d’autres images se multiplient aux plus bas rameaux de l’arbre de Noël : mes livres d’école fermés ; Virgile et Ovide muets ; Térence et Plaute abandonnés sur un théâtre ; des pupitres qui ont été mutilés avec des canifs ; l’ardoise aux calculs avec une démonstration interrompue ; la règle de trois ayant cessé ses impertinentes questions ; les raquettes, les cerceaux, les cordes à sauter laissés là aussi…
Ô arbre qui va t’évanouir, laisse-moi apercevoir encore une fois, à travers tes rameaux, le regard de ceux qui m’aimaient et qui ne sont plus ! Puissè-je sentir encore battre mon cœur d’enfant et entendre cette voix qui dit aux hommes de croire et d’espérer !
D’après Charles Dickens, L’arbre de Noël, extraits.
PHILOSOPHE ET SINOLOGUE ?
Hegel place l’histoire au centre de la réflexion philosophique. Pour lui, Il ne s’agit pas de l’histoire des évènements mais d’une histoire rationnelle qui ordonne cette masse évènementielle selon une logique dialectique, par laquelle il estime pouvoir déchiffrer le devenir de la vérité́.
Ce devenir se traduit par un progrès millénaire de l’Esprit (Geist) construisant une culture à partir d’une conscience au départ quasiment animale, ce qui fait de l’histoire universelle une odyssée de l’Esprit. Cette odyssée a un terme, la fin de l’histoire, que nous avait annoncé Francis Fukuyama en 1989, saisissant l’opportunité évènementielle de la chute du mur de Berlin.
À partir de cette fin de l’histoire, qui signe le triomphe terminal de la Raison, s’éclaire tout ce qui a eu lieu précédemment. Marx s’emparera fortement de cette approche philosophique du cours de l’histoire pour forger ses théories.
C’est alors qu’Hegel se trouve face au problème chinois : où placer cette civilisation dans le processus dialectique millénaire de l’histoire et dans le tableau également dialectique des grandes idées humaines ? Hegel tente d’y répondre dans ses Vorlesungen über die Philosophie der Weltgeschichte (Leçons sur la philosophie de l’histoire). Il pose que la Chine appartient à l’Orient, le lieu du monde où sont nés l’État, l’écriture et où l’histoire universelle s’est mise en marche.
Ces vieilles civilisations ont produit des textes au sein desquels se manifeste une pensée qui n’est pas encore philosophique. Ainsi la pensée chinoise, comme le montrent ses notions cardinales, le Tao et la dualité́ du yin et du yang, est à la fois globale et concrète. En revanche, font défaut deux idées forces sans lesquelles il n’y a pas de réflexion philosophique : la vérité́ et la liberté́. En outre, observe Hegel, les textes canoniques chinois sont, contrairement aux textes philosophiques grecs, dénués de charpente argumentaire ; ils souffrent d’un manque de raisonnement patent, car ils énoncent, soit une sagesse trop simple, terre à terre, faite de truismes comme dans les textes confucéens, soit trop obscure, oraculaire, abstruse comme dans les textes taoïstes.
Hegel en déduit que la pensée chinoise est en deçà̀ de la philosophie, d’où̀ son intérêt intellectuel limité, juste bonne à amuser quelques érudits. En d’autres termes, pour Hegel, la Chine ne pense pas, ce qui la rend inadaptée à contredire la vision hégélienne de l’histoire et de sa fin rationnelle.
La forte autorité philosophique de Hegel en Europe conduisit à séparer complètement les études philosophiques et sinologiques. Une sinologie savante se mit en place au début du 19esiècle dans le sillage du travail des Jésuites, mais resta confidentielle, rattachée à la sociologie (Granet) et ignorée des philosophes de métier.
