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Le blog d'André Boyer

Le règne de Pénélope III, la suédoise

26 Juillet 2009 Publié dans #INTERLUDE

Certains d’entre vous se souviennent peut-être de l’article que j’ai consacré à « L'interlude de l’AX », le 16 janvier dernier. Cette AX, qui depuis, la traîtresse, m’a coûté d’assez coûteuses réparations sans qu’elle ne daigne beaucoup rouler, est l’une des actrices de la ronde des Pénélopes que je vais vous conter derechef.

Une belle soirée d’août 1964, grimpant laborieusement la côte d’une colline de Göteborg en Suède, la 2CV que je conduisais fut poétiquement baptisée Pénélope par l’une de ses passagères, BB, qui faisait allusion à la patience légendaire de la femme d’Ulysse brodant et débrodant chaque jour son ouvrage, dans l’attente du retour de son époux. Synonyme de patience, de voyage, de progression jamais achevée, le nom me plut et tous mes véhicules l’ont porté et le porte, agrémenté du numéro adéquat dans l’ordre héréditaire des Pénélopes. 

La Pénélope ainsi baptisée avait des raisons d’avancer péniblement. Elle transportait en effet, outre moi-même au volant, Richard, mon plus vieil ami, Franck notre sulfureux compagnon, Christina, Margarita dite BB et leur mère Ingrid. Toutes les trois francophiles et francophones, elles avaient visité quelques années auparavant l’Aventure, patrouilleur français  dévolu  à la protection des thoniers nationaux rodant autour de Terre-Neuve, qui avait fait escale à Göteborg. Le père de Richard, officier marinier sur le navire de guerre, avait pris leur adresse, et voilà pourquoi nous squattions chez elle, émerveillés par la vie suédoise. Et voilà aussi pourquoi Pénélope, déjà troisième du nom à peine baptisée, peinait sous le poids conjugué de ses six occupants.

Pénélope III était une 2CV verte que m’avait prêté ma mère avant de l’abandonner définitivement entre mes mains, au profit de la Mini Austin dont elle rêvait. Elle nous a transporté deux années de suite de Nice à Göteborg puis de Nice à Oslo, ces destinations étant fièrement inscrites sur le coffre en bandes de « Scotch » noires. Il nous fallait trois à quatre jours pour parcourir les 2000 kilomètres qui séparaient les deux villes, fonçant à 90 kilomètres sur les autoroutes essentiellement allemandes, le coffre bourré de matériel de survie, y compris alimentaire, déballé pour le camping quotidien à Strasbourg, Göttingen, Copenhague ou Aarhus, avant la traversée en ferry qui nous permettait de rejoindre la terre promise suédoise. Des ferries sur lesquels nous nous goinfrions des victuailles étalées sur les tables en self-service. Puis c’était la Suède, sa conduite à gauche à l’époque, ses larges plaines parsemées de fermes ocres, des teintes pastel à base de jaune de vert et de ciels bleu gris qui nous dépaysaient totalement de notre midi aux couleurs violentes.

En écrivant ces lignes, mon I Tunes vient de sélectionner une musique de Jan Johansson. Il a bougrement raison, c’est sur le phono de la famille Nordin que j’ai découvert Jazz Pä Svenska, une merveille de musique traditionnelle suédoise adaptée au jazz. Je ne m’en suis jamais lassé et vous ne connaissez même pas Jan Johansson !

Nous comptions bien, Richard, Franck et moi, le premier présentant le Capes d’éducation physique, le second élevé à la dure école de la vie et moi essoré par Math Sup. et Spé, nous défouler en Suède. Nous comptions bien aussi, pour être francs, avoir de faciles succès féminins auprès de suédoises que l’on nous dépeignait si libérées. D’ailleurs nous n’étions pas le seuls à nous ruer vers la Suède, en 2CV, 4L, Fiat 500 et autre Opel depuis la France, l’Italie ou l’Allemagne. Notre terrain de chasse était constitué par le Liseberg, le parc d’attractions de Göteborg où l’on dansait le soir. Honnêtement, nous n’eûmes pas de grandes victoires, sous-estimant la morale luthérienne des jeunes Suédoises et subissant la concurrence grossière de nombreux autres visiteurs. Je me souviens surtout d’avoir réussi enfin à inviter, après avoir subi bien des refus, une immense Suédoise qui me dépassait de 20 cm. Dés qu’elle se leva, je compris pourquoi elle était encore assise, mais il me fallut la faire danser rituellement deux fois par politesse avant de la raccompagner jusqu’à sa place, la tête à hauteur de ses épaules et toute honte bue. Si je n’ai pas eu l’opportunité de tomber amoureux d’une Suédoise, je suis tout de suite tombé amoureux de la Suède et ce sentiment ne s’est jamais démenti par la suite.

L’année suivante, en 1965, nous avons poussé huit cent kilomètres au-delà de Göteborg, jusqu’à Oslo tout d’abord, puis par une piste en terre jusqu’au fond du Sognefjord où la nature sauvage de la Norvège nous a pris à la gorge. Au retour, traversant le  Benelux, nous avons appris, oh catastrophe, que Richard était reçu à l’IRESP... de Nancy! Ce sentiment négatif fut renforcé lorsque, rangeant sous la pluie Pénélope III dans une longue rue grise de Pont-À-Mousson, nous vîmes de sombres volets s’entrouvrir pour nous observer, brrr. D’ailleurs, tout était sinistre, la fin du mois d’août approchait et avec elle la rentrée vers nos études respectives, sauf pour Franck.

Cette année-là, j’inaugurais la cité universitaire de Montebello, accompagné de Pénélope III qui devint rapidement l’objet d’un chantage entre les étudiants corses et moi. Un conflit provisoire opposa les autochtones, dont j’étais l’un des deux leaders, et les Corses résidant à la cité. Ces derniers menaçaient les pneus de ma voiture à la suite d’une rixe matinale qui m’opposa à trois étudiants corses. Je les informais de ma ferme volonté de crever en représailles les pneus de tous les véhicules immatriculés 20, créant ainsi un équilibre de la terreur qui permit à Pénélope III de garder ses pneus saufs. Ce fut aussi Pénélope III qui abrita mes premières rencontres avec ma future femme, que j’avais approchée grâce à mes petites altercations avec mes futurs amis corses. Et ce ne fut qu’au début de 1969 que Pénélope III céda la place à Pénélope IV.

C’est dire si Pénélope III joua un rôle important dans ma vie d’étudiant !

Vous avez peut-être remarqué la gravure de Carl Larsson, intitulée la fenêtre fleurie qui orne le texte ci-dessus. Carl Larsson (1853-1919) est sans doute le peintre suédois le plus populaire.

 



Depuis, Christina Nordin  a publié une thèse sur le commerce non sédentaire dans la région parisienne, et aux dernières nouvelles déjà fort anciennes, les trois femmes se seraient installées à demeure à Romorantin. Mais rien de sûr, j’ai perdu leur trace depuis fort longtemps.  

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