UN MODÈLE ÉCONOMIQUE EN QUESTION
En sus de son analyse des conséquences du COVID-19, Robert Boyer se risque également à une critique de la gestion de la crise, avec l’exemple de l’économie de la santé, qui représente un coût pour les macro économistes, un coût qui « pèse » sur la richesse nationale.
Si les dépenses de santé représentent un coût, il faut donc les réduire, d’où le contingentement des postes de médecin ou le plafonnement des dépenses hospitalières.
Une fois cette position de principe prise et les conséquences tirées, les ministres de l’économie guettent le «spread», c’est-à-dire l’écart de taux entre les emprunts d’Etat des différents pays, avec pour objectif de montrer une économie nationale qui attire suffisamment le capital pour que celui-ci vienne s’investir ici plutôt qu’ailleurs.
Pour cela, il faut limiter au maximum les dépenses publiques de santé, d’éducation, d’équipement ou de justice, car ce sont des « charges », sans prendre en compte que ces dépenses sont la contrepartie des services rendus à la collectivité.
Ce cadre de pensée, qui ne balance pas les bénéfices et les coûts de la dépense publique, fait que les administrations et les politiques ne disposent pas des bons outils d’évaluation. Il a en effet conduit à la mise en place de la gestion par activité dans les hôpitaux qui a engendré un incroyable gaspillage, car un bon indicateur d’une politique sanitaire devrait être le nombre d’années de vie en bonne santé. De même, une bonne gestion consiste à organiser efficacement le travail des équipes médicales pour assurer l’objectif sanitaire de la Nation.
Mais une contingence, l’irruption du virus COVID 19, a renversé le système de pensée des décideurs : jusqu’ici la finance définissait le cadre de l’action publique, y compris en matière de santé. Or, tout d’un coup, l’état sanitaire du pays s’est imposé comme le déterminant du niveau d’activité économique, tandis que les contraintes financières devenaient secondaires.
C’est ainsi que cette crise a révélé la soudaine importance de la santé publique, dont le fonctionnement était superbement ignoré par la théorie économique en vigueur dans les cercles du pouvoir. Cette dernière voulait ignorer en effet que, contrairement à nombre d’autres secteurs économiques, les innovations techniques dans le secteur de la santé engendrent des accroissements de coûts et non des baisses de coûts, du fait de l’objectif d’accroissement permanent de la santé publique : les IRM coutent moins chers qu’au début de leur mise en service, mais ils concernent de plus en plus de patients. On a donc découvert que se donner pour objectif de faire baisser le coût de la santé était une erreur stratégique.
En outre, la pandémie a montré que, dans certaines circonstances, le marché était dans l’incapacité de recueillir et de diffuser les informations nécessaires pour organiser les anticipations des acteurs économiques afin d’allouer efficacement le capital. En effet, avec la pandémie, nous sommes passés d’une économie du risque à une économie de l’incertitude radicale, définie par le modèle de l’épidémiologie qui gère l’incertitude au gré de l’apparition de nouvelles informations, elles-mêmes rapidement remises en question par l’apparition de nouvelles données.
Au départ, le choix des gouvernements était simple, binaire. Entre la vie humaine et l’activité économique, ils n’ont eu d’autre option que de sauver les vies et d’oublier tout autre objectif. Puis ils ont cru que le moment adéquat du déconfinement serait celui où le coût économique, en hausse, allait devenir supérieur au prix de la vie humaine sauvée.
Ils ont cru aussi que les scientifiques allaient leur donner la solution. Or chaque pandémie est unique et les problèmes qu’elle génère dépasse les connaissances scientifiques du moment. Les chercheurs doivent découvrir les nouvelles caractéristiques du virus en même temps qu’il se diffuse, rejeter les modèles du passé et en tester de nouveaux.
Comment décider dans ces conditions, alors que l’on sait que l’on ne sait pas encore ce que l’on saura demain ? Du coup, l’incertitude fondamentale de la science épidémiologique a fait perdre aux politiques la confiance du public. Osciller entre des injonctions contradictoires sur les masques puis sur l’accès aux tests ne peut que déstabiliser la confiance dans la parole publique.
