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Le blog d'André Boyer

LES PROGRÈS DE LA MARINE ROYALE ET DE LA COLONISATION

25 Juillet 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

LE SOLEIL ROYAL CONTRE LE ROYAL GEORGE, 1759

LE SOLEIL ROYAL CONTRE LE ROYAL GEORGE, 1759

Pendant la première moitié du XVIIIesiècle, la Marine Royale perfectionne et uniformise ses techniques de construction de navires de guerre. 

 

Maurepas, avec l’aide de Duhamel du Monceau, a substitué à la formation théorique, ponctuelle et locale donnée dans les arsenaux, un enseignement institutionnalisé et uniforme au sein d’une école implantée à Paris. Sous son impulsion, réalisant le rêve de Colbert, la marine de guerre va progressivement éliminer les vieux modèles et entrer dans l’uniformisation des séries de vaisseaux.

Forts de leurs nouvelles expertises, les ingénieurs cherchent à̀ augmenter la manœuvrabilité́ et la puissance de feu des navires, ce qui les oblige à̀ se détourner des trois-ponts trop peu manœuvrants et hors de prix. Grâce à un nouveau mode de construction, les ingénieurs augmentent la longueur des vaisseaux et donc le nombre des sabords, donnant naissance à une nouvelle catégorie de vaisseaux à deux ponts plus puissants. 

Après quelques essais, tous les petits vaisseaux, dits de troisième rang, construits avant la guerre de Succession d’Autriche vont être percés à 13 sabords avec un calibre de 24 sur la batterie principale. Puis les expérimentations se portent sur les vaisseaux plus grands, pour donner les deux types de navires les plus représentatifs de la deuxième moitié du XVIIIesiècle : le 74 et le 80 canons, avec des calibres de 36 sur la batterie principale. 

Les expérimentations et perfectionnements touchent aussi les petits modèles, comme les frégates. Au Levant (en Méditerranée), on invente des frégates mixtes, dont la batterie couverte possède une alternance de sabords pour les canons et d’ouvertures pour les avirons, qui permettent de compenser les effets des calmes méditerranéens comme de faciliter l’approche des côtes. Au Ponant (en Atlantique), les innovations sont multiples, donnant lieu à huit modèles de frégates qui voient le jour à Brest, Rochefort, Bayonne et au Havre, desquels se dégagent deux modèles,  les frégates de 8 livres et de 12 livres, percées à 13 sabords, qui atteignent 25 unités en 1744, début de la Guerre de Succession d’Autriche.

Les nouveaux vaisseaux français sont aussi en mesure de dominer les trois ponts anglais qui ont une ligne de flottaison trop basse sur l'eau, ce qui les empêche d'utiliser leur batterie basse, la plus puissante, par gros temps. Toutes ces innovations donnent une avance technique spectaculaire aux navires de guerre français, si bien qu’un nouveau deux-ponts français de 74 canons peut aisément tenir tête à un trois-ponts anglais de 90 canons, encore que peu de nouveaux navires soient construits pendant les années qui précédent la guerre de Succession d'Autriche (1741-1748). 

En outre, les arsenaux sont réorganisés. L’arsenal de Rochefort reçoit de grands hangars pour conserver les bois de construction à l’abri des intempéries. À Brest, de 1738 à 1746, trois cales de construction sont aménagées, tandis que sont construites des forges, le grand magasin aux fers, la menuiserie, le magasin général ou la corderie. À Lorient, on installe une étuve pour courber les bordages. 

Le mouvement scientifique qui souffle sur la Marine trouve son aboutissement avec la création de l’Académie de marine à Brest, le 30 juillet 1752, où tous les sujets sont abordés, la construction, l’architecture navale, la santé des équipages, l’hydraulique, l’hydrographie, l’astronomie nautique, la géographie, la physique, les mathématiques pures et appliquées, les manœuvres, l’arrimage des vaisseaux et l’amélioration de l’artillerie. 

Cette modernisation assez discrète s’effectue dans un contexte de forte croissance coloniale à partir des années 1720, avec une Compagnie des Indes qui exerce au départ un monopole vers les « Isles » des Antilles et l'océan Indien avant de se recentrer sur le trafic avec les Indes orientales, axé sur les cotonnades, la porcelaine ou le thé, tous produits de luxe de l’époque. 

