Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog d'André Boyer

LES NOËLS

24 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

PUGET-THENIERS EN HIVER

PUGET-THENIERS EN HIVER

La brume descendait du Gourdan exprès pour noyer Puget-Théniers, privé de soleil jusqu'au 21 janvier, comme s'il était puni chaque année d'avoir voulu se nicher au déboulé de la Roudoule dans le Var.

 

Arrivant au village en ce mois de décembre, devant notre maison désormais vide et froide, entourée de son jardin figé, je me suis souvenu avec nostalgie des Noëls que nous y avons vécus.

Il n'en a pas toujours été ainsi. Auparavant, nous logions dans un appartement au-dessus de la Fabrique* et je ne me souviens pas des Noëls de très jeune enfant que j'y ai passés, sauf d'un émerveillement, la descente sur le centre de Nice avec d'incroyables Galeries Lafayette aux vitrines décorées de pères Noël, de crèches et de jouets et puis le quatrième étage des mêmes Galeries bruissant des cris des enfants et des ronronnements des jouets, dans un festival de lumières et de couleurs.

Mais, dans ce qui fut notre véritable maison familiale où ma mère a passé soixante-dix ans de sa vie et mon père quarante, nous avons commencé à fêter Noël lorsque j'avais sept ans. Nous étions en vacances quelques jours auparavant et ma mère nous attendait pour aller chercher de la mousse et du gui dans la forêt de l'autre côté du Var, une forêt bien humide que nous atteignions par un chemin qui partait de l'Usine Brouchier**. Il faisait froid, nous avions les mains gelées mais nous nous sentions des aventuriers intrépides, longtemps accompagnés par notre chien qui folâtrait tout autour.

De retour à la maison, ma mère finissait la crèche en l'entourant de mousse et ajoutait du gui dans l'arbre de Noël, qui  avait été coupé dans la colle Saint Michel par l'un des employés qui faisaient la tournée du Haut Verdon, Louis Rosie en général. L'arbre, de bonne taille, était cloué sur une croix de bois et installé dans le salon.

Pour concevoir sa crèche, ma mère s'était inspirée d’une crèche réalisée par un ami de la famille, Jo Boggio, qui représentait des maisons de Puget, l'église, une maison du vieux village, une autre à moitié détruite et même la gare, tout cela en contreplaqué peint. Elle y plaçait ses santons de Provence, un peu plus nombreux chaque année autour de la crèche proprement dite où se nichaient tous les personnages qui attendaient Jésus, y compris l'âne et le bœuf. Jésus, lui, ne venait naturellement s'installer au centre de la crèche que le 25 décembre au petit matin.

Le plus remarquable reste que toute la crèche, bien rangée, subsiste toujours. En outre, ma sœur a eu la magnifique idée d'en faire une copie et je ne doute pas qu'elle ressorte un beau jour, un très beau jour.

Le soir de Noël, ma mère, mon père enfin libéré de son travail, ma sœur, mon frère, longtemps ma grand-mère, quelquefois une invitée comme Jeanne*** et moi, plus tard mon fils Thierry et ma femme, partagions le repas avec ses traditionnels treize desserts pugétois, dont la tourte de blettes, la tarte à la confiture, les fruits confits, les ganses et les nougats, écoutions "Petit Papa Noël" de Tino Rossi et allions à la messe à l'Église du Village dont ma mère tenait l'orgue.

Parfois il neigeait, toujours il faisait froid y compris à l'Église, mais tout était si singulier, la nuit, la foule, les chants de Noël que nous criions à tue-tête (Il est né le divin enfant !) et la perspective pour le lendemain matin d'une pluie de cadeaux nous transportaient d'allégresse dans un village de rêve. Et le lendemain matin, les escaliers descendus à toute vitesse, les jouets, la joie mêlée de chamailleries, le repas de Noël, le film de l'après-midi dans la salle que tenait Loulou Passeron le grand-oncle d'Anthony****, entretenaient la rêverie.

Je ne sais plus très bien quand notre mère a cessé d'installer l'arbre de Noël et la crèche. Sans doute quand elle n'a plus vu ses enfants et petits-enfants venir fêter Noël chez elle. J'imagine que cela a été un crève-cœur, tant cette période était importante pour elle.

