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Le blog d'André Boyer

La peur comme principe de gouvernement

21 Septembre 2009 Publié dans #HISTOIRE

Dans un article intitulé « la merveilleuse élection présidentielle de 2002, je rappelais le 13 septembre dernier comment le président sortant Jacques Chirac, qui n’avait pourtant recueilli que 20% des suffrages exprimés, était parvenu à éliminer son seul concurrent sérieux, Lionel Jospin.
Le deuxième tour des présidentielles de 2002 fut ensuite une opération exemplairement menée par l’oligarchie rassemblée. Il faut noter à l’actif de Lionel Jospin qu’en se retirant provisoirement du combat politique, il évita de se prêter à la manœuvre. Le slogan officiel était de barrer la route à Le Pen, même si d’évidence, il n’y avait aucune chance que ce dernier soit élu.
Le seul fait qu’il fut présent au second tour était présenté comme une injure infligée à la République. Le Pen n’en pouvait mais. D’abord ravi de figurer au second tour, il lui fallu rapidement accepter le rôle de bouc émissaire que l’on bombardait d’injures, dans le but de mobiliser les électeurs. La République fut proclamée en danger. Les professeurs jetèrent leurs élèves dans la rue. La montée de l’extrême droite, « honte et humiliation pour le pays » était présentée comme un péril majeur alors que le résultat du premier tour exprimait simplement la dispersion des voix à « gauche ». C’est ce qui permit d’organiser une mobilisation massive  des électeurs contre la supposée « montée » de l’extrême droite.
À titre d’illustration, voici quelques extraits du discours de l’entre-deux tours dont le caractère surréaliste et outrancier échappa sur le moment à la plupart des observateurs : l’éditorialiste Pierre Georges dans le journal « Le Monde » daté du mardi 23 avril 2003 écrivait dès le lundi matin, après une nuit d’insomnie, j’imagine : ce n’est pas un résultat, « Non, c’est autre chose. Quelque chose qui ne pouvait pas, ni ne devait arriver. Pas en France. Pas en 2002. » Il faisait semblant de poser l’alternative, comme s’il pensait que les lecteurs du Monde hésitaient entre voter pour Le Pen et pour Chirac. Il écrivait : « Jacques Chirac-Jean-Marie Le Pen ? Jacques Chirac évidemment. Sans l’ombre d’une hésitation, tant il ne s’agit plus d’ajouter au désastre le déshonneur national. » Pas une seconde, il n’évoquait la possibilité de s’abstenir, lui l’homme de gauche, pour se contenter de broder sur le thème de la honte. Mais l’essentiel était dit : « voter Chirac ». C’est sur ce mode que la presse fit tout ce qui était en son pouvoir pour effrayer le peuple des électeurs afin qu’il aille voter pour Chirac. Voici quelques titres de commentaires qui accompagnaient la double page qui est censée présenter le programme de Le Pen dans Le Figaro du 3 mai 2002 : 

 

« La fin du droit du sol. Pour le pire » par Patrick Weil.

« Absences de solutions praticables » par Xavier Raufer.

« Le risque d’une marginalisation » par Christian Lequesne.

« Isolement total du reste du monde » par Pascal Boniface.

« Une régression monstrueuse » par Christian Saint-Étienne.

