Un feu d'artifice démocratique
En quelques jours, l’Iran, la France et l’Europe nous ont offert trois remarquables leçons de chose sur la détermination des hommes politiques à imposer leur volonté aux populations, au mépris non seulement de la morale la plus fondamentale, mais pire encore au sens de Machiavel, en opposition totale avec les principes qu’ils invoquent pour asseoir leur légitimité. Si bien que l’on peut dire que le slogan des opposants iraniens « Où est passé mon vote ? » s’applique à nous tous.
Commençons par l’Iran, parce que l’événement est spectaculaire. De nombreux éléments convergent pour conclure à une fraude massive organisée à l’occasion de l’élection, que l’on peut qualifier d’auto proclamée, du président Mahmoud Ahmadinejad. Bureaux de vote par bureaux de vote, les électeurs n’ont pas retrouvé leurs votes, les résultats ont été annoncés avec une rapidité extrême, tandis que les partisans du Président « élu », remarquablement discrets, abandonnaient la rue aux contestataires. Les conclusions sont simples dans le cas de l’Iran : des dirigeants essayent de garder le pouvoir contre la volonté exprimée de la population en truquant les votes. C’est une méthode rustique qui ne fonctionne qu’en s’appuyant fortement sur les bandes armées qui entourent tous les pouvoirs. À terme, le résultat ne peut être que la destruction du régime par les ambitieux qui vont se précipiter pour remplacer des apprentis sorciers à ce point affolés qu’ils se sont résolus à un expédient aussi simpliste que visible. Attendons la chute.
La France ensuite. Un attentat sanglant, attribué à la bien pratique nébuleuse Al-Qaida, met en cause les deux derniers Présidents de la République, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ainsi que le Premier Ministre de l’époque, Edouard Balladur. Le 8 mai 2002, un kamikaze projette un véhicule rempli d'explosifs sur un bus, tuant onze ingénieurs de la Direction des constructions navales (DCN) et trois Pakistanais qui travaillaient à la construction de sous-marins Agosta vendus par la France au Pakistan. Il semblerait que le contrat de vente prévoyait le versement par la France de commissions représentant 10% du montant de la vente, 1,2 milliards de $, à des officiels pakistanais. Ces commissions occultent seraient donc de 120 millions de $. Les magistrats instructeurs soupçonnent qu'une partie de ces sommes a été utilisée pour servir à financer la campagne présidentielle du Premier ministre Édouard Balladur, alors en compétition avec Jacques Chirac au premier tour de l’élection à la Présidence de la République
Ce dernier aurait provoqué une réaction violente des intermédiaires pakistanais en décidant d'interrompre le versement des commissions, qui transitaient par une compagnie offshore. Notez au passage la sincérité de nos dirigeants à lutter contre les paradis fiscaux et la fraude. Cette « hypothèse » s’appuie sur le rapport, saisi en 2008 dans les locaux de la DCN, qui a été rédigée par un ancien membre des services secrets français. Il y affirmait que l'attentat avait été réalisé grâce à des complicités au sein de l'armée pakistanaise qui auraient instrumentalisé un groupe islamiste pour obtenir la reprise du versement des commissions prévues. Face à ces révélations, la défense de l'ex-premier ministre Édouard Balladur consiste à déclarer que tout a été fait « de manière parfaitement régulière », tout en soulignant qu’il n’existe aucune preuve de l’existence de commissions versées à son profit. Dans ce genre de démenti, chaque mot étant soigneusement pesé, on notera qu'il ne dit pas qu’elles n’ont pas été versées, il dit qu’il n’y a pas de preuves. Quant à Nicolas Sarkozy, Ministre du Budget en 1993-1995 et directeur de la campagne d'Edouard Balladur, il a balayé d’un revers de main ce scenario. « Ecoutez, franchement, c'est ridicule », a-t-il dit « C'est grotesque, voilà. Respectons la douleur des victimes. Qui peut croire à une fable pareille ? ». Le principal terme de sa phrase est « franchement », c’est dire s’il s’agit d’un exercice de rhétorique.