Heureusement, depuis 1981 et pendant dix ans, Mireille, Jean-Bernard et leurs enfants venaient une année sur deux et l'autre année nos parents les rejoignaient chez les parents de Jean-Bernard, à Sarcelles. Puis notre père est mort en 1992 et notre mère est allée passer les mois de décembre et de janvier chez ma sœur où elle a retrouvé l'atmosphère familiale enchantée des Noëls qu'elle avait maintenu au cours de toutes ces années. À Puget, son retour autour du printemps était ponctué de joyeux "Madame Boyer est revenue !" tant elle manquait dans le paysage pugétois. Ce Noël est le premier où elle manque partout. 

Cependant nous avons toujours maintenu la tradition. Il y a plus de trente ans qu'ils se déroulent dans notre maison de Nice, sauf quelques interruptions. Le soir de Noël, nous partageons en famille un excellent repas. Rien n'y manque, ni foie gras, ni gibier, ni Gewurztraminer vendanges tardives, ni les treize desserts de Provence. Puis, un peu lourd, je me rends à la Messe de Minuit, j'y tiens. Le lendemain matin, un peu trop tôt, les enfants, aujourd'hui les petits enfants, arrivent devant le sapin de Noël qui brille chez nous depuis quelques jours mais qui est alors assiégé de paquets multicolores. Le temps de la distribution des cadeaux est celui de l'émerveillement, suivi d'un temps plus indécis ou chacun se retrouve face à ses découvertes, à la recherche de piles électriques et de modes d'emploi.

 

Puis, jusqu'à l'année prochaine, Noël s'éloigne dans le rétroviseur du temps qui passe, souvenir merveilleux de partage, de joie enfantine et d'innocence...

 

* La Fabrique de Pâtes que mon grand-père avait créée en 1907 et que mon père exploitait tout en cherchant à l'adapter aux vagues du progrès technique qui menaçaient de l'ensevelir.

**L'Usine Brouchier, c'est toute une histoire, une usine de meubles, le principal employeur du village, un canal et une chute d'eau pour l'électricité, des Allemands qui y mettent le feu en 1944, l'Usine qui repart, qui est vendue et qui se meurt.

***Jeanne Cotton, l'employée de toujours de mon père et surtout l'amie de la famille.

****Anthony Passeron, Les Enfants endormis, Globe, 2022.

LA RUE DU 4 SEPTEMBRE QUI MÈNE À L'ÉGLISE

LA RUE DU 4 SEPTEMBRE QUI MÈNE À L'ÉGLISE

Lire la suite

LE PROBLÈME DE DIAGORAS

22 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

LE GÉNÉRALISSIME GAMELIN

LE GÉNÉRALISSIME GAMELIN

Jusqu'ici, nous savons que rien ne nous garantit contre l'apparition d'un Cygne Noir, ni une longue cohorte de Cygnes Blancs, ni une avalanche de "preuves" en leur faveur. Qu'est ce qui nous fait encore défaut pour voir venir ce Cygne Noir?

 

Lisez l'histoire de Diagoras que nous conte Cicéron. Ce Diagoras n'était qu'un fichu athée que ses amis croyants essayaient de convertir. Pour y parvenir, ils lui montraient des tablettes peintes représentant d'un côté des dévots en train de prier et de l'autre côté les mêmes dévots qui avaient réussi à survivre au naufrage de leur navire.

"Tu vois, disaient ses amis à Diagoras, ils ont prié et ils ont survécu !". Certains étaient plus directs : " C'est parce qu'ils ont prié qu'ils ont survécu !". Diagoras les écouta tous quelque temps sans rien dire, puis il plissa son front en signe de réflexion avant de les interroger :  "Mais où sont les portraits de ceux qui avaient prié et qui sont morts noyés ?".

Cette terrible question est double. D'une part, les vainqueurs quels qu'ils soient, rescapés d'un accident, gagnants en affaires, sportifs triomphants ou même vainqueurs au Loto, ont une fâcheuse tendance, et le bon public avec eux, à attribuer leurs succès à leurs mérites, rarement à la chance. On peut même généraliser et postuler que les hommes, parce qu'ils sont à la recherche forcenée d'une explication, ont tendance à relier un peu trop simplement les effets à une cause, que ce soient des succès ou des échecs. Surtout les succès*.

