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Le blog d'André Boyer

Churchill

30 Octobre 2010 Publié dans #INTERLUDE

Churchill

Vers 7 heures 30, la lumière sinon le soleil, je ne sais, se lève sur une étendue d’eau et de tourbe, couverte d’une végétation privée d’arbre à peine discernable.

Tout est encore gris, sombre, vide. Si nous étions arrivés à l’heure, nous aurions raté ces paysages faute de lumière. En approchant de Churchill, les arbres reviennent mais rachitiques, écrêtés par le vent et étranglés par le froid. Je me rends une dernière fois dans le wagon-restaurant pour le breakfast usuel avant que le train, après avoir littéralement montré son hésitation à entrer en gare en effectuant une curieuse marche arrière, ne se décide hardiment à nous livrer à la ville de  Churchill.

Tout d’un coup saisis par le froid et le vent, nous sortons du train sous un ciel gris. Jusqu’ici nous avions bénéficié de températures douces, mais c’est bien fini. Tout le monde se rue à la gare pour s’habiller. J’ajoute au pull et à la veste standards, l’imperméable, le foulard, le bonnet et le gant. Le gant parce que je m’aperçois que j’ai pris deux fois la même main, la droite ! je finis par mettre l’un à l’endroit et l’autre à l’envers. Ainsi harnaché, j’avance avec ma sacoche « Université de Nice » à pied dans Kelsey Bd, la rue principale de Churchill, et je sens bien que je ne vais pas marcher bien longtemps dans cette bise, d’ailleurs il n’y a personne à pied dans le boulevard.

Churchill est une ville d’un millier d’habitants, dont l’activité tourne autour de la faune et du port de céréales, en dehors des administrations, de l’hôpital ou de l’école ; sa première activité est certainement le tourisme auquel s’ajoute une forte activité scientifique de surveillance de la faune, qui va jusqu’à mettre en prison les ours réputés dangereux. Je trouve porte close chez la loueuse de voiture ; heureusement, elle a la bonne idée de venir prendre un café au même endroit que moi ! Il faut dire qu’il n’y a pas vraiment le choix pour aller boire un café au chaud.  Les deux sas successifs pour entrer au café témoignent de la violence de l’hiver. J’hérite d’un 4x4 rural, qui porte fièrement à l’arrière une affiche en faveur d’une femme candidate à la mairie de Churchill. Bien au chaud dans le véhicule, c’était le but caché de cette location, je me dirige le long d’Hudson Bay, environné de flou. Le plan indique toute sorte de « curiosités », mais encore faut-il les apercevoir. Moi, je ne vois que du gris sur les 30 Kms de route utile, déjà plutôt des pistes que des routes. Comme j’ai décidé de laisser tranquille les ours blancs, ces pauvres bêtes, car ce qui m’intéresse c’est la façon dont les gens vivent dans cette situation limite, je décide aussi de ne pas m’aventurer tout seul et sans information sur les petites pistes et je reviens vers la civilisation, je veux dire Churchill et son millier d’âmes. L’aventure a ses limites.

Je me rends ensuite dans une sorte de magasin militant en faveur des Inuits où je rencontre la patronne, dans le coin depuis trente ans. Son mari et elle ont dû s’enticher d’une tribu d’Inuit. Si j’ai bien compris, ils se sont mis en tête de ramener la tribu du Grand Nord vers Churchill, et, m’a t’elle dit tristement, une fois à Churchill leurs Inuits ont sombré dans le welfare et l’alcool. À mon avis, son mari et elle auraient mieux fait de les laisser tranquille, les Inuits. C’est fou ce que les gens ont tendance à se mêler de ce qui ne les regarde pas, toujours pour le bien des autres. Quant à elle, elle semblait contente de sa vie personnelle, quatre mois à rencontrer les touristes comme moi et huit mois à rester au calme, bien au frais. 

Sorti du magasin et de la classiquement triste histoire des Inuits, je me décide à faire un tour dans une zone un peu déshéritée entre Churchill et la baie d’Hudson. C’est si déshérité que je vois un panneau qui dit qu’il ne faut pas se promener dans la zone à cause des ours ! J’étais sorti de la voiture, j’y retourne dare-dare, avant de continuer à rouler le long de la baie d’Hudson, grise, venteuse, désertique. Il faut dire que la présence toute proche des ours polaires, ces petites bêtes d’une demi tonne de chair et de muscles, a de quoi inquiéter. Une brochure est remise à tous les visiteurs de Churchill. Elle signale à ceux qui se déplacent seuls, comme moi, à l’extérieur de «  l’agglomération » toute relative de Churchill, de demeurer à proximité de son véhicule et de ne pas oublier que l’on peut croiser un ours à tout moment. Dans ce cas, il s’agit de s’éloigner lentement, en amont du vent si possible. Mais si le vent souffle vers l’ours ? et si finalement l’ours décide de vous attaquer? eh bien, dit la brochure « Tenez bon et soyez prêt à vous défendre ! » contre la bestiole de 500 kilos !

Aussi, chaque fois que je m’arrêtais pour faire une photo, par exemple de la carcasse d’un avion qui s’écrasa non loin de la ville, je regardais, inquiet, si je n’avais pas d’ours derrière moi ! on devient facilement paranoïaque dans une ambiance aussi sombre… 

Puis, selon les indications de la loueuse, j’ai fait le plein à l’unique station-service, j’ai amené la voiture (à moins que ce ne soit l’inverse) jusqu’au modeste parking du modeste aéroport d'où j'allais retourner vers Wiinipeg et laissé la clef au contact : qui volerait une voiture à Churchill, pour aller où ? À l’aéroport, pas de contrôle des bagages ni d’identité, pas de place attribuée, un dernier petit parfum d’exotisme avant de retrouver les masses à Winnipeg !

C’est ainsi que, pendant quelques heures, j’ai côtoyé un autre type de vie, très marginal, selon lequel la priorité est de lutter contre la nature plutôt que contre ses semblables…

 

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