La Compagnie des Indes n'est pas vraiment une affaire privée puisqu'elle est sous la férule du Contrôleur général des finances et que ses plus gros actionnaires sont le Roi Louis XV et la noblesse de Cour. Mais elle a aussi beaucoup de succès auprès de la noblesse de robe ou d'épée, les banquiers parisiens, les grands négociants et dans les milieux les plus divers, puisque  Voltaire est également un des actionnaires de la Compagnie. 

La Compagnie française des Indes se hausse rapidement au niveau de la Compagnie anglaise, sans atteindre le niveau de la Compagnie hollandaise. Elle parvient à distribuer d’énormes dividendes à ses actionnaires, 41 millions de livres en 1731, soit trois fois le budget de la Marine Royale. En Inde, les succès militaires des troupes de la Compagnie des Indes permettent au Roi de France, sans l'avoir vraiment cherché, de se trouver progressivement en position de force, alors que, par comparaison, les affaires de l'East India Company stagnent. 

À l’ouest, la construction de la place de Louisbourg sur l’ile de Cap-Breton destinée à compenser la perte d’Annapolis (prés de Washington) représente un cout gigantesque pour la marine, mais lui permet de contrôler l'estuaire du Saint-Laurent et de protéger l'accès au Canada en abritant une forte escadre. En termes de temps, Louisbourg se trouve à mi-distance de la métropole et de la Nouvelle-France et est le dernier port libre des glaces en toute saison : il enregistre le passage de cinq cents navires par an. 

L'exceptionnelle croissance maritime de la France durant la moitié du XVIIIesiècle n’est pas vraiment perçue par l’opinion française, mais elle frappe les observateurs étrangers comme le roi de Prusse, qui note en 1746 que celle-ci est « l'objet de la jalousie des Anglais et des Néerlandais». 

 

Née de la période de paix du début du XVIIIesiècle, l’expansion coloniale apporte une forte expansion à la France avant de devenir un facteur de guerre, du fait de l'hostilité croissante de l'Angleterre. 

 

À SUIVRE 

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LA LUMIÈRE DE CHENGDU

18 Juillet 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

LA LUMIÈRE DE CHENGDU

Mon riche séjour à Chengdu ne s’est pas achevé avec ma visite de la vieille ville et de ses ouvriers. Le lendemain, j’avais encore à honorer une invitation intéressante. 

 

On se souvient peut-être que le Maire de la ville de Chengdu m’avait demandé de donner une conférence. Je la donnais donc, le troisième et dernier jour de mon séjour à Chengdu. 

Ce fut une conférence dans laquelle j’énonçais sciemment des propositions incohérentes, l’interprète traduisant imperturbablement sans rien comprendre, le public applaudissant ma prestation avec chaleur et me posant des questions qui n’avaient rien à voir avec ma prestation et auxquelles je répondis n’importe quoi sans hésitation.  

Cela me confirma dans l’idée que la relation professeur étudiant devait se faire sans la barrière d’un interprète. Cela peut paraître patent, mais à l’époque on m’objectait que, compte tenu du faible niveau en anglais (ne parlons même pas du français !), il fallait se résigner à donner des cours de gestion avec l’aide d’un interprète et les Canadiens de York University mettaient cette détestable méthode d’enseignement en application avec un zèle borné. 

Mon expérience par l’absurde me confortait dans ma détermination de monter un programme de formation à la gestion en français, pour des étudiants chinois francophones, même si cela avait un coût très élevé, puisqu’un an de formation préalable à la langue française serait nécessaire. 

Pourquoi en français et pas en anglais ? J'avais une raison externe, parce que je n'avais pas pour objectif de former des étudiants pour les mettre à la disposition des entreprises américaines. Nous n’en étions pas encore à la mondialisation triomphante qui exigeait que chacun parlât anglais, quelle que soit la nationalité d’origine de l’entreprise. J'avais aussi une raison interne, qui venait de ce qu’en France, nous ne disposions pas encore d’une majorité de professeurs en Sciences de Gestion anglophones. Pour avoir la possibilité de choisir nos enseignants, il valait donc mieux donner nos cours en français. 