D'autre part, si on entoure volontiers les gagnants et si l'on scrute les raisons de leur succès, on regarde avec moins d'acuité le sort des perdants. "Vae victis " : si l'on a perdu, c'est qu'il y a une raison, parce que l'on était plus faible, moins intelligent ou parfois, mais on le mentionne peu volontiers, moins chanceux que les vainqueurs.

C'est ainsi que, longtemps, j'ai été impressionné par le tout petit nombre d'ouvrages consacrés en France à la défaite de 1940, à l'exception du livre de Marc Bloch, écrit sur le coup, "L'Étrange défaite". En revanche les ouvrages anglo-saxons pullulaient sur le sujet. Pourquoi donc les historiens français ne voulaient-ils pas tirer les leçons de cette retentissante défaite stratégique, militaire et même sociétale de la France ? La réponse tenait dans la question : ils ne tenaient pas du tout à en tirer les leçons, des leçons trop lourdes de conséquences, tant l'échec français était patent. Ils se refusaient tout bonnement à l'analyser. En revanche, les anglo-saxons s'en gargarisaient, y trouvant toutes sortes de justifications à leur supposée supériorité, oubliant souvent de mentionner l'existence de la Manche comme la raison principale de leur survie...

C'est très ennuyeux de se refuser à analyser d'analyser les raisons de l'échec, en particulier du sien, lorsque l'on veut comprendre d'où viendra le prochain Cygne Noir. J'aurais rêvé, après mai 1940 qui a vu la plus grande défaite de l'histoire de France, qu'une conférence nationale se réunisse pour en déterminer les causes et en tirer les conséquences. Au contraire, on n'a eu de cesse de pousser la poussière du désastre sous le tapis. C'était pourtant l'usage des Romains de la République de tirer les leçons de leurs échecs, avec la volonté d'en analyser sérieusement les causes tout en n'hésitant pas à reconnaitre le rôle du hasard, afin d'en tirer les conséquences...pour gagner.

Mais lorsque nous attribuons des causes simplistes à des évènements complexes, ne nous étonnons pas de voir débouler un Cygne Noir là où nous n'attendions que des Cygnes Blancs.  

En posant que les Ardennes étaient infranchissables aux chars allemands, Gamelin les a vu tronçonner ses armées en deux. Mais, si à la suite de cette immense faute stratégique, les Français attribuent au seul Gamelin la perte de la guerre de 1940, ils commettent une erreur d'analyse tout aussi monumentale.  Car ni Gamelin, ni les Français n'ont sérieusement pris les moyens de voir venir le Cygne Noir : le premier en a bu les conséquences jusqu'à la lie, les seconds sont encore et toujours les victimes de leur refus d'analyser les causes de la défaite.

 

Nous proposons donc une quatrième règle, la règle de Diagoras, pour ne pas être surpris par l'irruption d'un Cygne Noir inattendu : sans sous-estimer le rôle du hasard, regardez les vaincus comme les vainqueurs dans toutes leurs dimensions avant d'attribuer une cause simple à un échec ou à un succès.

 

* Essayez de publier le livre dont le titre serait le suivant : " Ce que j'ai appris en perdant un million d'Euros". Bonne chance pour trouver un éditeur.

 

À SUIVRE 

Lire la suite

S'ACCROCHER MORDICUS À SA VISION DU MONDE

17 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

KARL POPPER

KARL POPPER

Vu par la dinde, la privation de nourriture qui a lieu le mille et unième jour est un Cygne Noir. Pas pour le boucher, toutefois.

 

Car le Cygne Noir est une histoire de dupe. La dinde est victime de sa naïveté. Si elle l'était moins, on n'arriverait pas à engraisser les dindes, ce qui signifie que l'on peut éliminer un Cygne Noir grâce à sa capacité d'analyse des données.

Or nous nous trompons nous-même, en raison de notre volonté farouche de voir confirmée par les faits notre vision du monde. Cela se traduit par la recherche d'exemples qui apportent de l'eau à notre moulin. Les scientifiques, c'est leur péché, véniel ou mortel c'est selon, testent des hypothèses qui leur conviennent à l'aide d'exemples, qu'ils n'ont aucun mal à trouver. Je peux témoigner qu'au cours de ma carrière universitaire, j'ai rarement* rencontré des chercheurs qui testaient leurs hypothèses avec pour objectif de les invalider!

