VERS L'INDÉPENDANCE DE LA NOUVELLE CALÉDONIE ?
Le territoire néo calédonien est marqué par les différences entre kanaks, caldoches et les nouveaux arrivants, qu’ils proviennent d’Europe, de Wallis et Futuna ou d’Asie. Ces différences fragilisent le pays, qui a d’autant plus de difficultés à s’adapter aux crises qui l’atteignent.
La plus importante de ces crises concerne le revenu issu de l’extraction du nickel. La Nouvelle-Calédonie détient le douzième des réserves mondiales de nickel, ce qui la fait vivre au rythme des oscillations des cours mondiaux : que le prix monte et les usines tournent, le chômage baisse, l’espoir renait. Qu’il baisse et une sorte de dépression, économique et psychique, s’abat sur l’ile, accentuant les effets matériels de l’extension de la pauvreté.
L’offre néocalédonienne est en partie détenue par les Kanaks, une autre partie revenant aux caldoches, les deux ayant dû s’adjoindre des partenaires étrangers, l’apport financier français se révélant insuffisant.
Cette offre est constituée par l’usine de Koniambo dans le nord de l’ile, dont le capital est détenu à 51 % par la SMSP qui appartient aux Kanaks et à 49 % par le groupe anglo-suisse Glencore, ainsi que l’usine hydro métallurgique de Goro, détenue à 95 % par Prony Resources qui produit du nickel et du cobalt, avec pour principal client Tesla.
Il faut y ajouter la plus que centenaire usine pyrométallurgique de Doniambo (Nouméa) qui appartient à la SLN, dont 56 % du capital est entre les mains du groupe français Eramet.
Avec la moitié de la production métallurgique achetée, la Chine est le principal client pour le nickel métal et le deuxième pour le minerai. La SMSP s’est associée à l’aciériste sud-coréen Posco pour construire une usine en Corée du Sud utilisant le minerai néo-calédonien qui a été ouverte en 2008 et dont elle détient 51 % du capital.
Cette industrialisation de la Nouvelle Calédonie a fait évoluer l’économie néo-calédonienne, qui était surtout financée par les transferts publics, vers les revenus issus de la rente assise sur l’extraction du nickel. Mais cette substitution de revenus l’a rendue sensible à la concurrence internationale.
Or le coût de la vie très élevé en Nouvelle Calédonie dû, entre autres, aux sur rémunérations dont bénéficient les fonctionnaires et nombre d’employés des secteurs protégés, comme les banques et les monopoles de distribution tels que l’eau, l’électricité, le téléphone ou Internet.
Aussi la baisse des prix du nickel ne bénéficie pas à la Nouvelle Calédonie. Déjà menacé en 2013 du fait du prix de marché, l’ensemble des usines de production de nickel ont du fermer leurs portes à partir du printemps 2024, soit du fait du manque de rentabilité comme l’usine de Koniambo, soit du fait des manifestations.
En effet, dans ce contexte déprimé, la proposition de loi visant à élargir le corps électoral, proposition aujourd’hui suspendue, a mis le feu aux poudres dans un contexte économique anxiogène et avec un corps socio-ethnique profondément divisé.
Si l’on peut comprendre que la République Française cherchât à conserver la Nouvelle Calédonie en son sein, pour les capacités d’action qui en découlent dans la zone indopacifique, tout en disposant d’un certain contrôle sur le nickel et sur la zone économique exclusive, il parait curieux que l’action de l’État ait ignoré les craintes de marginalisation ressentie par les Kanaks.
Ces craintes ont engendré un mouvement de révolte par rapport à ce qui est apparu, du point de vue Kanak, comme une provocation alors que la crise du nickel, avec la fermeture de l’usine Glencore en février 2024, provoquait déjà une montée des tensions socio ethniques.
Désormais la crise du nickel conjuguée avec les émeutes du printemps 2024, qui perdurent partiellement, se traduisent à court terme par une dépression économique et à long terme par une forte incertitude relative à l’avenir institutionnel de la Nouvelle Calédonie.
En effet, pour le court terme, le 21 aout 2024, le journal LES ECHOS titrait sur une « Nouvelle-Calédonie au bord de l'effondrement économique », du fait que mille deux cent entreprises avaient été pillées ou incendiées pendant les émeutes, que certaines routes restaient coupées et que les aides financières arrivaient lentement.