Désormais, au lieu d’un dilemme, « les gouvernements sont maintenant confrontés à un trilemme : à la préservation de la santé et au soutien de l’économie s’est ajouté le risque d’atteinte à la liberté, redouté par une opinion défiante. » Désormais la crise du Covid-19, en nous faisant prendre conscience de la fragilité de la vie humaine, peut changer nos priorités: pourquoi accumuler du capital ? Pourquoi consommer de plus en plus d’objets à renouveler sans cesse ? A quoi sert un progrès technique qui épuise les ressources de la planète ?
Finalement, observant l'absence de croissance du Japon depuis plus de vingt ans, on peut s’interroger sur la validité de son modèle économique, celui où les dividendes de l’innovation technologique ne sont pas mis au service de la croissance mais au service du bien-être d’une population vieillissante…
* Robert Boyer, Les Capitalismes à l’épreuve dela pandémie, 200 pages, ÈditionsLa Découverte.
ÉVALUER LA CRISE PROVOQUÉE PAR LE COVID-19
À l’occasion de la publication d’un ouvrage* sur le sujet, Robert Boyer effectue un diagnostic de l’économie mondiale ébranlée par le coronavirus dans un entretien qu’il a accordé le 3 octobre 2020 au journal Le Monde. Je reprends et commente ci-dessous ses analyses, que je partage largement, en utilisant les guillemets lorsque je reprends directement le texte de son interview.
En bon scientifique, Robert Boyer s’attache à définir précisément les termes qualifiant la situation actuelle.
Crise sans doute, mais pas récession car « on ne peut pas appliquer des mots hérités des crises précédentes à uneréalité nouvelle ». En effet, définir la situation actuelle comme une récession lui parait une faute, car une récession se produit lorsqu’un cycle économique se retourne. Ce retournement a des origines endogènes, qui lorsqu’elles se modifient, provoquent mécaniquement la reprise. Or la crise actuelle résulte de la décision prise par les instances politiques de suspendre toute activité économique qui ne soit pas indispensable à la lutte contre la pandémie et à la vie quotidienne.
Il s’agit donc d’une « congélation » de l’économie qui s’accompagne, non d’un plan de relance puisqu’il ne peut pas y avoir de relance, mais d’un programme d’indemnisation des entreprises pour les pertes subies, mené au prix de l’explosion des dépenses publiques, une explosion possible grâce au relâchement de la contrainte de leur refinancement par les banques centrales.
L’arrêt brutal de la production, qui, pour certains secteurs comme le tourisme risque de se prolonger longtemps, a et aura des effets non seulement économiques mais aussi psychologiques, sociologiques, politiques et institutionnels. Rien ne reprendra comme avant, si l’on songe par exemple au travail à distance ou aux week-ends lointains.
Un tiers de la capacité de production s’est ainsi brutalement révélé n’avoir pas d'utilité sociale vraiment indispensable. Certains secteurs ont été bouleversés par une modification structurelle des modes de consommation comme le tourisme, le transport, l’aéronautique, la publicité, l’industrie culturelle.
Comme la destruction de capital et de revenus est d’ores et déjà importante, il faut s’attendre à une baisse durable du niveau de vie moyen. C’est ce que les Français ont anticipé, en gardant en réserve l’épargne accumulée pendant le confinement. Pour qu’ils se résolvent à utiliser leur épargne, il faudra que la confiance revienne, une confiance mise à mal par la décoordination entre les acteurs. Cette décoordination a été provoquée par des engagements institutionnels mis à mal, tels que la sécurité sanitaire, la confiance dans les autorités publiques, la prévisibilité des marchés, la complémentarité des activités économiques, la synchronisation des temps sociaux, école,transport, travail, loisir…
On peut en déduire, puisqu’il ne s’agit pas d’une récession, que la stratégie économique guidée par l’idée qu’il s’agit bien d’une récession, qu’il suffit donc de maintenir ce qui reste de l’économie en l’état puis de relancer l’activité pour revenir à la situation antérieure, selon la fameuse reprise en « V », est vouée à l’échec.