Ainsi, après Chengdu, se précisait ma doctrine relative à l’organisation de la formation à la gestion que je souhaitais développer en Chine, avec pour objectif central d'aider les entreprises françaises à s’installer en Chine. 

Encore fallait-il comprendre ce qu’est la Chine, comment elle pense*, afin de prévoir comment les étudiants chinois allaient se comporter à l’égard de notre formation et des entreprises françaises par la suite; afin aussi de mettre nos professeurs en garde contre leur angélisme naturel, qu'il ne convenait pas d'appliquer aux étudiants chinois. 

C’est entendu, la pensée chinoise est complexe et même impénétrable pour ceux qui ignorent tout de la vie, de la société, de la culture et de la philosophie chinoise. Il est facile de postuler, comme Hegel, qu’elle n’existe pas, afin d’agir face aux Chinois comme s’ils étaient des personnes décérébrées par la mondialisation. 

Il est assurément plus pénible d’observer et d’écouter les Chinois, afin d’essayer de les comprendre, mais c’est un préalable nettement plus réaliste si l’on veut coopérer ou lutter avec eux. Or, après la nuit de Chengdu, je ne pouvais plus ignorer ce que les Chinois m’avaient crié, avec une rageuse ingénuité : nous sommes le centre du Monde, nous devrions être les plus forts et si nous ne le sommes pas, c’est parce qu’une erreur s’est glissée dans la mécanique du Monde. Et vous, qui venez chez nous avec votre argent et votre orgueil, vous n’êtes rien, si ce n’est de grossiers primitifs. 

 

À moins d’être fou, il faudrait tenir compte de ce cri, pour les former, pour les encadrer et, bien entendu, pour les affronter. 

 

*Ci-joint la série de sept billets intitulés « La Chine pense ».

À SUIVRE

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IL N'Y A PAS DE JUSTICE MAIS IL Y A DES LIMITES*

14 Juillet 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

IL N'Y A PAS DE JUSTICE MAIS IL Y A DES LIMITES*

J’ai lu récemment un compte rendu d’audience du Tribunal Correctionnel de Nice. Les faits étaient sordides, comme prévu, mais la sentence m’a tellement surpris que j’ai décidé d’écrire ce billet et de vous livrer mes interrogations.

 

« Gérer ses annonces sur Internet, conduire la prostituée aux rendez vous avec les clients, répondre au téléphone, réserver les hôtels et, accessoirement, empocher l’argent : trois personnes viennent d’être condamnées pour proxénétisme aggravé par le Tribunal Correctionnel de Nice » 

Ces personnes ont, dit le journaliste, entre 21 et 25 ans. Il ne donne ni leurs noms, ni leurs prénoms, ni aucun détail qui permette de les identifier, juste leurs initiales. Tant mieux pour elles, mais c’est un traitement de faveur. À noter que ces trois personnes sont composées d’un couple, 24 et 25 ans, qui s’est présenté à l’audience. La troisième personne, 21 ans, ne s’est pas présentée et le lecteur ne sait pas pourquoi.

« Entre novembre 2018 et juin 2019, ils avaient profité de la fragilité d’une mineure. C’est la prostituée qui a alerté la police ». Sinon, les proxénètes auraient continué…

On apprend que non seulement ces trois personnes, mais « quelques autres » (lesquelles ? quel rapport avec les trois précédentes ? pourquoi ne sont-elles pas inculpées ?) « se servaient sur l’argent gagné par la jeune escort-girl ». Jeune en effet, elle l’était, puisqu’elle était mineure. Le journaliste n’hésite pas à donner les tarifs : « 150 euros de l’heure, 400 euros la nuit ». Pour elle, la victime, il n’hésite pas à donner le prénom qu’elle utilisait, même si on peut la reconnaître au travers de ce dernier. Il est plus prévenant pour les proxénètes, mais on apprend tout de même que la femme accusée a monté une société de nettoyage et que l’homme est employé chez Lidl. On apprend aussi que le couple a essayé de nier, mais que l’accumulation des preuves « témoignages, SMS, dépôts d’argent » les accablaient tellement qu’ils ont dû reconnaître les faits devant le tribunal. 