Huit jours plus tard, le 28 aout 2024, le Congrès de Nouvelle Calédonie a adopté à une large majorité une résolution demandant un soutien massif de l’État de 500 milliards de francs Pacifique, soit environ 4,2 milliards d’euros, pour reconstruire l’archipel après les émeutes qui ont ravagé son tissu économique. Ce plan viserait à « assurer le sauvetage du pays dans un premier temps, et, dans un second temps, d’engager sa reconstruction ».
Il faut noter que l’aide demandée à Paris ne représente pas loin de la moitié du PIB de la Nouvelle-Calédonie, qui atteignait en 2022 1.092 milliards de francs Pacifique, soit 9,1 milliards d’euros et il est probable que la Nouvelle Calédonie ne recevra qu’une aide plus modeste, compte tenu des contraintes budgétaires du budget de l’État pour 2025 et pour les années suivantes.
On peut en déduire que si une remontée significative du prix du nickel ne se produit pas dans les prochaines années, on peut s’attendre à une paupérisation de la Nouvelle Calédonie qui engendrera le départ pour la France d’une partie de sa population, en particulier d’origine européenne.
Il faudra alors constater que les émeutes du printemps 2024 auront contribué à renverser l’équilibre démographique en faveur des Kanaks et à contraindre la Nouvelle Calédonie à rechercher des appuis économiques en dehors de la France, les deux facteurs entrainant à terme l’éloignement politique et institutionnel de la Nouvelle Calédonie par rapport à la République française.
Jusqu’à son indépendance ?
FIN
UN DESTIN COMMUN EN NOUVELLE CALÉDONIE ?
Le statut issu des accords de Matignon devait aboutir à l’organisation d’un scrutin d’autodétermination en 1998. Mais les deux camps convinrent de rechercher une solution qui éviterait de nouveaux affrontements.
La vente par Jacques Lafleur de la Société minière du Sud Pacifique (SMSP) aux indépendantistes de la province Nord fut capitale pour la suite des évènements, car les discussions achoppaient sur ce qu’on a appelé le « préalable minier », c’est-à-dire la nécessité pour la SMSP de détenir des gisements suffisamment importants pour construire une usine métallurgique en province Nord permettant un rééquilibrage économique entre les régions.
Par l’accord de Bercy, la SMSP obtint le massif minier du Koniambo en échange du massif de Poum* qui revint à la SLN. La voie était désormais libre pour l’accord de Nouméa, conclu entre le RPCR et le FLNKS, signé par le Premier ministre Lionel Jospin le 5 mai 1998 et approuvé par référendum le 8 novembre 1998.
La Nouvelle-Calédonie devint une collectivité sui generis, au sein de la République Française, en faisant l’objet d’un titre spécial qui constitutionnalise les orientations définies par l’accord de Nouméa, reposant sur des dispositions largement dérogatoires, avec notamment la création des « lois du pays » ou la mise en place d’une « citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie » reposant sur l’exigence d’une durée de résidence. L'accord engageait la Nouvelle-Calédonie, qui, rappelons-le, est inscrite sur la liste des territoires à décoloniser établie par les Nations unies, sur le chemin de l’autonomie et de l’autodétermination par des transferts de compétences déclarés irréversibles.
Il repoussait de vingt ans, à échéance de 2018, le choix de son accession ou pas au rang d’État souverain, avec l’organisation d’un à trois referendums. Pour donner du temps aux indépendantistes, il était prévu qu’en cas de rejet de l’indépendance au premier referendum, ces derniers pourraient demander d’en organiser un deuxième, voire un troisième au plus tard en novembre 2022, si le résultat du deuxième était toujours négatif.
L’inscription sur la liste électorale spéciale pour cette consultation (LESC) était restrictive pour les non-natifs de Nouvelle-Calédonie, qui devaient justifier de leur arrivée avant le 31 décembre 1994 et de vingt ans de domicile continu, ou avoir été admis à la consultation du 8 novembre 1998. Une telle limitation du corps électoral reposait constitutionnellement sur le fait que ne devaient être consultées que les « populations intéressées ».
