UKRAINE, THE 51 st US STATE
On commence à peine à prendre conscience de l’ampleur de l’engagement américain en Ukraine, selon une stratégie antirusse mise en œuvre dés 2014 et dont toute l’Europe, à commencer par les peuples ukrainien et russe, fait les frais.
On le voit chaque jour, les États-Unis sont derrière chaque opération militaire, défensive ou offensive, officielle ou clandestine, ukrainienne. Aux premiers jours de l’attaque russe, c’est le renseignement américain qui a empêché le succès de l’audacieuse opération héliportée russe menée avec plus de 200 appareils sur l’aéroport de Gostomel, au nord-ouest de la capitale ukrainienne. De même, mi-avril, le croiseur Moskva a été touché par des missiles Neptune tirés depuis la côte grâce à l’avion US de patrouille P-3 Orion. Ce sont également eux qui ont organisé le ciblage des généraux russes sur le front ou qui viennent d'organiser le bombardement d'une prison qui détenait des soldats ukrainiens prisonniers, afin de les dissuader de se rendre aux troupes russes.
Tout un réseau de commandos et d’espions installés en Europe coordonne l’appui militaire à l’Ukraine (New York Times du 25/06/22). Ils s’y sont préparés depuis 2014, puisqu'ils ont formé 27000 instructeurs en huit ans à Yaroviv, près de Lviv, une base ciblée par les Russes le 13 mars dernier.
Malgré cette antériorité dans l'engagement auprès de l'Ukraine, les États-Unis n’ont assumé officiellement leur stratégie antirusse que depuis la fin avril, lorsque le ministre de la défense étasunien déclarait textuellement à Kiev : « Nous voulons voir la Russie affaiblie à un degré tel qu’elle ne puisse plus faire le même genre de chose que l’invasion de l’Ukraine ».
C’est donc une guerre d’attrition que se proposent de livrer les États-Unis à la Russie sur le territoire de l’Ukraine. Pour ce faire, ils organisent à destination de l’Allemagne et de la Pologne un gigantesque pont aérien. Par centaines (bonjour la pollution!), les gros porteurs traversent l’Atlantique pour livrer munitions, missiles, drones, blindés, mortiers ou radars. Les crédits débloqués sont énormes, soixante milliards d’euros, soit une fois et demie le budget annuel de l’armée française, qui est tout de même le cinquième ou sixième budget militaire du monde, proche de celui de la Russie.
En même temps, les États-Unis prennent discrètement le contrôle militaire de l’Ukraine. pour y mener une guerre par procuration. C’est Zelenski, qui fait les déclarations dénonçant immanquablement comme des crimes de guerre toutes les actions réelles ou imaginaires des troupes russes, lorsqu'il ne pose pas pour Vogue avec sa femme. Ce sont des soldats ukrainiens qui meurent sur le front, mais ce sont les États-Unis qui commandent, qui organisent les combats et qui fournissent le matériel. Cela durera tant qu'ils trouveront des soldats ukrainiens pour combattre et ils en trouveront de moins en moins, ensuite il faudra utiliser des mercenaires ou des soldats US.
Tout a commencé sous Obama en 2014. La diplomate Victoria Nuland est alors responsable de l'Ukraine pour le département d’État. L’objectif est alors de remplacer le président Victor Ianoukovytch par un dirigeant prêt à rompre le cordon ombilical avec Moscou. Lorsque le coup d'État réussit grâce aux émeutes de Maïden et que le Donbass se soulève en réponse, les États-Unis et la Grande Bretagne envoient un grand nombre de conseillers militaires sur le front, tandis que Victoria Nuland négocie des garanties de prêt à l'Ukraine et la livraison d'une aide militaire. C''est alors que l'enregistrement d’un appel téléphonique du 28 janvier 2014 entre elle et Geoffrey Pyatt, ambassadeur des États-Unis en Ukraine fait scandale car elle y parle de la formation du prochain gouvernement ukrainien comme s’il relevait de l’autorité des États-Unis. En outre le langage employé « And you know…Fuck the EU » choque les responsables de l’UE qui ont bien dû s'en accommoder depuis, puisqu'elle est devenue, le 3 mai 2021, sous-secrétaire d’État pour les affaires politiques dans l’administration du président Joe Biden, elle qui a toujours été une partisane convaincue des livraisons d’armes à l’Ukraine.