Finalement, le procureur de la République requiert contre les prévenus pour proxénétisme aggravé, ayant profité d’une jeune femme « extrêmement vulnérable » et mineure, on ne sait quelle peine. 

Le Code Pénal est sévère dans ce cas, puisque s’il prévoit une peine jusqu’à sept ans de prison et 150000 euros d’amende pour le délit de proxénétisme « simple », mais lorsque la victime est un mineur, qu’il s’agit d’une personne vulnérable, et c’est doublement le cas ici, le proxénète peut être puni de 10 ans de prison avec période de sûreté et 1 500 000 euros d’amende. En outre, lorsque le proxénétisme est commis en bande organisée, il est passible d’une peine de 20 ans de réclusion criminelle et 3000000 euros d’amende. Curieusement, cette charge n’a pas été retenue contre les accusés dans cette affaire, alors qu’ils étaient trois, bien organisés, et que d’autres personnes ont profité des revenus issus de la prostitution. Mais je dois me tromper sur la notion de « bande organisée »…

À mon étonnement, la femme a été condamnée à trois mois ferme, c’est-à-dire aucune peine de prison et à douze mois avec sursis. L’homme a été condamné à six mois ferme, en clair aucune peine de prison non plus et douze mois avec sursis. Même le prévenu absent a échappé à la prison ferme, alors que, non seulement il était absent mais il avait été déjà condamné auparavant pour d’autres faits, avec un an de prison et un an avec sursis. Pas d’amende, pour personne. 

 

J’aimerais bien comprendre ce genre de décision de justice. J’aimerais que le juge explique pourquoi il fait preuve d’autant de clémence. Peut-être l’a t’il fait, au Tribunal, mais le journaliste ne le dit pas. Peut-être manque t-il des éléments d’information dans l’article qui explique sa décision. Peut-être, mais je me demande, à la lecture de l’article, quel message le juge et le journaliste veulent faire passer ? Est ce que ce type de décision est de nature à dissuader les futurs proxénètes qui veulent utiliser la faiblesse de leurs victimes pour les contraindre à la prostitution ? Je croyais que c’est un des buts de la justice pénale, de dissuader les candidats aux crimes et délits, mais je dois me tromper. 

 

Si vous avez une explication à ce type de jugement, je vous serais reconnaissant de me l’adresser. 

 

* Albert Camus, l’Homme Révolté, L’État de Siège, 1948. 

 

PROCHAIN BILLET: LA LUMIÈRE DE CHENGDU

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LE RENOUVEAU DE LA MARINE ROYALE

12 Juillet 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

Jean-Frédéric Phélypeaux de MAUREPAS

Jean-Frédéric Phélypeaux de MAUREPAS

Énorme bourde stratégique que d’aider les Treize Colonies à devenir indépendantes du Royaume-Uni, en échange de…Rien. L’énorme effort militaire consenti par la France à cet effet aurait dû être employé au profit du Royaume, plutôt que pour des chimères.  

 

Pour expliquer la décision française de soutien aux Treize Colonies, il nous faut revenir à la question centrale des Marines française et anglaise comparées, qui explique toutes les décisions militaires prises par les deux belligérants. 

Réduite à peu de chose en 1715, la Marine Royale se reconstruit lentement dans les années 1720-1740 et se montre même très innovante pour tenter de compenser la supériorité de la Royal Navy issue des dernières guerres louis-quatorziennes. 

Louis XV, qui reprend la politique de paix avec l’Angleterre héritée de la période de la Régence, n’accorde pas à sa flotte la totalité des crédits que lui demandent ses ministres, ce qui fait plafonner le nombre de vaisseaux, maintient un déficit en frégates et limite souvent à peu de chose l’entraînement à la mer.

Si la guerre de Succession d'Autriche (1744-1748) n’est pas déshonorante pour la marine française qui réussit presque à faire match nul avec la Navy, celle de la guerre de Sept Ans (1756-1763) est absolument catastrophique, se soldant par des défaites humiliantes et la perte du premier empire colonial français.