En d’autres termes, confortablement adossé à la philosophie européenne, on s’interroge encore sur la teneur philosophique de la pensée chinoise. Anne Cheng répond à la question qu’elle a posée, en estimant que le comparatisme en sinologie est une fausse bonne idée s’il aboutit à̀ définir une essence culturelle chinoise qui s’opposerait trait pour trait à une essence européenne. Bien sûr, le sinologue travaille dans la différence, mais il ne cherche pas à̀ construire une théorie générale des différences.
Par rapport à̀ cette sinologie institutionnelle, François Jullien se définit lui-même comme un personnage marginal, en écrivant une œuvre à l’interface de la philosophie et de la sinologie. Dans « De l’Être au Vivre : Lexique euro-chinois de la pensée», on trouve une série de vingt couples de notions opposées relevant pour les premières de la pensée chinoise, pour les secondes de la philosophie européenne.
François Jullien considère qu’il faut lire les textes chinois classiques à la fois de très près et de très loin. De très près, en commençant par s’y plonger, les apprendre, les réciter et les savourer. Puis il faut s’appliquer à̀ les lire de très loin, car on s’enlise facilement dans la pensée chinoise, d’autant que cette pensée possède une teneur esthétique élevée, renforcée par l’écriture idéographique. Dès lors, la familiarité́ devient fascination et le sinologue se sinise.
Pour éviter cet écueil, il s’agit de pratiquer une lecture «problématique » qui s’efforce de dégager l’amont du texte, non seulement sa cohérence mais le fond des questions qui lui donne son orientation. C’est par cette forme d’interrogation problématique que peut se connecter la sinologie et la philosophie, dans la mesure où les deux formes de réflexion, chinoise et européenne, ne peuvent pas dialoguer directement, tant les expressions, les types de discours sont dissemblables.
En effet, on n’imagine guère un échange entre Socrate, dialecticien accompli, et Confucius dont l’une des formules favorites était « Je voudrais ne plus parler». Mais il existe des proximités plus profondes…
Marcel Granet, La Pensée chinoise, Albin Michel, 1999.
Georg W. F. Hegel (traduction J.Vrin), Leçons sur la Philosophie de l’histoire, Librairie philosophique, 1987 (Leçons originales, 1822-1830).
François Jullien, De l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures, Fayard, 2008.
François Jullien, De l’Être au Vivre : Lexique euro-chinois de la pensée, Gallimard, 2015.
À SUIVRE
L'APOCALYPSE MONGOLE SUR L'IRAN
L'invasion mongole de l'Empire khorezmien est une catastrophe pour l’Iran tant les massacres et les destructions perpétrés par la Horde sont profonds, presque inimaginables en trois ans de campagne militaire, entre 1219 à 1221.
Alors qu’il était au sommet de sa puissance, l’empire khorezmien est détruit en moins de trois années. Le Shah, Ala ad-Din Muhammad, était occupé à régler un différend avec Al-Nasir, le calife de Bagdad, lorsque les Mongols apparurent sur sa frontière nord-est.
Le Shah connaissait leur sauvagerie par les rapports de son ambassadeur à Pékin. C’est pourquoi il avait accepté avec réticence le traité de paix proposé par Genghis Khan, mais il se sentait fort, par le nombre d’habitants et par la puissance de son armée, qui était environ trois fois plus nombreuse que l’armée mongole.
Mais Gengis Khan détenait la supériorité des nomades sur les sédentaires, puisqu’il pouvait concentrer ses forces, créer la surprise, générer la peur du fait de sa propre férocité et de celle de ses troupes.
Après de fortes escarmouches, la principale armée mongole dirigée par Genghis Khan, atteignit la ville d’Otrar à l’automne 1219, où avait eu lieu l’arrestation des envoyés mongols.
Après un siège de cinq mois, ces forces réussirent à prendre d'assaut la ville, sauf la citadelle qui résista encore pendant un mois. Inalchuq, le gouverneur de la ville, se battit jusqu’au bout, finissant par grimper au sommet de la citadelle pour jeter des tuiles sur les Mongols qui le cernaient. Genghis Khan fit tuer de nombreux habitants, réduisit les survivants en esclavage et fit exécuter Inalchuq.