Mais une succession de faits confirmatifs ne constituent pas une preuve, tandis qu'un fait négatif, en d'autres termes un Cygne Noir, est lui bel est bien une preuve. Pour la dinde, mille journées d'observation ne prouvent rien, mais une seule journée à la diète prouve qu'elle avait tort d'être confiante.

Karl Popper** a élaboré une théorie à propos de cette asymétrie de l’information, qui est fondée sur la technique de la "falsification", ou en bon français sur la technique de la "réfutation", destinée à faire la différence entre les affirmations scientifiques et celles qui ne le sont pas.

Même s'il n'est pas toujours facile de "falsifier", c'est à dire de déclarer que quelque chose est faux avec une certitude absolue, il n'en reste pas moins que l'on est beaucoup plus sûr de ce qui est faux que de ce qui est vrai.

Le mécanisme de vérification fonctionne ainsi selon Popper : vous formulez une hypothèse et vous vous mettez en quête de faits qui la réfutent, au lieu de rechercher des exemples confirmatifs. Tant que vous n'avez pas trouvé des faits qui contredisent votre hypothèse, elle est réputée "vraie". Provisoirement.

Il faut reconnaitre que Georges Soros*** illustre bien cette démarche lorsqu'il fait un pari financier et qu'il passe son temps à chercher des exemples qui réfuteraient (et non qui illustreraient) sa théorie initiale. Mais, pour le commun des mortels, lorsque l'esprit est habité par une certaine vision du monde, il a tendance à considérer uniquement les exemples qui lui donnent raison. Le paradoxe vient de l'observation que, plus on a d'informations et plus on a l'impression que nos opinions sont justifiées.

La guerre entre la Russie et l'Ukraine l'illustre parfaitement qui fait que toutes les informations corroborent notre conviction que Poutine est le méchant et les médias, qui, ne pouvant aller à contre-courant de tous, font en sorte qu'aucune information n'aille en sens inverse. Si bien que plus vous êtes informé, moins vous comprenez ce qui se passe puisque le moindre Cygne Noir est abattu en vol, tandis que les Cygnes Blancs sont préservés de tout croisement intempestif. Cela présente l'avantage de vous permettre de rester confortable avec vos opinions, mais ne vous laisse aucune chance d'apercevoir le moindre Cygne Noir.

Certes, tous les faits corroborent votre opinion, mais le problème est que les preuves confirmatives, cela n'existe tout simplement pas, car un rien, un souffle suffit à les balayer. Imaginez par exemple qu'apparaisse soudainement une rumeur, seulement une rumeur, de négociation entre la Russie et les États-Unis ou de fuite de Poutine en Argentine et le jour même, le prix du gaz s’effondre et toutes vos certitudes avec.   

Pourtant, nous ne sommes pas si naïfs. Nous ne croyons pas n'importe quoi, nous possédons, issus de nos gènes, un instinct inductif dès la petite enfance, mais il semble que la complexité du monde s'accroisse plus vite que notre instinct, qui semble avoir appris à faire des déductions rapides en se focalisant sur un petit nombre de causes de Cygnes Noirs.

 

D'où une troisième règle pour ne pas voir arriver des Cygnes Noirs inattendus : quel que soit leur nombre rien ne peut vous garantir qu'il n'existe que des Cygnes Blancs, mais un rien peut l'infirmer.

 

* Tout de même quelques-uns parmi mes collègues et doctorants se reconnaitront.

** Karl Popper, la logique de la découverte scientifique, 1935, 2017, Payot.

*** Georges Soros, L'Alchimie de la Finance, 1998, Valor. 

 

À SUIVRE

Lire la suite

RECONNAITRE UN CYGNE NOIR

12 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

RECONNAITRE UN CYGNE NOIR

Un Cygne Noir est un évènement aberrant, qui a un fort impact sur les évènements futurs et que nous cherchons, à posteriori, à rendre explicable, donc prévisible.

 

Par exemple, la guerre de 1914 était imprévisible, ou plus exactement son avènement, son ampleur et ses conséquences étaient imprévisibles et de multiples historiens ont cherché à l'expliquer, après.

