Le Monde, acteur de l'oligarchie
Dans l’article du 2 juillet dernier, je concluais en relevant la tentation des medias de faire et défaire ces princes qu’ils approchent de si près. L’attitude du Monde, désormais contrariée par l’importance croissante de la télévision et surtout d’Internet, illustre bien cette dérive.
En comparaison des quotidiens des autres pays européens de population comparable, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie et Espagne, les quotidiens français sont peu nombreux et disposent d’un tirage modeste. Trois titres font l’opinion et expriment des points de vue proches, même si deux d’entre eux se revendiquent à gauche et le troisième fait semblant d’être à droite. Aussi, la faiblesse quantitative de leur audience s’explique t-elle peut-être autant par l’uniformité de leurs analyses, très « pensée unique », que pour des raisons techniques. Les journaux invoquent en effet le désintérêt des Français pour le débat politique, l’existence des medias télévisuels et audiovisuels, l’apparition d’Internet pour expliquer la faiblesse de leur tirage. Mais ceci ne doit être vrai qu’en France et il oublient naturellement de rappeler que leurs opinions exprimant fidèlement celle de l’oligarchie, opinions que l’on retrouve formulées par ailleurs sur toutes les ondes françaises, cette plate uniformité rend lecture rapidement ennuyeuse. Demandez vous simplement qui lit encore les journaux pour se faire une opinion et vous aurez la réponse quant au désintérêt qu’ils suscitent.
Parmi les trois grands titres, Le Monde se perçoit comme étant primus inter pares. À ce titre, il se permet de faire la leçon à ses lecteurs, à ses confrères et au petit monde de l’oligarchie. Au moment des faits rapportés, grâce à leur magistère « intellectuel et moral », les journalistes du Monde jouissaient d’une certaine indépendance grâce à quoi la direction du journal Le Monde s’estimait libre d’entrer dans le grand jeu de la politique. C’est ce jeu solitaire qu’a dénoncé en son temps le livre de Pierre Péan et Philippe Cohen dans leur ouvrage, La face cachée du Monde[1]. Le livre révèle un certain nombre de faits qui montrent comment s’organisent à Paris les relations entre les medias et l’oligarchie:
- On ne devient pas rédacteur en chef du Monde parce que l’on est un grand journaliste, mais parce que l’on a des réseaux politiques et un certain talent pour s’en servir. On apprend ainsi comment Edwy Plenel, est nommé responsable pour le Quartier Latin de la LCR, la Ligue Communiste Révolutionnaire, dirigée depuis toujours par Alain Krivine. On apprend comment il monte en grade dans son parti, devient rédacteur de Rouge, du Matin puis entre au journal Le Monde en tant que correspondant auprès du Ministère de l’Intérieur. En observant l’ascension d’Edwy Plenel, on se dit que pour devenir journaliste, puis rédacteur en chef du Monde, il était hautement recommandé d’avoir des relations politiques dans les milieux de l’extrême gauche parisienne de la Rive Gauche. Aujourd’hui, c’est plutôt dans les milieux proches de la famiglia Sarkozy qu’il faut avoir des relations.
- Ce même Edwy Plenel profitera de sa position de journaliste pour se livrer à toutes sortes de manœuvres politiques, jouant avec François Mitterrand, Charles Pasqua, Georges Marion, Gilles Ménage, Pierre Joxe, Charles Hernu, Laurent Fabius. À cette occasion, l’ouvrage nous rappelle que les journalistes et les dirigeants politiques français habitent dans les mêmes arrondissements parisiens, cohabitent dans les mêmes cellules des mêmes partis et s’efforcent de faire converger leurs intérêts.
- Jean-Marie Colombani et Alain Minc, ce dernier étant conseiller d’Edouard Balladur, mettent un temps le journal Le Monde au service de l’ambition présidentielle du Premier Ministre de l’époque et contre celles de Jacques Chirac. Jean-Marie Colombani collabore à cet effet avec Jérôme Jaffré, directeur de la SOFRES, ainsi qu’avec Alain Duhamel, l’éditorialiste dont l’objectivité et l’indépendance d’esprit sont bien connues. On voit à cette occasion apparaître au grand jour les alliances politiques et éditorialistes de ces faux commentateurs mais vrais acteurs.
- Le journal Le Monde est utilisé pour procéder à des règlements de compte contre les personnages politiques, économiques ou littéraires qui déplaisent à ses dirigeants. Le journal sert successivement de machine de guerre contre Jacques Chirac, Jean-Pierre Chevènement, Jean-Marie Messier, Loïk Le Flock-Prigent, Régis Debray et l’écrivain Renaud Camus.
Au total, le livre de Pierre Pean et Philippe Cohen, malgré ses approximations et ses règlements de compte, révèle la nature profonde du principal quotidien français qui consiste à jouer de ses moyens de pression pour agir sur le pouvoir politique central. Il a ses opinions, ses préférences, ses intérêts qui n’ont vraiment rien à voir, mais alors rien de rien, avec le souci de bien informer les lecteurs sur les faits qu’il rapporte.
L’épilogue des poursuites engagées par Le Monde contre les auteurs et l’éditeur de La face cachée du Monde est à cet égard édifiant. Le mardi 6 juin 2004, le journal « Le Monde » publia un article intitulé « Une médiation judiciaire met un terme à l’affaire de La Face cachée du Monde. Sous la forme d’un communiqué situé dans la dernière page du journal, le texte prenait acte du droit des auteurs du livre à critiquer le journal « Le Monde » tandis qu’en retour ces derniers regrettaient certains de leurs écrits pour convenir qu’un procès serait dommageable pour les deux parties et qu’à condition de ne faire ni publicité à l’ouvrage ni nouvelle édition, la rédaction du journal Le Monde renonçait à se pourvoir en justice. L’accord permettait à l’éditeur et aux auteurs du livre d’éviter des dommages intérêts qui auraient certainement sanctionné les erreurs, exagérations et jugements trop rapides du livre, et au journal « Le Monde » de subir une contre-publicité supplémentaire. Il reste que le communiqué dévoilait la collusion entre les acteurs du microcosme parisien.
Cette collusion s’étend bien au-delà de ce petit monde, grâce au système de subventions accordées à certains medias.