Depuis le déclenchement de la guerre ouverte par la Russie, l’US Army épaulée par ses partenaires britanniques, canadiens et baltes et par ses sous-traitants « civils » s’est employée à externaliser la guerre. Elle a restructuré l’armée ukrainienne et elle a cherché à faire de chaque habitant un « résistant-combattant ».
Dans le Donbass, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont construit une sorte de ligne Maginot bardées de capteurs électroniques, qui a opposé une redoutable défense décentralisée aux forces russes, appuyée sur les multiples flux d’informations dont ils disposaient grâce aux réseaux numériques US.
Les États-Unis ont réalisé en effet un maillage numérique de l'Ukraine grâce à la mise à disposition par Elon Musk de la constellation satellitaire Starlink qui a transformé les smartphones civils ukrainiens en terminaux militaires en détournant leurs applications. Ainsi l’application Diia utilisée à l’origine pour numériser les documents officiels des Ukrainiens est utilisée depuis le début de la guerre pour géo localiser les postes de commandement russes en temps réel. Pour protéger leur toile numérique géante des cyberattaques russes, les États-Unis se reposent en outre sur leurs sociétés privées de cyber sécurité, à l'instar d'une filiale de Google à laquelle l'Ukraine a sous-traité la guerre numérique.
S'il parait évident que ce sont bien les États-Unis qui conduisent la guerre en Ukraine, il reste à convaincre l'opinion publique mondiale que c'est une guerre juste et gagnable, puis à convaincre l'opinion européenne que l'Europe doit en payer la facture, alors que l'on voit déjà que les États-Unis ont renoncé à en faire supporter le poids à l'Afrique lorsqu'ils ont accepté de mauvais gré les livraisons par bateau des céréales ukrainiennes et russes et que l'UE a accepté que la Hongrie continue de se fournir en gaz russe.
En effet, il reste à savoir si la stratégie indirecte de Washington résistera à l'épreuve du temps. Au Donbass, sous le pilonnage de l'artillerie russe, les troupes ukrainiennes perdent des centaines d'hommes chaque jour, reculent, capitulent, désertent ou trahissent, comme ce général ukrainien qui, avant de passer à l'est, a livré deux de nos quinze Caesar aux Russes, un camouflet que n'ont pas encore osé révéler les médias français.
Mais si le front ukrainien finissait par craquer sous la pression de l'armée russe et de son artillerie, les États-Unis se risqueront-ils, pour laver l'affront, à engager directement les forces de l’Otan ?
Pourtant, qui croit que la Russie acceptera de se laisser vaincre ? Un match nul semblant la seule solution acceptable pour les deux parties, il reste donc à ce qu'elles acceptent d'en convenir le plus tôt possible pour le bien de l'Ukraine.
NB: une grande partie de la documentation utilisée dans ce billet provient des articles du spécialiste de la défense, Meriadec Raffray.
L'INCIDENT DE METZ
Oui, l’IFTG fût et reste un succès exemplaire, qui a permis à la France de former chaque année vingt ou trente cadres francophones, nourrissant ainsi les échanges économiques franco-tchèques et notamment l’établissement de filiales françaises en Tchéquie.
Au cours de séminaires qui duraient une semaine, j’y ai enseigné le marketing à toute une génération de cadres puisque mes interventions se déroulèrent sans interruption de 1990 à 2010. Les cours eurent longtemps lieu presque en face de l’Institut Français au 35 rue Stepánská, là où tout avait commencé. Deux salles de classe et deux bureaux au premier étage constituaient tout l’univers de l’IFTG, qui se prolongeait dans les cafés et pâtisseries environnants lors des pauses, auquel s’ajoutait, une fois par semaine le jeudi soir, un repas rituel qui nous réunissait presque tous, responsables, enseignants et étudiants de l’IFTG. Plus tard, les cours eurent lieu au troisième étage des magnifiques bâtiments de VŠE. Il y subsistait l’ensemble salle de cours et secrétariat, une organisation parfaite et la chaleur humaine en prime.
