Julien Dray, quelque part entre le goût du luxe et la lutte des classes
L’Est Républicain a dévoilé aujourd’hui une note de 36 pages consacrée aux finances de Julien Dray, une note rédigée par la cellule du Traitement du Renseignement et de l'Action contre les Circuits Financiers Clandestins (Tracfin) qui dépend du Ministère de l’Economie et des Finances. Je l’ai téléchargée et je vous assure que cela vaut la peine de la lire. La note, avant de détailler les opérations effectuées, constate que « les flux créditeurs suspects portent à minima sur un montant de 351027€ et viennent s’ajouter aux revenus de Monsieur Dray, contribuant ainsi à l’essentiel du financement de ses dépenses courantes » sur une période de deux ans et demi ! (Tracfin, page 4). Le rapport relève aussi les goûts de luxe du parlementaire, dont 131.000 euros de montres.
Rappelons nous tout d’abord qui est Julien Dray. Il est né le 5 mars 1955. Étudiant, il milite dans la Ligue Communiste Révolutionnaire puis rejoint le Parti socialiste en 1980 dont il devient l'animateur de la fraction gauchiste. Il a alors vingt-cinq ans et c’est déjà un professionnel accompli de la politique. En 1984, il devient l'un des fondateurs de SOS Racisme. Il est élu député socialiste en 1988, à trente-trois ans, dans la 10e circonscription de l'Essonne et il a constamment été réélu depuis, si bien qu’il en est à son douzième mandat de député. Jusqu’à l’élection de Martine Aubry, il était le porte-parole du Parti socialiste. Il est aussi vice-président du conseil régional de l'Île-de-France, chargé de la Politique de la Ville, de la Sécurité et de la Jeunesse. C’est un homme politique important, ferme partisan de Ségolène Royal au sein du P.S.. Harlem Désir, Fodé Sylla, Malek Boutih, pour SOS Racisme, Delphine Batho pour la Fidl, Isabelle Thomas, pour l'Unef, Fadela Amara pour « Ni putes, ni soumises », ont été formés politiquement par Julien Dray. On dit même que Nicolas Sarkozy l’aurait approché pour devenir ministre d’ouverture.
L'enquête montre que Julien Dray était un passionné de magasins, de montres et d’hôtels de luxe. Ce n’est pas un crime, c’est juste incohérent avec son image de défenseur de la veuve et de l’orphelin. Ce qui est plus ennuyeux pour lui, c’est que le montant des dépenses serait bien supérieur à ses revenus officiels et que des transferts de fonds auraient été effectués en provenance d’associations à but politique comme SOS Racisme, mais aussi procédant de chefs d'entreprise qui ont leur siège dans l'Essonne ou qui ont obtenu des marchés publics octroyés par le Conseil régional d'Ile-de-France.
Alors Julien Dray, un méchant ? Se contenter de porter un jugement sur sa personne serait fuir le problème que l’apparente incohérence entre son image publique et ses agissements privés nous pose, à nous citoyens. Nous sommes en effet supposés lui déléguer une partie importante de la gestion des affaires publiques. Julien Dray fait sans doute partie des cent élus les plus influents de notre pays. En tant que professionnel de la politique, il s’est spécialisé dans la lutte anti-raciste, dans la défense des idées de gauche, dans le combat contre les injustices. Mais voilà, ce qui le passionne apparemment, ce sont plus les belles montres que la lutte des classes. Puisqu’il a constamment été réélu, c’est qu’il a obtenu l’investiture de ses pairs, qui n’ont jamais été gênés par sa passion pour le luxe, qui ne sont pas publiquement posés la question de l’origine de ses dépenses et qui se sont bien gardés de nous dire, à nous les citoyens, que son comportement privé n’était pas cohérent avec son image publique. Au contraire, aujourd’hui encore, certains d’entre eux n’hésitent pas à s’offusquer de ce que l’on déballe en public ses affaires privées. Sous le titre « Affaire Dray: quand le journalisme devient nauséabond », un journaliste probablement favorable à Julien Dray, Philippe Cohen, écrit ainsi dans Marianne2 : « notre propos ne concerne pas le fond, ou plutôt la tendance aux achats compulsifs que Julien Dray reconnaît lui-même, ni les abus éventuels sur lesquels la justice se prononcera le moment voulu. Il ne concerne même pas le fait que le scoop du quotidien régional est largement faisandé puisque le Monde et le Parisien ont déjà publié, avant Noël, de larges extraits de la note sur les dépenses de Julien Dray. Non, ce qui met en rogne ce matin, c’est ce journalisme de pacotille, avec sa langue de bois et ses roulements de tambour imbéciles ».
S’indigner des méthodes d’investigation de ses confrères, c’est vouloir détourner l’attention du fond. Le fond, c’est le fait que notre système de gouvernance attribue des fonctions importantes à des individus qui sont manifestement dans l’incapacité de faire le travail politique dont ils sont chargés, c’est-à-dire lutter contre les injustices et gérer au mieux les fonds publics et que l’on voudrait naturellement nous tenir dans l’ignorance de ce fait.
C’est pourquoi les apparentes faiblesses du personnage Julien Dray sont surtout révélatrices de celle de notre système public de gouvernance.