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Le blog d'André Boyer

Samy Naceri et l'affaire d'Outreau

9 Janvier 2009 Publié dans #ACTUALITÉ


Je ne m’inquiète pas pour Samy Naceri parce qu’il fait partie de ces happy few à qui rien ne peut arriver. Mais si on est un type anonyme qui n’intéresse pas les médias et si en plus on a un profil de coupable, en somme si on ne s’appelle pas  Samy Naceri, on ne peut pas frapper les gens, à fortiori leur donner des coups de couteaux, sans que le ciel ne vous tombe sur la tête, sans que les juges ne vous emprisonnent pendant des années, avec ou sans  preuves. Vous risquez d’attendre des mois au fond d’une cellule que le juge d’instruction daigne vous entendre, désespérer qu’il vous écoute et qu’il vérifie vos dires et vos actes sans que les medias ne s’intéressent en rien à votre cas, quand ils ne vous accablent pas dés votre mise en examen.  Jusqu’à ce que le scandale, après des années, explose à la figure des Ponce Pilate et des Tartuffes, ceux qui vous ont donné des leçons chaque soir dans les très étranges lucarnes qui insultent nos chaumières.

Il ne faut jamais oublier l’affaire d’Outreau, car elle est le symbole de l’innocence bafouée. Aujourd’hui encore, en écrivant sur cette affaire, l’émotion, l’indignation, me submergent. Le lecteur constatera que mon style s’en ressent. Mais rappelons nous encore une fois les faits.

Chaque année ou presque, le législateur ajoute de nouvelles garanties pour protéger les inculpés, pardon, les personnes mises en examen. La justice ouvre des voies de recours de plus en plus nombreuses pour limiter l’application de la détention provisoire, avant un jugement qui intervient bien souvent plusieurs années après les faits qui ont provoqué l’instruction. Pourtant, il suffit d’un petit juge débutant qui cherche à se faire un nom, d’une chambre d’accusation complaisante, de quelques experts aux ordres, pour que quatorze personnes innocentes passent plusieurs années en prison, pour que leur vie soit à ce point gâchée que l’un d’entre eux, plus fragile que les autres, se suicide. Comme toujours, les médias en quête de sensationnel, les « élites » à la recherche  de boucs émissaires pour les jeter en pâture à l’opinion publique ont pesé beaucoup plus lourd que les garanties formelles qui protégent théoriquement la vie des « citoyens » français.

À l’époque, la mode était au réseau de pédophiles, alors on en a inventé un, sans preuve. Ne vous faites pas d’illusion, mesdames et messieurs, il suffit que votre profil ressemble à celui d’une catégorie diabolisée et peu importe les faits, votre vie peut être bouleversée de fond en comble pour satisfaire la soif de victime que l’idéologie à la mode réclame. Encore heureux que l’on ne vous guillotine pas comme sous la Révolution, mais c’est le même esprit qui souffle : il faut trouver des coupables pour justifier les discours dénonciateurs qui forment la base du discours politiquement correct français.

Le procès d’Outreau s’explique par l’affaire Dutroux. Ce monstre belge ne pouvait pas être un cas isolé. L’opinion publique supposait un « réseau » terme magique porteur d’ondes maléfiques au même titre que celui de secte, un réseau qui exploitait la bestialité humaine et l’appât du gain aux dépens d’innocents enfants. Elle n’en découvrit aucun, mais l’idée de « réseau » flottait dangereusement dans l’air du temps. À quelques kilomètres de là, de l’autre coté de la frontière, un jeune juge ambitieux était affecté à Béthune où il désespérait de se faire un nom. Il tombe sur une triste accusation d’inceste ; il n’en faut pas plus pour qu’il la transforme en un tour de main en une mirifique affaire de réseau pédophile. Les Belges ne l’avaient pas mis en évidence, les Français allait leur faire la leçon, comme d’habitude. Les experts qui ont besoin de vivre, comme tout le monde, confirmèrent ce qu’on leur demanda. Afin de noircir le tableau, on parla de notables pour un huissier, une infirmière ou un chauffeur de taxi, sachant qu’un notable dans l’imaginaire français est forcément, quelque part, pourri. Le fantôme du notaire de Bruay-en-Artois s’agitait, inutilement.

Il a suffi de quelques jours de procès pour faire voler en éclats trois longues années d’instruction qui sont, paraît-il, nécessaires pour collecter les faits, accumuler les preuves, vérifier toutes les pistes, apporter la garantie que tout a été mûri, pesé, ausculté afin que soit chassé le moindre doute dans l’esprit du juge qui instruit. Pendant ces trois années, treize personnes innocentes croupissaient en prison que le juge prenait à peine le temps d’entendre et pas du tout celui de les écouter. Il avait sa conviction, elle lui suffisait. Quand je pense que vous, que mes proches, que moi, nous sommes tous à la merci d’un individu pareil à celui-là, que rien n’a préparé à démêler le vrai du faux, qui ne rêve que de promotion pendant que vous lui parlez d’injustice, je tremble.

On écoute, ou plutôt on sollicite la parole des enfants, on l’oppose à celle des adultes. On réclame des coupables à tout prix, on les fabrique.

De grâce, que l’on veuille bien nous épargner à jamais les antiennes de justice rendue, de vérité recherchée, de respect des citoyens dans cette République Française qui a tout simplement besoin de coupables, autrefois les aristocrates, hier les collaborateurs, aujourd’hui les racistes et les pédophiles. Inutile de nous offrir en expiation la farce d’une commission parlementaire impuissante et d’un « Conseil Supérieur de la Magistrature » impavide, dont la morgue s’inscrit dans son appellation même.

Dans ce pays, vous qui êtes les citoyens de cette République qui ose se proclamer celle des hommes libres, une République qui revendique d’être égalitaire et fraternelle, vous qui n’avez toutefois pas le bonheur d’appartenir à l’oligarchie, vous qui ne vous appelez par Samir Naceri, vous êtes corvéable à merci, emprisonnable à la discrétion de ces messieurs-dames qui n’hésiteront pas à envoyer les medias détruire votre vie et celle de vos proches avant de reconnaître avec la plus extrême répugnance qu’ils se sont peut-être trompés, et que donc, mais oui, qu’il se pourrait bien que vous ne soyez pas coupable.

C’est que le simple mot « innocent » leur arracherait la bouche. Ils vont prendre des mesures avec l’argent des autres citoyens, pour vous indemniser. N’oubliez pas de les remercier, ces messieurs dames, qui maintiennent en permanence dans leurs prisons des centaines « d’outreaux » potentiels, des mois, des années, pendant qu’ils prennent des vacances judiciaires sûrement bien méritées.

J’exagère ? Demandez à un juge ou à un avocat, en privé, ce qu’il en pense, et interrogez vous enfin sur ce que signifient vraiment en France les pauvres mots de liberté et d’égalité devant la loi. Il vous suffira de passer quelques jours en prison pour comprendre tout le sel de la fraternité que vous délivrent les fonctionnaires chargés de s’occuper de votre cas.  Puis repensez à Samir Naceri.

Sans entrer dans les détails du tableau, il existe une séparation nette entre les membres de l’oligarchie et vous qui n’avez ni leur pouvoir, ni leur fortune, ni leur liberté d’action. Vous faites partie des exclus.

Il y a simplement des gens encore plus exclus que vous.



La quatorzième mourant en prison dans des conditions qui ne sont pas encore éclaircies au moment où j’écris ces lignes. 

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