Les résultats des referenda ont été les suivants :
- le 4 novembre 2018, 56,7 % des votants ont répondu « non » à la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souverainetéś et devienne indépendante ? » avec 81 % de votants parmi les électeurs inscrits sur la liste électorale.
- le 4 octobre 2020, le taux de participation avait augmenté́ de 4,6 % par rapport au referendum précédent et ils n’étaient plus que 53,3 % à refuser l’indépendance.
- Mais le 12 décembre 2022, lors du dernier referendum organisé, la participation s’effondrait à 43,9 % des inscrits, les partis indépendantistes ayant appelé́ au boycottage du scrutin après le refus gouvernemental de le reporter malgré la situation sanitaire générée par le COVID. Du coup, son résultat, 96,5 % des voix en faveur du maintien dans la République, fut non significatif.
Ainsi le fossé politique se creusait entre les indépendantistes et les non-indépendantistes. Or, que ce soit dans le cadre français ou d'un pays indépendant, le projet d'un « destin commun » se heurte à la persistance de fortes inégalités entre les communautés : en ce qui concerne les différences de niveau de vie en Nouvelle Calédonie, celui des 10% les plus aisés est sept fois plus élevé́ que celui des 10 % les plus modestes, alors que ce ratio est de 3,5 en France hexagonale.
En matière de formation, seuls 4 % des Kanaks avaient un diplôme universitaire pour 26 % des non-Kanaks en 2014. Aussi la part des ouvriers dans la population active occupée dépasse le tiers chez les Kanaks contre un dixième chez les Européens.
En matière sociale, alors que 40% des Kanaks vivent dans l’agglomération de Nouméa, cette urbanisation est un facteur déstabilisant pour la jeunesse kanak qui n’est plus encadrée par le clan. Aussi, la très grande majorité́ des détenus est constituée par les Kanaks et les responsables et les victimes des accidents de la route en Nouvelle Calédonie sont massivement kanaks.
Dans le domaine du foncier, un dualisme, né de la période coloniale, oppose une agriculture commerciale très majoritairement d’origine européenne et une agriculture en tribus, essentiellement vivrière ou destinée à la vente de proximité́, avec l'igname qui est au cœur de la culture kanak. Ces terres collectives kanaks, qui représentent 19% de la superficie de l'archipel, sont d'ailleurs régies par le « principe des quatre i », à savoir inaliénables, insaisissables, incommutables et incessibles.
Au plan juridique, si les tribus regroupaient en 2014 plus de la moitié des Kanaks, il faut ajouter que la très grande majorité́ des Kanaks relève d'un statut, consacré par l'article 75 de la Constitution, qui leur permet d’être régis par la coutume dans les domaines de l’état civil, la filiation, le mariage, la propriété́ et les successions, le tout relevant du Senat coutumier issu de l'accord de Nouméa.
Ce monde néo-calédonien, qui ne peut être que profondément marqué par les différences, semble réagir aux crises qui l'atteignent en les accentuant encore...
*Ce qui n'a pas porté chance à l'exploitation minière de Poum, à l'extrême nord de la grande ile. L’entreprise sous-traitante de la Société Le Nickel (SLN), la Somarep a été liquidée le 11 juillet 2023 en raison d’une forte dette engendrée, semble-t-il, par une gestion calamiteuse liée à de graves soupçons de détournements de fonds.
À SUIVRE
VERS L'AUTONOMIE DE LA NOUVELLE CALÉDONIE
Concernant la Nouvelle Calédonie, le gouvernement français est revenu sur l'essentiel des lois cadres, s’engageant dans un processus de refus de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, à rebours de ce qui avait été octroyé à l’Algérie, à l’ensemble des colonies africaines de la France et à Madagascar.
Ainsi, en 1963, le Conseil de gouvernement est placé sous l'autorité du gouverneur et en 1968, la loi Billotte retire à l'Assemblée territoriale de Nouvelle-Calédonie l'essentiel de ses pouvoirs. De plus, obsédé par le risque d’une majorité canaque qui demanderait l’indépendance, le retour à la croissance de la population kanake à partir de 1945 pousse l’État à encourager l'émigration vers l'île, en particulier en provenance des îles Wallis-et-Futuna.