J’ai longtemps habité dans un hôtel de l’époque soviétique, le Crystal Hotel dont le confort, spartiate mais correct, se situait quelque part entre la cité universitaire et l’auberge de jeunesse. Les lits pour une personne étaient agréablement durs, les rideaux ne cachaient qu’imparfaitement la lumière, la salle de bains était limitée, mais tout fonctionnait. Le petit déjeuner était particulier : café très léger, quelques morceaux de pain, une tranche de pomme et un peu de charcuterie. L’hôtel était situé à une dizaine de kilomètres du centre-ville, ce qui demandait de prendre un tramway et le métro. Il fallait une bonne heure pour rejoindre l’IFTG, grâce auquel je m’immergeais dans la vie tchèque. Au bout de quelques années, j’ai été transféré dans un hôtel plus proche du centre-ville.
En dehors des cours, il m’est arrivé aussi de participer à des congrès à Prague, à des cérémonies de remise de diplôme et même à un week-end avec les étudiants dans la montagne tchèque, proche de la frontière polonaise. Je n’ai pas manqué de visiter d’autres villes tchèques, villes d’eau, villes historiques, villes industrielles.
Bref, l’IFTG, Prague, la Tchéquie, tout cela a fait partie de ma vie pendant vingt ans et il ne saurait être question de l’oublier. Aussi mes pensées restent-elles toujours attentives à ce qui se passe là-bas, d’heureux comme de triste.
En relation avec l’IFTG, il me faut aussi mentionner ce que j’appellerai « l’incident de Metz ». Comme on l’a peut-être noté, j’intervenais en partenariat avec la FNEGE pour organiser des formations à l’étranger dans plusieurs pays, la Chine, Madagascar, l’Algérie, la Bulgarie, la Tchécoslovaquie et également, pour des programmes temporaires, la Russie et la Pologne. Les cours à réaliser pour la partie française étaient généralement confiés aux professeurs des divers IAE, du fait du penchant de la FNEGE pour les IAE, plus que pour les Écoles de Commerce qui, HEC en tête, faisaient souvent concurrence à la FNEGE. Au reste, le programme mis en œuvre, le DESS CAAE* relevait des IAE et il était logique de faire appel aux enseignants qui en étaient issus.
Pour rassembler les forces des IAE à l’international, je conçu un organisme commun que j’appelais « IAE International », qui était destiné à servir d’intermédiaire entre les IAE, la FNEGE et les Ministères et dont je me proposais de prendre la direction. La FNEGE n’était pas très favorable à ce projet, car elle y voyait un concurrent potentiel, mais elle ne s’y opposa pas car elle savait que, si je dirigeais un tel organisme, je resterais parfaitement loyal à la coopération avec la FNEGE.
Étant rattaché à l’Université de Nice, je proposais d’installer IAE International à Sophia-Antipolis, mais le directeur de l’IAE de Nice ne fut pas de cet avis et proposa de l’installer à Metz. De fait, j’étais exclu de la direction du projet, puisque je n’avais pas l’intention de m’installer à Metz.
Une cérémonie d’installation eu lieu dans cette ville à laquelle j’assistais en spectateur. J’avais été en effet soigneusement exclu de la tribune officielle où siégeaient plusieurs directeurs d’IAE, dont ceux de Nice et de Metz, ainsi que le représentant du MAE, mais aussi Hana Machkovà qui représentait l’IFTG.
À la tribune, chacun se félicitait de l’avènement d’IAE International, tout en oubliant soigneusement de mentionner mon rôle, central pourtant, dans cette création. Quand vint le tour d’Hana Machkovà, cette dernière insista, dans un silence gêné, sur le fait que j’étais à l’origine d’IAE International et qu’il était donc normal que je rejoigne à mon tour la tribune puisque je faisais manifestement partie des organisateurs. Je fus, on s’en doute, extrêmement touché de sa loyauté et de son courage.
A Metz, IAE International ne survécut pas longtemps aux manœuvres qui avaient présidé à son avènement, parce que la ville et son IAE n’étaient pas propices au mécanisme de regroupement des efforts des IAE que j’avais conçu : il fallut moins d’une année pour qu’il passe aux oubliettes.
