La manifestation et l'oligarchie
29 Janvier 2009 Publié dans #ACTUALITÉ
Aujourd’hui il y a eu beaucoup de manifestations. Certains pensent qu’elles sont inutiles, ce ne sont pas elles qui vont résoudre la crise, et nuisibles, parce qu’elles perturbent la vie du pays et qu’elles créent beaucoup de difficultés pour les gens qui vont travailler. Ceux qui manifestent ne sont pas de cet avis. Ils crient leur colère, leur frustration et leur peur.
Colère de voir que les « riches » reçoivent des aides. Comment faire autrement leur rétorque le gouvernement ? Vous préférez que nous laissions les banques faire faillite et que le système financier dans son ensemble s’effondre ? D’ailleurs, tous les gouvernements ont fait de même dans le monde. Frustration d’être sans défense contre une situation qui leur échappe. Sur ce point, personne n’ose leur dire qu’ils ont choisi de ne pas prendre de risque en devenant salariés pour ne pas tomber dans un débat sans fin sur l’absence de choix réel qu'offre la société d’aujourd’hui. Peur de perdre son emploi ou au mieux de voir son niveau de vie menacé et sur ce point non plus personne ne répond parce qu’il n’y a rien à répondre, parce que ce n’est que trop vrai.
En désespoir de cause, les opposants aux manifestations ajoutent que les Français sont les seuls qui manifestent dans le monde. Ce n’est pas tout à fait exact si l’on songe à l’Espagne par exemple, mais il est vrai qu’il y a une spécificité française à faire grève et surtout à manifester.
Pourquoi donc ? Parce que les Français sont bizarres, qu’ils ont une culture spéciale consistant entre autres à manifester à tout bout de champ ? Je n’en crois rien. C’est tout simplement parce qu’ils n’ont pas d’autre moyen de se faire entendre de l’oligarchie. Alors ils descendent dans la rue, avec le vague espoir de se faire entendre, la certitude minimale de se défouler en défilant et le sentiment rassurant de ne pas être isolés puisqu’ils se retrouvent des milliers à faire de même. La fête, la chaleur humaine, la possibilité de crier des slogans hostiles à des gens dont on est convaincu qu’ils ne vous écoutent pas mais qui, face à la foule qui gronde, rembarrent leur morgue et se terrent dans les palais de la République au moins pour quelques heures, avant de reprendre les commandes du petit écran.
C’est que l’exclusivité du pouvoir que s’attribue l’oligarchie a de dangereuses conséquences pour la société française. Elle secrète un sentiment d’exclusion qui n’est pas limité aux banlieues : toute la société française est évincée par cercles concentriques du pouvoir. En temps ordinaire, faute de pouvoir accéder à d’autres fonctions, chacun élève des barrières, se claquemure dans son statut afin de préserver ce qu’il a obtenu parfois de haute lutte, parfois par piston. Tout est fermé, protégé, barricadé, pour éviter la concurrence. Du sommet de l’État jusqu’au plus modeste Rmiste, le mot d’ordre est à la défense des positions acquises. Observez comment depuis 1945, aucun pouvoir, de droite ou de gauche, n’a osé remettre en cause le pouvoir de la même CGT sur le comité d’entreprise d’EDF. C’est qu’en retour le pouvoir attend de la CGT la non remise en cause du statu quo social. Donnant, donnant.
Mais lorsque la pression est trop forte, on se retrouve pour quelques heures « tous ensemble » pour se donner l’illusion, au moins une après-midi, d’être tous solidaires face aux « gros ». Alors on peut crier sa frustration devant le mur infranchissable que dresse devant soi une oligarchie verrouillée à double tour, une oligarchie qui s’offre alors le luxe chic de quelques frissons de peur et même de se mêler au peuple et plus fort encore, de faire semblant de crier avec lui . Puis les vulgaires, les croquants, les manants, ces malappris, ces pedzouilles, parmi lesquels se sont glissées quelques canailles, reprennent vaille que vaille le chemin de leurs petites niches douillettes, en espérant que le message est correctement passé la-haut: pas touche aux avantages acquis, compris ?