L'affaire Battisti/Bruni
Très récemment, nous avons appris que le gouvernement brésilien avait accordé l’asile politique à Cesare Battisti. Les médias français ont mentionné l’affaire brièvement, mais l’opinion, la presse et la classe politique italienne se sont enflammées. L’affaire Battisti menace de devenir un incident diplomatique entre l’Italie, le Brésil et la France. Carla Bruni risque d’être poursuivie par les tribunaux italiens pour avoir œuvré afin de soustraire un condamné à la justice italienne.
Que s’est-il passé et surtout pourquoi un tel acharnement à soutenir Cesare Battisti de la part des cercles les plus élevés de la nomenklatura française ?
Rappelons nous les faits qui fondent cette affaire. Cesare Battisti, un ancien dirigeant du Mouvement des Prolétaires Armés pour le Communisme (PAC), a été condamné pour quatre meurtres. Il a été jugé et condamné en mars 1993 à la réclusion à perpétuité par contumace lors de trois procès par la Cour d’Assise de Milan. L’absence de l’accusé au procès ne l’a cependant pas empêché, selon la loi italienne, d’être défendu par des avocats qui ont deux fois interjeté appel. Les Cours d’Appel ont confirmé les jugements rendus en première instance. Avant que ne commencent ses assassinats, Cesare Battisti avait déjà purgé une peine de prison pour des délits de droit commun. Caché à Paris, il est devenu gardien d’immeuble et surtout auteur de romans policiers, ce qui l’a introduit auprès de Fred Vargas, l’écrivaine bien connue de romans policiers.
C’est alors que François Mitterrand, pour se donner l’image d’un homme de gauche et de cœur, décide un jour de protéger les terroristes italiens réfugiés en France. Le 20 avril 1985 au congrès de la Ligue des Droits de l’Homme, il fait la déclaration suivante : « Prenons le cas des Italiens : sur quelque trois cents qui ont participé à des actions terroristes avant 1981, plus d’une centaine sont venus en France, ont rompu avec la machine infernale, le proclament et ont abordé une deuxième phase de leur vie. J’ai dit au gouvernement italien que ces Italiens étaient à l’abri de toute sanction par voie d’extradition… » .
On notera l’extraordinaire mépris de la loi professée par l’ex-avocat Mitterrand, alors Président de la République Française : « j’ai dit ». Ce « j’ai dit » suffira pour protéger Cesare Battisti : il avait été adoubé par le Président de la République, il faisait désormais partie de l’oligarchie, sa personne était sacrée. L’avocat Jean-Pierre Mignard, conseil de Mitterrand pour les réfugiés italiens, affirmera : « il s’agit d’une politique de l’État, qui a engagé la République, plusieurs ministres, les services de la justice, de la police, sous les gouvernements Mauroy, Fabius, Chirac, Rocard, Cresson, Bérégovoy, Balladur, Juppé, Jospin. Soit deux présidents de la République, trois septennats et neuf Premiers ministres. » Alors, peu importe la loi, pensez donc !
Entre-temps, l’Italie a demandé l’extradition de Battisti dés 1991. Les arguties juridiques commencent en France, toutes en faveur de Cesare Battisti. La Chambre d’accusation française refuse l’extradition au motif qu’elle est fondée sur des mandats d’arrêt et non sur une condamnation définitive. Cette dernière arrive finalement et le Garde des Sceaux demande au Parquet Général de Paris l’arrestation de Battisti, qu’il n’obtient pas. En février 2004, Battisti est finalement arrêté, puis remis en liberté sous contrôle judiciaire. Le 30 juin 2004, il comparait libre devant la Cour d’Appel de Paris qui ordonne son extradition. Battisti fait appel devant la Cour de Cassation, qui rejette son pourvoi. Du coup, il décide de se cacher jusqu’à ce qu’on le retrouve au Brésil où il est finalement arrêté, dans l’attente de son extradition. Entre-temps on n’avait pas consacré de gros efforts en France pour le retrouver.
Avec la recommandation de Nicolas Sarkozy, Fred Vargas s’adresse à Ignacio Lula da Silva Lula, le président du Brésil, puis comme cela ne suffit pas, Carla Bruni intervient elle-même auprès du Chef de l'Etat brésilien. On imagine que l’affaire a été définitivement bouclée lors du voyage au Brésil du couple Sarkozy à la fin de l’année 2008 et le gouvernement brésilien, qui le détenait depuis mars 2007, a soudainement accordé « l’asile politique » à Cesare Battisti, comme si ce dernier était persécuté par une dictature !
