Une double proximité de lieu et de temps
Dans mon blog du 10 avril dernier, je vous proposais une explication terre-à-terre au monopole de la vérité revendiquée par la pensée unique, en avançant que cette dernière n’est pas du uniquement au contrôle financier, bien réel, exercé par l’État sur les medias. Cette explication réside surtout dans la proximité sociologique qui rassemble les journalistes, les hommes politiques au pouvoir, les intellectuels reconnus et les artistes, une proximité incroyablement physique.
La France est le seul pays dont les journalistes vedettes sont couramment mariées ou sont les amies des ministres. On en rappellera à peine que le Président de la République Nicolas Sarkozy est marié à une vedette du show-biz. Personne ne s’étonne qu’il ne soit pas marié avec une fonctionnaire une cadre d’entreprise, ou une femme au foyer. Non, une chanteuse, normal. Des présentatrices vedettes de télévision Christine Ockrent, Anne Sinclair et Béatrice Schönberg se sont respectivement mariées à des Ministres, lorsqu’ils étaient en fonction ou qu’ils étaient bien prés de le devenir, comme Bernard Kouchner, Dominique Strauss-Kahn et Jean-Louis Borloo. La productrice Dominique Cantien est la compagne de Philippe Douste-Blazy, l’ancien Ministre des Affaires Etrangères. On s’émerveilla de ce que Marie Drucker, nièce du producteur Michel Drucker, ait renoncé à la présentation de « Soir 3 » durant la durée de la campagne pour l’élection présidentielle française à la suite de la révélation de sa relation avec François Baroin, ministre de l’Outre-mer. L’émerveillement fut tel, au sein de l’oligarchie politico-médiatique, qu’on lui a attribué à Courchevel, quelques jours après l’annonce de ce retrait provisoire, le Trophée des Femmes en Or 2007, dans la catégorie Communication.
Il n’y a donc plus lieu de s’étonner de voir débarquer dans les medias les fils de ministres, d’anciens ministres, de journalistes et d’animateurs qui se retrouvent tous ensemble dans les salles de rédaction. L’osmose parisienne des journalistes et des politiques s’explique sans doute par leurs nombreuses opportunités de rencontres. Leur proximité est d’abord géographique, en raison de la centralisation du pouvoir. Il ne viendrait à l’idée d’aucun journal régional de rédiger un article sur la politique nationale depuis sa ville de province. Les rédactions nationales de tous les medias sont à Paris, à portée de taxis des ministères. Les journalistes et les hommes politiques se voient tous les jours, dînent dans les mêmes restaurants, habitent dans les mêmes quartiers, prennent souvent leurs vacances ensemble, viennent chercher leurs enfants dans les mêmes écoles. Les politiciens tiennent à décorer les journalistes qui, de leur côté, n’écrivent rien sans avoir les commentaires off des premiers.
En sus de la proximité s’ajoute la fascination du pouvoir, qui agit comme un miroir aux alouettes. En France, de par sa nature pyramidale, le centre du pouvoir se situe précisément au 55 Rue du Faubourg Saint Honoré, dans le VIIIe arrondissement de Paris, en d’autres termes au Palais de l’Elysée. Ce pouvoir est immense puisque à l’exception de quelques dictatures, le Président de la République Française détient des prérogatives inconnues ailleurs qui lui permettent de tenir en laisse tous les autres pouvoirs qu’ils soient politiques, juridiques, militaires, économiques ou journalistiques. Les medias sont attirés par le rayonnement de ce soleil dont ils essaient de s’approcher afin de comprendre ses ressorts et profiter de ses rayons. C’est la course aux réceptions, aux petits-fours, aux rencontres en petits comités, aux confidences. Il suffit de connaître quelques centaines de personnes, qui ne changent que très rarement de niveau de responsabilité sinon de poste, pour tout savoir du pouvoir, ses rumeurs, ses ragots, ses scoops.
Comme la carrière de presque tous les membres du bocal politique à l’instar de Giscard d’Estaing, Mitterrand ou de Chirac s’étale souvent sur un demi-siècle, ce sont des amitiés, des complicités qui se forment durablement. Par exemple, au sein du personnel politique de niveau intermédiaire, député, sénateur, tout le monde connaissait dans les medias Lucien Neuwirth, dont la femme est journaliste au Figaro. Aujourd’hui retraité, il est bien représentatif de ce personnel politique qui prétend gouverner pendant un demi-siècle ou plus, si Dieu lui prête vie. Élu député de 1958 à 1975, sa fonction la plus importante fut celle de Questeur de l’Assemblée Nationale de 1962 en 1975 et sa principale action fut d’avoir proposée la loi sur le contrôle des naissances en 1967. Il réussira à poursuivre sa carrière politique en présidant le Conseil Général de la Loire de 1979 à 1985, ce qui lui permettra d’être élu en 1983 sénateur, fonction qu’il parviendra à conserver durant deux mandats jusqu’au 30 septembre 2001, date à laquelle il se retira malgré lui à l’age de 75 ans après 54 ans de vie politique, victime d’un oukase de Chirac.
Faire une carrière de journaliste politique, c’est rencontrer des dizaines de fois et même des centaines de fois des hommes comme Lucien Neuwirth dans les enceintes politiques, dans les multiples réceptions qui rythment la vie de l’oligarchie, dans les manifestations culturelles où ils adorent utiliser leurs privilèges d’élus. Bref, c’est connaître intimement les détenteurs du pouvoir, leur demander des services et leur en rendre. Aussi est-ce une banalité de constater la symbiose entre le monde politique, les hauts fonctionnaires, les grands chefs d’entreprise, les artistes connus, les journalistes et les animateurs : ils vivent ensemble, ils se renvoient l’ascenseur, ils se chamaillent, ils se font des confidences, ils forment un monde à part où le renouvellement est rare. Il est de fait que la proximité géographique qui rassemble l’ensemble de l’oligarchie à l’intérieur de quelques arrondissements parisiens que l’on peut parcourir à pied en moins d’une heure, renforcée par le non renouvellement du personnel politique, contribuent ensemble à créer un groupe fusionnel.
C’est une société de connivence, somme toute naturelle, que je qualifie d’oligarchie depuis le début de ce blog, parce qu’elle s’autoproclame classe dirigeante, en veillant avec succès à écarter toute concurrence.