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Le blog d'André Boyer

L'incertain scientifique

21 Juin 2009 Publié dans #PHILOSOPHIE

L’incertain scientifique

Dans un article précèdent, le 5 juin dernier, intitulé « La vérité, ça n’existe pas, je rappelai que la vérité ne peut être représentée que par le langage. Les limites de notre langage font que nous ne pouvons pas avoir  une connaissance objective des faits et des choses. Mais quand on parle de langage, il ne s’agit pas seulement de langage parlé ou écrit, mais aussi des langages formalisés et spécialisés qu’a construit la science, qui a finalement été forcée de reconnaître qu’elle ne possédait pas le secret de l’objectivité, puisqu’elle ne disposait que de langages subjectifs.

Les peintres ont souvent l’intuition des changements de paradigme. Ils étaient en phase avec les ébranlements scientifiques et philosophiques au temps de la Renaissance. Ils l’ont été aussi lorsque le Cubisme a fragmenté la réalité, que le Dadaïsme a barbouillé les espaces et que le Surréalisme a aboli la différence entre le rêve et la réalité. Car c’est à cette époque de révolte artistique que l’incertitude s’est introduite dans la pensée scientifique.

La science avait commencé par élaborer un univers ordonné, dont elle découvre au fil du temps ans les failles, des fragments de désordre. Elle revendique d’être capable de les corriger, et c’est cela qu’elle appelle le progrès scientifique, cette marche en avant incessante vers la vérité. Mais la question qui se pose, au fur et à mesure de ces renoncements à des vérités dépassées et de ces nouvelles vérités provisoires est de savoir si la science permettra d’atteindre asymptotiquement la vérité, ou si ses méthodes ne contiennent pas des virus cachés qui vont entraîner la science à délaisser la vérité pour des chimères.  

La physique ne se gène pas en tout cas pour secouer les certitudes scientifiques. Elle se met à décrire, dès le premier quart du XXe siècle. Du coup, elle se trouve contrainte de rendre compte d’un monde chaotique, contradictoire, où se déroulent des évènements non observables, et où circulent des particules indétectables dont l’origine est indéterminée et dont les effets sont imprévisibles. C’est Einstein qui décrit un univers où la masse et l'énergie ne sont que deux aspects d'une même réalité insaisissable et où les parallèles se rencontrent. Le battement d’aile du papillon devient le symbole universel du désordre qui peut pervertir n’importe quel système. Pour couronner le tout, le principe d’incertitude de Bohr et Heisenberg appliqué aux électrons nous démontre que l'observateur est partie prenante dans l'expérience qu’il mène, si bien qu’aucune expérience ne peut être considérée comme objective.

Plus fondamentalement encore, ,  Henri Poincaré a remis en question dès 1902 le postulat central de la logique scientifique dans « La Science et L'Hypothèse ». Il montre que n’importe quel ensemble d'hypothèses peut être organisé pour s'ajuster formellement au résultat de l’expérience. On peut en conclure que les scientifiques choisissent par convention les hypothèses qui leur conviennent et finalement les résultats qui en découlent. En montrant que le lien entre l'hypothèse et la preuve est construit artificiellement, Poincaré introduit le doute dans la notion de démonstration. En d’autres termes, les mathématiques et la logique ne seraient que des systèmes forgés artificiellement pour organiser notre perception du monde. C’est ce qu’écrit également Kuhn quelques décennies plus tard, lorsqu’il décrit les révolutions scientifiques comme des changements de paradigme, ce qui signifie que les découvertes scientifiques sont dépendantes de la perspective choisie par le chercheur.

Poincaré est également rejoint par Frege qui définit les mathématiques comme une simple création du cerveau. Ce dernier soutient que la raison ne fournit rien de plus qu’une vérité contingente puisqu’elle se contente de confirmer ce que l’esprit sait déjà par l’induction, l’intuition ou l’observation. Il faut ajouter à l’analyse de Frege les apports de Gödel, qui a démontré que les nombres ne sont que de simples hypothèses et qu’il n’existe aucune logique qui permette d’affirmer que des propositions mathématiques soient justes ou fausses.

Toutes ces remises en cause de la validité de la preuve, si centrale dans la démarche scientifique, contraignent la science à reconnaître que ses démonstrations sont entachées d’incertain, de subjectivisme et d’auto-justification qui affaiblissent sa légitimité. En effet, celle-ci trouvait sa source dans la quête de la vérité objective, de LA vérité.  

Désormais, la science n’apparaît plus comme l’arme absolue pour découvrir la réalité du monde.  

 

 

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