Il envoya ensuite Jebe, l’un de ses meilleurs généraux vers le Sud, avec une petite armée destinée à empêcher toute retraite au Shah. Puis Genghis Khan et son fils Tolui, à la tête d’une armée d’environ 50 000 hommes, évitant Samarcande où se trouvait le Shah à la tête d’une forte troupe, allèrent assiéger Boukhara. Pour ce faire, ils traversèrent le désert du Kyzylkoum jugé infranchissable, en progressant d'une oasis à l'autre, grâce à des nomades capturés qui leur servaient de guides et arrivèrent pratiquement inaperçus aux portes de Boukhara.
La ville de Boukhara n’était pas lourdement fortifiée. Après une tentative de sortie catastrophique, le gouverneur décida d’ouvrir les portes de la cité aux Mongols, tandis que la garnison turque résistait encore dans la citadelle pendant douze jours. Une fois la ville totalement entre ses mains, Genghis Khan fit exécuter les survivants de la citadelle, envoyer les artisans en Mongolie, enrôler dans l'armée les hommes qui n’avaient pas combattu et réduisit en esclavage le reste de la population.
Après la chute de Boukhara, Genghis Khan se retourna vers Samarcande où il arriva en mars 1220. La ville possédait d’importantes fortifications et était défendue par 100 000 hommes. Genghis Khan rassembla ses troupes avec celles en provenance d’Otrar commandées par deux de ses fils, Djaghataï et Ögödei, puis ils attaquèrent en utilisant les prisonniers civils comme boucliers humains. Comme à Boukhara, la garnison de Samarcande lança des contre-attaques qui échouèrent à trois reprises. La garnison finit par se rendre, sauf 2 000 soldats qui s'enfermèrent dans la citadelle et le Shah qui parvint à s’enfuir avec quelques fidèles. Genghis Khan revint alors sur ses engagements relatifs à la capitulation et fit exécuter tous les soldats. Puis il fit évacuer les habitants de Samarcande pour les rassembler dans une plaine où il les fit tous décapiter. Il acheva son œuvre (sic) en faisant également tuer tous les animaux.
Genghis Khan chargea alors Subutai et Jebe de traquer le Shah, qui parvint à leur échapper, entouré de son fils, Jalal al-Din, et de ses plus fidèles soldats en se réfugiant sur une petite ile située dans la mer Caspienne, non loin d'Abaskun où il mourut en décembre 1220, victime d’une pneumonie.
Il restait la riche ville commerciale d'Ourguentch qui était encore entre les mains des forces iraniennes. Si la mère du Shah, qui commandait la ville, fut capturée, l’un des généraux du Shah reprit le flambeau en se proclamant Sultan d’Ourguentch. La ville fut alors attaquée à la fois depuis le nord par Djötchi et le sud par Genghis Khan, Djaghataï et Ögödei. Cet assaut fut le plus difficile que livrèrent les Mongols, les Iraniens résistant maison par maison et occasionnant de lourdes pertes chez les assaillants.
Le siège d’Ourguentch provoqua aussi une fracture profonde entre le fils ainé de Gengis Khan, Djötchi, d’une part, son père* et ses autres frères d’autre part. Djötchi était destiné à recevoir la ville comme récompense de sa bravoure et il voulait négocier avec les défenseurs afin de la récupérer plus ou moins intacte. Ses frères s’opposèrent à la négociation et son père trancha en faveur de ses autres enfants, dont Ogodeï, à qui il confia le commandement. La ville que Djötchi voulait préserver fut réduite en cendres, les artisans envoyés en Mongolie, les enfants et les jeunes femmes donnés aux soldats mongols comme esclaves et le reste de la population massacré. Djuwani, un témoin de l’époque, affirme que 50 000 soldats mongols avaient reçu mission d’exécuter chacun vingt-quatre citoyens d'Ourguentch, mais les soldats ne purent sans doute pas remplir leurs quotas, faute d’habitants en nombre suffisant.