« Pourquoi une telle peur de disparaître ? » par Henri Hude.
Il s’agissait de faire peur afin que les électeurs aillent voter. Partout on convia chacun à son « devoir » de voter pour Chirac, martelant qu’il n’était pas pensable qu’il puisse aller voter pour Le Pen ni même s’abstenir. La FNAC, oui la FNAC, sortit un trac tout en noir qui appelait clairement ses clients à aller voter pour Chirac, au nom de ses « valeurs » ! Chirac refusa tout débat avec Le Pen, car il n’était pas utile pour lui de faire semblant de jouer le jeu démocratique. Il suffisait que les gens votent. Alain Etchegoyen l’écrivit sans ambages dans Le Figaro du 25 avril 2003 :
« Je voterai Chirac sans vergogne. Il faut voter sans retenue, sans commentaire négatif, sans pince à linge sur le nez. Rien ne doit être fait ni être dit en sens contraire. Rien ne doit pousser à l’abstention en faisant savoir que tout est joué et que Le Pen n’a aucune chance de gagner… ».
Face à ce délire mis en scène par l’oligarchie au pouvoir, il fallait voyager jusqu’au Canada pour trouver des commentaires distanciés dans le journal de droite canadien National Post :
« Qu’est ce qui se cache exactement derrière le vaste psychodrame de peur et de haine qui répond à la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles ? Avant même que les résultats définitifs du premier tour fussent connus, des manifestations furent lancées pour défendre la démocratie contre le fascisme et elles semblent devoir continuer sans discontinuer jusqu’au second tour. Des parlementaires européens, principalement français, agitant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Non aux nazis » ont perturbé une conférence de presse organisée par Jean-Marie Le Pen dans l’enceinte du Parlement Européen, après avoir vainement tenté d’arracher aux journalistes rassemblés la promesse de ne pas assister à l’interview et de ne pas l’interroger. Presque tous les chefs de gouvernement européens l’ont maintenant dénoncé. [] Et deux responsables socialistes, Laurent Fabius et Dominique Strauss Kahn, ont déclaré fortement que « C’est un cataclysme aux proportions terrifiantes » Pas seulement un cataclysme ordinaire, notez bien, mais de proportions terrifiantes.
« Il reste que ces cris d’alarme hystériques s’adressent à une menace imaginaire. Le Pen n’a progressé modestement que de 2,5%. Sa qualification comme seul concurrent de Jacques Chirac est plus le reflet de l’échec du vote socialiste dispersé entre plusieurs candidats que l’irruption du fascisme. Il aura beaucoup de difficulté à atteindre le quart des votants au second tour.[]
« Le mythe de la renaissance du fascisme permet de légitimer quelque peu la banqueroute idéologique de l’Euro establishment.[] Une double élite droite gauche dans l’Union Européenne et dans quelques pays européens comme la France « cohabite » très confortablement sur les fondements d’une orthodoxie fondée sur des impôts élevés, un État providence, un fort interventionnisme étatique et le transfert des pouvoirs des États vers Bruxelles. Les politiques étatiques deviennent de plus en plus sourdes à l’opinion des électeurs. Et la démocratie a été réduite à un choix entre deux programmes quasi identiques d’Euro socialisme fiscalement conservateurs. []
« Il reste seulement un hic : Quis custodiet custodies ? Et ce problème ne disparaîtra pas avec la défaite de Le Pen. »
Le résultat fut à la hauteur des espérances quant à l’écart entre Chirac et Le Pen. «  Fort du soutien de l’ensemble des forces attachées aux valeurs de la République », Jacques Chirac était réélu le 5 mai 2002, avec 82,21% des suffrages exprimés contre 17,79% pour son adversaire. J. Chirac rassemblait vingt millions de voix de plus qu’au premier tour, soit cinq fois plus d’électeurs qu’au premier tour. Son adversaire ne recueillait que cinq millions cinq cent mille voix, mais tout de même sept cent mille de plus qu’au premier tour. Quant au nombre de suffrages exprimés, loin de se réduire comme une peau de chagrin aux seuls partisans des deux hommes, il s’était accru de près de dix pour cent. L’offensive de l’oligarchie avait payé. Les électeurs avaient eu peur de Big Brother qui ne les lâchait plus dés qu’ils ouvraient un poste de télé, une radio, un journal, dès qu’ils ouvraient leur boîte à lettres pour y trouver un trac ou dés qu’ils se rendaient dans la rue, dans un magasin ou dans un lieu de culte. Puis les élections législatives eurent lieu, sans aucun suspense naturellement. L’U.M.P. et ses alliés obtinrent 342 sièges, le PS 138, le PC 21. Le FN obtint 0 siége avec 11 % des voix. Chirac avait tous les pouvoirs, dont il n’a rien fait pendant cinq ans. L’oligarchie était contente, tout le monde était rentré dans le rang.
E finita la commedia. Restent les leçons à tirer de cette élection présidentielle aux allures de triste théâtre de boulevard. En apparence, Jacques Chirac avait gagné le match avec maestria. Jacques Chirac n’avait pas été gêné d’être élu avec 82% des voix, comme un vulgaire dictateur de république bananière. La gauche n’avait pas hésité à faire voter Chirac afin de cacher sous l’appel républicain le cuisant échec de la gauche dite de « gouvernement » et pour éviter qu’un fort taux d’abstention n’ébranle irrémédiablement le système politique derrière lequel elle abrite son fonds de commerce périmé. Il restait que Chirac n’avait vraiment que le soutien de moins de vingt pour cent des votants du premier tour.
Les hommes politiques, en acceptant de gouverner avec une aussi faible légitimité, se plaçaient en position de faiblesse lorsque la tempête viendra. À moins qu’ils n’accroissent encore leur pression sur la population, une population qui n’est plus gouvernée que par la peur, peur du fascisme, peur du terrorisme, peur de perdre son emploi et la Sécurité Sociale en prime, et pour couronner le tout, peur de la grippe !

 

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