Il n’y aura de « sortie de crise » que lorsque la transformation structurelle de l’économie qui est en train de se dérouler sous nos yeux sera suffisamment avancée pour retrouver une dynamique interne.
Or la « congélation » de l’économie a accéléré le transfert de valeur entre des industries en déclin et une économie de plates-formes en pleine croissance, mais qui offre une faible valeur ajoutée et un médiocre niveau de qualification à la majorité de ceux qui y travaillent : les acteurs de cette économie de plate-forme, les GAFA, Google, Apple,Facebook, Amazon, captent les rentes du capitalisme financier et contribuent à renforcer les inégalités économiques.
Les inégalités économiques vont engendrer de nombreux perdants qui sont désormais incités à se tourner vers les Etats. Ces derniers sont en effet seuls capables de les protéger de la misère et du déclassement face à la toute-puissance des firmes transnationales du numérique, d’autant plus que la pandémie a replacé « leurs fonctions régaliennes et régulatrices » au centre des préoccupations des citoyens.
On peut en déduire que la puissance des GAFA engendre dialectiquement la montée des capitalismes nationaux défendus par leurs Etats respectifs, une dynamique illustrée par l’archétype de la Chine. On peut également prévoir que la consolidation de pouvoirs économiques nationaux s’opposera aux tentatives de gestion multilatérale des relations internationales, notamment économiques. Au sein de l’Union Européenne, la montée de ce populisme peut se révéler contradictoire avec les projets de coordination et faire émerger un faisceau d’Etats souverains avides de «reprendre le contrôle», à la manière de Boris Johnson.
Mais il est possible aussi que les mêmes forces nées de l’excès de pouvoir des GAFA puissent tout simplement amener le démantèlement du monopole des GAFA, de même qu’il est concevable que l’excès de contrôle du PCC sur la Chine puisse conduire à une révolte sociale et économique.
Ces prudentes prédictions incitent Robert Boyer à appeler à la modestie les prévisionnistes en se méfiant « des prédictions issues des modèles théoriques auxquels la réalité historique devrait avoir le bon goût de se plier…car c’est rarement le cas. »
À SUIVRE
DEVENIR PLUS VÉGÉTARIEN
Les hommes ont été frustrés depuis si longtemps de ne pas parvenir à capturer, tuer et consommer tous ces animaux qu’ils pourchassaient, que l’élévation du niveau de vie des populations s’est toujours traduit par une augmentation de la consommation de nourritures d’origine animale.
Désormais, la consommation alimentaire d’origine animale, y compris les produits laitiers, représente trente pour cent des calories ingérées par les Français. Or, les dégâts de ce régime hyper protéiné sont bien connus, alors qu’il faudrait, pour la seule santé des êtres humains, faire passer la quantité de protéines journalières de 90 à 60 grammes par jour. De plus, seuls les produits végétaux permettent de satisfaire les besoins très élevés de glucose de notre cerveau.
Aussi, même si l’intérêt gastronomique des produits d’origine animale est grand, la nourriture végétale reste bien adaptée à la couverture des attentes nutritionnelles humaines, notamment pour la couverture des besoins en protéines et en acides gras. De plus, elle comporte des vertus essentielles pour l’entretien du micro-biote intestinal par les fibres alimentaires ou pour la protection de l’organisme par le monde des micronutriments protecteurs.
La question de l’actuelle réduction de la qualité biologique des protéines végétales ne se pose que pour des régimes totalement monotones à base de riz, de maïs ou de mil, mais elle ne se pose pas lorsqu’une diversification alimentaire suffisante est assurée.
Il reste qu’il faut prendre conscience que les hommes ont un besoin limité de calories d’origine animale pour assurer leur alimentation, alors qu’ils en consomment trop aujourd’hui.
Ils en consomment également trop à quatre titres :
- Tout d’abord, les hommes en consomment trop pour que l’on puisse assurer un niveau suffisant d’alimentation de l’humanité. Il est en effet de plus en plus nécessaire de réduire le volume des productions animales pour disposer d’une alimentation suffisante destinée à une population toujours plus nombreuse.