Après Ourguentch, Genghis Khan donna le commandement d'une armée à Tolui, son plus jeune fils légitime, pour attaquer la province du Khorassan, dans la partie ouest de l'Empire khorezmien.
Les villes de Termez et Balkh tombèrent, mais la grande ville de Merv résista, quoique submergée par les réfugiés venus de l’Est. Au bout de huit jours, le gouverneur de la ville se rendit, sur la promesse de Tolui que la vie des citoyens serait épargnée, mais dès qu'il fut le maitre de la ville, Tolui organisa encore un massacre qui rivalisa avec celui d'Ourgentch.
Après la prise de Merv, Tolui se dirigea vers l’Ouest pour attaquer les villes de Nishapur et Herat. La première tomba après trois jours, mais Tokuchar, le gendre de Genghis Khan, fut tué durant la bataille, prétexte que Tolui utilisa pour massacrer tous les habitants de la ville. Du coup Herat se rendit sans combattre, contrairement à la ville de Bamian qui ne se rendit qu'après une résistance farouche, entrainant la mort du petit-fils de Genghis Khan. On imagine quel fut le sort de ses habitants. Enfin, les villes de Toos et Mashad furent prises, ce qui assura aux Mongols le contrôle complet de la province de Khorassan durant le printemps 1221.
En ce printemps 1221 en effet, toute résistance organisée avait cessé, ou presque. L’Iran était à terre, ses villes détruites, ses habitants massacrés. Une profonde terreur régnait chez les survivants.
Allait venir le temps de la résistance.
* Les Mongols savent que la paternité de Djötchi est douteuse, car sa mère, Börte, l’amour de Genghis Khan, a été violée et a donné naissance à Djötchi neuf mois plus tard. Genghis Khan l’a néanmoins reconnu au même titre que les autres fils qu’il a eus avec Börte, alors qu’il n’a reconnu aucun des enfants qu'il a eus avec les cinq cent femmes qu’on lui attribue.
À SUIVRE
LA CAPITULATION DE MONTRÉAL
Vaudreuil avait maintenant à prendre une cruelle décision. Soit donner le champ libre à Lévis, ce qui sauverait l’honneur de l’armée et plairait à Louis XV mais au prix du massacre de ce qui restait des troupes régulières, de la destruction de Montréal et de souffrances supplémentaires d'un peuple canadien abandonné à la merci de l’ennemi. Or ce dernier avait prouvé, en Irlande, en Écosse et en Acadie, à quel point il pouvait être impitoyable. En somme, la cruauté des Anglais faisait peur.
Faisant montre à la fois de sens commun et de force de caractère, Vaudreuil se décida à rejeter la demande de Lévis et à lui ordonner de se soumettre aux conditions d’Amherst. C’est alors que, dans un dernier geste de défi, avant que ses troupes ne déposassent leurs armes sur le Champ de Mars, Lévis donna l’ordre de brûler les drapeaux des régiments et refusa de rencontrer l’État-major britannique.
Ce même jour, le 8 septembre 1760, les Britanniques entraient à Montréal, mettant fin à la Nouvelle-France au Canada…
À SUIVRE
LA CHINE PENSE-T-ELLE ?
Je n’ai pas une grande tendresse pour la société chinoise, mais enfin elle existe, et depuis longtemps. C’est pourquoi il faut s’intéresser à la question provocante que posa Anne Cheng, dans sa leçon inaugurale au Collège de France en 2009 : « La Chine pense-t-elle ? ».
La question posée par Anne Cheng concerne la Chine dans sa tradition intellectuelle, ce que François Jullien appelle « la Chine lettrée », qui apparait vers le milieu du premier millénaire avant JC., avec Confucius.