Je me suis souvent attaché à prévoir la survenance de Cygnes Noirs. Par exemple, j'ai écrit en 1981 un article sur la future chute de l'URSS, intitulé "L'URSS de papier", qui n'a eu aucun succès malgré mes nombreux efforts pour le publier. Presque tout le monde pensait, avant sa chute, que l'URSS était installée pour l'éternité et les mêmes, à ma grande indignation, m'ont expliqué ensuite pourquoi elle était inévitable et prévisible ! J'avais également prévu dans ce blog, dès le début de la guerre en Syrie, qu'Assad ne tomberait pas et j'ai expliqué pourquoi. Cependant le but de ce billet n'est pas de m’auto glorifier mais de montrer que les Cygnes Noirs sont parfois prévisibles.

La première règle à poser est qu'aucune vérité unanimement reconnue par tous ne doit être acceptée à priori.

Il arrive cependant que ce que tout le monde pense soit vrai, mais il s'agit d'évidences sans intérêt. Par exemple, "le soleil se lève chaque matin" est un "Cygne Blanc" qui ne mérite pas d'être discuté, du moins au moment où j'écris ces lignes.

En revanche l'issue de la guerre en Ukraine mérite de l'être. Ce qu'écrivent les commentateurs en Europe est par définition partial, puisqu'ils sont en désaccord total avec l'un des acteurs majeurs, Poutine. Il nous faut donc examiner la question plus au fond, sous les angles stratégiques, politiques, culturels, économiques et recueillir des données. Mais, pour le moment, j'avoue que je n'ai pas recueilli assez d'informations pertinentes pour écrire quelque chose d'utile sur le sujet et donc je n'écris pas. Car, tant que je ne vois pas apparaitre de Cygne Noir, à quoi cela servirait de répéter à mon tour que tous les cygnes sont blancs ?

L'histoire est opaque. Nous croyons comprendre le monde parce que nous le simplifions. Comme sa complexité nous échappe, nous sommes contraints de nous contenter de l’analyser à posteriori et selon nos schémas pré établis, si bien qu'à la fin nous n'avons rien appris des évènements. Car l'histoire n'est pas linéaire, elle saute de fracture en fracture. Quels Romains ont prévu que le christianisme deviendrait la religion dominante en Méditerranée et que, sept siècles plus tard, une escouade de cavaliers étendrait la loi islamique de l'Espagne ou sous-continent indien et qu'elle y serait toujours en vigueur treize siècles plus tard ?

Le premier problème que l'on rencontre lorsque l'on essaie de prévoir l'avenir est celui du passé. L'homme observe les expériences de sa vie et en déduit ce qui l'attend dans ce monde. La dinde aussi, comme l'observe Russel*. Comme elle est nourrie tous les jours, elle en déduit que la règle générale de la vie consiste à être nourrie quotidiennement par de sympathiques êtres humains qui veillent sur ses intérêts. Cette croyance de la dinde se renforce chaque jour un peu plus, au fur et à mesure où elle constate qu'on la nourrit sans relâche amicalement, si bien que sa confiance s'accroit jusqu’au jour où, le mille unième jour, il lui arrive quelque chose d'inattendu, le « gentil » fermier cessant de la nourrir.

On peut tirer de la triste histoire de la dinde des conséquences sur la nature de la connaissance empirique : quelque chose fonctionnait dans le passé jusqu'à ce que, contre toute attente, ce ne soit plus le cas. C'est ce qui nous guette lorsque nous formulons des conclusions sur la seule base des données concernant le passé.

Un exemple d'actualité : les Français se croyaient à l'abri de toute pénurie énergétique avec leurs 56 centrales nucléaires et tout d'un coup ils apprennent que l'électricité risque de manquer, tandis que les artisans découvrent que les prix de l'électricité vont quintupler pour eux. Quelque chose leur a échappé dans le passé qui a un impact surprenant pour eux aujourd'hui.

Un autre exemple, célèbre : en 1907, E.J. Smith, futur capitaine du Titanic, fit la déclaration suivante :

" Pendant toutes ces années passées en mer, je n'ai vu qu'un seul navire en détresse. Je n'ai jamais vu de bateau échoué et je n'ai jamais échoué moi-même, ni été dans une situation difficile qui menaçait de tourner au désastre"

En 1912, il l'a vu.

 

D'où notre deuxième règle pour avoir une chance de reconnaitre le Cygne Noir avant qu'il ne produise ses effets, négatifs ou positifs : nous ne connaissons tout simplement pas la quantité d'information que recèle le passé.

