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Le blog d'André Boyer

Orages d'acier

1 Mai 2009 Publié dans #INTERLUDE

Je viens de terminer un livre incroyable, sur un sujet qui ne vous intéresse sans doute pas, la guerre de 1914, mais vous avez tort, vraiment tort.

En ce qui me concerne, je suis fasciné par la tranquille monstruosité des dirigeants français, et des autres, mais ceux qui m’intéressent le plus sont les miens, les ancêtres de ceux qui nous gouvernent. Clemenceau, Poincaré, Joffre sont des monstres, et je pèse mes mots. Aussi lorsqu’on les vénère, lorsqu’on écrit un livre laudatif sur eux, j’en ai la chair de poule. C’est que nos dirigeants pourraient recommencer. Comme vous le savez peut-être j’ai commencé un livre sur notre horrible histoire de France qui a vu pendant des siècles nos pauvres ancêtres de paysans d’ouvriers d’artisans se faire tuer pour des chimères, des mensonges, des salopards. Et je fais le lien avec les mensonges dont on nous abreuve sans cesse de nos jours. Pas vous ? vous croyez que ce n’est pas pareil ? l’avenir se chargera de nous départager.

Voici par exemple, un extrait de ce que j’écris dans le chapitre que je consacre à la guerre de 1914-1918 : « Les faits sont, à notre avis, révélateurs. Ce n’est pas parce que nos boulevards portent le nom de maréchaux que nous devons refuser de reconnaître que nombre d’entre eux furent au mieux incapables ou au pire assassins. Ce n’est pas parce que Georges Clemenceau a su prononcer des mots historiques qu’il ne porte pas l’écrasante responsabilité du prolongement de la guerre et de la fausse paix de 1919. La guerre de 1914-1918 correspond à l’assassinat collectif de l’Europe. Si les responsables de cette guerre ne se trouvent pas parmi les dirigeants politiques qui ont pris la décision de déclarer la guerre, d’organiser l’armée, de construire les alliances et de mobiliser la société pour la préparer, qui en est responsable ? la providence ? Et qui a donné mandat aux dirigeants français de faire tuer un million trois cent cinquante mille hommes pour récupérer l’Alsace et la Moselle ? la Nation ? »

Mais ce n’est pas de mon opinion sur la responsabilité de nos dirigeants dont je voulais principalement traiter ici, mais d’un livre que j’ai lu , Orages d’acier, d’Ernst Jünger. Grand écrivain, acteur de la bataille, témoin d’une situation insensée, il a réussi dans ce livre à faire partager avec un réalisme presque insoutenable ce que des millions de soldats ont vécu :

« Je bondis hors de la tranchée dans le brouillard de l’aube et me trouvais devant le cadavre recroquevillé d’un Français. Une chair de poisson décomposée  luisait d’un blanc verdâtre dans l’uniforme en lambeaux. Me retournant, je sautais en arrière saisi d’horreur : prés de moi une forme humaine était accroupie contre un arbre. Elle portait les cuirs brillants des Français et avait encore au dos le sac haut chargé, sommé d’une gamelle ronde. Des orbites caves, quelques touffes de cheveux sur le crâne d’un brun noir m’apprirent que je n’avais pas affaire à un vivant…Les alentours étaient parsemés d’autres cadavres par douzaine, pourris, calcifiés, momifiés, figés dans une inquiétante danse macabre. Les Français avaient dû tenir des mois auprès de leurs camarades abattus, sans pouvoir les ensevelir.

Il flottait au-dessus des ruines, comme de toutes les zones dangereuses du secteur,une lourde odeur de cadavres…Du reste, ce fumet lourd et douceâtre n’était pas seulement nauséeux : il suscitait mêlé aux acres buées des explosifs, une exaltation presque visionnaire, telle que seule la présence de la mort toute proche peut la produire.

Entre 9 heures et 10 heures, le feu prit une violence démentielle. La terre vacillait, le ciel semblait une marmite de géants en train de bouillir. Des centaines de batteries lourdes tonnaient à Combles et tout autour : des obus sans nombre se croisaient hurlant et miaulant au-dessus de nous.  Tout était enveloppé d’une fumée épaisse, éclairée de lueurs sinistres par des fusées de couleur. Sous l’effet de violentes douleurs dans la tête et les oreilles, nous ne pouvions nous entendre qu’en braillant des mots sans site ; La faculté de penser logiquement et le sens de la pesanteur semblaient paralysés…Un officier de la troisième section devint fou furieux. »

Je suis d’accord, ce n’est pas réjouissant. Mais c’est un effarant témoignage, à partager avec lui et ses millions de semblables, nos grands parents et arrière grands parents qui ont vécu cela, qui ont dit que ce serait la « der des der » et qui ont dû recommencer vingt ans plus tard, qui ont vu la bombe atomique tuer des centaines de milliers de japonais vingt-cinq ans plus tard. Je m’arrête là, cela vaut mieux. 

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