Après lui, apparaissent une profusion de doctrines, Les cent écoles de pensée (諸子百家), si bien que Confucius se pose comme l’opérateur d’une révolution culturelle qui ouvre une période de formulation des grandes conceptions de la pensée chinoise. Cette révolution culturelle se produit, ce n’est pas un hasard, dans une situation politiquement troublée, violente, instable, jusqu’à ce qu’au troisième siècle avant JC., la fondation de l’empire ne réinstaure un ordre rigoureux dans le monde chinois, un ordre politique, moral et intellectuel assuré par une bureaucratie composée de lettrés, les mandarins.
Du côté européen, dès que l’on prend connaissance de la pensée chinoise par le truchement des missionnaires, on fait un parallèle historique entre la naissance de la philosophie européenne en Grèce dans une période également troublée et en Chine à peu près en même temps, alors que les deux sociétés s’ignoraient mutuellement à cette époque: peut-on considérer que Confucius est une sorte de Socrate chinois ?
Cette Chine lettrée utilise pour le support de sa pensée, non pas des signifiants phoniques au moyens de caractères écrits comme en Grèce puis en Europe, mais directement des signifiés au moyen d’idéogrammes. Par exemple 人 désigne l’homme en tant que genre, désigné par le mot anthropos en grec ou homo en latin. Le résultat est qu’en Chine, on parle des langues différentes mais que l’on utilise partout la même écriture, stable depuis l’Antiquité́. Celui qui sait lire, qu’il soit chinois, coréen ou japonais, a directement accès aux textes antiques.
À contrario, la philosophie européenne apparait comme un voyage à travers des langues sans cesse traduites. Cette philosophie parle tout d’abord grec, puis est traduite en latin, avant de s’écrire en langues nationales, en français, en allemand, en anglais et dans toutes les autres langues. Aussi, en Europe, après le moment grec fondateur, le philosophe est toujours un traducteur, contrairement au lettré chinois.
La Chine lettrée pense-t-elle ? En tout cas elle écrit, et ses textes arrivent en Europe à partir du 17e siècle. On découvre les textes canoniques de la pensée chinoise, comme Les Entretiens de Confucius, livre sur l’enseignement du maitre et le livre fondateur de l’autre grande école dite du Tao, d’un auteur qui aurait été́, parait-il, le contemporain de Confucius, Lao-Tseu. Il s’y ajoute un texte plus ancien que les deux précédents, Le Livre des Mutations de Yi Jing.
Au fur et à mesure que se révèle la culture de la Chine, se renforce la conviction d’une étonnante altérité́ de cette culture. Leibniz en fait l’observation lorsqu’il note que, si toutes les réalisations culturelles européennes ont en Chine leur équivalent, chacune d'entre elles prend une forme complètement différente.
La Chine, par son étrangeté́, devient alors un objet privilégié́ pour la réflexion européenne. Les Européens de l’Age classique savent qu’en dehors de la leur, il y a eu et il y a encore d’autres grandes civilisations, égyptienne, perse, arabe, indienne. Mais aucune d’elles ne manifeste la même altérité́ que la civilisation chinoise. En chacune, on peut trouver des points de ressemblance ou de jonction. Par exemple, les Arabes sont monothéistes, comme les Chrétiens. Avec l’Inde, on va découvrir de profondes parentés intellectuelles à commencer par les structures des langues : le sanscrit, l’indo-européen et par la suite des proximités dans les représentations de base (cf. Dumézil).
On ne s’étonnera donc pas que le problème de savoir si la Chine lettrée pense, finisse par être directement posé au niveau philosophique. Hegel s’en charge au début du 19e siècle. Avant lui, les penseurs européens comme Montaigne, Pascal, Leibniz, Voltaire, Montesquieu ou Goethe, avaient fait des observations sur la Chine, mais Hegel va plus loin.