De cet incident, je tire deux leçons. Tout d’abord, s’il est facile de détruire un projet, il ne saurait survivre à l’absence d’énergie positive. IAE International, enfant illégitime de calculs mesquins, n’avait aucune chance de survie, à l’opposé de l’IFTG qui surmonta d’énormes obstacles, principalement grâce à la volonté d’Hana Machkovà qui sut faire éclore et survivre un projet que j’avais conçu. Ensuite mon opinion sur cette dernière reçut à Metz une éclatante confirmation : c’était une femme, droite et solide, un être humain sur lequel on pouvait compter en toutes circonstances.
*Le CAAE était devenu un diplôme de 5e année de formation à la gestion, ouvert aux non diplômés en gestion, scientifiques, littéraires, pharmaciens et médecins.
À SUIVRE
LA RÉVOLTE DES PARLEMENTS
Louis XIV avait tellement abusé du système royal qu'il craquait de toutes parts sous le règne de Louis XV. À l'intérieur du royaume, le mécontentement s'amplifiait et se manifestait fortement.
Le train de vie de la cour était critiqué. Louis XV en vint même à subir une tentative d’assassinat. L'ambassadeur d'Autriche écrivait à Vienne : « Le mécontentement public est général. Toutes les conversations tournent autour du poison et de la mort. Le long de la galerie des glaces apparaissent des affiches menaçant la vie du roi ».
Affecté par cette impopularité, Louis XV décida d’abandonner toutes les tentatives de réformes et de renvoyer ses ministres les plus décriés. Il se tourna alors vers une mesure plus populaire, du moins dans les cercles parisiens, qui consistait à dissoudre l’ordre des Jésuites, attaqués par les Jansénistes et les Encyclopédistes.
Mais il ne pût en rester à des mesures destinées à satisfaire l’opinion publique éclairée, celle que l’on appellerait aujourd’hui le microcosme de la pensée unique. Il lui fallut se résoudre à rétablir l’autorité royale. Les membres du Parlement se mirent en grève à la suite de l’Affaire de Bretagne: en 1764, sur requête des états de la province, le parlement de Rennes refusa la levée de centimes additionnels ; en réponse, le Conseil du roi cassa l’arrêt rendu par le parlement de Rennes qui répliqua en se mettant en grève avant de démissionner.
C'est alors que le Roi accepta de céder en rétablissant le Parlement de Rennes dans ces droits et que ce dernier décida de se venger sur la personne du lieutenant de Bretagne en l’inculpant d’abus de pouvoir. Le Parlement de Bretagne était allé trop loin, car le Roi ne pouvait pas accepter qu’un Parlement régional fasse le procès de son représentant, c’est-à-dire indirectement du pouvoir royal lui-même. Il intervint pour arrêter la procédure entamée par le parlement de Rennes par lettres patentes. En réponse, tous les Parlements de France se solidarisèrent avec le Parlement de Rennes pour déclarer nulles les lettres patentes royales.
Par l’entremise du chancelier Maupeou, le roi fit sommer les parlementaires de rentrer dans l’obéissance. En grande majorité, ces derniers refusèrent ce qui entraina leur déchéance et leur exil. On voit jusqu'à quelles extrémités la révolte s'était développée. Mais le Roi avait compris la leçon et la justice jusqu'alors administrée par des magistrats dont la charge était héréditaire devint une institution publique, avec des fonctionnaires payés par l'État. Elle l’est toujours. C’est ainsi qu’après une véritable fronde des magistrats qui toucha l’ensemble du royaume, le Roi finit par obtenir la fin de la rébellion des Parlements. Malheureusement, à peine installé sur le trône, Louis XVI fit une imprudente marche arrière qui le conduisit jusqu'à l'échafaud.
Louis XV suivit, relativement aux affaires étrangères, le même chemin que celui qu'il avait parcouru avec les affaires intérieures. Il commença par rechercher la paix à tout prix, en pratiquant une politique d'alliance avec l’Angleterre, tout en se réconciliant avec l'Espagne.
