Vous avez dit justice?
8 Janvier 2009 Publié dans #ACTUALITÉ
Le président de la République a annoncé hier, devant des magistrats pétrifiés, que le juge d’instruction serait remplacé par le juge de l’instruction. Une catastrophe ! les juges dessaisis de leurs prérogatives ! l’indépendance de la justice en danger ! Eric de Montgolfier, procureur de Nice, déclare que « l’indépendance dans la conduite des enquêtes est essentielle ». Moi, je ne trouve pas que ce soit la question essentielle. Ce sont les justiciables qui m’intéressent, plus que les juges, les avocats et les policiers. Je comprends bien que ces trois professions aient des problèmes éthiques, techniques et existentiels, mais je crois que l’organisation de la justice est faite pour réduire l’injustice dont souffrent les individus dans la société. L’indignation devant le crime, la violence, les vols, les escroqueries, les abus de pouvoir suppose que la société y réponde par son soutien, moral et matériel. Elle doit reconnaître le tort subi, aider à le réparer, sanctionner les coupables, que ce soit dans les conflits opposant des intérêts privés entre eux ou des individus à la puissance publique.
Or, que voit-on ? Je ne mentionne pas le cas des victimes d’agression physique mais simplement de vol. Vous avez vécu cette expérience, probablement, et vous avez constaté à quel point votre cas les intéressait peu, ces pauvres policiers. C’est qu’un policier n’est pas une assistante sociale, il n’est pas payé pour redresser ce qui a été tordu, définitivement, dans les rapports sociaux. Il n’est pas payé pour. Il est payé pour avoir un emploi, un emploi dans lequel il lui faut accepter d’être mal considéré par le public en échange de quoi il dispose de pas mal de liberté pour bricoler et du droit à une retraite à 55 ans. Mais il y a des limites. Si on continue à l’embêter, il va encore se suicider. Les policiers sont plus fragiles que vous ne le croyez, laissez les donc tranquilles, oubliez-les.
Et n’allez pas croire que les juges vont s’intéressez à vous. Eux, ils ont le pouvoir de vous persécuter, pas celui de vous réconforter. Si on peut narguer un policier, l’insulter puis se plaindre ensuite à la justice et aux médias d’avoir été rudoyé, mais on ne peut pas agir ainsi avec un juge. Si les avocats le titillent, il repousse l’affaire à une date ultérieure et plus ou moins indéterminée. Si les vacances judiciaires approchent, il renvoie l’affaire. S’il manque un papier, une signature, si quelqu’un oublie de cocher une case, il annule la procédure. Et hop ! débouté le plaignant, libéré le délinquant. Lui le juge, avec la complicité active des avocats, il lui faut deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans, et je ne m’arrête là que par souci de style, pour juger. Il faut que le dossier soit complet, que les rapports d’expertise ne soient pas contradictoires, il faut un complément d’information, il faut qu’il ne manque aucun bouton de guêtre pour aller au procès. Ce n’est pas sa faute, il applique la loi, c’est tout.
Vous les justiciables, vous devez comprendre que c’est LA garantie d’une bonne justice, rendue dans la sérénité. Venez voir les montagnes de dossiers qui stagnent sur son bureau. Vous croyez qu’il n’a que vous à juger ? D’ailleurs, parlons-en du jugement. Il s’agit de juger en toute indépendance et placidité. Si c’est un tant soit peu délicat, on mettra le jugement en délibéré. Ensuite on ira en appel, dans quelques années. On recommencera tout, en plus soigné, vous le pensez bien, nous sommes en Cour d’Appel ! On finira le travail en Cassation. Là, il faudra prendre vraiment tout son temps, bien réfléchir, on ouvrira les dossiers en les observant sous un angle nouveau, celui de la procédure sans se préoccuper du fonds. Vous ne savez pas, vous qui êtes des béotiens en matière de droit, tout ce que peut contenir le monde merveilleux de la procédure.
Je n’ose compter ni les années ni le nombre de plaignants qui sont morts, enterrés et oubliés, avant que la Justice ait fini de dérouler sa procédure infinie. Et encore faut-il faire exécuter un jugement, une fois délivré. Il faut réquisitionner un policier, trouver un huissier. Il faut écrire, sommer, et sommer à nouveau. Il faut que les policiers se résolvent à agir, il faut qu’ils aient la chance de trouver le justiciable, et s’ils ne le trouvent pas, qu’ils le fassent savoir à qui de droit (c’est le cas de le dire) et qu’ils relancent toute la procédure d’exécution. Il faut qu’il y ait une place en prison, un compte en banque qui ne soit pas vide, une adresse qui soit juste.
La justice, un univers merveilleux hors du temps, hors de la vie, qui vous met hors de vous.
L’affaire Outreau en est la parfaite illustration et c’est elle qui explique la prochaine suppression du juge d'instruction.