Alors que le principal gâchis alimentaire provient de la consommation trop élevée de produits animaux, il est paradoxal que l’on s’inquiète de la capacité de l’agriculture biologique à nourrir la planète. Au contraire, selon une étude prospective récente (Afterres 2050), une réduction de cinquante pour cent des calories animales consommées par l’humanité libérerait également cinquante pour cent des surfaces agricoles qui pourraient être consacrées à d’autres cultures.
- Les hommes en consomment trop pour leur santé. La réduction des surfaces agricoles consacrées à l’élevage permettrait de se libérer de l’hyper productivisme agricole actuel et de son cortège de nuisances pour développer une agriculture de bien meilleure qualité alimentaire pour les êtres humains.
- Les hommes consomment trop de proteines animales pour leur santé, mais ils en consomment aussi trop pour les équilibres écologiques de la Terre. Aujourd’hui, la majorité des surfaces agricoles est consacrée à la nourriture des animaux d’élevage. Leur remplacement par des productions végétales biologiques permettrait de diminuer l’empreinte écologique de l’agriculture.
- Enfin, ils en consomment trop pour les animaux eux-mêmes. La réduction de la consommation de produits animaux, viandes, œufs ou laits, permettrait de diminuer le nombre de ces élevages industriels concentrationnaires où les hommes se déshonorent d’y torturer des animaux qui souffrent, c’est le cas de l’écrire, mille morts.
Pour le bien de notre santé, pour se donner les moyens de nourrir une population humaine croissante, pour réduire l’empreinte écologique de l’agriculture et pour diminuer la souffrance animale, une alimentation plus végétarienne s’impose.
Qu’attendons nous ?
Vendredi 17 octobre 2020
La stupéfaction. L’horreur. La barbarie venue du fond des âges et de la haine de soi que l’on projette sur l’autre. La peine pour la famille et les proches de Samuel Paty, le professeur d’histoire martyrisé. Une pensée pour le collège du Bois d’Aulne, à jamais marqué par ce tragique événement. Voilà ce que l’on sent.
Un regard sur l’assassin abattu de onze balles et sur sa famille. Des gens fermés dans leur refus de l’autre. Des professionnels de l’islamisme regroupés autour de mosquées telle que celle de Pantin, qui fournissent leur matériel idéologique à qui en a besoin pour se croire persécuté. Voilà ce que l’on voit.
Des professeurs qui vont désormais pratiquer l’autocensure. Une victoire des islamistes, obtenue au prix de la montée des rancœurs dans la société non islamique. Voilà ce que l’on pressent.
De cet égorgement, quel bien en tirer ?
RETOUR À LA MAISON
Il était temps que je rentre, littéralement, à la maison. En partant à Pékin, j’avais laissé ma femme se débrouiller toute seule pendant plus de deux mois avec ma fille âgée d’un peu plus d’un an. Pour les deux, cela n’avait été ni facile, ni même compréhensible. Est-ce que j’étais vraiment obligé d’aller enseigner en Chine ?
Non, rien ne le justifiait vraiment, si ce n’est ma soif personnelle de découverte et de création. En juillet 1985, je suis donc retourné à Nice, à la maison et à l’IUT de Nice, où j’ai retrouvé mes points de repères. Personne ne savait que j’allais être amené, dans les années suivantes à organiser la première école de gestion française en Chine avec le soutien de plusieurs personnes, au premier rang duquel je place le Secrétaire Général de la FNEGE, Jean-Claude Cuzzi.
Je reviendrai ultérieurement sur ce processus de création, car l’année 1985 fut une année charnière pour mes activités universitaires qui se développèrent dans plusieurs directions :
Mes publications évoluèrent. Je m’intéressais aux changements qu’avait induit l’organisation de la production au Japon et je publiais, avec Corinne Demarchelier un article dans Harvard l’Expansion au printemps 1985, intitulé « Management de la Production : le défi des années 80 ». Avec cet article, le niveau de mes publications s’élevait et ce fut encore plus net grâce au produit de ma coopération avec Kristian Palda.