Louis XVI, passionné de questions navales et d’explorations, entreprend alors, avec l’aide de ses ministres, de développer et de réorganiser sa marine. Celle-ci, par la qualité de ses bâtiments et leur puissance de feu, retrouve le niveau de ce qu’elle était sous Louis XIV et offre à la France l’occasion d’une « revanche » contre l’Angleterre lors de la guerre d’Amérique (1776-1783). C’est alors que, pour la première fois dans l’histoire du pays, le budget de la Marine dépasse celui de l’armée de Terre (1782) et le système de ports-arsenaux développé depuis le XVIIsiècle trouve son aboutissement avec le lancement des travaux de Cherbourg en 1784. 

Même si le pays reste indifférent aux questions navales et coloniales au XVIIIecomme au XVIIsiècle, il connait une maritimisation de son économie avec le succès du trafic vers les Islesà sucre des Antilles et celui de la Compagnie des Indes vers l’Asie. Cette évolution oblige la Marine royale à intervenir sur des théâtres d’opération de plus en plus lointains. Cependant, cette puissance nouvelle reste fragile, car le nombre de marins ne dépasse pas cinquante mille. En outre, le pays est ouvert sur deux façades maritimes, Méditerranée et Atlantique, ce qui constitue un handicap pour la marine royale lorsqu’elle veut regrouper ses forces.  Néanmoins, en 1789, grâce au colossal effort naval issu de la guerre d’Amérique, la France possèdera la seule marine de guerre capable d’affronter la Royal Navy.

Auparavant, durant la Régence (1715-1726) et sous la minorité de Louis XV, le jeune roi, sans jamais avoir vu la mer, est étranger aux questions navales. En outre, après la guerre de Succession d'Espagne, si le Royaume de France et le Royaume Uni ont fait le choix de la paix, tandis que Londres maintient un effort naval important pour conserver l'avance acquise lors du conflit précédent, le budget de la Marine Royale  reste à un bas niveau : en 1720, sur un budget de l'État annuel de 200 millions de livres, le ministère de la Guerre en consomme un tiers et la marine 5%. Beaucoup de vaisseaux pourrissent à quai. En 1720, les ateliers et magasins de Brest, Toulon et Rochefort sont presque à l'abandon. Il faut jongler avec les crédits pour assurer quelques lancements ou construire la coûteuse forteresse de Louisbourg.

En 1721, l'effectif global de cette flotte est de trente et un navires. Du fait de la chute des constructions, l’âge moyen des vaisseaux est passé de 12 ans en 1702 à 24 ans en 1720. Le corps des officiers, au nombre de mille deux cent,  est issu des guerres de Louis XIV, et il est heureusement maintenu en fonction par le Ministère de la Marine. Mais il manque d’entrainement faute de crédits, alors que la Royal Navy maintient une forte présence à la mer. Cette situation va perdurer jusqu’à l’avènement de Louis XVI.

Mais la marine a cependant la chance de disposer d'un  excellent ministre, Jean Frédéric Phélypeaux de Maurepas, nommé à l'âge de 22 ans « alors qu'il ne savait même pas de quelle couleur était la mer ».  Maurepas recrute Duhamel du Monceau, membre de l’Académie des sciences, qu’il nomme inspecteur des constructions en 1732 puis inspecteur général de la marine en 1739. 

Duhamel du Monceau multiplie les déplacements et les observations, notamment en Angleterre. Il renseigne Maurepas sur les aspects essentiels au développement des forces navales, qualité des approvisionnements, valeur des rades, amélioration des techniques de production, formation des constructeurs de marine. 

Maurepas y ajoute l’espionnage. Il envoie Blaise Geslain, un jeune constructeur, en Angleterre en 1729 pour s’instruire « des principes que les Anglais suivent pour la coupe de leurs vaisseaux». Il lui demande expressément de se procurer des tableaux, des mémoires et tous les documents nécessaires pour se faire une idée des proportions et des rangs de chaque type de navire de la flotte britannique. Il doit s’efforcer de dresser des plans où « il distinguera par des lignes de différentes couleurs les changements qu’il y aura entre les gabarits anglais et ceux de France, avec les observations particulières des principes sur lesquels elles sont fondées».