À SUIVRE
ENSEIGNER AUX CHINOIS
Les cours à Pékin au NMTC étaient classiques dans leur forme. Ils l’étaient moins dans leur contenu.
Nos étudiants chinois étaient, selon mes souvenirs, au nombre de trente-six, assez jeunes, des cadres d’entreprises publiques, surtout des hommes. Ils comprenaient assez imparfaitement l’anglais. À l’instar de mes collègues, je donnais trois séances de cours de trois heures chacune par semaine sur les Statistiques pour l’entreprise. Les étudiants étaient attentifs, pas très agréables au sens où ils notaient avec attention tout ce qui leur semblait dysfonctionnel et venaient en parler en délégation, au sens aussi où il était difficile de nouer des contacts personnels avec eux et qu’entre eux régnait un fort parfum de compétition.
Durant cet enseignement, un incident m’a marqué, au point que je m’en souviens encore parmi d’autres que j’ai oublié.
Je traitais des échantillonnages de données destinées à obtenir des informations pour une décision commerciale. Après les données théoriques (le lien entre la moyenne et la variance de l’échantillon et ceux de la population toute entière) j’avais pris l’exemple simple d’un échantillon de cinq cent personnes interrogées à Pékin pour leur demander leur opinion sur un produit. Le résultat était composé de deux chiffres issus de l'échantillon, la moyenne et la variance des opinions favorables au produit.
Je m’apprêtais à faire le lien entre ce résultat et ce que l’on pouvait en conclure pour la population dans son ensemple, quand un étudiant est intervenu, bientôt suivi par l’ensemble de la classe. Il contestait le résultat obtenu dans l’échantillon, qui était, si je me souviens bien, de 45% plus ou moins 3% d’opinions favorables. Pour lui, cette incertitude (cet écart-type d’échantillon) n’avait aucun sens. Ce qui lui fallait, c’était le chiffre exact des opinions favorables au produit.
Je crus facile de lui rétorquer que, s’il voulait connaitre la valeur exacte des opinions favorables au produit, il lui faudrait interroger tous les habitants de Pékin, pour savoir vraiment l’opinion de la ville ou bien tous les Chinois, un milliard deux cent millions à l’époque, pour connaitre celle du pays. Absurde évidemment, en raison du coût exorbitant de ce questionnement, à supposer qu’il soit possible de le réaliser en pratique, absurde aussi parce qu’il niait les principes mêmes des statistiques que j’étais chargées d’enseigner, dont la caractéristique centrale est justement de faire le lien entre l’échantillon et la population dont il était issu.
Mon argumentaire tomba à plat. Au contraire, mes étudiants faisaient front, se drapant soudainement derrière le drapeau de Lao-Tseu, invoquant la prééminence, quasiment le caractère sacré de la notion de précision, fondatrice de celle d’exactitude et finalement de vérité.
Je m’épuisais encore quelque temps à guerroyer dans les marécages de la rentabilité, invoquant piteusement la nécessité de petits échantillons pour connaitre la vérité approximative qui suffisait à la misérable entreprise qui cherchait tout bonnement à vendre, en s’informant petitement sur son environnement.
Face à ces arguments sordidement défensifs, mes étudiants chinois me regardaient, l’œil triomphant, collectivement retranchés dans la forteresse de la précision, qui apportait l’exactitude indispensable à l’émergence du joyau de la vérité.
Je n’avais plus que le choix entre la capitulation et la tyrannie. Acculé, je choisis la seconde et je dégainais lâchement l'arme de Confucius: je leur rappelais que j’étais le professeur, et que par définition, je détenais la vérité. Le résultat donné par l’échantillon était donc le bon.
Le silence se fit.
Là-dessus, je passais au sujet suivant.
Jamais dans un cours, je n’avais été pris à la gorge avec une telle violence symbolique et jamais je n’avais dû faire appel à mes ultimes arguments. Mes étudiants chinois avaient failli m’avoir.
Je ne l’oublierai pas.
À SUIVRE