Cependant il intervint sans grand succès dans la guerre de Succession de Pologne, ce qui permit tout de même à terme l’intégration de la Lorraine dans le royaume de France.
Il joua ensuite le rôle peu risqué de médiateur, avant d’entrer en conflit avec l’Autriche, aux cotés de la Prusse, dans la guerre de Succession d’Autriche. Les troupes françaises remportèrent de grands succès militaires. Mais, sans doute pour faire pardonner les atrocités du règne de Louis XIV, Louis XV se comporta chevaleresquement en rendant à l’Autriche les conquêtes de ses troupes, ce qui ne contribua guère à sa popularité en France, d'où l'expression qui est restée "Travailler pour le Roi de Prusse".
Cette impopularité ne fit que s’accroître lorsqu’un renversement d’alliance conduisit Louis XV à combattre sans succès les Anglais et les Prussiens au cours de la Guerre de Sept ans, qui se termina par la perte du Canada et de l'Inde au profit des Britanniques*.
Finalement, lorsque Louis XV mourut, le 10 mai 1774, victime de la variole, ce fut dans l’indifférence ou dans l’hostilité, tant ses actes à la tête du pouvoir avaient paru illégitimes, même si cette illégitimité tenait plus à la structure de l’Etat qu’à ses actes personnels. Le dernier acte avant la Révolution restait encore à jouer.
Louis XV annonçait bien Louis XVI : un roi trop faible pour un pouvoir trop lourd.
* Voir la longue série de billets que j'ai consacré à l'aspect canadien du conflit entre la France et le Royaume-Uni.
À SUIVRE
LES PREMIÈRES SANCTIONS MASOCHISTES DE L'HISTOIRE
Iran, Syrie Irak, Corée du Nord, Venezuela, Cuba et tout récemment Russie, les sanctions pleuvent. Solution miracle qui contraint les pays sanctionnés à plier devant le droit international ou solution de facilité qui cache un échec total?
Le système des sanctions ne date pas d'hier et ce ne sont pas les États-Unis qui l'ont inventé même s'ils l'utilisent jusqu'à plus soif. Car Machiavel écrivait déjà au XVe siècle : "Il vaut mieux triompher de son ennemi par la faim que par le fer" et, durant la Première Guerre Mondiale, les pays de la Triple-Entente avaient mis en place un embargo sévère à l'encontre de la Triple-Alliance, affaiblissant l'Empire allemand et provoquant des centaines de milliers de morts, selon les historiens.
Aujourd'hui, une sanction économique internationale consiste à faire pression sur un pays en tentant de le priver de ses ressources économiques dans le but (officiel) de le faire changer de comportement. Les sanctions deviennent ainsi une arme de substitution à la force militaire.
Au fond, il s'agit d'utiliser les sanctions pour faire la guerre à un pays sans effusion du sang, du moins visible, car les opinions publiques s'offusquent naturellement des horreurs de la guerre. C'est pourquoi Madeleine Albright, secrétaire d'État sous Bill Clinton, a été particulièrement imprudente lorsque, pour se défendre des crimes de guerre contre l'humanité dont on l'accusait en raison de son soutien aux sanctions internationales contre l'Irak qui auraient provoqué la mort de 500 000 enfants irakiens, elle déclara que c'était une « décision difficile » mais qu'en définitive cela « en valait la peine"!
Les sanctions ont donc l'avantage d'être acceptables par l'opinion publique, ce qui a fait dire au Ministre des Finances, Bruno Lemaire, lorsque l'attaque de l'Ukraine par la Russie a débuté : "Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie", dans le but officiel de la gagner mais avec pour effet direct de punir les populations européennes, ce qu'il n'avait apparemment pas envisagé.
Car peut-on vraiment gagner une guerre en appliquant des sanctions? On cite toujours le cas de l'Afrique du Sud qui aurait renoncé à l'apartheid sous le poids des sanctions. Mais deux données spécifiques expliquent ce succès: tout d'abord, l'ensemble, ou très peu s'en faut, de la communauté internationale a respecté de stricts embargos dans les années 1970 et 1980 contre l'Afrique du Sud pour obtenir l'abolition des lois ségrégationnistes. Ensuite la classe dirigeante d'Afrique du Sud faisait partie de la classe dirigeante anglo-saxonne, elle ne pouvait donc pas se couper très longtemps de cette dernière, en raison de ses intérêts croisés et de sa culture.
