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Le blog d'André Boyer

Obama et Chirac, deux styles opposés d'accession au pouvoir

19 Janvier 2009 Publié dans #HISTOIRE

L’élection de Barack Obama suscite d’immenses espoirs, trop grands sans doute pour qu’ils ne soient pas déçus. Mais laissons l’espoir vivre encore un peu, un espoir qui provient de la nouveauté de cette élection, celle  d’un noir américain issu d’un milieu assez modeste, sans appui politique particulier et n’appartenant pas à « l’élite » américaine. Il est bien possible qu’un jour, la France ait un président de couleur ou issu de l’immigration, mais ce sera pour l’image, comme lorsque Nicolas Sarkozy est allé chercher le directeur d’Audencia, kabyle d’origine, pour en faire avec un succès mitigé, un préfet. C’était pour l’image. De même a t-il choisi Rachida Dati pour le symbole. Mais c’est lui qui l’a choisie, pas Rachida Dati qui s’est imposée à lui, encore que l’image commence, semble t-il, à échapper à son inventeur.

En France, on trouve déjà remarquable que Nicolas Sarkozy soit Président de la République alors qu’il n’est même pas Énarque. Mais il est tout de même issu du sérail. Il a fait ses classes auprès de Jacques Chirac tout jeune, à 22 ou 23 ans, et il a gravi depuis toutes les marches du pouvoir, sauf les toutes dernières, cornaqué par Chirac puis Balladur. Aussi serait-il extravagant qu’un outsider tel que Barack Obama devienne Président de la République Française sans avoir été au préalable adoubé par le haut personnel politique. Il faut en effet prendre conscience de la fermeture du système politique français. Lorsque l’on n’y est pas né, il n’est pas simple d’entrer dans cette oligarchie qui constitue une forme particulière de regroupement familial. La plupart du temps, on y accède à la naissance ou au plus tard à l’âge de vingt ans. Dans ce dernier cas, c’est l’accession aux grandes écoles qui ouvre la porte, à condition d’avoir aussi des relations dans l’oligarchie. Aujourd’hui, l’E.N.A. a pris la suite de l’Ecole Polytechnique, qui a glissé d’un corps d’ingénieurs à un corps de managers à dominante scientifique. L’E.N.A. sert de  paravent  à Sciences-Po Paris qui fournit comme par hasard l’essentiel de ses élèves, et dont on voit d’ailleurs le rôle éminent accordé par le pouvoir politique à son directeur, considéré comme une sorte de gourou.  C’est Sciences-Po Paris qui constitue le vivier des cadres du pouvoir politique français d’aujourd’hui et cette ambition ne serait pas outrecuidante si elle ne visait pas à éliminer toute concurrence. Essayez donc de devenir Directeur du Trésor sans être Enarque...

Pour illustrer par un exemple concret la fermeture du système politique français, il suffit d’observer l’ascension vers le pouvoir de l’un quelconque de nos présidents de la Ve République. J’ai choisi le cas de Jacques Chirac qui est encore frais dans nos mémoires sans être toutefois encore en place, ce qui nous évitera de tomber dans une actualité politique trop brûlante. Si vous croyez que Jacques Chirac est un enfant corrézien qui est monté à Paris, vous vous trompez du tout au tout. Il est issu d’une famille aisée qui habitait dans l’un des quartiers les plus huppés de Paris. Il a fait ses études aux Lycées Carnot et à Louis le Grand, l’un des lycées de l’élite parisienne où, dés l’adolescence, il a fait la connaissance de ses futurs condisciples de la haute société politique, administrative et économique. Il s’est inscrit  à l’IEP de Paris où il a retrouvé ses  condisciples du Lycée Louis le Grand, entre autres.

L’IEP de Paris constituait le marchepied idéal pour réussir l’ENA et pour y faire l’opportune rencontre d’une jeune fille dont la famille était très influente. Bernadette Chodron de Courcel, sa camarade de classe de l’Institut d’études politiques de Paris et sa future femme, est en effet l’une des nièces de l’aide de camp du Général De Gaulle pendant la guerre. Sortant de l’ENA à vingt-sept ans après son service militaire en Algerie, Jacques Chirac est nommé auditeur à la Cour des Comptes. Marcel Dassault prend alors en main la carrière politique du jeune Chirac qu’il connaît depuis l’enfance. En effet, les familles Bloch Dassault et Chirac étaient très amies depuis les années trente et le père de Jacques Chirac avait été le directeur général d’une des sociétés de Marcel Dassault. Il faut convenir que Marcel Dassault avait une bonne intuition politique puisqu’il avait confié en 1935 une partie de ses affaires à Edmond Giscard d’Estaing dont le  fils deviendra aussi Président de la République, comme par hasard. Pour le moment, Marcel Dassault s’engage à obtenir pour le fils Chirac un poste de secrétaire d’État à l’Aviation, comme par hasard aussi. L’opération n’aboutit pas, mais il obtient en compensation que Jacques Chirac soit nommé chargé de mission à l’aéronautique, aux transports, à la construction et à l’aménagement du territoire dans le cabinet du Premier ministre Pompidou, à l’age de trente ans. Beaucoup de jeunes gens de trente ans aimeraient qu’on leur confie seulement le centième des responsabilités que la République Française, confiante, octroya les yeux fermés au jeune énarque. 

Il ne lui restait plus qu’à recevoir l’onction du suffrage universel. Le cabinet du Premier Ministre, où il officiait, n’eut pas trop de mal à lui en trouver un, en le faisant d’abord entrer au conseil municipal de Sainte-Fereole sans même qu'il se soit présenté, puis en l’envoyant au combat contre l’opposition dans la circonscription d'Ussel en Corrèze. Bénéficiant du soutien de Marcel Dassault et de son journal, il battit en mars 1967 son adversaire communiste Georges Émon, en bénéficiant de la neutralité bienveillante d’Henri Queuille et du maire d'Égletons, le socialiste Charles Spinasse. Auréolé de cette belle victoire, il fut immédiatement appelé au poste de Secrétaire aux Affaires Sociales dans le gouvernement de Georges Pompidou. À 35 ans, n’ayant jamais eu aucune responsabilité au sein d’une entreprise ou d’une administration, il était chargé de l’ensemble des affaires sociales du pays. Un an plus tard, en mai 1968, il conduira sous la houlette de Georges Pompidou les négociations de Grenelle. Protégé par Marcel Dassault et par Georges Pompidou, Jacques Chirac était désormais en mesure de faire valoir son dynamisme, son appétit et sa capacité à écarter les concurrents de son chemin. Il ne décevra pas ses mentors.

L’ensemble du personnel politique français se reconnaîtra aisément dans le parcours de Jacques Chirac, car ils ont tous suivi, avec des fortunes diverses, le même processus d’accession au pouvoir que lui. Ce processus ne laisse pas beaucoup de place à des outsiders du genre de Barack Obama, de petits avocats de province (l’expression « province » est déjà éclairante) qui se feraient  élire députés puis brigueraient la Présidence de la République  sans avoir été adoubés par le Président de la République en place ou par les dirigeants du principal parti d’opposition. Je montrerai dans l’article suivant quelques-unes des  conséquences que cette fermeture des élites provoque sur la société française, sur son bien être et sur ses complexes.

  Mais pour aujourd’hui cela suffit. Réjouissons nous avec les Américains qu’un homme sans appuis ait réussi, par chance et par mérite, à devenir Président des Etats-Unis d’Amérique. C’est déjà ça. 

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