Cette immigration est facilitée par le boum du nickel qui permet d’offrir des travaux dans la mine et dans les travaux publics. Entre 1969 et 1976, la population de l'île s'accroît de plus de 20 % avec près de 20 000 nouveaux immigrants. Les Kanaks restent plus nombreux que les Européens, avec 55 000 Mélanésiens contre 50 000 « blancs » en 1976, mais ils ne sont pas majoritaires du fait des communautés asiatiques et polynésiennes qui rassemblent 26000 personnes.
La séparation des systèmes scolaires a empêché les Kanaks d’accéder à l’enseignement secondaire et supérieur, si bien qu’il faudra attendre 1962 pour voir le premier Kanak obtenir le baccalauréat. L’accès à l’enseignement supérieur encourage les communautés kanaks à critiquer l’ordre établi à partir de 1969, avec notamment le mouvement des Foulards rouges de Nidoish Naisseline, qui est l’un des tout premiers Kanaks bacheliers poursuivant ses études à Paris et qui est très marqué par les événements de Mai 1968.
En 1975, le premier festival des arts mélanésiens, Mélanésia 2000, organisé par Jean-Marie Tjibaou, militant associatif, marque le début de la reconnaissance culturelle kanak. Puis en 1977, lors du congrès de l’Union calédonienne (UC) qui est un parti politique à la fois centriste et autonomiste, une majorité de représentants vote une motion en faveur de l’indépendance. La même année, Jacques Lafleur, issu d’une grande famille néo-calédonienne, crée un parti opposé à l’UC, le Rassemblement pour la Calédonie (RPC), qui devient en 1978 le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR).
Ainsi s’installe en Nouvelle Calédonie la bipolarisation politique entre indépendantistes et loyalistes. Elle conduit à la création, en 1984, du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) qui rassemble plusieurs mouvements indépendantistes. La récupération des terres spoliées par la colonisation catalyse les énergies. Les revendications et les occupations de terre se multiplient et conduisent à une situation insurrectionnelle. Le 19 septembre 1981, Pierre Declercq, européen né en France métropolitaine et secrétaire général de l'Union Calédonienne, est assassiné.
Après le boycott des élections territoriales de 1984 symbolisé par le bris de l’urne de la mairie de Canala par le militant du FLNKS Éloi Machoro, la violence se déchaîne : dix militants indépendantistes sont abattus lors d’un guet-apens à Hienghène; le fils d’un éleveur européen est tué par des militants indépendantistes et Éloi Machoro est abattu par le GIGN en 1985.
Le 22 avril 1988, à deux jours du premier tour de l’élection présidentielle qui oppose François Mitterrand à Jacques Chirac et des élections régionales, des indépendantistes décident de s’emparer de la gendarmerie de Fayaoué, sur l’île d’Ouvéa, qui accueille des renforts venus sécuriser le vote.
L’opération dégénère : quatre gendarmes sont tués, les autres sont pris en otage. Leur libération par un assaut de l’armée, trois jours avant le second tour de l’élection présidentielle, se solde par la mort de dix-neuf militants indépendantistes et de deux militaires.
Après la réélection de François Mitterrand, la responsabilité de résoudre la crise ouverte en Nouvelle Calédonie échoit au nouveau Premier ministre, Michel Rocard. Il dépêche sur place une mission de dialogue qui aboutit aux accords de Matignon en juin 1988 et d’Oudinot en août 1988 entre le RPCR et le FLNKS symbolisés par la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou.
Mais dix mois plus tard, ce dernier est assassiné à Ouvéa par un indépendantiste, à l’occasion d’une cérémonie marquant le premier anniversaire de la tragédie d’Ouvéa.
Pour réunir les deux communautés, les accords de Matignon prévoient une large amnistie des crimes et délits commis durant la période insurrectionnelle. En outre, pour donner à ces deux communautés le pouvoir de se gérer, les accords fractionnent la Nouvelle-Calédonie en trois provinces dotées de compétences étendues, en particulier en matière de développement économique. En partageant transversalement la Grande Terre, le découpage satisfait les non-indépendantistes qui gèrent la province Sud autour de Nouméa. Les indépendantistes contrôlent pour leur part deux des trois provinces, la province Nord et la province des îles Loyauté. Chaque province est dotée d’une assemblée dont la plupart des membres siègent également au Congrès de la Nouvelle-Calédonie chargé de voter les lois du pays et d'élire le gouvernement.