Mais l'Afrique du Sud reste le seul cas moderne du succès des sanctions. L'échec le plus célébré est certainement Cuba. Le 25 janvier 1962, toutes les relations, diplomatiques, commerciales et aériennes, ont été supprimées entre Cuba, les pays d'Amérique Latine et la plupart des alliés occidentaux des États-Unis. Cet embargo avait pour objectif de faire plier le régime de Fidel Castro, qui avait le double défaut d'être communiste et irrespectueux des droits de l'homme. Or le soutien sans faille de l'URSS à cet allié essentiel, l'adaptation de l'économie cubaine à l'embargo et l'essoufflement des sanctions expliquent que, soixante ans plus tard, le régime politique n'a toujours pas changé à Cuba.
Mais les sanctions, dont la France est également friande*, sont non seulement inefficaces mais parfaitement immorales, car les premières victimes en sont les populations civiles. Le cas de l'Irak est l'un des plus scandaleux, puisque l'embargo sur les médicaments a généré des centaines de milliers de morts, tandis que cet embargo sur les médicaments s'applique actuellement à l'Iran. La population civile de Syrie a, de son côté, subit une double peine, avec une décennie de guerre civile conclue par des sanctions économiques pour punir le régime syrien : c'est ainsi qu'aujourd'hui 14 millions de Syriens relèvent d'une aide humanitaire et que les défenseurs des droits de l'homme deviennent des bourreaux de l'humanité. En clair, tant qu'il n'y aura pas de vote contrôlé par les Nations Unies en Syrie, pas de médicaments pour les enfants syriens!
Il reste tout de même l'aspect symbolique des sanctions qui ont au minimum l'avantage de montrer à l'opinion publique mondiale que l'on ne peut pas violer impunément. Mais encore faut-il que les mêmes règles s'appliquent à tous. Or elles s'appliquent aujourd’hui à la Russie mais elles ne se sont pas appliquées aux États-Unis et à leurs alliés lorsqu'ils ont attaqué la Serbie et détaché le Kosovo de son territoire national en 1999. Du coup le symbole de la sanction, au lieu d'être vue comme une juste punition internationale, offre l'image d'un vulgaire outil de puissance.
En matière de sanctions, on ne les avait encore jamais vu prendre une forme aussi baroque que contre la Russie. En effet, les sommets en matière de contre productivité des sanctions sont atteints puisqu'elles frappent plus une partie des pays qui appliquent les sanctions, l'Union Européenne et la Grande Bretagne, et les pays tiers, en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud que le pays théoriquement visé, la Russie. Les Russes souffrent certes beaucoup de la vente à perte de Mc Donald a un concurrent russe car je ne suis pas sûr que la qualité des hamburgers n'en pâtisse pas (encore que), tandis que les Européens souffrent et souffriront fortement de la pénurie de gaz et de céréales.
S'y l'on y ajoute qu'une grande partie du monde, à commencer par la Chine et l'Inde, n'appliquent pas les sanctions occidentales, on voit une grande nouveauté apparaitre sur la scène des sanctions internationales, à savoir des sanctions que des pays s'appliquent à eux-mêmes, au premier rang desquels campe l'Allemagne.
Cela n'entre pas dans le champ d'analyse de ce billet, mais il reste donc à prévoir combien de temps les premières sanctions masochistes de l'histoire tiendront...
* La France n'est pas en reste en matière de sanctions qu'elle applique à 24 pays, militaires pour la Lybie, la Corée du Nord, le Zimbabwe, l'Iran, sectorielles pour le Venezuela, la Somalie, la Syrie, l'Irak, l'Iran, la Russie et la Corée du Nord. Il s'y ajoute les sanctions mises en place par l'UE.
MAXIME GORKI
Je poursuis la publication de billets sur les écrivains russes du vingtième siècle, aujourd'hui Maxime Gorki, avant que l'on considère dans cette partie de l'Europe que les écrivains russes n'ont plus droit de cité.
