L'Amérique conquise et anéantie
25 Février 2009 Publié dans #PHILOSOPHIE
Ce fut donc le temps des découvertes.
La découverte du Monde, la conquête du Monde, l’intrusion de nouvelles populations dans des communautés qui ignoraient jusqu’à leur existence, ne se fit pas sans dégâts considérables. Un immense génocide, encore qu en grande partie involontaire, fut commis en Amérique du Sud, en attendant que les mêmes causes produisent les mêmes effets en Amérique du Nord.
La découverte de l’Amérique est le fruit inattendu d’une série d’erreurs. Dans le climat de la reconquête de Grenade, Christophe Colomb se croit investi d’une mission mystique. Il en obtient les moyens grâce à Isabelle de Castille. Personne n’avait prévu l’existence de l’Amérique, ce quart supplémentaire des terres émergées qui se transforme en piége mortel pour les soixante à quatre-vingts millions d’Amérindiens, un sixième de l’humanité de l’époque. Ces populations avaient franchi les mêmes étapes que les habitants du grand continent euro asiatique, avec de remarquables performances en astronomie et dans le calcul, une écriture quasiment idéographique, mais ni roue ni routes, pas d’animal de trait ou de bât, à l’exception du fragile lama.
Les densités de population maya atteignaient jusqu’à cinquante habitants par kilomètre carré, grâce à la culture du manioc et du maïs. Mais les Amérindiens n’étaient pas en mesure de résister aux envahisseurs européens, car leurs moyens de communication réduits ne facilitaient pas la concentration des forces et leur système politique complexe freinait la mobilisation de la défense. Il suffira de vingt années aux conquérants pour s’emparer des îles américaines, et d’à peine vingt années de plus pour maîtriser les quatre-vingt-dix pour cent de la population de l’Amérique concentrée sur deux des quarante-deux millions de kilomètres carrés du continent.
Les conquérants en feront une main d’œuvre captive qui fondra comme neige au soleil sous le choc microbien et viral. Évènement unique dans l’histoire de l’humanité, la population totale de l’Amérique chuta brutalement, passant de soixante-dix à quatre-vingts millions d’habitants en 1492 à douze ou quinze millions d’habitants en 1550. Le reste de la population fut sauvé par les missionnaires et par la sélection naturelle.
Dans le monde d’aujourd’hui, on sanctifie le changement et l’on condamne l’immobilisme, alors que le changement s’impose de toute manière à l’homme. La question n’est donc pas d’accepter le changement, il le faut, mais de ne pas le précipiter outre mesure, jusqu’à tout casser avant de savoir ce qu’il fallait conserver.
Pour les civilisations aztèques, mayas et incas, c’est manifestement trop tard. Tout a été détruit. Qui oserait s’en réjouir ? Qui veut bien en tirer la leçon pour le futur de l’humanité ? Que détruisons nous en ce moment d’irrémédiable ?