Cependant la question pendante de l’autodétermination conduit progressivement la Nouvelle Calédonie vers une nouvelle situation de crise.
À SUIVRE
DE L'INDIGÉNAT KANAK À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE
Des révoltes ? Le colonisateur cherche à contrôler les Kanaks en créant les tribus en 1867, à la tête desquelles l’administration place un chef, et en instituant la « réserve », un territoire dont la tribu a la jouissance mais qui limite les déplacements des Kanaks.
Dans la région de La Foa, les Kanaks font les frais de la volonté d’intégrer des milliers d’hectares au domaine de l’État pour les affecter à la colonisation libre, ce qui est à l’origine de la première grande révolte kanak en 1878. Les Kanaks ont souvent réagi violemment à la politique de peuplement pratiquée par l’administration française. Mais, compte tenu de l’affaiblissement de la population kanak qui passera de 50000 personnes environ en 1853 à 27000 en 1921, les soulèvements restent ponctuels et aisément réprimés jusqu’à l’insurrection conduite par le grand-chef Ataï en 1878.
L'administration coloniale, débordée dans un premier temps, réussit à mettre un terme à l’insurrection en utilisant la rivalité d’autres tribus kanakes avec celle d'Ataï qui est finalement capturé et décapité par ses rivaux. Cette révolte de 1878 a entrainé la mort de 200 Européens et de 800 à 1 000 Kanaks.
Sous la direction de plusieurs chefs, d'autres révoltes ont lieu en 1913 et en 1917 dans le nord de la grande île car le « grand cantonnement » pratiqué entre 1897 et 1903, réduit progressivement l’espace foncier kanak à un huitième de la superficie de la Grande Terre. Puis l’humiliation des Kanaks sera totale lorsque Joseph Guyon, gouverneur français de Nouvelle-Calédonie, lors de l'exposition coloniale de Paris de 1931, organisera un « spectacle » montrant un groupe de Kanaks dans des cages, sous couvert d' une nouvelle politique indigène visant à « assimiler» les Kanaks.
Cette politique, en vigueur jusqu’en 1946, consiste en un ensemble, juridique et réglementaire appelé « régime de l’indigénat », de mesures administratives qui s’applique aux autochtones qui sont soumis à des interdictions propres, contraints à des travaux d’utilité publique et qui subissent une séparation des systèmes scolaires qui les cantonne aux « écoles indigènes ». Ces dernières n’offrent pas d’accès à l’enseignement secondaire et supérieur : il faudra attendre 1962 pour voir un premier Kanak obtenir le baccalauréat.
Cependant le développement des infrastructures médicales avec la construction d’hôpitaux et de dispensaires ainsi que les progrès en matière d’hygiène permettent à la population kanak de se redresser démographiquement à partir des années 1930.
La Seconde Guerre mondiale bouleverse la Nouvelle-Calédonie qui a rallié la France Libre et qui est choisie comme base arrière et tête de pont par les États-Unis pour reconquérir le Pacifique. À partir de 1942, l’économie locale est dopée par le ravitaillement d’un contingent anglo-saxon qui atteint à son apogée plus de 200000 soldats étatsuniens, australiens et néo-zélandais pour un territoire où habitent 55000 habitants. Des aérodromes sont aménagés, des centres hospitaliers sont installés sur la côte est et dans l’extrême nord.
Cette présence bouleverse des Kanaks soumis au code de l'indigénat qui découvrent des soldats noirs et blancs travaillant sur un pied d'égalité, si bien que la Seconde Guerre mondiale marque le début du processus de décolonisation.
En 1946, la Nouvelle-Calédonie devient un territoire d’outre-mer (TOM) et les restrictions à la liberté de résidence, de travail et de mobilité des Kanaks sont levées par étapes. Ils accèdent à la nationalité française et obtiennent progressivement le droit de vote. Déjà le code de l'Indigénat avait été aboli par l'ordonnance du 7 mars 1944 qui supprimait le statut pénal de l'indigénat, puis la loi Lamine Guèye du 7 avril 1946 a accordé la nationalité française pleine et entière à tous les indigènes et le statut du 20 septembre 1947 a permis l’égalité politique et l’accès égal aux institutions.
