La vérité, ça n'existe pas?
5 Juin 2009 Publié dans #PHILOSOPHIE
Comme je l’écrivais dans les dernières phrases du blog du 24 mai dernier, ce sont les philosophes qui se sont chargés d’ébranler les certitudes scientifiques, avec l’aide d’une arme secrète, l’ego.
David Hume ouvrit les hostilités en postulant que toute pensée commence par des impressions. Pour lui, si les sensations sont les seuls faits vérifiables, la cause d’un évènement n'est pas observée mais provient simplement de la proximité de deux faits constatée par un individu. Du coup, on ne peut plus faire état de relations de cause à effet objectives. Descartes enfonça ensuite le clou avec son « je pense donc je suis ». La pensée de l’individu était par définition subjective et la philosophie était sommée de se recentrer sur le moi, autour duquel le monde devait tourner.
Si l’on admettait que l’Univers était voué à la réalisation de soi, il n’était plus question d’accepter les doctrines déterministes de Leibniz et de Spinoza, qui devinrent aussitôt hérétiques. Il faut se souvenir en effet du Traité théologico-politique de Spinoza. Sa thèse consistait à placer la métaphysique au service de l’éthique et à identifier Dieu à la nature. Il niait qu’il puisse exister une liberté de la volonté. Le contraire du subjectivisme triomphant de Descartes.
La seule autre résistance notable des philosophes au subjectivisme a été celle de Kant. Ce dernier a posé le principe de l’existence d’une réalité inaccessible, transcendante et idéale que l’on pouvait découvrir plutôt par l’intuition que par la raison. Il ne prenait donc pas l’individu comme sujet créateur de la vérité, mais il doutait que la science puisse l'approcher, cette vérité.
Après Kant, les philosophes ont renoncé à rechercher les moyens d'atteindre LA vérité objective, dans la mesure où ils se sont repliés sur la conscience du « moi ». Arthur Schopenhauer s’est ainsi attaché à montrer les limites de la pensée de Kant, en posant que la source de la vérité se situait dans la volonté de l’individu. Quant à Nietzsche, il a carrément refusé d’envisager la possibilité qu’il puisse exister une vérité objective.
Le subjectivisme n’a pas été pas seulement adoubé par la philosophie. Il a trouvé un renfort puissant chez les linguistes, lorsque Saussure a montré qu’aucun langage ne permettait de formuler quoi que ce soit d’assuré. Il a donc fallu se résigner à perdre confiance dans le langage comme moyen d’expression de la vérité.
Dans cet océan de scepticisme, la résistance de Wittgenstein s’est limitée à observer que « le doute n’existe que lorsqu’une question se pose, qu’il n’y a une question que lorsqu’il y a une réponse, et seulement lorsque quelque chose peut être dit. » Il y avait donc question et réponse possible quelque part, tout espoir n’était pas enfui. Mais, dans ses « Investigations Philosophiques », Wittgenstein examine ce que l’on peut entendre par « dire la vérité » et il est obligé de reconnaître que le langage ne peut rien dire sur les objets. Lorsque l’on comprend un langage, observe t-il, ce n’est pas parce qu’il correspond à la réalité mais parce qu'il obéit à des règles d'usage que nous connaissons. Ainsi, quand nous croyons comprendre, nous comprenons simplement les termes que contient le langage, mais pas le sens que l’autre veut nous faire saisir et encore moins les éléments « objectifs » qu’il contient. Terrible constat, notamment pour votre capacité à comprendre ce que je veux dire et pour ma volonté de dire quelque chose de "vrai" : puisque le langage précède l'expérience, nous sommes simplement train de fabriquer un univers qui correspond à notre ego lorsque nous cherchons à nous exprimer.
Au total, Wittgenstein a fini malgré lui par nous convaincre qu’il n’y avait aucune possibilité de dire quoi que ce soit de vrai. Et comme la pratique fait que la « vérité » ne peut être représentée que par les trois langages du parler et de son substitut l’écrit, de l'art ou de la logique, et comme la philosophie nous dit que nos perceptions soient emprisonnées par le langage, il ne nous reste plus qu’à renoncer à toute prétention d’acquérir une connaissance objective des faits.
Troublant constat, triste perspective. Mais que reste t-il des certitudes scientifiques ?