En 1985, après un très long travail d’écriture et de correction avec Kristian Palda et Brian Ratchford, j’obtenais avec ces derniers, ce qui reste pour moi encore aujourd’hui la publication la plus prestigieuse de ma carrière, Research in Marketing, un article intitulé « The Hedonic Approach to Price-Quality Relationships and potential application in Marketing ».
Je ne manquais pas non plus de tirer les leçons de mon expérience à Pékin en proposant un document de recherche sur « L'évolution interne de la Chine et ses relations économiques avec l'Ouest ».
Puis, l’année 1986, je fus chargé d’un cours sur la Prévision auprès du CNAT à Alger, ce qui allait présager ensuite de l’organisation d’un cycle de formation dans cette ville.
La même année, je fus chargé d’un cours de Gestion de la Production auprès du CERS à Damas en Syrie. Ce fut l’occasion, après onze ans, de retrouver Damas, son extraordinaire vieille ville et tous les liens tissés avec la France. Il y avait bien une dictature au pouvoir, celle de Hafez el-Assad, le père du chef d’État actuel, sûrement féroce pour ses opposants politiques, mais on semblait vivre correctement à Damas, sans gros problèmes matériels ni craintes excessives. Mes étudiants me semblaient normaux, comme les autres étudiants du monde, le régime ne les empêchait pas de parler, de critiquer de s’interroger.
Des années plus tard, je vis le régime et avec lui, le pays tout entier, emporté dans la guerre, l’opprobre et le malheur. Je vis le gouvernement français couper tous les liens avec Damas, y compris avec le lycée français. Je vis le CERS détruit par un bombardement américain et, maintenant que la guerre a pratiquement cessé, j’attends le retour au bon sens, à l’humanité et aux échanges.
En 1986, toujours grâce à mes échanges avec Kristian Palda, je publiais un article dans la Revue de l’IIPF (International Institute of Public Finance) dans le champ théorique du choix public, peu approfondi en France : « Dette Publique et Choix Public : retrouver le lien » et un second article dans lequel je théorisais sur l’enseignement de la gestion en Chine, simplement titré « Enseigner la gestion en Chine » publié dans la Revue Française de Gestion.
Il s’agissait en effet d’appuyer les négociations qui s’engageaient lentement entre La FNEGE et le Ministère des Affaires Étrangères pour donner forme à mon projet de création d’un IAE en Chine.
À SUIVRE
LA RESISTANCE DE LA MARINE ROYALE
Durant la guerre de Succession d’Autriche qui se termine en 1748 par le traité d’Aix-La-Chapelle, la Marine Royale résiste bien à une Royal Navy toujours supérieure en nombre.
Pendant ce conflit, l’escorte des convois marchands fut une des réussites majeures de la Marine Royale, face au blocus anglais. Sur les quarante-quatre vaisseaux disponibles en mai 1744, Maurepas en déploie vingt-et-un, soit presque la moitié, sous forme de petites escadres dans l’Atlantique ou aux Antilles pour protéger le commerce colonial. De plus, nombre de planteurs ont recours au pavillon neutre néerlandais pour fournir l’Europe, si bien que, ajouté à une politique réussie des convois, le commerce colonial français atteindra, à la fin de la guerre, 60% du trafic du temps de paix.
Il s’y ajoute la guerre de course. Il y aurait eu environ quatre cents armements corsaires qui ont permis d’obtenir mille quatre-cents prises et quatre-cent-cinquante rançons grâce aux corsaires basés en France métropolitaine, soit l'équivalent de deux ans de commerce colonial. À ces chiffres il faut ajouter l’émergence de la course antillaise, qui se développe à partir de Saint-Domingue et de la Martinique. De 1744 à 1747, cinquante corsaires martiniquais saisissent plus de trois-cent-cinquante navires pour 10 millions de livres tournois, permettent le ravitaillement des iles et gênent considérablement le commerce colonial anglais. Les Espagnols, qui pratiquent aussi la course, saisissent environ mille navires.
