La farce des élections législatives de 1997
Dans un article intitulé « une oligarchie barricadée » je rappelais à quel point en France, loin devant tous les autres pays européens, le système politique traite les « citoyens » comme des marionnettes. Pour l’illustrer, loin du spectacle actuel qui l’illustre avec un mauvais gout qui frise l’indécence, je souhaite vous ramener 12 années en arrière. Souvenez vous, cela vaut la peine…
Le déclenchement des élections législatives des 25 mai et 1er juin 1997, consécutif à la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République le 21 avril 1997, devrait susciter votre étonnement. Le motif invoqué était sans précédent sous la Ve République : conforter, en l’absence de crise majeure, un gouvernement qui disposait déjà d’une majorité parlementaire confortable. Les stratèges de la droite n’avaient, paraît-il, pas imaginé que la gauche puisse remporter l’élection. On était prié de croire aussi que le Parti Socialiste ne s’y attendait pas. C’est du moins la version officielle de ce conte de fées pour des citoyens assommés par la grosse voix des medias.
Les sondages semblaient assurer à la droite une courte victoire. Le Président de la République invoquait l’urgence des réformes qui ne devaient pas être compromises par l’attentisme d’une année préélectorale pour justifier sa décision de dissoudre l’Assemblée Nationale. Mais vous avez déjà vu, vous, le bon papi Chirac, aujourd’hui encensé par les sondages depuis qu’il a quitté le pouvoir, pressé par la nécessité d’une réforme, en quelque quarante années d’action politique ? au contraire, il les a toujours fui comme la peste. Malgré l’invraisemblance, c’est pourtant le prétexte de l’urgence des réformes à conduire qu’il a tout de même choisi pour dissoudre l’Assemblée Nationale. Les medias lui ont comme d’habitude emboîté le pas, s’échinant à persuader les électeurs de l’urgent besoin de réforme que ressentait Jacques Chirac auquel les malheureux députés de son propre camp, pourtant totalement dépendants de l’investiture du président, étaient censés s’opposer. Une histoire à dormir debout.
Chirac a donc dissous une assemblée qui soutenait le gouvernement qu’il avait nommé pour solliciter auprès des électeurs un blanc-seing qui lui permettrait de poursuivre pendant cinq ans la politique pour laquelle il avait été élu deux ans plus tôt. Pour faire passer les réformes, il n’est tout de même pas allé jusqu’à mettre son mandat en jeu. Ce n’était pas sa « culture », paraît-il. Il semble bien que l’essentiel de sa « culture », qu’il partage avec la quasi-totalité de l’oligarchie française, était tout simplement de se maintenir le plus longtemps possible au pouvoir. La gauche, de son côté, agitait des promesses de son cru. Elle promettait la « création » de sept cent mille « emplois jeunes », situés pour moitié dans le secteur public ainsi que le passage aux trente-cinq heures. Comme d’habitude, elle disposait de recettes simples pour réduire le chômage : financer des petits boulots à l’aide d’impôts supplémentaires et partager le temps de travail tout en gardant les mêmes salaires. On se demande pourquoi on n’a pas pensé plus tôt que les impôts et les règlements étaient créateurs d’emploi. En attendant d’occuper le poste de Premier ministre, le premier secrétaire du PS, trotskyste caché ou repenti, s’efforçait sans mal de donner de lui-même une image intègre, volontariste et moderne à l’opposé de celle de François Mitterrand et de Jacques Chirac.
Les naïfs, qui croyaient que les états-majors politiques et les cabinets des principales autorités de l’État n’avaient pas envisagé sérieusement la défaite de la majorité en place, furent surpris lorsqu’au soir du 25 mai la droite classique réalisa son plus mauvais score de toutes les élections législatives de la Ve République. Le chef de l’État parut s’accommoder avec grâce de l’arrivée de ses supposés adversaires au pouvoir. Pour plus de sûreté, il accepta que son Premier ministre Alain Juppé annonçât sa démission au lendemain du premier tour, privant la majorité de son chef de campagne avant le deuxième tour. Une manœuvre très surprenante sauf si l’on cherche à perdre à tout prix. Les électeurs de droite qui ne comprenaient rien à la manœuvre faillirent tout gâcher en se mobilisant fortement : la droite progressa de près de dix pour cent des voix contre un peu plus de six pour cent pour la gauche, et le Front national, bon prince, assura un bon report des voix à droite. Mais, heureusement pour Chirac, la gauche finit par triompher. Sinon comment aurait-il pu l’emporter en 2002, après sept années d’immobilisme ?
C’est pourquoi on ne s’étonna pas dans les allées du pouvoir que le Président Chirac ne sembla que modérément affecté par le supposé échec de sa manœuvre. Apparemment désavoué, il ne lui vint pas une seconde à l’idée de démissionner de sa fonction de Président de la République. Au contraire. Il ne fut pas trop peiné de voir ses « amis » politiques perdre leurs sièges puisqu’ils devenaient ipso facto dépendants de sa propre fortune politique. Lui se chargeait de garder précieusement le poste de Président de la République, désormais le haut lieu de la résistance à « l’adversaire » socialiste. Il ne restait plus qu’à attendre que les électeurs sanctionnent une équipe politique qui allait déployer comme toujours depuis vingt ans des artifices pour cacher son inaction fondamentale face aux problèmes que le pays avait à affronter, sans savoir qu’il parviendrait même, le jour du deuxieme tour de l’élection présidentielle, à faire voter la gauche pour lui au second tour des Présidentielles !
Si cela vous amuse que l’on vous prenne pour un dindon, vous pouvez rire. Sinon…