La popularité de Carla Bruni dans les cercles de l’oligarchie française en sort heureusement renforcée. En outre, Elle a démontré aussi qu’elle était capable d’influencer son mari, assez pour qu’il accepte d’en subir les effets négatifs sur les relations avec l’Italie et d’en payer le prix auprès du Brésil, sans doute sous la forme de transferts technologiques. Il faut convenir que cela vaut le coup, tant l’affaire Battisti suscite de passions au sein de nos élites. Alors il vaut mieux se fâcher avec l’Italie et céder au Brésil plutôt qu’être boudé par des gens que l’on fréquente quotidiennement.
Car ils sont furieusement entichés de ce terroriste romantique, nos oligarques ! Souvenons-nous : lorsque la Cour d’Appel de Paris demande l’extradition de Cesare Battisti, le 30 juin 2004, c’est un tollé général. Libération a raconté la scène : Jacques Bravo, le maire du XIe arrondissement est décomposé. Fred Vargas est en larmes ; il faut dire qu’elle a écrit un livre pour défendre Battisti. Guy Bedos déclare que « le gouvernement vient de se déshonorer en faisant ce cadeau à Berlusconi ». Dominique Grange et Lola Lafon chantent, le poing levé. Un peu à l’écart, Philippe Sollers et Bernard Henry Levy s’indignent. Ils sortent du Théâtre de l’Oeuvre où les personnes citées s’étaient réunies avec, en autres, Danielle Mitterrand, les chanteurs Georges Moustaki et Lio et l’actrice Miou-Miou : tout un peuple indigné par la condamnation qui frappe l’un des leurs. Ils sont appuyés dès le lendemain par un communiqué des Verts qui «demandent solennellement au Premier Ministre de ne signer en aucun cas le décret permettant l’extradition de Cesare Battisti »
C’est que l’un des membres coopté par l’oligarchie est en danger. L’Etat français et maintenant l’État brésilien, que l’on indemnisera au besoin, doivent voler à son secours. Dans une telle situation, l’État français n’a de compte à rendre à personne, ni à l’État italien, ni aux principes du droit. Nicolas Sarkozy s’inscrit dans cette tradition. Il a cru habile de se défausser sur le Brésil, la suite de l’histoire montrera si cette habileté fera long feu ou non.
Mais l’essentiel de cette histoire se situe dans l’obligation qu’il a, lui et son épouse, de rassurer l’oligarchie française. Il faut dire à ces gens qu’on les écoute même lorsqu’ils s’entichent pour un assassin. Il faut qu’ils sachent que, tant qu’ils font partie de l’élite et qu’ils ne trahissent pas le pouvoir en place, ils seront toujours protégés.
Après avoir écrit l’article ci-dessus, j’ai vérifié ma documentation et j’ai découvert l’article suivant de Cesare Martinetti, du Journal La Stampa, écrit dans le Monde du 16 janvier 2009, sous le titre « Cesare Battisti bientôt libre, l'Italie à nouveau offensée ». Je vous en livre quelques extraits, qui expriment bien ce que pensent la presse italienne : « Après le président français Nicolas Sarkozy (qui, le 12 octobre, a refusé l'extradition de la brigadiste Marina Petrella), c'est au tour d'Ignacio Lula da Silva, président du Brésil, d'offenser l'Italie en refusant l'extradition d'un terroriste condamné à des sentences passées en jugement, à l'issue de procès réguliers tenus devant des jurys populaires et validés par la Cour de cassation. (…) Derrière l'opération Battisti, en effet, comment ne pas deviner la main de Sarkozy ? Depuis que le président s'est marié avec Carla Bruni, il n'est plus le même qu'avant. L'ex-mannequin italien, désormais première dame de France, a introduit à l'Elysée le virus de ce milieu intellectuel, bourgeois et gauchiste qui a accueilli, protégé et flatté les réfugiés italiens avec une fraternité inconnue aux quelques terroristes autochtones. (…) Quand, enfin, les juges ont accordé son extradition (été 2004), Battisti a été mis en condition de s'échapper. Quand, enfin, il a été arrêté au Brésil, Sarkozy a demandé à Lula de hâter la sale besogne (...) Cesare Battisti, un assassin condamné, peut recouvrer la liberté. La justice italienne est mortifiée. Les librairies du boulevard Saint-Germain se préparent à accueillir le nouveau roman du terroriste-écrivain. »
Monsieur Martinetti, vous oubliez qu’en France, la loi n’est contraignante que pour les faquins. Battisti, tout assassin qu’il est, a été adoubé par notre Président de la République: il peut dormir tranquille.