Finalement, plus de trois-mille-quatre-cents navires anglais seront capturés pendant le conflit pour une valeur minimale de 120 millions de livres tournois, tandis que la course anglaise se révèlera plus décevante : la guerre de course ne fut donc en rien une activité́ marginale durant la guerre de Succession d’Autriche.
En Méditerranée la situation évoluera aussi progressivement en faveur des Français même si les opérations y resteront secondaires. La Royal Navy mouille régulièrement sur les côtes provençales, mais sans pouvoir reprendre le blocus de Toulon levé́ en 1744.
Cette guerre fut donc très décevante pour l'Angleterre, qui ne parvint pas, malgré́ sa supériorité́ navale, à s'emparer des colonies françaises, hormis Louisbourg, et à étouffer son commerce. Mais en 1747, la Royal Navy changera d’amiraux et de stratégie, en mettant en place une nouvelle escadre, le Western Squadron, chargée de surveiller les côtes françaises de l'Atlantique et le port de Brest en particulier, ce qui aboutira à̀ de grandes batailles navales, les batailles du cap Ortegal en mai 1747 et du cap Finisterre en octobre 1747.
La première bataille mit aux prises les six vaisseaux de La Jonquière aux quatorze d'Anson, la seconde les huit vaisseaux de Létanduère aux quatorze de Hawke. Les deux divisions françaises succomberont après des combats acharnés, révélant au passage la qualité́ des nouveaux vaisseaux français de 74 canons alors que les Anglais essuyèrent de lourdes pertes. Ces deux batailles vont cependant avoir des répercussions considérables sur l'organisation de la Royal Navy et finalement, influer fortement sur la préparation du conflit suivant. Côté français, à la suite de ces bataille, Maurepas renforce l'escorte qui passe à huit vaisseaux, dont quatre de force (un 80 canons et trois de 74).
Début 1748, le rapport de force avec la Royal Navy est devenu trop déséquilibré pour être tenable. Avec vingt-trois vaisseaux et frégates pris, coulés ou naufragés, les deux dernières années de la guerre et malgré les lancements. La Marine Royale est passée de soixante-dix-neuf vaisseaux et frégates en 1745 à cinquante en 1748. En outre, vingt-sept vaisseaux sont en très mauvais état ou hors de service et 35000 marins français ont été capturés.
La paix d'Aix-la-Chapelle (18 octobre 1748) arriva juste à̀ temps pour empêcher un effondrement de la Marine Royale dont heureusement l'Angleterre n'eut pas conscience.
À SUIVRE
LA PARTIE D'ÉCHECS BIELORUSSE
Vu par l’utilisateur distrait des medias d’Europe occidentale, si profondément préoccupé par la circulation erratique du COVID 19, la Biélorussie est prise en tenaille entre ses pulsions démocratiques et l’emprise de Poutine, protecteur de Loukachenko. Or, cette vision est à contre sens du jeu d’échec qui est en cours.
Pays du légendaire passage de la Bérézina par Napoléon, couvert de forêts sur prés de la moitié de son territoire, la Biélorussie n’est peuplée que de dix millions d’habitants sur deux cent mille kms2. Elle est devenue indépendante de l’URSS en 1991, mais les relations avec la Russie restent très étroites.
La Biélorussie, contrairement à la Russie, ne s’est pas lancée dans une réforme économique libérale, si bien que les inégalités de revenus y sont parmi les plus faibles d’Europe. Son système de santé est gratuit et performant, preuve en est le bas taux de mortalité infantile de 2,9 pour 1000 naissances (3,6 en France).
Toutes ces données pour vous faire prendre conscience que tout ne va pas si mal en Biélorussie, mais en revanche, les relations politiques entre l’Europe de l’Ouest et la Biélorussie sont agitées. En gros, derrière les divers contentieux, la Biélorussie apparait comme un régime dictatorial incongru en Europe, et la réélection de Loukachenko après 26 ans de pouvoir, une illustration caricaturale de cet anachronisme.