La fable de l’arrêt des commissions est pourtant confirmée par le ministre de défense de l’époque Charles Million et par un ancien policier, Frédéric Bauer, qui décrit comment il a été mandaté en 1996 par la République Française. Il déclare qu’il a organisé un rendez-vous avec Ziad Takieddine, l’un des intermédiaires choisis par la DCN et Thomson CSF pour le paiement de certaines commissions. Lorsqu’il l’a informé de la décision prise par les autorités françaises, ce dernier s’est mis à rire, tout en lui confiant qu’il avait déjà touché personnellement 80% de ce que la France lui devait, soit quelques dizaines de millions de $. Sans doute s’estimait-il relativement satisfait...
Dans cette affaire, quelles sont nos certitudes ? Le versement de commissions occultes est un fait avéré sous le contrôle de d’Edouard Balladur et de Nicolas Sarkozy, Ministre du Budget de l’époque. Est tout aussi avéré l’arrêt du versement de ces commissions, sur ordre de Jacques Chirac, une fois élu Président de la République. Nous ne savons pas avec certitude si ces commissions donnaient lieu à des rétro versements vers des autorités politiques françaises, mais c’est une pratique logique lorsque l’on s’engage dans des opérations occultes : je te tiens, tu me tiens par la barbichette…À fortiori, nous savons encore moins à quoi ont servi ces probables rétro versements, mais il faudrait être vraiment naïf pour croire qu’ils n’ont servi qu’à alimenter les caisses des partis. Et nos certitudes sont diablement instructives pour comprendre le mécanisme de notre exemplaire « démocratie française », puisque nos dirigeants avouent pratiquer des trafics financiers illicites au nom d’une raison d’État dont ils s’estiment seuls juges, sans aucun contrôle de quiconque. Sed quis custodiet ipsos custodes ? écrivait déjà Juvénal. Méfions nous donc comme de la peste des bonnes intentions antidémocratiques de nos dirigeants.
L’Europe enfin. On se souvient que le gouvernement français avait soigneusement évité de consulter les électeurs français sur le Traité de Lisbonne qui remplaçait le projet de Constitution Européenne rejeté le 29 juin 2005 par près de 55% des suffrages exprimés. Le gouvernement irlandais avait dû, à son grand regret sans doute, se plier à la décision de la Cour Suprême d’Irlande qui établit que tout amendement aux traités de l’Union européenne doit être soumis à l’approbation des électeurs et ce qui devait arriver, arriva : le 12 juin 2008, les Irlandais ont rejeté par referendum le traité de Lisbonne par 53,4 % des voix. Mais récemment le Premier ministre irlandais Brian Cowen a indiqué qu’il « envisageait » d’organiser un nouveau référendum sur le traité de Lisbonne début octobre après avoir obtenu des garanties censées rassurer sa population qui a rejeté une première fois le texte.
Les dirigeants européens viennent en effet de s’accorder sur des « garanties » visant à « rassurer » ce pays qui avait cru possible de rejeter le traité de Lisbonne. Ils certifient que ce dernier n'affectera en rien ni la neutralité militaire de l'Irlande, ni son interdiction de l'avortement, ni son régime fiscal et que chaque pays gardera un commissaire à Bruxelles. Ces assurances seront compilées dans un document qui ne concerne que l’Irlande et aucun autre pays européen.
En clair, cela signifie deux choses : tout d’abord que les dirigeants européens s’unissent pour acheter le vote irlandais au prix de concessions qu’ils n’offrent pas aux populations qui n’ont pas eu l’opportunité de rejeter le texte. Ensuite, que la volonté des dirigeants européens n’est pas de soumettre un projet au veto des citoyens européens, mais de le faire adopter coûte que coûte, une fois qu’ils se sont mis d’accord entre eux. Ils forment ainsi un syndicat de dirigeants unis contre les peuples, déterminé à faire avaler de force leur amère potion au malade qu’est le citoyen européen. Il n’est pas étonnant que le patient européen finisse par vomir cette Europe-là. Et puis, qui sait, il n'est pas certain que ces diables d'Irlandais acceptent de se laisser acheter.
En conclusion, de l’Iran à l’Europe en passant par la France, tous les dirigeants n’ont qu’une obsession, se passer des peuples pour gouverner. Il serait bon que nous commencions à chercher les moyens de nous passer d’eux, avant qu’ils ne nous étouffent.