Les Kanaks obtiennent alors la liberté de circulation, de propriété, et leurs droits civils.
Cependant, seuls 267 membres de l'élite kanak, chefs coutumiers, religieux et anciens combattants obtiennent effectivement le droit de voter en 1946, puis la loi du 23 mai 1951 permet à 60 % des Mélanésiens en âge de pouvoir voter d'y accéder et le suffrage universel ne sera pleinement mis en place que par le décret du 22 juillet 1957.
L’accession des Kanaks aux droits civiques entraîne la création des premiers mouvements politiques appelant à défendre leurs intérêts. Le Parti communiste calédonien est créé en 1946, qui propose un nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie. En réaction, du côté catholique, une association confessionnelle, l’UICALO, est créée suivie par l’AICLF issue du milieu protestant, toutes deux destinées à défendre les droits des Kanaks. Ces deux associations se fondent en 1956 dans un parti politique, l’Union calédonienne » (UC).
Ce parti, qui affiche un programme autonomiste et social, qui est résumé par le slogan « Deux couleurs, un seul peuple », se rapproche des centristes démocrates-chrétiens de Métropole et dominera la vie politique locale jusqu'en 1972.
La Nouvelle-Calédonie est alors un territoire d'outre-mer que les lois cadres dites Defferre de 1957 conduisent vers plus d'autonomie. Mais alors qu'un mouvement de décolonisation s'amorce dans les autres colonies, ce processus connait au début des années 1960 en Nouvelle-Calédonie et dans les autres territoires français du Pacifique un brusque coup d'arrêt qui est à l’origine des crises suivantes, et en particulier de la dernière.
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BAGNARDS ET COLONS CONTRE LES KANAKS
Pour coloniser la Nouvelle-Calédonie, Napoléon III saisit « l’occasion » du massacre, de plusieurs officiers et hommes d'équipage de la corvette française L'Alcmène, envoyée en mission de reconnaissance pour étudier la possibilité de l'installation d'un bagne en 1850, à Yenghebane, dans le nord de la Grande Ile.
Il ordonne au contre-amiral Despointes de prendre possession de la Nouvelle-Calédonie le 24 septembre 1853, qui devient le troisième élément des Établissements français du Pacifique après le royaume de Tahiti (1842), et les Îles Marquises (1842).
Pour asseoir juridiquement la colonisation, Tardy de Montravel, établit un code en 1854, visant à faire renoncer les chefs de tribus à leurs coutumes, dont celui de rendre la justice. La même année, un établissement militaire est fondé en Nouvelle-Calédonie qui est d’abord nommé Port-de-France, avant d’être rebaptisé Nouméa en 1866.
Le 14 janvier 1860, la Nouvelle-Calédonie devient une colonie à part entière, affranchie de la tutelle de Tahiti. Son premier gouverneur, nommé en 1862, le contre-amiral Charles Guillain, est chargé d'organiser la mise en place du bagne et donc de trouver des terres qui seront confiées aux libérés en échange de l’engagement de s’installer dans la colonie tout en étant « libre ». Pour ce faire il va cantonner les Kanak dans des « réserves autochtones ». Le premier convoi pénitentiaire arrive le 5 janvier 1864 avec 250 condamnés, criminels de droit commun, relégués ou auteurs de délits récidivistes à bord de l'Iphigénie.
Napoléon III a en effet signé un décret en 1863 autorisant la création en Nouvelle-Calédonie d’un établissement de travaux forcés. Les convois de bagnards se succéderont de 1864 à 1897, mais le centre pénitentiaire ne fermera ses portes qu’en 1922.
Après la Commune de Paris, la Nouvelle-Calédonie sert de lieu de déportation pour les anciens communards condamnés par les conseils de guerre mis en place par le gouvernement d'Adolphe Thiers. Parmi eux, Henri Rochefort qui réussira à s'évader et Louise Michel. À ceux-là s'ajoutent les Kabyles ayant participé à la révolte du cheik El Mokrani en Algérie en 1871.