Aujourd’hui, l’utilisateur distrait des medias d’Europe occidentale pense que cette candidate dont il n’arrive pas encore à retenir le nom, Svetlana Tikhanovskaïa, aujourd’hui refugiée en Lituanie, a obtenu la majorité des voix à l’élection et que le seul obstacle à son accession au pouvoir est Poutine, fidèle soutien du dictateur Loukachenko.
Regardons-y de plus près.
Vous croyez Loukachenko au plus mal avec les Occidentaux? C’est vrai aujourd’hui, mais cela n’a pas été toujours le cas. Mais ce que vous ne savez probablement pas, c’est qu’il est surtout au plus mal avec Poutine.
Car Poutine a été de plus en plus exaspéré par le jeu de balance de Loukachenko entre la Russie et les Occidentaux. Alors qu’il recevait une aide financière considérable de la Russie, il n’a même pas soutenu l’annexion de la Crimée par cette dernière, prétendant même jouer les arbitres entre Kiev et Moscou dans les négociations de paix. Pire encore, il a refusé l’installation d’une nouvelle base militaire russe en Biélorussie en 2019, en appelant à l’Occident afin de défendre son indépendance !
Enfin, avec une belle inconscience, Loukachenko rejeta en février 2020, à quelques mois de l’élection, la création d’une confédération russo-bielorusse, grand projet de Poutine. Ce fut le casus belli qui déclencha la partie d’échec qui s’est organisée contre lui, pilotée par le FSB.
La Russie commença par couper tous les crédits à la Biélorussie. Le prix du pétrole et du gaz russes furent revus à la hausse. Puis la propagande entra dans la danse. NTV, la chaine russe contrôlée par Gazprom, diffusa une enquête à charge contre Loukachenko, intitulée « Le Parrain Batka ».
Le FSB se chargea ensuite d’organiser l’opposition biélorusse, afin de ne pas laisser le champ libre à des opposants antirusses. Viktor Babaryko, qui n’est autre que le représentant de Gazprom en Biélorussie, se présenta contre Loukachenko. Il fut accusé de corruption et arrêté. Puis se présenta un second candidat d’opposition, Valery Tsepkalo, ancien diplomate soviétique qui, pour ne pas être arrêté, se réfugia à Moscou avec sa femme Veronika Tsepkalo, figure de la révolution biélorusse,
C’est alors qu’émergea un troisième candidat, Sergueï Tikhanovski, homme d’affaires de réputation douteuse, propriétaire d’une société de production vidéo qui fait des affaires avec de grandes entreprises russes. Un an avant les élections, il revint en Biélorussie avec une forte somme dont il ne pouvait pas justifier la provenance, puis se lança tout à trac dans une campagne anti Loukachenko sur You Tube, dénonçant la corruption des élites et la misère du peuple. Loukachenko l’ayant fait écarter des candidats pour « violation de l’ordre public », il décida de présenter sa femme à sa place, Svetlana Tikhanoskaïa.
Loukachenko laissa faire. Il la connaissait et savait sa nullité en politique, si bien qu’elle pourrait bien lui servir de faire valoir. Mais il se tira une balle dans le pied avec ses résultats truqués qui transformèrent Svetlana Tikhanoskaïa en héroïne de la démocratie, une héroïne qui dû s’enfuir en Lituanie pour ne pas être arrêtée.
Pendant ce temps se constituait à Minsk un « Conseil de transition » composé de l’élite biélorusse, largement cornaqué par Gazprom, qui veille à ce qu’il n’y ait aucune composante anti russe dans l’opposition.
Pour sa part, Loukachenko quémande désormais l’aide de Poutine, ce qui l’a contraint à redevenir anti occidental et pro russe. Il accepte désormais de réviser la Constitution, ce qui impliquera ipso facto une nouvelle élection.
Quant à Poutine, il a maintenant deux fers au feu. Soit un Loukachenko qui accepte, contraint et forcé, la confédération russo-bielorusse, soit une opposition au pouvoir en Biélorussie qui s’empressera de vendre les pépites industrielles du pays aux oligarques russes.
Tel est l’enjeu de l’avenir politique et stratégique de la Biélorussie, loin des rêveries pseudo démocratiques de l’utilisateur distrait des médias d’Europe occidentale.