Alekseï Maksimovitch Pechkov, dit Maxime Gorki, est né en 1868 à Nijni Novgorod. Le choix de son pseudonyme dit tout, puisque « gorki » signifie amer. En français, l’on traduirait son nom par « l’amer Maxime ». Gorki a eu en effet une vie extrêmement dure dans sa jeunesse, puisque, dès l’âge de huit ans, il a dû abandonner l’école et subvenir à ses besoins par toutes sortes de petites tâches, aide savetier, coursier, garçon de cuisine.
Mais il possédait un talent d’écrivain qu’il commença à exploiter vers l’âge de 24 ans par des nouvelles dont la romantique et rebelle Makar Tchoudra qui le fit découvrir par le public russe.
Sa rébellion s’affirma à l’aube du XXe siècle, si bien que sa participation à la révolution de 1905 le contraignit à partir aux États-Unis puis en Italie, à Capri. Amnistié, il revint en Russie en 1913 pour lancer le journal rebelle « Nouvelle Vie » et commença à écrire son autobiographie dont Enfance (1914) constitue le premier des trois tomes.
Il retourna en Italie avant la révolution de 1917 pour y soigner sa tuberculose et ne revint en URSS qu’en 1932, à l’invitation de Staline, avant d'y mourir en 1936. Officiellement chantre de la révolution, il reste aujourd’hui une sorte de médiateur entre deux Russies successives : la tsariste et la soviétique.
Dans Enfance, qui est son chef d’œuvre, Gorki évoque, sans lyrisme ni complaisance, cette période marquée par le malheur et la misère.
Assistant successivement à la mort de son père puis de sa mère, Gorki est élevé par son grand-père, un homme dur et violent et par sa grand-mère, toute en douceur et tendresse, mais il subit aussi la présence, dans ce foyer pauvre et désespéré, de ses indignes oncles.
L’ouvrage Enfance s’achève lorsque l’auteur, âgé de douze ans, doit obéir à son grand-père qui le somme d’aller travailler pour subvenir à ses besoins. Son récit sur sa vie d’enfant nous dit tout sur lui, à commencer par sa soif de justice et de liberté mais aussi sa foi dans la grandeur et la résistance de l’âme russe.
Voici quelques extraits d’Enfance :
- Au sujet de sa grand-mère :
« Toute sa personne était sombre, mais ses yeux brillaient d’une lumière chaude et gaie. Elle était voutée, presque bossue, et très corpulente ; pourtant elle se déplaçait avec aisance et légèreté comme une grosse chatte, dont elle avait aussi la douleur caressante. Avant de la connaitre, j’avais comme sommeillé dans les ténèbres ; mais elle parut, me réveilla et me guida vers la lumière »
- Sur le peuple russe :
« Plus tard, j’ai compris que les Russes, dont la vie est morne et misérable, trouvent dans leur chagrin une distraction. Comme des enfants, ils jouent avec leurs malheurs dont ils n’éprouvent aucune honte. Dans la monotonie de la vie quotidienne, le malheur lui-même est une fête… »
- Lors du décès de sa mère :
« Je restai très longtemps immobile près du lit, la tasse à la main, regardant le visage qui se figeait et devenait gris.
Lorsque grand-père entra, je lui dis :
- Elle est morte, ma mère.
Il jeta un coup d’œil vers le lit :
- Qu’est-ce que tu racontes ? (…)
Quelques jours après l’enterrement, grand-père me dit :
- Eh bien, Alexis, tu n’es pas une médaille, tu ne peux pas rester toujours pendu à mon cou, va donc gagner ton pain…
Et je partis gagner mon pain. »
Enfance se poursuivit avec les publications de Parmi les gens et de Mes universités.
La mort de Maxime Gorki, qui était devenu un personnage équivoque aux yeux du régime, reste suspecte. Il serait mort officiellement d’une pneumonie le 18 juin 1936 mais l’on soupçonne un empoisonnement.
Staline et Molotov furent deux des porteurs du cercueil de Gorki, mis en scène comme un évènement mondial. Il a été inhumé dans la nécropole du mur du Kremlin derrière le mausolée de Lénine.
À SUIVRE