L'administration pénitentiaire, ou « Tentiaire » posséde une grande partie du foncier : outre les pénitenciers de l’île Nou et de Ducos à Nouméa, de Prony dans le sud ou de l'île des Pins, elle possède aussi des villages alloués aux anciens forçats doublant leur peine comme Dumbéa, La Foa, Bourail ou Pouembout.
En parallèle se développent les concessions offertes aux bagnards et une colonisation libre venue de France, notamment d'Alsace ou de Lorraine à quoi s'ajoutent des déçus de la ruée vers l'or australienne. Ces colons libres deviennent surtout éleveurs dans de grandes propriétés sur la côte ouest de la Grande Terre dans les environs directs de Nouméa ou encore à Païta, Bouloupari, Moindou et Koné, entre autres. Il s’y ajoute la venue de Réunionnais que l'administration coloniale fera venir en Nouvelle-Calédonie pour y développer l'exploitation de la canne à sucre.
En 1895, un nouveau gouverneur, Paul Feillet, met fin à la colonisation pénale en déclarant qu’il s’agit de « fermer le robinet d'eau sale ». En revanche, il lance des campagnes en métropole pour faire venir des colons, les « colons Feillet » qui devaient venir pour cultiver le café. En outre, pour l'exploitation minière qui se développe, l'immigration de travailleurs asiatiques, tonkinois, indonésiens ou japonais, est encouragée.
Car, en 1864, l’ingénieur des mines Jules Garnier a découvert un ensemble de minéraux silicatés riches en nickel, minerai qui sera baptisé «garniérite». Son exploitation débute dans les années 1870 et marque profondément l’économie, le territoire, la culture et les modes de vie néo-calédoniens, au point que La Société Le Nickel (SLN), créée en 1880, deviendra un opérateur économique hégémonique et que les termes suivants sont devenus courants dans le vocabulaire néo-calédonien :
- le wharf qui permet d’évacuer le minerai,
- le Caillou qui désigne, avec une nuance affectueuse, la Nouvelle-Calédonie),
- le «bull» ou bulldozer,
- le «rouleur» qui est le camionneur qui transporte le nickel de la mine à l’embarcadère.
L’immigration, qui arrive par vagues successives, implique la nécessité pour l'Administration coloniale de trouver des terres aux nouveaux arrivants. Après la prise de possession de l'archipel, l'État s’est proclamé, par deux déclarations de 1855 et 1862, propriétaire de toutes les terres. L'arrêté du 22 janvier 1868 laisse une partie de ces terres aux Kanaks : une propriété « incommutable, insaisissable et inaliénable » des domaines attribués est reconnue aux tribus. Les Kanaks ne peuvent ni les vendre, ni en acheter, mais sont aussi théoriquement protégés contre toute violation de terres.
Or la délimitation est faite de telle manière que certaines terres initialement concédées sont finalement retirées aux Kanak au profit des colons, tandis que du bétail de ces derniers s'introduit régulièrement sur les terres coutumières et abîme leurs champs d'ignames et de taros.
Plus tard, le code de l'indigénat, mis en place par les décrets de 1874 et 1881, sera appliqué en Nouvelle-Calédonie par le décret du 18 juillet 1887. Il fait des Kanaks des « sujets de la France », ne jouissant d'aucun droit civil mais uniquement de leur droit personnel conféré par la religion et la coutume.
Ils doivent payer un impôt de capitation, sont soumis aux réquisitions de main d'œuvre au profit des autorités ou des colons. Le gouverneur nomme les chefs de tribu et les grands-chefs et délimite leurs pouvoirs. Le code de l'indigénat aboutit à une politique de cantonnement menée à partir de 1897, visant à rassembler tous les Kanaks dans les réserves en leur allouant une superficie moyenne de trois hectares par habitant et qui remet en cause le découpage de 1868.
Ce domaine est régulièrement rogné par les autorités afin d'y installer des colons : les « réserves » passent ainsi de 320 000 à 124 000 hectares de 1898 à 1902. Seules les Îles Loyauté reste des réserves kanaks intégrales.
Au cours du temps, l’espace indigène est sérieusement grignoté, ce qui n’ira pas sans révoltes.
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