 

*"L'homme qui a nourri le poulet tous les jours de sa vie finit par lui tordre le cou, montrant par là qu'il eût été bien utile au dit poulet d'avoir une vision plus subtile de l'uniformité de la nature" (Bertrand Russell, Problèmes de Philosophie, 1989)

 

A SUIVRE

Lire la suite

L'IRRUPTION DU NEW SPACE

10 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

L'IRRUPTION DU NEW SPACE

La compétition entre l’URSS et les États-Unis fait que l’on regarde la conquête de l’espace en termes stratégiques plutôt qu'économiques, alors que l'aspect économique prend de plus en plus d'importance dans l'activité spatiale.  

 

Dans le passé, plusieurs pays ont tenté de développer de nouvelles fusées, de nouvelles sondes, de nouveaux satellites pour imprimer leur marque dans l'histoire, pour renforcer leur prestige et pour en tirer des avantages stratégiques.

L'Europe mais aussi des pays comme la Chine ou l’Inde ont développé leur programme spatial. En 2003, la Chine a lancé son premier vol habité avec la capsule Shenzhou 5 et avec son programme Chang’e, Pékin espère devenir le premier pays asiatique à envoyer un homme sur la Lune. Le programme spatial de l’Inde a débuté dans les années 1960 avec un premier satellite construit à l’aide de la technologie soviétique. Le programme s'est poursuivi avec le lancement de la sonde Mangalyaan en orbite autour de Mars. 

La conquête de l’espace pose évidemment une question économique. L’ordre de grandeur des dépenses spatiales est fort différent selon les pays. Les États-Unis dépensent plus de quarante milliards de dollars chaque année pour leurs programmes spatiaux, l’Europe sept milliards et la Russie comme la Chine environ cinq milliards. Ces dépenses n’ont pas que des objectifs stratégiques mais aussi économiques. C’est ainsi que la Chine développe depuis les années 1980 des lanceurs capables de placer des satellites en orbite géostationnaire, avec pour objectif de générer des revenus pour financer le programme spatial, tandis que les États-Unis utilisent l’invention du GPS pour financer le leur.

Car de nouveaux secteurs stratégiques et économiques se sont développés qui dépendent désormais de l’espace, comme les télécommunications, la cartographie et l’aide à la navigation, mais aussi l’observation météorologique et la surveillance des catastrophes naturelles. Chaque jour apparaissent de nouveaux usages des données issues des satellites d’observation de la terre : scruter l’état des sécheresses ou le rendement des récoltes, surveiller la vitesse de déforestation ou d’érosion des plages, vérifier le taux de remplissage de parkings ou observer l’état de plateformes offshore.

Par rapport aux acteurs publics, les acteurs privés jouent un rôle croissant dans la guerre économique qui s’est engagée dans l’espace. Ainsi la constellation de satellites que SpaceX met actuellement en orbite a pour objectif de fournir une couverture Internet mondiale, y compris dans les endroits les plus isolés, permettant de faire fonctionner les lignes téléphoniques, mais aussi les véhicules autonomes. Dans cette guerre économique, les États-Unis ont inventé le concept de New Space, défini comme l’écosystème formé autour des sociétés privées et publiques américaines qui conçoivent et utilisent leurs propres lanceurs, et peuvent opérer des flottes de satellites, par opposition à l’Old Space dominé par les organisations publiques. Pour eux, la transformation de l'Old Space en New Space résulte de l’ouverture de l’espace à des acteurs privés qui ouvrent de nouveaux champs d’application avec des objectifs financiers.

Le New Space s'est traduit depuis une dizaine d'années par la multiplication de nouveaux acteurs spatiaux souvent issus du monde numérique, des innovations technologiques majeures telles que la réutilisation des équipements, la miniaturisation des composants, l'utilisation de nouveaux carburants comme le méthanol et la motorisation électrique, l'utilisation de l'impression 3D comme système de production et finalement la baisse du coût de l’espace

 

On peut donc écrire que le New Space, c'est l’ubérisation d'une industrie spatiale qui génère des nano satellites au prix de quelques dizaines de milliers d’euros par unité contre plusieurs dizaines de millions d'euros pour les satellites de télécommunication classiques.

 

À SUIVRE

Lire la suite