En 1737, c’est le constructeur Blaise Ollivier qui est envoyé aux Provinces-Unies et en Angleterre pour « y prendre des principes plus certains que ceux que l’on suivait en France». Blaise Ollivier a déjà fait preuve de ses excellentes capacités en rédigeant en 1727, à bord du vaisseau l’Achille un mémoire sur la construction navale dans lequel il aborde les qualités et les défauts des vaisseaux français et en suggérant des solutions pour les améliorer. 

Son séjour de six semaines aux Provinces-Unies et de trois mois en Angleterre lui permet de rédiger des « mémoires sur la marine des Anglais et des Néerlandais». Il y énumère et classe tous les vaisseaux de la flotte anglaise, y décrit tous les grands arsenaux et leurs caractéristiques comparées aux infrastructures françaises. Il y analyse aussi les principes et les méthodes de construction de ces deux nations maritimes. En 1739, Blaise Geslain retournera encore aux Provinces-Unies sous un faux nom pour le même motif d’espionnage.

Les conséquences de cette politique de renseignement et d’éducation donne des résultats presque immédiats. Blaise Ollivier adapte à ses vaisseaux certaines pratiques observées. Devant les résultats positifs obtenus à Brest, Maurepas ordonne le séjour systématique auprès d’Ollivier des constructeurs des autres ports « afin de s’instruire à fond de leur art ». Ils retournent ensuite dans leur arsenal d’origine, où ils sont tenus d’appliquer leur nouveau savoir.

 

Ce rôle éducatif d’Ollivier est déterminant dans l’uniformisation des méthodes de construction navales dans les arsenaux français.

 

À SUIVRE 

PROCHAIN ARTICLE : LES LECONS DE CHENGDU

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CHOC CULTUREL À CHENGDU

3 Juillet 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

CHOC CULTUREL À CHENGDU

La suite de mon séjour à Chengdu me permit de rencontrer des ouvriers chinois dans des circonstances particulières.

 

Mon après-midi fut studieux. Je rencontrais les étudiants en Taôisme, qui me semblèrent plus désireux d’aller passer une année à Paris que d’apprendre en France les fondements de la philosophie chinoise, ce qui ne m’a pas étonné. De retour à Pékin, je donnais donc un avis négatif pour leurs bourses d’études. Je rencontrais ensuite le Président de l’Université mais aussi ce haut personnage qu’était le Maire de la ville de Chengdu. Ce dernier, à ma surprise amusée, me demanda de bien vouloir donner une conférence le lendemain sur un sujet qu’il avait choisi lui-même, sans me demander mon avis. 

Je ne me souviens plus de ce sujet qui concernait l’économie, mais je sais que je n’avais aucune lumière particulière sur la question qu’il me demandait de traiter. Je décidais de reprendre le contrôle et de saisir l'occasion pour me livrer à une petite expérience, en donnant le lendemain une conférence visiblement sans queue ni tête, afin d’observer comment l’interprète traduirait mes propos et comment mes hôtes réagiraient à des propos absurdes. Ceci me servirait de test in vivo pour appuyer mon idée de donner des cours en français à des francophones dans le cadre du futur IAE que je projetais en Chine.

Puis, vers 19 heures, après un repas à l’hôtel, je m’enfonçais à pied dans la vieille ville de Chengdu. Pour planter le décor, il faut se souvenir que les Chinois sont généralement chez eux à cette heure tardive et que la plupart d’entre eux dorment déjà. 

Je m’attendais à des ruelles désertes et je savais que ma présence y serait considérée comme incongrue par les passants et par la police, tant le nombre d’étrangers qui fréquentaient la vieille ville de Chengdu en 1985 devait être fort restreint. Si l’on ajoute à ce tableau que j’étais entré le matin par erreur, encore que l’on pût penser que c’était intentionnel, dans une usine souterraine de l’armée chinoise, tout pouvait laisser penser que j’étais une sorte d’espion maladroit et imprudent.

Les rues n’étaient pas si vides que je le pensais à priori. Des groupes de jeunes chinois stationnaient ça et là. Je fus surpris d’être interpellé en anglais par l’un d’entre eux. Je lui répondis avec prudence, craignant un provocateur, compte tenu de mes aventures du matin. Il me posa toute une série de questions sur ce que je faisais en général dans la vie et ici en particulier, je lui répondis en essayant de savoir qui il était. Il se présenta comme un ouvrier qui apprenait l’anglais en vue de quitter la Chine dans le futur, m’invita à m’asseoir sur une chaise pliante devant une petite maison grisâtre à un étage, qui était en piètre état. Puis il m’offrit un verre de thé tout en continuant à discuter. 

