Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog d'André Boyer

À propos de Vladimir

27 Septembre 2009 Publié dans #INTERLUDE

Il y a quelques jours, j’ai reçu le faire part de décès de Monsieur Vladimir Kostka, qui est mort à Prague le 17 septembre dernier à l’âge de 87 ans. Cela ne vous évoque rien et pour ma part, j’ai horreur des éloges posthumes et des chroniques nécrologiques que je ne regarde jamais. Alors pourquoi cet article?

C’est que Vladimir Kostka était, pour moi, un homme extraordinaire, que j’ai rencontré avant même d’en être conscient. Cela se passait au printemps 1968, avant les événements de mai. Les jeux olympiques d’hiver se déroulaient à Grenoble. J’y étais avec ma petite amie de l’époque qui allait devenir ma première femme, Elisabeth. Nous sommes allés assister à la finale olympique de hockey qui devait départager l’URSS et la Tchécoslovaquie. 1968 ! Dubcek, le printemps de Prague, il y avait dans cette confrontation plus que du hockey, la soif de liberté qui soufflait sur Prague avec vingt ans d’avance contre la camisole soviétique. Ce jour-là, la Tchécoslovaquie a perdu, trois à deux, mais ce n’était qu’un match et qu’une étape vers la victoire qui est venue en son temps. La Tchécoslovaquie s’est libérée, est devenue la Tchéquie, l’équipe de hockey sur glace de la Tchéquie est restée au sommet et elle a remporté les jeux olympiques trente ans plus tard.

L’entraîneur de l’équipe tchécoslovaque de hockey sur glace s’appelait Vladimir Kostka. Je ne savais pas que j’allais le rencontrer physiquement un peu plus de vingt années plus tard. Mon histoire avec lui, Prague et la Tchécoslovaquie commençait ce jour de février 1968.

Le deuxième épisode de l’histoire faillit devenir le dernier, pour moi. C’était fin 1976. Avec mon frère, un de ses amis et Julie, qui allait devenir ma seconde épouse (décidément), nous avions décidé de passer le jour de l’an à Budapest, après un petit détour par Prague. Mais une fois que nous y sommes arrivés à bord d’une Dyane 6 au chauffage symbolique, ma sinusite a dégénéré sous le coup du froid glacial qui régnait à Prague. Le médecin qui a cru bon de m’opérer a fait des bêtises puisqu’il a apparemment déclenché une méningite purulente. Cela s’est terminé par une trépanation qui m’a sauvé la vie mais m’a légèrement secoué, au point de manquer me tuer. Tout cela  s’est passé dans l’hôpital Saint Charles à Prague, dont les fenêtres donnent littéralement sur l’appartement où vivaient Monsieur et Madame Kostka, que je ne connaissais toujours pas. J’en suis donc sorti vivant, me jurant de mettre quelque distance avec cette sombre ville qui avait failli avoir ma peau et que j’ai quitté en janvier 1977 alors que la révolte des intellectuels, dans laquelle s’illustrait le dramaturge et futur président de la Tchéquie, Vaclav Havel, battait son plein.

Pourtant, je me suis décidé à y retourner en mai 1989, avant la chute du mur de Berlin. Ce fut le début du troisième et dernier épisode qui dure depuis vingt ans. La Tchécoslovaquie bouillonnait doucement, conduite par des communistes de plus en plus mous, mais pas inefficaces dans leur réhabilitation de la ville de Prague. J’étais missionné pour mettre en œuvre une coopération avec CKD, un consortium tchèque de construction mécanique qui fabriquait des tramways et la fameuse Tatra. Le consortium était dirigé par un francophile solide, décidé à résister aux avanies qu’inflige la France et les Français aux  amoureux de la culture française. Bref, nous avons signé un accord de coopération entre CKD et Alsthom, malgré la mauvaise volonté bornée de ces derniers. Puis j’ai reçu à l’ambassade de France une jeune et jolie assistante de gestion, Hana Machkova, qui sollicitait des conseils pour suivre une formation de gestion en France, dont elle venait d’obtenir une bourse. Hana était francophone. Elle pensait HEC, je l’ai dirigée vers l’IECS à Strasbourg, parce que les deux villes étaient proches et avaient une sorte de parenté. Je pensais aussi qu’il valait mieux aller se former à l’université où, somme toute, on rencontre des étudiants plus sérieux. Je ne savais pas que j’allais devenir deux ans plus tard directeur de l’IECS Strasbourg, que Hana et moi allions créer ensemble l’Institut Franco-Tchèque de Gestion (IFTG) et que le père d’Hana s’appelait Vladimir Kostka.

Revenons donc à ce dernier. Hana me l’a présenté quelques années plus tard, ainsi que sa femme, une grande enseignante, une grande sportive aussi puisque c’est elle qui avait organisé les dernières Spartakiades de Prague. Vladimir Kostka était alors un retraité heureux, qui avait entraîné de nombreuses équipes de hockey sur glace pour terminer par l’équipe de Turquie. Il était entouré de l’affection de sa femme et de ses deux enfants. Il contribuait beaucoup à l’éducation de ses petits-enfants, montrant une sérénité et un dévouement exemplaires. Modeste, souriant, peu loquace, c’est tout juste s’il révélait les innombrables médailles sportives qu’il avait gagnées. Je l’ai vu chez lui, dans son joli appartement proche du jardin botanique de Prague, je l’ai vu dans son chalet bucolique situé à une heure de Prague, j’ai partagé avec lui un match de hockey entre la Suède et la Tchéquie, dans le stade fétiche du Spartka de Prague et dans les loges VIP, le 28 août 1996 ; si je m’en souviens, c’est que j’ai gardé un tee shirt commémoratif qui  est l’un de mes préférés. Chaque année, j’allais à Prague pour donner un cours à l’IFTG et chaque année je déjeunais en compagnie d’Hana chez Monsieur et Madame Kostka où j’apportais des fleurs qui avaient la vertu, d’après Madame Jarmila Kostkova, de durer particulièrement longtemps.

Puis à partir de 2006, j’ai cessé de venir à Prague. L’organisation des cours était devenue plus complexe, j’étais sans doute un peu lassé de cette routine pourtant si attachante du voyage à Prague que j’avais inauguré vingt ans plus tôt. Mais en cette année 2009, Hana a particulièrement insisté pour que je vienne. Un de ses arguments les plus forts était que ses parents vieillissaient. J’ai donc accepté et j’y serai début novembre. Mais Monsieur Kostka n’a pas eu la force de m’attendre. C’est sur sa tombe que je me souviendrai du rôle considérable qu’il a joué dans ma vie, bien souvent sans le savoir, à des moments cruciaux.

Il reste que je suis fier de l’avoir connu, que c’est un homme que j’ai aimé et que sa famille est désormais ma famille, pour toujours. 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />
Répondre