Son hospitalité m’inquiétait, car elle était tout à fait inhabituelle pour un Chinois, du moins en 1985. Il m’invita même, proposition incroyable, à visiter sa maison, où habitaient ses parents, son frère et lui-même. Je vis donc une petite salle de huit à neuf mètres carrés remplie de meubles, de vieux vélos et d’ustensiles divers. Puis sur le côté, une porte obstruée par un rideau qui donnait sur une sorte d’appentis dans lequel étaient installés un vieux poêle rouillé à charbon et un lit, fermé également par un rideau où dormait ses parents, pendant ma visite. Une structure en bois entourait le lit, ce qui avait permis d’installer un autre lit, à un mètre cinquante au-dessus de celui où dormait ses parents. Il m’apprit que c’était là que lui-même dormait, à côté de son frère et il ajouta aussitôt : « vous voulez que je trouve une femme, en dormant là ? »

J’étais estomaqué par sa volonté de tout montrer. En Chine, à cette époque du moins, il était impensable de livrer ainsi l’intimité de son cadre de vie à un étranger. 

Nous revînmes sur le devant de la maison. Je m’asseyais à nouveau avec le verre de thé à la main. Nous parlions du niveau de vie des ouvriers chinois. Autour de nous, une dizaine puis une vingtaine de jeunes s’étaient attroupés. Mon hôte leur traduisait mes propos. Il s’agissait de plus en plus de critiquer le gouvernement chinois qui était, à son avis, un ramassis d’incapables. C’était des propos dignes d’un Café du Commerce, mais je pensais qu'ils pouvaient être dangereux pour moi si je les approuvais. Mes commentaires étaient donc très prudents, assez élogieux pour la Chine en général et pour le gouvernement chinois en particulier, ce qui agaçaient visiblement aussi bien mon hôte que ses auditeurs. 

Il finit par me poser une question piège, en me demandant, si en toute franchise, je pensais vraiment que le niveau de vie des ouvriers chinois était supérieur à celui des ouvriers américains. C’était une question piège parce que je savais, la regardant occasionnellement, que la TV chinoise diffusait des séries comme Dallas, qui montrait des ouvriers étasuniens vivant dans de belles maisons individuelles dotées de garages ouverts sur de rutilantes berlines, qui s’étalaient sans vergogne le long de larges rues entourées de gazon. Un autre monde, qui n’avait rien de commun avec les misérables masures posées le long des ruelles défoncées qui s’exposaient à mes regards. 

Il me fallait rester crédible. Avec une nuance dans ma réponse qui voulait signifier que ce n’était pas une question importante, nuance qui manifestement échappa à mes auditeurs, je répondis que oui, en effet, le niveau de vie des ouvriers chinois n’avait pas tout à fait encore atteint (c’était bien le moins que je pouvais dire) le niveau de vie des ouvriers américains. 

Dans mon for intérieur, je trouvais que mon affirmation était évidente. Quelle ne fut donc pas ma surprise lorsque, mon interlocuteur ayant traduit mes propos à son auditoire, ce dernier explosa de colère, spontanément, unanimement! Les jeunes ouvriers chinois ne supportaient pas t’entendre que leur niveau de vie était inférieur à celui de leurs homologues américains! en 1985!  Mon interlocuteur vit dans cette infériorité. la preuve de l’inaptitude du gouvernement chinois à gouverner le pays.

La Chine éternelle s’exprimait dans cette ruelle misérable. L’orgueil. Un double complexe de supériorité revendiquée et d’infériorité constatée. Une xénophobie affleurante.  

 

La nuit était tombée, mon hôte s’offrit à me guider pour rejoindre mon hôtel. Je ne l’avais pas encore tout à fait saisi, mais ces ouvriers naïfs m’avaient livré, en un cri spontané d’indignation, les clés du puzzle chinois. 

 

À SUIVRE

 

PROCHAIN BILLET : LE RENOUVEAU DE LA MARINE FRANÇAISE

 

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